CMAJ/JAMC Special supplement
Supplément spécial

 

Guides de pratique clinique pour la prise en charge et le traitement du cancer du sein

2. Investigation des lésions détectées par la mammographie

Le Comité directeur des guides de pratique clinique pour la prise en charge et le traitement du cancer du sein

Ce guide a fait l'objet d'un examen par les pairs.


Résumé

Objectif : Fournir de l'information et des recommandations visant à faciliter la prise de décisions lorsqu'une anomalie a été détectée lors du dépistage mammographique.

Preuves : Articles retracés à l'aide de MEDLINE, AIDSLINE, et CANCERLIT jusqu'en décembre 1996.

Avantages : Confirmation de la présence ou de l'absence de cancer avec le minimum d'interventions et dans le minimum de temps.

Recommandations :

  • Quand une anomalie est détectée lors du dépistage mammographique, il est nécessaire d'effectuer une évaluation clinique et un bilan radiologique complet afin d'en interpréter la signification.
  • L'évaluation clinique devrait comporter une anamnèse et un examen minutieux du sein, du creux axillaire et des aires sus-claviculaires.
  • Pour le bilan radiologique, on devrait procéder à une mammographie diagnostique en utilisant des incidences additionnelles avec compression focalisée et agrandissements radiologiques, s'il y a lieu.
  • Dans la mesure du possible, il faut comparer les images mammographiques obtenues avec des clichés antérieurs.
  • Le rapport rédigé au terme du bilan mammographique devrait contenir une description précise des anomalies visualisées et fournir une estimation du degré de suspicion de cancer qui s'y rattache.
  • Dans les cas douteux, il convient de demander à deux lecteurs expérimentés d'interpréter les clichés. (L'on propose la classification radiologique suivante, en quatre catégories : 1 — bénigne, non attribuable au cancer; 2 — faible risque, probabilité de cancer inférieure à 2 %; 3 — risque intermédiaire, probabilité de cancer entre 2 et 10 %; 4 — risque élevé, probabilité de cancer supérieure à 10 %.)
  • L'échographie peut aider à préciser la nature des nodules non calcifiés.
  • Une bonne communication entre la patiente et ses médecins est essentielle à la prise de décisions touchant la prise en charge. Un clinicien doit être désigné pour coordonner toutes les décisions tout au long du processus. Les modalités de prise en charge varieront selon le degré estimé de risque.
  • Les anomalies de catégorie 1 ne requièrent pas une investigation plus poussée.
  • Dans le cas d'anomalies de catégorie 2, des examens mammographiques et cliniques périodiques de suivi peuvent être indiqués.
  • L'examen de suivi des anomalies de catégorie 2 devrait être pratiqué à approximativement six et douze mois. S'il y a stabilité, l'examen devrait être répété annuellement pendant deux à trois ans.
  • Il faut expliquer les raisons pour lesquelles un suivi est nécessaire. Il faut bien faire comprendre aux patientes qu'on ne peut entièrement leur garantir qu'une anomalie est bénigne.
  • Les anomalies de catégorie 3 devraient habituellement faire l'objet d'une biopsie à l'aiguille fine ou par forage guidée par des techniques d'imagerie.
  • Un rapport complet devrait accompagner toute biopsie à l'aiguille guidée par des techniques d'imagerie.
  • Les anomalies de catégorie 4 devraient habituellement être excisées. Cette intervention peut être précédée d'une biopsie à l'aiguille guidée par des techniques d'imagerie.
  • Lorsqu'on opte pour une biopsie chirurgicale, il faut vérifier si les marges du spécimen excisé sont saines.
  • Il faut radiographier les spécimens biopsiques intacts afin de vérifier que l'anomalie mammographique a été enlevée en totalité.
  • La patiente devrait être tenue pleinement informée des raisons motivant chacun des tests et de la signification des résultats. Le laps de temps entre la détection initiale d'une anomalie mammographique et la décision finale relative à la prise en charge de la patiente devrait être le plus court possible.

Validation : Ce guide a été révisé par un comité de rédaction, par des lecteurs principaux, par des lecteurs secondaires choisis dans toutes les régions du Canada ainsi que par le Comité directeur. Le document final est le fruit d'un consensus parmi tous ces collaborateurs.

Commanditaire : Le Comité directeur des guides de pratique clinique pour la prise en charge et le traitement du cancer du sein a été constitué par Santé Canada.

Complété : Le 1er juillet 1997.


