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La polygamie au Canada : conséquences juridiques et sociales pour les femmes et les enfants – Recueil de rapports de recherche en matière de politiques -

Examen international de la polygamie :
répercussions juridiques et politiques pour le Canada


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4. LOIS SUR LA POLYGAMIE : CANADA

Loi du mariage

La question portant sur la capacité de se marier est une question de ressort fédéral au Canada. Pendant de nombreuses années, cette question était régie par la jurisprudence de la common law établie avec le jugement anglais de 1866 dans l'affaire Hyde c. Hyde et Woodmansee. Dans cette décision fréquemment citée, Lord Penzance statua que le mariage est défini comme étant une union de vie volontaire entre un homme et une femme, à l'exclusion de toute autre personne.33 En 2000, le Parlement fédéral a promulgué la Loi sur la modernisation de certains régimes d'avantages et d'obligations,34 qui confirmait que le mariage est « l'union légitime d'un homme et d'une femme à l'exclusion de toute autre personne ». Également, le projet de loi C-38 (fédéral), qui a passé l'étape de la première lecture au Parlement en février 2005, prévoit, à l'article 2, que « le mariage est, sur le plan civil, l'union légitime de deux personnes, à l'exclusion de toute autre personne. »35 Donc, personne ne peut contracter de mariage polygame légalement valable au Canada. De plus, d'après les principes généralement admis du conflit des lois canadiennes, la capacité de se marier est régie par la loi du domicile d'une personne (Castel, 2002). Donc, si une personne domiciliée au Canada contracte un mariage polygame dans un pays qui autorise la polygamie, ce mariage ne sera pas reconnu comme étant valable au Canada, et il sera considéré comme étant nul dans la plupart des pays.

Dispositions du Code criminel du Canada

À l'opposé de certains pays où les lois criminelles relatives à la polygamie traitent cette pratique comme étant un aspect du délit de bigamie,36 le Code criminel du Canadaétablit une distinction entre labigamie et la polygamie. En vertu de l'article 290, une personne commet un acte de bigamie si, alors qu'elle est déjà mariée à une personne, elle participe à une cérémonie de mariage avec une autre personne. L'article 293, qui porte sur la polygamie, a une portée plus vaste puisqu'il interdit non seulement la participation à une cérémonie de mariage polygame, mais il définit également comme étant un délit « la polygamie sous une forme quelconque » ou « une sorte d'union conjugale avec plus d'une personne à la fois ».

La polygamie est illégale au Canada depuis 1892. Cette disposition législative a été adoptée au Canada dans le cadre du premier Code criminel, apparemment en raison des influences des États-Unis, puisque des lois criminelles étaient également adoptées à la même époque aux États-Unis pour interdire la pratique de la polygamie par des membres de l'église mormone (CRD 1985). Il ne fait aucun doute qu'à l'époque où cette disposition a été adoptée, le Parlement était grandement influencé par la vision judéo-chrétienne monogame du mariage. Deux cas de poursuites pour polygamie ont été relatés vers 1900 contre des Indiens, dont certains pratiquaient la polygamie. En 1937, on a tenté pour la dernière fois d'utiliser cet article lorsque la Cour de l'Ontario a déclaré qu'un homme qui quittait son épouse pour aller vivre dans une relation adultère ne commettait pas un acte de polygamie.37

La disposition actuelle du Code criminel38 du Canada qui criminalise les mariages polygames est l'article 293, qui prévoit ce qui suit :

293. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, selon le cas :

a) pratique ou contracte, ou d'une façon quelconque accepte ou convient de pratiquer ou de contracter :

(i) soit la polygamie sous une forme quelconque,

(ii) soit une sorte d'union conjugale avec plus d'une personne à la fois, qu'elle soit ou non reconnue par la loi comme une formalité de mariage…

Le paragraphe 293(1) s'applique aux « unions polygames » dans lesquelles un homme qui est légalement marié à sa première épouse prend une autre épouse au cours d'une cérémonie religieuse qui n'a aucune portée juridique. Si une personne est accusée de polygamie, le paragraphe 293(2) prévoit ce qui suit : « il n'est pas nécessaire d'affirmer ou de prouver, dans l'acte d'accusation ou lors du procès du prévenu, le mode par lequel le lien présumé a été contracté, accepté ou convenu ». Par conséquent, le fait de vivre dans une relation polygame ou une preuve établissant qu'une cérémonie polygame s'est déroulée suffit pour que le prévenu soit déclaré coupable; il n'est pas nécessaire de remplir ces deux exigences.

