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La polygamie au Canada : conséquences juridiques et sociales pour les femmes et les enfants – Recueil de rapports de recherche en matière de politiques

Examen international de la polygamie : répercussions juridiques et politiques pour le Canada


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5.  ANALYSE ET RECOMMANDATIONS : POLITIQUES JURIDIQUES ET SOCIALES

Préoccupations au sujet de la polygamie concernant les femmes, les enfants et la société

Bien que les recherches en sciences sociales portant sur la polygamie soient grandement limitées en termes de méthodologie et de taille d'échantillon, un grand nombre de recherches effectuées dans d'autres pays indiquent que, comparativement à la monogamie, la polygamie a des effets négatifs importants sur les femmes et les enfants. Les relations polygames semblent beaucoup plus susceptibles que les relations monogames d'entraîner de la violence physique et psychologique à l'égard des femmes. De nombreuses femmes faisant partie d'unions polygames ont une estime de soi diminuée et souffrent de la compétition qui existe entre les épouses. Pour leur part, les enfants sont beaucoup plus susceptibles d'avoir une relation distante avec leur père et de connaître des difficultés d'apprentissage à l'école.

Bien entendu, la polygamie n'est pas le seul type de relation non traditionnelle associé à des effets négatifs, et certains enfants élevés dans des familles polygames deviennent en vieillissant des adultes équilibrés sur le plan affectif et des adultes productifs. Les enfants élevés dans des familles reconstituées, par exemple, sont en moyenne plus aptes à avoir des troubles de comportement et des troubles affectifs que les enfants élevés par leur père et leur mère dans un mariage monogame. La cohabitation sans mariage est associée à des taux plus élevés de violence et de rupture conjugale que les mariages traditionnels. Les enfants élevés par un seul parent sont plus susceptibles de vivre dans la pauvreté que les enfants élevés dans des familles qui comptent deux parents. Toutefois, du moins dans le contexte social et économique du Canada, la polygamie affiche des caractéristiques uniques qui produisent des impacts sociaux, affectifs et économiques négatifs sur les femmes et les enfants. Les problèmes reliés à la polygamie sont ancrés dans la relation et inhérents à celle-ci; ils sont souvent causés par la relation polygame et non pas simplement associés à cette relation.

La polygamie impose également un fardeau économique aux États modernes comme le Canada, puisque les très grandes familles ont presque toujours recours aux services d'aide du gouvernement. Aux États-Unis, on a clairement établi que même si les hommes mormons fondamentalistes ne se marient légalement qu'avec une seule femme, les autres « épouses célestes » font souvent appel à l'aide sociale fournie par l'État en tant que mères célibataires. On dit que certaines des plus grandes familles polygames de Colorado City, en Utah, collectent plus d'un million de dollars en aide sociale chaque année (Rower, 2004). Rower affirme que 33 p. 100 des résidents de Colorado City reçoivent des coupons alimentaires, tandis qu'en Arizona, ce pourcentage n'est que de 4,7.

Comme nous l'expliquons au chapitre 2, il est préoccupant de constater que des adolescentes et de jeunes adultes des communautés de mormons fondamentalistes d'Amérique du Nord sont forcées de se marier avec des hommes beaucoup plus vieux qu'elles. De plus, même si ce phénomène est moins bien documenté, on constate également que des garçons adolescents sont forcés de quitter ces communautés sans aucun soutien de leur famille et avec une scolarité minimale. Il semble inévitable que, si une communauté moderne non décimée par la guerre décide de pratiquer la polygamie de manière générale, un grand nombre d'hommes doivent être exclus de la communauté. Au Canada, certains médias ont présenté des reportages sur de jeunes hommes et de jeunes garçons, parfois âgés de 14 ou 15 ans seulement, qui ont choisi de quitter Bountiful ne voulant pas participer à des mariages polygames ou « organisés ». Bien que ces reportages ne précisent pas que les garçons ont été expulsés de la communauté, ces derniers expliquent que leurs parents leur ont ordonné de ne pas revenir et de ne pas communiquer avec leurs jeunes frères et soeurs. De plus, dans certains cas, ils peuvent quitter la communauté par prévention. Par exemple, dans un article de journal paru en avril 2005, un jeune homme, ancien résident de Bountiful, indique qu'il a quitté la communauté parce que la communauté l'aurait expulsé de toute façon (Armstrong, 2005). Lors de la conférence publique organisée par The Bountiful Women's Society en avril 2005, les femmes d'unions polygames ont accusé les médias de perpétuer les « mythes » voulant que des garçons soient expulsés de Bountiful et que les polygames de Bountiful abusent du système d'aide sociale (Hutchison, 2005). Toutefois, ces reportages ne semblent pas être fondés sur des « mythes », mais plutôt sur des conséquences inévitables de la polygamie.