Le nombre d'anomalies radiographiques détectées chez des femmes apparemment en bonne santé ne cesse d'augmenter par suite du recours de plus en plus fréquent au dépistage mammographique. Dans la plupart des cas, il s'avère ultérieurement que ces anomalies ne sont pas dues au cancer. Elles n'en sont pas moins une source d'inquiétude pour les personnes en cause. Il est donc nécessaire d'établir le diagnostic le plus rapidement possible chaque fois qu'on détecte une anomalie lors d'une mammographie de dépistage afin de réduire au minimum l'anxiété, la douleur et l'inconfort qu'éprouve la patiente.

Lorsqu'une mammographie de dépistage révèle la présence d'une anomalie, il faut procéder à un examen physique du sein et à un bilan radiologique complet. La démarche diffère toutefois si l'on détecte une masse au sein; on se reportera alors au guide no 1, intitulé «Masse palpable au sein : information et recommandation visant à guider la prise de décisions en présence d'une masse palpable au sein». Le bilan radiologique d'une anomalie mammographique non palpable vise à donner une description exacte de l'anomalie ainsi qu'à évaluer le degré de suspicion de cancer qui en découle, après lecture de mammographies diagnostiques de grande qualité. Avec ces informations en main, on peut décider de ne pas prendre en compte l'anomalie, de suivre le cas en procédant à des examens cliniques et mammographiques périodiques ou de pratiquer sur-le-champ une biopsie de la zone suspecte.

Méthode

Une version provisoire du guide a d'abord été rédigée par un chirurgien oncologue exerçant en milieu universitaire et ayant de l'expérience dans la prise en charge des cancers du sein ainsi que par un médecin de famille. Ils ont effectué une recherche systématique de tous les articles pertinents à l'aide de la base de données Medlars, laquelle inclut MEDLINE à partir de 1966, HEALTH à partir de 1975, AIDSLINE à partir de 1980 et CANCERLIT à partir de 1983, jusqu'en décembre 1996. Ils ont également consulté les bibliographies accompagnant les recensions et ouvrages de synthèse. Les données probantes ont été évaluées et classées en cinq niveaux. Dans la mesure du possible, les énoncés et les recommandations s'appuient sur des données objectives (preuves de niveaux I, II, III) et, en l'absence de telles données, sur l'expérience et l'opinion d'experts (niveaux IV et V).

La version provisoire a ensuite été examinée et révisée successivement par un comité de rédaction composé de cinq membres du comité directeur, par des lecteurs principaux experts (chirurgiens, oncologues et spécialistes en radiologie diagnostique) et par le Comité directeur. Le document a ensuite été transmis à des lecteurs secondaires de différentes régions du Canada (infirmières, chirurgiens oncologues et médecins spécialisés en oncologie clinique, patientes atteintes d'un cancer du sein, spécialistes en radiologie diagnostique et médecins de famille). Le document révisé a été finalement approuvé par l'ensemble du Comité directeur. Il est le fruit d'un consensus parmi tous ces collaborateurs.

Recommandations (y compris données probantes et raisons d'être)

Les anomalies mammographiques

  • Quand une anomalie est détectée lors du dépistage mammographique, il est nécessaire d'effectuer une évaluation clinique et un bilan radiologique complet afin d'en interpréter la signification.

Le signalement d'une «anomalie» mammographique n'indique pas nécessairement la présence d'une pathologie. Les lésions cancéreuses qui modifient l'image radiographique du sein signalent leur présence par certains indices, comme des microcalcifications ou une légère altération de l'architecture mammaire normale. Bien que ces signes radiologiques puissent évoquer la possibilité d'un cancer, ils ne permettent pas d'établir un diagnostic de malignité, et la majorité d'entre eux n'ont rien à voir avec le cancer. Dans le programme de Colombie-Britannique, environ 6 % des mammographies étaient considérées comme «anormales». Or, moins de 6 % de ces anomalies étaient dues au cancer1.

  • L'évaluation clinique devrait comporter une anamnèse et un examen minutieux du sein, du creux axillaire et des aires sus-claviculaires.

Il faut recueillir des données cliniques permettant de déterminer si les anomalies mammographiques sont attribuables à un cancer ou à une affection non maligne. On trouvera dans le guide no 1, intitulé «Masse palpable au sein : information et recommandations visant à guider la prise de décisions en présence d'une masse palpable au sein», une description des éléments à considérer en présence d'une masse au sein. La fiabilité du bilan clinique repose sur une expérience et compétence adéquates.