Bien qu'il soit formulé différemment, l'article 293 du Code criminelest semblable aux dispositions criminelles régissant la bigamie dans des États américains comme l'Utah.39 Dans cet État, la loi criminelle interdisant la polygamie s'entend non seulement d'un homme qui est simultanément marié à des épouses multiples, mais également d'un homme qui est légalement marié à une femme et qui cohabite avec une autre femme. Dans l'affaire État de l'Utah c. Green,40 l'État de l'Utah a condamné Tom Green sur quatre chefs d'accusation pour bigamie, parce que la poursuite a été en mesure d'établir qu'il était partie à un mariage de common law valable avec Linda Kunz, même si aucun mariage n'avait été célébré, et qu'il cohabitait avec quatre autres femmes. Même si les mots utilisés ne sont pas tout à fait les mêmes, l'article 293 aurait probablement le même effet en termes d'application en ce qui concerne les mormons fondamentalistes qui pratiquent la polygamie au Canada. Lorsqu'une des « femmes » a été épousée dans le cadre d'une célébration religieuse ou est devenue une des « épouses célestes », la relation sera probablement déclarée comme étant une forme de polygamie ou d'union conjugale.

L'article 293 est formulé en termes généraux. Toutefois, d'après son interprétation, il semblerait qu'un homme qui se rendrait à l'étranger pour y contracter un mariage et qui reviendrait ensuite au Canada commettrait également un délit. Même si cet homme n'avait qu'une seule épouse au Canada, il semble qu'aussi longtemps que le mariage polygame subsiste, il n'est pas important que les parties à ce mariage ne soient pas toutes au Canada. Bien qu'il n'existe aucune cause de droit criminel qui porte sur cette question, cette interprétation de l'article 293 s'appuie sur des énoncés prononcés dans certains jugements d'immigration. 41

Comme nous l'expliquons au chapitre 2, des mormons fondamentalistes vivent dans des unions polygames à l'intérieur du territoire montagneux de la Colombie-Britannique et de l'Alberta, et on a signalé la présence d'au moins quelques musulmans qui vivent dans des mariages polygames au Canada, même si aucun musulman polygame n'a été identifié par la police. Puisque la loi canadienne interdit la polygamie, des accusations ont été portées contre les mormons fondamentalistes qui pratiquent ouvertement la polygamie en Colombie-Britannique. Même si, dans les années 1990, des accusations d'agression sexuelle et de violence sexuelle ont été déposées contre un homme de Bountiful qui avait contracté un mariage polygame avec une personne d'âge mineur (Committee on Polygamous Issues, 1993), aucune accusation n'a été portée en vertu de l'article 293.

Malgré la pratique ouverte de la polygamie à Bountiful, il est difficile pour la police d'obtenir des preuves, ce qui explique peut-être pourquoi si peu d'accusations sont portées. Peut-être aussi que le gouvernement de la Colombie-Britannique hésite à poursuivre des personnes pour polygamie parce qu'il craint que les interdictions du Code criminel relatives à la polygamie puissent être contestées comme étant anticonstitutionnelles (Committee on Polygamous Issues, 1993).42 Toutefois, le gouvernement fédéral est d'avis que toute contestation de l'article 293 fondée sur la constitution est vouée à l'échec (Committee on Polygamous Issues, 1993). Comme nous l'expliquons en détail au chapitre 5, nous sommes aussi d'avis que l'article 293 du Code criminel est constitutionnel, même si nous devons reconnaître qu'au bout du compte, ce sont les tribunaux qui décideront de sa constitutionalité.