La polygamie soulève également de grandes inquiétudes sur le plan social du fait que seulement certains hommes en santé ou du moins puissants ont des épouses multiples et qu'on force d'autres hommes qui se seraient autrement mariés à demeurer célibataires. Le théoricien politique Tom Flanagan se dit inquiet des inégalités engendrées par la polygamie entre les hommes d'une société, en expliquant que si la polygamie est pratiquée de manière générale, il en résultera un nombre important d'hommes sans famille qui seront plus susceptibles de perturber la société. Flanagan (2001) affirme que la polygamie produit des sociétés brutales dominées par le culte guerrier de la violence masculine.

Questions soulevées par les mariages entre les personnes de même sexe : Canada

Le jugement Hyde c. Hyde prononcé en Angleterre en 1866 a statué que le mariage tel que défini par la chrétienté est une union de vie volontaire entre un homme et une femme, à l'exclusion de toute autre personne.58 L'objet de ce jugement était de décider si les tribunaux anglais devaient reconnaître un mariage polygame potentiel contracté en Utah aux fins d'obtention d'un divorce en Angleterre. La définition du mariage dans le jugement Hyde a été citée au Canada pendant plus de cent ans. Au cours des dernières années, une série de contestations présentées par des homosexuels et des lesbiennes a entraîné un changement judiciaire de cette définition. Dans des jugements comme celui de la Cour d'appel de l'Ontario de 2003 dans l'affaire Halpern c. le Canada (procureur général),59 on a reconnu que la définition traditionnelle du mariage viole l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertésen établissant une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. La nouvelle définition établie par les tribunaux dans des jugements comme celui de l'affaire Halpern est maintenant reconnue par la loi et le projet de loi C-38 (2005) prévoit que « le mariage est, sur le plan civil, l'union légitime de deux personnes, à l'exclusion de toute autre personne ».60

Dans le débat public au sujet du mariage entre personnes de même sexe, on considère qu'on s'aventure sur un « terrain glissant » en changeant la définition du mariage pour qu'elle comprenne le mariage entre personnes de même sexe et que les tribunaux pourraient obliger la société canadienne à accepter la polygamie (Coyne, 2005; Ward, 2005). Pendant que les politiciens discutaient des liens entre la polygamie et le mariage entre personnes de même sexe, une enquête mandatée par l'Institut Vanier de la famille a démontré que 80 p. 100 des Canadiennes et des Canadiens désapprouvaient la polygamie et n'accepteraient pas qu'elle soit pratiquée. Bien que 20 p. 100 des personnes interrogées aient indiqué qu'elles la toléreraient, seulement quatre p. 100 d'entre elles ont déclaré qu'elles approuvaient personnellement cette pratique pour elles-mêmes ou d'autres personnes. À l'opposé, l'enquête a démontré que 50 p. 100 des Canadiennes et des Canadiens étaient d'accord pour que des personnes de même sexe puissent se marier (Bibby, 2005).

Une distinction très claire peut être faite entre les débats entourant le mariage entre personnes de même sexe et la polygamie. Le mariage entre personnes de même sexe n'a aucun effet sur le concept de la monogamie. Par contre, l'acceptation de la polygamie comme forme de mariage légitime éliminerait le concept de la monogamie. Puisque la structure du mariage est déjà fondée sur deux personnes, la reconnaissance des mariages entre personnes de même sexe ne comporte aucun coût économique. À l'opposé, la reconnaissance des mariages polygames aurait des incidences potentielles importantes en matière de coûts pour l'État, ainsi qu'en matière de coûts potentiels pour les employeurs puisque les régimes d'assurance et de pension devraient prévoir des prestations pour toutes les « conjointes » d'un employé ou tous les « conjoints » d'une employée.