  • Pour le bilan radiologique, on devrait procéder à une mammographie diagnostique en utilisant des incidences additionnelles avec compression focalisée et agrandissements radiologiques, s'il y a lieu.

Les mammographies de dépistage sont celles que l'on effectue chez des femmes qui ne présentent pas de signes ou de symptômes anormaux, et elles visent à un diagnostic précoce de cancer. Les mammographies diagnostiques de bonne qua-lité peuvent mieux préciser l'étendue et la localisation des anomalies détectées à la mammographie de dépistage et elles peuvent aider à clarifier les caractéristiques des lésions mal circonscrites ou de nature indéterminée2,3. L'agrandissement radiologique de même que la compression focalisée (clichés localisés), qui permet un déplacement du tissu mammaire adjacent, améliorent souvent la qualité de l'image des petites densités et précisent la structure et l'étendue des lésions plus importantes4. L'observation de microcalcifications, en particulier, appelle une évaluation plus poussée comportant un agrandissement radiologique, lequel facilite l'évaluation de la taille, de la densité, de la morphologie, du nombre et de l'étendue des microcalcifications. Il convient de pratiquer un agrandissement mammographique en incidence cranio-caudale et de profil franc pour vérifier, localiser et caractériser les calcifications.

Il faut examiner de près chaque mammographie pour s'assurer qu'elle est de bonne qualité, que deux incidences ont été obtenues (médio-latérale oblique et cranio-caudale), que les marqueurs sont présents et que les clichés permettent de visualiser tout le tissu mammaire. La sensibilité comme la spécificité des mammographies dépendent dans une très large mesure de la qualité des clichés. L'Association canadienne des radiologistes a défini les normes minimales relatives au matériel ainsi que le degré de formation du personnel recommandé pour l'obtention de mammographies de qualité5. Les installations de mammographie qui sont homologuées par cet organisme satisfont à ces normes.

  • Dans la mesure du possible, il faut comparer les images mammographiques obtenues avec des clichés antérieurs.

L'observation d'un changement dans les images mammographiques peut avoir un intérêt diagnostique et peut majorer de façon importante la probabilité d'un cancer6. Il faut donc veiller à ce que les mammographies soient bien conservées et faciles à consulter (preuves de niveau V).

Bilan mammographique : rapport

  • Le rapport rédigé au terme du bilan mammographique devrait contenir une description précise des anomalies visualisées et fournir une estimation du degré de suspicion de cancer qui s'y rattache.

Le rapport devrait contenir une description précise des anomalies, notamment des commentaires particuliers sur la présence de masses, avec une mention précise de leur taille, de leur densité, de leur morphologie et de leur contour. Les microcalcifications, les ruptures d'architecture, les anomalies vasculaires et l'asymétrie devraient également être indiquées (preuves de niveau IV)7.

Les décisions ultérieures relatives à la prise en charge de la patiente dépendront largement de l'évaluation de la probabilité de cancer («indice de suspicion») incluse dans le rapport. Certaines anomalies, comme les microcalcifications apparaissant dans une masse spiculée, sont associées à une probabilité relativement élevée de cancer. En revanche, les opacités bien circonscrites aux contours nets et réguliers sont caractéristiques de lésions bénignes. Ainsi, à partir de l'aspect mammographique, il est possible d'évaluer approximativement le risque de cancer4.

Certains radiologistes peuvent se servir de cette information pour formuler des recommandations touchant la prise en charge. D'autres préfèrent toutefois classer les anomalies selon le niveau estimé de risque de malignité qui s'y rattache. La classification du niveau de risque suivante est une adaptation de celle de Morrow et collaborateurs8. Elle correspond à la classification proposée par l'American College of Radiology9.

  • Catégorie 1. Bénigne. Non attribuable au cancer.
  • Catégorie 2. Faible risque. Probabilité de cancer inférieure à 2 %.
  • Catégorie 3. Risque intermédiaire. Probabilité de cancer entre 2 et 10 %.
  • Catégorie 4. Risque élevé. Probabilité de cancer supérieure à 10 %.

Le fait d'attribuer un pourcentage pour le niveau de risque n'a pas de signification précise sur le plan quantitatif. On veut simplement préciser ce qu'on entend par les expressions risque «faible», «intermédiaire» et «élevé», qui s'apparentent à d'autres descriptions comme «probablement bénigne», «suspecte» et «très suspecte»9,10.