Problèmes d'application de la loi

Une grande partie de l'attention accordée aux familles polygames du Canada est dirigée sur les mormons fondamentalistes. D'ailleurs, si des poursuites criminelles sont entamées, elles seront probablement reliées à des membres de cette communauté. Toutefois, étant donné le secret entourant la plupart des familles polygames, il peut s'avérer difficile de recueillir des preuves en vue de poursuites criminelles ou même en vue d'affaires reliées à la protection de la jeunesse. Même celles et ceux qui ont quitté Bountiful hésitent à parler de leur ancienne communauté aux autorités puisque des membres de leur famille immédiate vivent toujours dans la communauté et qu'ils ne veulent pas que ces personnes fassent l'objet d'actes de vengeance de la part d'autres membres de la communauté (Armstrong, 2005).

L'enquêteur du comté Mohave Gary Engles a résumé les raisons pour lesquelles les membres des communautés polygames de l'Arizona hésitent à porter plainte. Les actes de vengeance dont ces membres feront l'objet sont horribles. D'abord, leur famille leur sera retirée. Ensuite, leur maison leur sera retirée. Leur emploi leur sera retiré. Et enfin, ce qui est le plus difficile pour la plupart d'entre eux, leur salut leur sera retiré (« Dr. Phil », 2005). Celles et ceux qui quittent les communautés des mormons fondamentalistes sont étiquetés comme étant des « apostats » et sont considérés comme étant plus « mauvais » que les mormons ordinaires et les non-mormons (Armstrong, 2005). La possibilité que leur famille et leur communauté les excluent est très réelle et cette possibilité est un outil de dissuasion puissant qui décourage les personnes à fournir des preuves pour que d'autres membres de la communauté soient poursuivis en justice.

L'application de la loi fait également face à un autre problème : celles et ceux qui grandissent dans les communautés de mormons fondamentalistes apprennent dès leur jeune âge à ne pas faire confiance aux étrangers. Donc, les personnes qui pourraient fournir des preuves ne veulent pas coopérer avec la police ni avec quiconque représente l'autorité. Ce problème est aggravé par le fait que les résidents de Bountiful croient qu'ils sont mal perçus par les étrangers. Par exemple, dans un article de journal d'avril 2005, un ancien résident de Bountiful âgé de 20 ans explique que les étrangers portent des jugements à son égard lorsqu'ils apprennent qu'il a grandi dans une communauté polygame (Armstrong, 2005). Les membres actuels et les anciens membres des communautés polygames se sentent rejetés par la société, et ils ne collaborent habituellement pas avec les enquêteurs et les procureurs qui s'occupent des cas de polygamie.

Les preuves sont réellement difficiles à obtenir parce que, d'une certaine manière, la polygamie peut être décrite comme étant un « crime sans victime ». En effet, les épouses multiples, du moins celles qui vivent toujours dans une union polygame, affirment aux journalistes, aux chercheurs et à la police qu'elles ont elles-mêmes décidé de faire partie d'une relation polygame et, habituellement, elles affirment énergiquement qu'elles n'ont pas été forcées à s'engager dans cette relation. Évidemment, ces épouses ne portent pas plainte pour polygamie, mais les anciennes épouses célestes des mormons fondamentalistes sont plus susceptibles de témoigner, même si elles aussi peuvent être très réticentes à témoigner au tribunal contre leurs anciens époux.

On constate aisément à quel point il serait difficile de recueillir les preuves permettant d'entamer des poursuites criminelles si on examine les événements qui ont suivi la plainte déposée devant le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique en 2004 par un petit groupe de femmes, dont d'anciennes épouses multiples de Bountiful, qui affirmaient que la pratique de la polygamie violait les droits fondamentaux de la personne. En avril 2005, en réponse à cette plainte, environ 80 résidentes de Bountiful, qui ont formé un groupe nommé The Bountiful Women's Society, ont organisé une rencontre publique et ont pris contact avec les médias pour protester et affirmer qu'elles n'étaient pas traitées de manière inéquitable au sein de leurs mariages polygames, qu'elles n'étaient pas négligées et qu'elles n'avaient pas subi de « lavage de cerveau » pour les forcer à accepter une union polygame. Ces femmes ont alors affirmé que ce n'est pas le gouvernement de la Colombie-Britannique qui viole leurs droits [en ne mettant pas fin à la polygamie], mais que ce sont les fausses accusations de quelques activistes travaillant dans leur propre intérêt et encouragés par un média sans cesse à la recherche d'histoires sensationnelles qui violent leurs droits constitutionnels, c'est-à-dire le droit de religion, d'association, à la vie privée et à la réunion pacifique (Carmichael, 2004). Ces femmes appuient haut et fort les mariages multiples. Elles affirment que ce type de relation est avantageux pour elles puisqu'elles mettent leurs ressources en commun et qu'elles ont ainsi la possibilité de marier un homme « qui a déjà fait ses preuves ». Elles nient également que des femmes doivent se marier contre leur volonté (Hutchison, 2005). Elles ne se considèrent absolument pas comme étant des victimes.