Outre les préoccupations de nature économique, il est surtout important de tenir compte des coûts sociaux et psychologiques de la polygamie en ce qui concerne les femmes et les enfants. Rien ne démontre que le mariage entre personnes de même sexe soit nuisible pour les enfants, et bon nombre de facteurs démontrent que ces mariages sont bénéfiques pour les partenaires de même sexe qui décident de se marier. À l'opposé, comme nous l'expliquons au chapitre 2, bon nombre de recherches effectuées dans certains pays démontrent que la polygamie a des effets négatifs sur le développement affectif et la réussite scolaire des enfants. La polygamie produit également des impacts psychologiques et affectifs importants sur les femmes. De plus, la lutte pour la reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe était fondée sur des arguments d'égalité. La non-reconnaissance des mariages entre personnes de même sexe faisait preuve de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. La reconnaissance de la polygamie encouragerait l'inégalité entre les sexes.

Contestations potentielles fondées sur la Charte des lois sur la polygamie du Canada

Au Canada, certains voudront peut-être contester la nature constitutionnelle des lois sur la polygamie. L'article 293 du Code criminel selon lequel la polygamie constitue un délit et la définition du mariage civil qui exclut la polygamie pourraient tous deux être contestés. Le cas échéant, la loi criminelle, qui prévoit une sanction imposée par l'État, fera l'objet d'une étude plus minutieuse fondée sur la constitution que la loi sur le mariage civil, même si les arguments relatifs à l'invalidité de ces deux types de loi différents sont semblables. Le procureur général de la Colombie-Britannique aurait reçu un avis juridique à l'effet que l'article 293 du Code criminel viole la Charte, tandis que le ministre fédéral de la Justice a reçu des avis à l'effet que cette loi est constitutionnelle. Au bout du compte, la controverse au sujet de la nature constitutionnelle des lois du Canada sur la polygamie ne peut être résolue que par les tribunaux canadiens. Toutefois, la jurisprudence de tous les autres pays qui ont dû déterminer la nature constitutionnelle de leurs lois sur la polygamie a maintenu de manière uniforme les interdictions relatives à la polygamie, et nous croyons que ces lois sont aussi constitutionnelles au Canada.

L'article 293 du Code criminel et la définition du mariage civil pourraient être contestés en vertu de l'article 15 sur les droits à l'égalité ou de l'article 7 sur les droits à la liberté de la Charte canadienne des droits et libertés. Toutefois, l'article 2a) sur la liberté de religion représente probablement la source des arguments les plus solides en faveur de la nature non constitutionnelle de ces lois.

En vertu de l'article 15 de la Charte, les polygames peuvent prétendre que l'interdiction relative à la polygamie est discriminatoire. Même si des parallèles ont été établis entre la polygamie et le mariage entre personnes de même sexe en ce sens que ces deux concepts sous-tendent des changements à la définition traditionnelle du mariage, l'orientation sexuelle est reconnue comme étant un motif interdit de discrimination, puisqu'il s'agit d'un aspect inhérent de l'identité d'une personne. À l'opposé, la pratique de la polygamie est un type particulier de comportement choisi, un comportement qui est interdit par la loi. En interdisant la polygamie, on n'exerce aucune discrimination sur une personne en se fondant sur des caractéristiques inhérentes, mais on interdit plutôt un certain comportement. De plus, la polygamie n'est pas conforme aux droits fondamentaux garantis par la Charte en ce qui concerne l'égalité entre les hommes et les femmes. La polygamie correspond presque toujours à une relation inégale, puisque de la manière dont elle est invariablement pratiquée, les hommes sont autorisés à se marier avec plusieurs femmes tandis que les femmes ne peuvent se marier qu'avec un seul homme. La polygamie entre donc en conflit avec le principe d'égalité des sexes puisque, dans la réalité, la nature patriarcale des relations polygames attribue aux femmes un rôle de subordonnée.

Les polygames peuvent aussi prétendre que, d'après l'article 7 de la Charte, leurs droits à la liberté et à la sécurité de la personne comprennent le droit de vivre dans une relation polygame sans faire l'objet de poursuites criminelles. Les polygames américains ont déjà tenté d'utiliser le droit à la liberté prévu par le quatorzième amendement de la Constitution des États-Unis pour faire déclarer anticonstitutionnelles les lois contre la polygamie. Comme nous le précisons ci-dessus, ces tentatives ont échoué.61 Au Canada, les polygames ont eux aussi peu de chances de réussir à utiliser le droit à la liberté. En effet, l'effet négatif en général produit par la polygamie sur les enfants nécessitera que, dans le cadre de l'analyse de l'article 7, on établisse un équilibre entre les droits des parents et les préoccupations en ce qui concerne les enfants.

Ce sont probablement les mormons fondamentalistes qui invoqueront le plus les arguments fondés sur le droit de religion de la Charte pour contester l'article 293 du Code criminel. Leurs arguments pourraient, par exemple, être plus solides que ceux des musulmans qui font face à des poursuites en vertu de cette disposition puisque la foi des mormons fondamentalistes les obligent vraiment à pratiquer la polygamie si c'est ce que leur ordonne leur dirigeant ou « prophète », tandis que l'islam permet seulement la pratique de la polygamie sans l'obliger.

On doit souligner que les tribunaux des États-Unis,62 de Maurice63 et de l'Inde,64 ainsi que la Cour européenne des droits de la personne,65 ont rejeté les arguments fondés sur le droit de religion utilisés pour contester les lois sur la polygamie. La plupart de ces contestations ont été présentées par des musulmans, mais comme nous l'avons déjà expliqué, les tribunaux américains ont récemment et spécifiquement rejeté les arguments fondés sur le droit de religion soulevés par des mormons fondamentalistes relativement à la polygamie.

La jurisprudence canadienne laisse croire que, même si personne ne doit être tenu de changer ses croyances, les tribunaux examineront très attentivement les revendications présentées en vertu de l'article 2a) de la Charte lorsque les pratiques religieuses peuvent être dommageables pour les enfants. En 1995, dans l'affaire B.(R.) c. la Children's Aid Society of Metropolitan Toronto66, la Cour suprême du Canada a rejeté la revendication de parents des Témoins de Jéhovah qui prétendaient que la Charte était violée par les lois sur la protection de la jeunesse qui permettaient qu'une ordonnance de tribunal soit émise pour que leur enfant reçoive la transfusion sanguine nécessaire sur le plan médical, contrairement aux croyances religieuses des parents. Quatre juges ont alors statué que la liberté de religion ne devrait pas être interprétée de façon à attribuer le droit de porter préjudice à une autre personne. Cinq juges en sont venus à la conclusion que le droit de religion des parents était violé et ont statué que l'article 1 constituait la disposition appropriée pour équilibrer les intérêts de l'État et des particuliers, en concluant que les limites imposées sur la protection de l'enfance par l'article 2a), liberté de religion des parents, étaient justifiées en vertu de l'article 1 de la Charte, puisque la protection de l'enfance constitue « un besoin urgent et réel ». Bien que les questions soulevées par la polygamie soient plutôt différentes de celles examinées par la Cour suprême dans l'affaire B.(R.), ce jugement démontre que la protection des personnes vulnérables et dépendantes peut prévaloir sur les droits garantis aux adultes par la Charte relativement à la liberté de religion.

Conformément à la jurisprudence et aux politiques établies dans d'autres sociétés libres et démocratiques, les revendications constitutionnelles qui contestent les lois sur la polygamie devraient également être rejetées au Canada. Cette décision serait aussi conforme à la tendance existant dans de nombreuses sociétés qui ont de longues traditions en matière d'inégalité entre les sexes, mais qui reconnaissent de plus en plus l'égalité entre les sexes et l'interdiction de la polygamie. À l'inverse, la décriminalisation ou la légalisation de la polygamie enverrait un message très décevant aux défenseurs des droits de la personne partout dans le monde qui luttent pour mettre fin au concept d'inégalité entre les hommes et les femmes des mariages polygames.