Un autre problème est que les femmes qui vivent dans une union polygame sont, sur le plan technique, autant que les hommes en violation de l'article 293(1) du Code criminel. Toutefois, toute poursuite contre ces femmes entraînerait un appui massif du public qui, indirectement, appuierait ainsi la polygamie. On peut donc facilement comprendre que les poursuites récentes pour polygamie aux États-Unis n'ont été intentées que contre des hommes et que les procureurs de la Couronne au Canada ne poursuivraient probablement que les hommes qui vivent dans de telles unions.

Relations sexuelles en groupe et adultère

Les musulmans et les mormons fondamentalistes sont habituellement vêtus de manière modeste et ont des comportements très traditionnels en matière de sexe. Ils condamnent d'ailleurs sévèrement l'adultère et les relations sexuelles avant le mariage. La polygamie pratiquée par les musulmans et les mormons fondamentalistes ne comporte pas de relations sexuelles en groupe; la relation sexuelle ne m'est en jeu qu'un époux et une épouse à la fois. Toutefois, il peut se révéler intéressant d'examiner les lois régissant les relations sexuelles en groupe et l'adultère, des pratiques qui, d'une certaine manière, peuvent servir à établir une analogie avec la polygamie. Il est également important de souligner qu'il existe certaines relations polygames en Amérique du Nord qui ne sont fondées sur aucune religion et qui pourraient comporter des relations sexuelles en groupe. Les pratiques de la « polyamorie » et de la « polyfidélité », par exemple, ont commencé à faire surface aux États-Unis, même si le nombre de participants à ces pratiques est plutôt restreint (Strassberg, 2003). À l'opposé des relations polygames traditionnelles, ces unions peuvent comporter plusieurs partenaires des deux sexes et qui ont souvent des sexualités différentes. Si la polygamie est légalement autorisée au Canada, il semble probable qu'un plus grand nombre de personnes formeront ouvertement des unions polygames non fondées sur une religion et donnant lieu à des relations sexuelles en groupe.

En 1982, dans l'affaire R. c. Mason,43 le Cour provinciale de l'Ontario a statué que les activités sexuelles auxquelles participent un petit nombre de personnes dans un lieu privé et non commercial ne sont pas des actes indécents au sens de l'article 197 du Code criminel, et elle a acquitté une personne qui avait organisé des rencontres à cette fin dans sa résidence et sur une base non commerciale. Le juge M.A. Charles a déclaré que la norme prédominante dans la société encourage la tolérance à l'égard des relations sexuelles en groupe, si ces activités sont menées en privé.