Le Canada a adopté comme politique d'immigration de ne pas permettre le parrainage d'épouses polygames aux fins de regroupement des familles et de rendre difficile l'immigration de familles polygames au Canada. Si les lois du Canada sur la polygamie étaient déclarées inconstitutionnelles, il faudrait inévitablement apporter des changements à la politique de l'immigration. Le Canada agirait différemment des autres pays occidentaux et deviendrait plus attrayant pour ceux qui pratiquent ou désirent pratiquer la polygamie. Surtout, le Canada deviendrait plus attrayant pour les mormons fondamentalistes polygames puisque la polygamie demeurera probablement illégale aux États-Unis et qu'une communauté importante de mormons fondamentalistes est déjà établie à Bountiful (Armstrong, 2005). On constate déjà un grand nombre de déplacements entre les communautés de Bountiful et les communautés polygames américaines, et ce nombre augmenterait en flèche si la polygamie était supprimée du Code criminel du Canada. De plus, si le Canada devenait le seul pays occidental à permettre l'immigration de polygames, le nombre de familles polygames immigrant au Canada en provenance d'Afrique et d'Asie serait probablement grandement à la hausse. Si la polygamie n'était plus illégale, le nombre de familles polygames au Canada augmenterait très certainement, ce qui entraînerait une hausse des coûts sociaux et économiques pour la société canadienne.

Au niveau international, on constate une tendance bien définie à abolir légalement la polygamie afin de favoriser les intérêts des femmes et des enfants. Le Canada est partout reconnu pour son leadership en matière de défense des droits des femmes et de reconnaissance des droits de la personne. Le Canada devrait longuement réfléchir avant de décriminaliser la polygamie et ainsi entacher sa réputation.

Recommandations à l'intention du gouvernement fédéral
  1. L'article 293 du Code criminel, selon lequel toute personne est coupable d'un acte criminel si elle contracte ou pratique la polygamie au Canada, devrait être maintenu.

  2. La constitutionnalité de l'article 293 du Code criminel ne peut être déterminée que par les tribunaux. Toutefois, il est important que le gouvernement fédéral défende cette disposition lors de tout litige, puisque cette loi défend l'égalité entre les sexes et sert à protéger les femmes et les enfants.
Application nuancée de la loi

Nous croyons que les lois du Canada sur la polygamie sont constitutionnelles et que leur existence continue d'accomplir des fonctions importantes sur les plans symbolique, éducatif et stratégique. Toutefois, l'application à la lettre de ces lois criminelles ne serait pas appropriée et ne serait pas dans le meilleur intérêt des femmes et des enfants vulnérables qui vivent actuellement dans des familles polygames. Le procureur général de l'Utah Mark Shurtleff s'est heurté à certains obstacles lorsqu'il a tenté de régler la question des grandes communautés de mormons fondamentalistes de son État, où les lois criminelles relatives aux unions polygames sont claires et on été déclarées constitutionnelles. Il s'est rendu compte que, pour enrayer la polygamie, il ne s'agit pas simplement d'appréhender tous ceux qui la pratiquent, puisque s'il avait utilisé cette approche, 20 000 enfants de son État en auraient été affectés (Dr. Phil, 2005). Même si les communautés polygames du Canada sont beaucoup plus petites que celles de l'Utah, des arrestations à grande échelle auraient des effets dévastateurs sur les enfants des mariages polygames puisque le père et la mère de nombreux enfants seraient ainsi mis en arrestation. Une stratégie aussi agressive risquerait également de créer un désastre sur le plan des relations publiques, à l'instar des événements de Short Creek, en Arizona, en 1953.

Plusieurs craignent qu'une stratégie agressive d'enquête et de judiciarisation puisse faire de la polygamie une activité davantage clandestine, ce qui compliquerait la tâche de celles et ceux qui tentent d'aider les femmes et les enfants. Même si les mormons fondamentalistes de Bountiful demeurent actuellement discrets, certains d'entre eux admettent ouvertement qu'ils pratiquent la polygamie. Certains prétendent qu'il serait préférable pour les femmes et les enfants que la polygamie soit décriminalisée. Ainsi, il serait plus facile de surveiller les cas de violence et d'exploitation au sein des mariages polygames. Alyssa Rower (2004: 729), une commentatrice américaine, se dit en faveur de la légalisation de la polygamie. Selon elle, il s'agirait de la façon la plus efficace d'effectuer une meilleure surveillance des familles polygames et cela permettrait, au besoin, que des poursuites criminelles soient intentées pour des activités telles que la violence envers les enfants, l'inceste ou le mariage avec une « épouse » d'âge mineur. Toujours selon elle, la légalisation de la polygamie signifierait que les fondamentalistes pourraient se joindre à la société et vivre selon les lois de cette société. Toutefois, même si la polygamie était décriminalisée, les polygames des communautés de mormons fondamentalistes ne deviendraient probablement pas ouverts et moins méfiants à l'égard des étrangers. Étant donné qu'aucun membre de la communauté de mormons fondamentalistes n'a été poursuivi pour polygamie au Canada, il est peu probable que les lois criminelles aient grandement contribué à la clandestinité de cette communauté.

Il serait problématique d'adopter une stratégie agressive d'enquête et d'appliquer à la lettre les dispositions sur la polygamie du Code criminel en effectuant des arrestations à grande échelle, et cela nuirait au bien-être des femmes et des enfants vulnérables. D'autre part, il est approprié d'intenter des poursuites lorsque des personnes d'âge mineur sont placées dans une union polygame organisée ou lorsque des femmes adultes se plaignent d'avoir été forcées à contracter une union polygame. De plus, il serait approprié de poursuivre les dirigeants de la communauté qui défendent la polygamie sur la scène publique, qui vivent dans des unions polygames et qui organisent des mariages polygames entre des hommes et des femmes de leur communauté.

Des services d'aide, de consultation et de soutien devraient être fournis aux femmes et aux enfants qui désirent quitter leur famille polygame, mais qui se sentent piégés parce qu'ils n'ont pas les ressources financières et la scolarité requises. Les jeunes hommes adultes qui désirent quitter ces communautés ou qui sont expulsés de ces communautés ont aussi besoin d'aide. Dans certains cas, des services d'aide juridique peuvent être requis pour que des recours puissent être intentés en vertu des lois civiles et de la famille, par exemple pour l'obtention d'une pension alimentaire.

Le gouvernement de la Colombie-Britannique devrait cesser de financer toutes les écoles indépendantes qui encouragent la pratique de la polygamie. Déjà en 1993, le Committee on Polygamous Issues reprochait au ministère de l'Éducation de ne pas effectuer les enquêtes nécessaires auprès de l'école primaire et secondaire de Bountiful. Il semblerait que le ministère n'évalue cette école que dans le cadre de visites annoncées au préalable et que par l'utilisation d'examens normalisés auxquels les étudiants peuvent être préparés par leurs enseignants. Les normes d'enseignement à cette école ne semblent pas adéquates et, puisque l'école est contrôlée par les dirigeants religieux de la communauté, elle endoctrine les enfants et les isole de la société extérieure. Les médias ont grandement dénoncé la politique de financement en place en expliquant que l'école est utilisée pour enseigner la polygamie, les attitudes sexistes et racistes, et qu'elle ne prépare pas les enfants à la vie à l'extérieur de la communauté (British Columbia Civil Liberties Assocation 2004; CUPE BC, 2004; Bains, 2003). Puisque la polygamie est illégale, le gouvernement ne devrait pas financer les écoles indépendantes qui encouragent cette pratique.

Recommandations à l'intention des gouvernements des provinces où vivent des polygames
  1. Les poursuites reliées à la polygamie devraient être intentées avec discernement et en tenant compte des effets de l'application de la loi sur les enfants et les femmes vulnérables.

  2. Il serait plus approprié de poursuivre les hommes qui dirigent les communautés, qui vivent dans des unions polygames et qui ont organisé des mariages polygames entre des femmes et d'autres hommes de leurs communautés. Il serait approprié d'intenter des poursuites lorsque des hommes d'un certain âge contractent des unions polygames avec des personnes d'âge mineur ou lorsque des femmes adultes se plaignent d'avoir été forcées à contracter une union polygame.

  3. En l'absence de preuve de violence ou de négligence, les travailleurs de la protection de la jeunesse et les agents d'application de la loi ne devraient pas retirer les enfants des familles polygames et retirer la garde des enfants aux mères.

  4. Des services de consultation, de soutien et d'information devraient être offerts aux femmes, aux enfants et aux jeunes hommes qui désirent quitter les communautés polygames.

  5. Les lois en matière de protection de l'enfance et d'éducation devraient être mises en application de manière efficace en ce qui concerne les enfants, y compris les enfants qui vivent dans des familles polygames.