La question touchant les activités sexuelles consensuelles en groupe dans un lieu commercial est plus controversée. Dans l'affaire R. c. Labaye,44 la Cour d'appel du Québec a rejeté la requête d'appel relative à une inculpation de tenir une maison de débauche. La Cour en est venue à la conclusion que les activités sexuelles en groupe menées dans un bar étaient des actes indécents, en soulignant les dommages causés par les participants qui avaient eu des relations sexuelles non protégées avec de nombreux partenaires et la dégradation causée par les activités de voyeurisme de bon nombre des membres du club. La juge Rayle a déclaré que cette situation n'avait « rien en commun … avec l'échange de couples dans un encadrement privé », laissant clairement sous-entendre que de telles activités privées seraient légales. Dans l'affaire R. c. Kouri45 la Cour d'appel du Québec a renversé la décision d'une cour inférieure et a acquitté une personne qui avait été accusée de tenir une maison de débauche à des fins d'activités sexuelles en groupe qui s'étaient également déroulées dans un bar, bien que la situation était quelque peu différente de celle de l'affaire Labaye; l'accès à l'endroit était restreint et il était clair que toutes les personnes présentes savaient que des activités sexuelles en groupe se dérouleraient. La juge Otis a déclaré que les actes sexuels posés par celles et ceux qui pratiquent « l'échangisme » (des couples qui échangent leur partenaire sexuel) ne constituent pas des actes d'indécence. De plus, dans l'affaire Kouri, le juge Rochon a déclaré que l'emplacement où les actes sont posés constitue un des facteurs essentiels pour déterminer si un acte est indécent ou non, ce qui a eu pour résultat que « depuis plusieurs décennies, l'État s'est interdit tout droit de regard sur les activités sexuelles qui interviennent entre adultes consentants dans l'intimité de leur foyer. » Il a aussi déclaré qu'il semble que « la société canadienne tolère l'échangisme dans la mesure où les activités se déroulent en privé. » Les affaires Kouri et Labaye ont toutes deux fait l'objet d'appels en Cour suprême du Canada, et elles ont été entendues en avril 2005 (Schmitz, 2005). Même si la Cour suprême devrait clarifier la légalité des activités sexuelles en groupe qui se déroulent dans un lieu où le public peut avoir accès, il semble déjà clair que les « polyamoristes » qui se livrent à des activités sexuelles en groupe dans leur résidence ne commettent aucun crime. Leurs activités ne seraient probablement pas qualifiées comme étant des actes indécents, à la condition qu'elles se déroulent en privé, entre personnes qui sont dans une relation stable et exclusive. Qui plus est, les activités sexuelles des polygames qui s'engagent dans des actes sexuels auxquels ne participent que l'époux et une épouse à la fois ne sont pas des actes criminels. Ce ne sont pas leurs activités sexuelles qui sont des actes criminels, mais plutôt leurs conditions de vie et de garde d'enfants.

Même si, avant la Confédération, certaines provinces canadiennes avaient adopté des lois selon lesquelles l'adultère et la fornication étaient des actes criminels, l'adultère n'est plus un crime nulle part au Canada depuis plus d'un siècle, et d'une certaine manière, on peut établir des analogies entre la polygamie et l'adultère. En effet, Mohamed Elmasry, président du Canadian Islamic Congress, prétend que l'adultère est plus dommageable que la polygamie pour les enfants (Cobb and Harvey, 2005). Il ajoute que la polygamie, même si elle illégale au Canada, est plus « morale » que l'adultère, puisque la première épouse doit consentir aux autres mariages et parce que l'époux doit traiter les enfants des différentes épouses de manière équitable. De plus, selon lui, on peut prétendre que la polygamie est un choix plus libre et plus honnête que l'adultère.

Toutefois, certains aspects négatifs de l'adultère pourraient peut-être également être associés à la polygamie. Les époux polygames prennent souvent une deuxième épouse sans consulter ni aviser leur première épouse. Même lorsqu'il y a un consentement apparent, on peut réellement se demander si la première épouse n'a pas été forcée d'accepter une autre épouse (Yaqub, 2004). Surtout, d'une perspective plus politique, un des aspects qui établit une distinction entre la polygamie et l'adultère est que, dans une union polygame, les enfants font habituellement partie intégrante de la relation. Comme nous l'expliquons au chapitre 2, la polygamie entraîne des déficiences émotionnelles et éducatives chez les enfants, et les enfants des différentes épouses sont souvent traités de manière inéquitable.

Au Canada, en 1937, dans l'affaire R. c. Tolhurst et Wright46, la Cour d'appel de l'Ontario s'est penchée sur la différence entre l'adultère et la polygamie et a établi une distinction entre ces deux pratiques. Elle a de plus statué que la disposition du Code criminel au sujet de la polygamie (aujourd'hui l'article 293) ne s'applique pas aux adultères, puisque l'expression « une sorte d'union conjugale » ne comprend pas l'adultère. Le juge en chef Rowell a statué que, pour poursuivre une personne pour polygamie, il doit exister une forme quelconque d'union en guise de mariage et qu'une personne qui vit dans une relation adultère ne commet pas un délit de polygamie.