  6. Le gouvernement ne devrait pas financer les établissements d'enseignement qui appuient la polygamie (la politique existante de la Colombie-Britannique en ce qui concerne le financement de l'école indépendante de Bountiful devrait être revue), et les lois relatives à la fréquentation scolaire devraient être appliquées pour que les enfants des familles polygames reçoivent un enseignement approprié.
Reconnaissance limitée des mariages polygames

Même si les membres d'un mariage polygame peuvent ne pas être autorisés à immigrer au Canada en présentant une demande de parrainage fondée sur le regroupement des familles en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, 2001, ils ont parfois été autorisés à entrer au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire. Bien qu'on ne connaisse pas le nombre exact de personnes qui sont ainsi entrées au pays, on peut supposer qu'un certain nombre de personnes vivant dans des unions polygames sont aussi entrées au Canada pour d'autres raisons ou vivent au Canada dans l'illégalité.

En Ontario, les épouses qui ont contracté des mariages polygames valables dans des pays étrangers sont légalement reconnues et peuvent se prévaloir de leurs droits prévus par la loi au décès ou après la séparation. Cette reconnaissance limitée des mariages polygames correspond à un niveau d'acceptation de la réalité selon laquelle des Canadiennes et des Canadiens vivent dans des mariages polygames, et elle permet à des épouses multiples qui vivent dans d'autres pays de se prévaloir de leurs droits auprès de leurs époux qui sont des résidents du Canada. Cette disposition soulève certaines questions de nature constitutionnelle et politique en ce qui a trait à l'inégalité potentielle entre les relations polygames au Canada et à l'étranger. Les dispositions de la Loi sur le droit de la famille et de la Loi portant réforme du droit des successions ne peuvent être utilisées que par les membres des mariages polygames célébrés dans un pays étranger qui reconnaît la polygamie, et elles ne protègent donc pas les membres des mariages polygames contractés au Canada ou dans un autre pays qui ne reconnaît pas la polygamie. Les polygames canadiens pourraient se servir de cet argument pour prétendre que leurs droits à la propriété et à la pension alimentaire ne sont pas protégés alors que ceux des membres de mariages polygames contractés dans un pays étranger qui reconnaît la validité de tels mariages le sont. Qui plus est, cette disposition permettrait à celles et ceux qui contractent un mariage polygame dans un pays étranger de bénéficier d'une pratique qui est interdite par le Code criminel du Canada. Toutefois, selon nous, cet écart est justifié sur les plans constitutionnel et politique puisque cette disposition est conforme aux principes de droit international privé pour ce qui est d'établir la validité d'un mariage et qu'elle apporte une solution équitable aux problèmes causés par les écarts entre les lois sur le mariage des différents pays. Il est aussi nécessaire de protéger les femmes vulnérables et les enfants qui dépendent des lois du pays où le mariage polygame a été contracté, et cela ne viole probablement pas la Charte et ne donne probablement pas plus de poids aux contestations relatives à l'article 293 du Code criminel du Canada.

Sauf en Ontario, seuls les conjointes et conjoints des relations entre deux partenaires peuvent prétendre aux droits accordés aux conjointes et conjoints non mariés (souvent nommés « conjoints de fait » au Canada) aux fins de la loi sur la famille, de la loi des successions et des prestations sociales comme celles prévues par le Régime de pensions du Canada. Toutefois, certains arguments fondés sur la Charte pourraient être utilisés pour interpréter ces lois de manière à ce qu'elles reconnaissent des droits limités aux épouses polygames afin de protéger les femmes vulnérables. Ces arguments pourraient avoir plus de poids s'ils sont utilisés pour protéger des femmes vulnérables (par exemple, en vertu des dispositions d'égalité de l'article 15 de la Charte) que s'ils sont utilisés afin de reconnaître au sens large la polygamie (par exemple, en vertu des dispositions de liberté de religion de l'article 2 de la Charte). Une femme qui réussirait à démontrer qu'elle a été forcée à s'engager et à demeurer dans une relation aurait plus de chances de faire valoir ses droits. Si ses arguments étaient acceptés, les prestations devraient probablement être divisées per capita afin de protéger toutes les épouses, sans que soit imposé un fardeau injustifié sur la succession ou le gouvernement. Dans certaines circonstances particulières, une femme qui vit dans une union polygame au Canada, par exemple dans un mariage polygame des mormons fondamentalistes, peut prétendre à certains droits limités découlant de cette union. On pourrait certainement s'attendre à ce qu'un tribunal canadien ayant compétence sur une demande de pension alimentaire pour enfant présentée par une femme d'une relation polygame accorde cette pension à la femme étant donné que les demandes de pension alimentaire pour enfants ne dépendent pas du mariage. De plus, les revendications sur la propriété qui visent à reconnaître la contribution à l'acquisition ou au maintien d'une propriété sans égard à l'état matrimonial (par exemple, la fiducie constructoire) devraient également être acceptées; l'époux ne devrait pas pouvoir se servir du fait qu'il s'agissait d'une union illégale pour que ce type de redressement équitable soit effectué afin de reconnaître la contribution de l'épouse.