Dans la plupart des circonstances, la différence entre l'adultère et la polygamie est claire, puisqu'une relation adultère est en générale sexuelle et non conjugale de nature. L'adultère n'est pas un acte illégal parce qu'il ne menace pas le concept de la monogamie mais plutôt parce qu'il existe à l'intérieur de ce concept. La polygamie, à l'opposé, est illégale parce qu'elle viole le concept de la monogamie et parce qu'elle mine ce concept (CRD, 1985). Comme les tribunaux américains l'ont statué dans leurs décisions qui confirment les lois interdisant la polygamie, la monogamie est un concept fondamental de la société américaine,47 comme elle l'est au Canada et dans d'autres pays occidentaux. La reconnaissance de l'importance de la monogamie et de l'égalité entre les sexes, combinée aux recherches de plus en plus nombreuses qui laissent croire que la polygamie a des effets négatifs sur les femmes et les enfants (Hassoueh-Phillips, 2001; Al-Krenawi, 2001; Al-Krenawi et al., 2002), peut aussi expliquer pourquoi la polygamie est illégale et pourquoi l'adultère ne l'est pas.

Reconnaissance des mariages polygames contractés à l'étranger - questions liées à l'immigration

À la suite d'un certain nombre de cas signalés, le Canada doit maintenant décider s'il autorise les membres de mariages polygames à immigrer au pays. Dans l'affaire Ali c. le Canada de 1998,48 les services de l'immigration peuvent décider de ne pas autoriser les parties d'un mariage polygame à immigrer au Canada. Dans son jugement, la Cour fédérale du Canada a maintenu la décision d'un agent d'immigration, qui avait refusé la demande de résidence permanente d'un homme parce qu'il détenait des preuves raisonnables à l'effet que le demandeur pratiquerait la polygamie au Canada étant donné que ce dernier avait déjà contracté un mariage polygame. La Cour en est venue à la conclusion que le demandeur, dont le mariage était valable en vertu des lois du Koweït, devrait divorcer avec l'une de ses épouses (probablement au Koweït) pour se conformer aux dispositions du Code criminel en matière de polygamie. La Cour statua que le fait d'avoir deux épouses constitue un mariage polygame et qu'il n'était pas pertinent de savoir s'il y avait cohabitation simultanée avec les deux épouses à un seul endroit.

Un an plus tard, une décision semblable fut rendue dans l'affaire Awwad c. le ministère de l'Immigration.49 Une femme faisant partie d'un mariage polygame et dont l'époux était un résident du Canada présenta une demande de résidence permanente en déclarant qu'elle était travailleuse autonome. Sa demande était également fondée sur des raisons d'ordre humanitaire étant donné que ses trois enfants vivaient déjà au Canada avec son époux, sa première épouse et leurs enfants. Le juge Teitelbaum statua que l'agent d'immigration n'avait pas fait d'erreur en considérant la relation matrimoniale de la demanderesse comme étant un facteur négatif. En citant le jugement Ali c. le Canada, le juge Teitelbaum décréta que les agents d'immigration peuvent décider si l'admission au Canada d'une partie à un mariage bigame ou polygame est contraire à la Loi sur l'immigration et à d'autres lois canadiennes.

À l'opposé, dans les décisions Ali et Awwad, Citoyenneté et Immigration Canada aurait autorisé trois femmes américaines à demeurer en permanence au Canada en 1994, même si chaque femme était une épouse du polygame bien en vue de Bountiful Winston Blackmore (Matas, 2002c). Leurs demandes avaient d'abord été refusées, mais les responsables de l'immigration de l'administration centrale de Citoyenneté et Immigration Canada ont ensuite autorisé les femmes à demeurer au Canada de façon permanente. Elles n'ont pas été considérées comme étant des immigrantes de la catégorie du regroupement familial, mais on les a autorisées à demeurer au pays pour des raisons d'ordre humanitaire étant donné que les enfants qu'elles avaient eus avec Winston Blackmore vivaient déjà en Colombie-Britannique. L'écart apparent entre cette affaire et l'affaire Awwad soulève une question : la même norme s'applique-t-elle à tous les immigrants polygames potentiels?