Il est important d'empêcher la formation de toute nouvelle relation polygame, mais, dans la réalité, des femmes et des enfants vivent dans ce type de relation au Canada. Des femmes et des enfants vivent également dans ce type de relation dans d'autres pays, mais ces femmes pourraient vouloir revendiquer leurs droits à leurs époux qui vivent au Canada. Les causes américaines portant sur des affaires ayant trait à des enfants en particulier semblent toutes avoir adopté l'approche appropriée. Le fait qu'une mère vive dans une relation polygame devrait être considéré comme étant un facteur négatif, mais non un facteur déterminatif lorsque les tribunaux doivent décider des meilleurs intérêts d'un enfant; ces décisions doivent tenir compte de toutes les circonstances reliées à l'enfant. La reconnaissance limitée des mariages polygames, par exemple aux fins d'héritage, est appropriée, mais les lois canadiennes devraient, en général, ne pas reconnaître les mariages polygames.

Recommandations à l'intention du gouvernement fédéral
  1. Tant que la polygamie demeurera un acte criminel, elle devrait demeurer un facteur d'exclusion des immigrants.
Recommandations à l'intention des gouvernements fédéral et provinciaux et à l'intention des tribunaux
  1. Dans certaines affaires au civil (par exemple, des affaires d'héritage), la loi devrait prévoir la reconnaissance limitée des droits afin de protéger les femmes et les enfants vulnérables qui ont vécu dans une relation polygame, étant donné que certains réfugiés et autres vivent peut-être au Canada dans des relations polygames. De plus, certaines personnes vulnérables vivant à l'étranger peuvent faire partie d'une relation polygame, et ces personnes devraient être autorisées à présenter une demande de redressement limité devant les tribunaux canadiens contre leur partenaire qui réside au Canada. Dans les décisions prises en ce qui concerne les participants des unions polygames, il est surtout important de ne pas pénaliser les personnes vulnérables et de ne pas stigmatiser ni « revictimiser » les personnes innocentes.
Conclusion : la nécessité de poursuivre les recherches

Pour le moment, rien ne justifie un changement aux lois canadiennes sur la polygamie. L'opinion publique s'oppose vivement à tout changement de la définition du mariage qui ferait en sorte qu'une union entre plus de deux personnes puisse être reconnue. Selon nous, les lois civiles et criminelles existantes qui interdisent la polygamie sont constitutionnelles puisque la pratique de la polygamie a des effets négatifs importants sur les femmes et les enfants et qu'elle est contraire à la vision canadienne fondamentale du mariage, qui consiste en un partenariat entre personnes égales. Les arguments utilisés pour que la définition du mariage permette à des partenaires de même sexe de former un partenariat monogame soulèvent des questions tout à fait différentes et ces arguments ne devraient pas encourager l'acceptation juridique ou sociale de la polygamie. Bien que les lois et politiques canadiennes doivent décourager la formation de relations polygames, certaines femmes et certains enfants vivent déjà dans de telles relations au Canada, et ces personnes ne devraient pas être « revictimisées » par le système judiciaire.

Ces recommandations doivent être considérées comme étant des recommandations provisoires, puisque des recherches plus approfondies doivent être réalisées au Canada dans le domaine des sciences sociales et dans le domaine juridique sur les effets de la polygamie sur les femmes et sur les enfants, filles et garçons. De plus, des recherches supplémentaires doivent être réalisées sur les différents groupes qui pratiquent la polygamie au Canada puisque la recherche existante ne porte presque exclusivement que sur les mormons fondamentalistes.
Recommandation à l'intention des gouvernements fédéral et provinciaux
  1. Des recherches supplémentaires doivent être réalisées sur la nature et la portée de la polygamie au Canada, dont des études sur les effets de la polygamie sur les femmes et les enfants.


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Mise à jour : 2005-12-19
Contenu revu : 2005-12-19
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