En 2001, la Loi sur l'immigration50 a été remplacée par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés,51 qui est entrée en vigueur en juin 2002 (Marrocco et Goslett, 2004). Les médias ont alors soulevé certaines inquiétudes à l'effet que la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et le règlement qui l'accompagne puissent faciliter l'immigration des épouses d'hommes polygames (Matas, 2002c). Toutefois, en vertu du Règlement de la Loi, les membres d'unions polygames demeurent inadmissibles. L'article 5 du Règlement prévoit qu'un étranger n'est pas considéré comme l'époux ou le conjoint de fait d'une personne et n'est pas admissible au regroupement des familles si l'étranger ou la personne était l'époux d'une autre personne au moment de leur mariage. De plus, le paragraphe 125(1) du Règlement stipule ce qui suit :

art. 125(1) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes : …
c) l'époux du répondant, si, selon le cas :
(i) le répondant ou cet époux était, au moment de leur mariage, l'époux d'un tiers,
(ii) le répondant a vécu séparément de cet époux pendant au moins un an et, selon le cas :
(A) le répondant est le conjoint de fait d'une autre personne ou le partenaire conjugal d'un autre étranger,
(B) cet époux est le conjoint de fait d'une autre personne ou le partenaire conjugal d'un autre répondant.52

Bien que les dispositions du paragraphe 125(1) visent particulièrement à réduire le nombre de mariages polygames pouvant être établis au Canada, il ne s'agit pas d'une barrière absolue à l'entrée de familles polygames au Canada. En vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, 2001, le ministre de l'Immigration peut accorder une exemption, pour raisons d'ordre humanitaire, à un étranger qui est « inadmissible » ou « qui ne répond pas aux exigences de la Loi. » Ce faisant, le ministre doit tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché. De plus, tous les membres d'une famille polygame peuvent entrer ensemble au Canada à titre de réfugiés. Également, une partie ou la totalité des membres d'un mariage polygame peut entrer au Canada à titre d'immigrants entrant de manière séparée en vertu des catégories des « investisseurs » et des « travailleurs qualifiés ». Il est aussi possible pour les membres d'une famille polygame de demeurer illégalement au Canada, par exemple en y entrant à titre de visiteurs ou dans le cadre d'un séjour prolongé sans autorisation.

Reconnaissance des mariages polygames contractés à l'étranger - droit de la famille et droit successoral

Même si en 1866, dans l'affaire Hyde c. Hyde, Lord Penzance n'a pas reconnu un mariage polygame potentiel comme étant valable aux fins de l'obtention d'un divorce, il statuait également qu'il ne prétendait pas décider des droits de succession ni de la légitimité qu'il pouvait être approprié d'accorder à la question des unions polygames.53 En Ontario, la Loi sur le droit de la famille54 et la Loi portant réforme du droit des successions55 prévoient toutes deux que « dans la définition du terme « conjoint » [aux fins de la Loi], un renvoi au mariage comprend un mariage qui est véritablement ou virtuellement polygamique s'il a été célébré dans une compétence où la polygamie est reconnue par le régime juridique ». Toutefois, aucune cause signalée n'a utilisé ces dispositions. Même à l'extérieur de l'Ontario, si une épouse à charge d'une relation polygame demandait une pension alimentaire à titre d'ex-conjoint ou une partie de la propriété, de bons arguments pourraient être utilisés pour que la demande d'une telle personne vulnérable soit accordée par un tribunal canadien. La cause serait encore plus solide si la femme s'était mariée à l'homme dans un pays où le mariage était valable et si elle avait continué de vivre dans ce pays pendant que l'époux demeurait au Canada.56

Au Canada, la jurisprudence attribue une reconnaissance juridique limitée aux mariages polygames dans certains contextes, en particulier pour protéger les femmes et les enfants. Dans l'affaire Tse c. le ministre de l'Immigration57, par exemple, le tribunal a décidé que si les parties à un mariage polygame s'engagent dans une relation dans leur pays de résidence et que ce pays reconnaît le mariage comme étant valable, le Canada reconnaîtra la validité du mariage à certaines fins. Dans l'affaire Tse, un mariage polygame contracté à Hong Kong a été déclaré valable aux fins d'établir le statut juridique de l'enfant.



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Mise à jour : 2005-12-19
Contenu revu : 2005-12-19
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