La pratique d'une biopsie après détection de toute anomalie mammographique entraînerait un grand nombre d'interventions inutiles. Il convient donc de rechercher le plus haut taux de biopsies positives tout en préservant la sécurité des patientes (preuves de niveau V). Pourtant, les décisions relatives à la prise en charge des patientes après la découverte d'une anomalie mammographique varient grandement à l'heure actuelle. L'examen de 17 rapports a en effet révélé que la proportion de biopsies positives oscille entre 9 % et 65 %, la plupart des auteurs signalant des taux de positivité de 15 à 30 % pour les cancers in situ et les cancers invasifs4.

Il a été démontré qu'il est possible, à partir de classifications de risques de ce type, d'élaborer des stratégies de prise en charge efficaces qui sont sécuritaires et qui réduisent au minimum le recours à la biopsie (preuve de niveau III)8. Morrow et ses collègues ont examiné 267 femmes qui leur avaient été adressées pour une biopsie chirurgicale du sein; dans 44 % des cas, la tumeur a été jugée bénigne (catégorie 1 ou 2) d'après la mammographie et aucune exploration ultérieure n'a été effectuée. Aucune de ces patientes n'a développé de cancer dans les deux années qui ont suivi. Seize pour cent des patientes ont été classées dans la catégorie risque intermédiaire (catégorie 3) et ont fait l'objet d'un suivi mammographique régulier. Cinq pour cent d'entre elles ont présenté des changements lors des mammographies ultérieures et ont subi une biopsie chirurgicale, qui a mené à la découverte d'un seul cancer. Quarante pour cent des femmes se situaient dans la catégorie de risque élevé (catégorie 4). Toutes les femmes qui présentaient un risque élevé ont subi une biopsie chirurgicale ou une biopsie à l'aiguille guidée par stéréotaxie; le taux de positivité obtenu était de 36 % et de 15 %, respectivement. Ainsi, une biopsie a été pratiquée dans moins de la moitié des cas, et le taux de positivité globale s'établissait à 36 %. Quatre-vingt-dix pour cent des tumeurs identifiées étaient soit des tumeurs de stade I ou des carcinomes canalaires in situ. Des résultats comparables ont été obtenus par d'autres chercheurs qui utilisaient la même approche11.

  • Dans les cas douteux, il convient de demander à deux lecteurs expérimentés d'interpréter les clichés.

L'interprétation d'une image mammographique peut diverger selon le radiologiste, parfois de façon importante, et il a été établi qu'une deuxième lecture peut accroître la valeur prédictive de la mammographie (preuves de niveau III)12-15. Dans tous les cas, sauf les plus évidents, ou chaque fois que l'interprétation d'un médecin traitant qui a de l'expérience dans la lecture de mammographies diffère de celle du radiologiste, il faut consulter un autre radiologiste expérimenté (preuves de niveau V).

  • L'échographie peut aider à préciser la nature des nodules non calcifiés.

On dispose de preuves de niveau III, fournies par des séries descriptives de cas, qui démontrent l'utilité de l'échographie comme moyen de différencier les kystes simples des kystes complexes ou des masses solides16. En cas de doute, une ponction échoguidée peut permettre de diagnostiquer et de traiter l'anomalie et ainsi d'éviter la répétition de la mammographie17.

Communication des décisions relatives à la prise en charge

  • Une bonne communication entre la patiente et ses médecins est essentielle à la prise de décisions touchant la prise en charge. Un clinicien doit être désigné pour coordonner toutes les décisions tout au long du processus.

Une femme éprouve énormément d'anxiété entre le moment où elle est informée de la présence d'une anomalie et celui où l'on détermine la signification de cette anomalie. L'influence de la manière dont l'information est communiquée n'a pas été évaluée quantitativement, mais l'on dispose par contre de descriptions assez éloquentes à ce sujet18. Il est donc important de terminer le bilan le plus rapidement possible et d'aider la patiente à comprendre toutes les décisions relatives à la prise en charge et à y participer8. Pour y arriver, il faut que les membres de l'équipe de prise en charge collaborent étroitement et que soit identifié précisément en tout temps celui qui est cliniquement responsable (preuves de niveau IV).

Les modalités de prise en charge varieront selon le degré estimé de risque

Une fois que l'on a obtenu des données mammographiques optimales, il faut décider s'il convient de rassurer la patiente, de prévoir un suivi, d'effectuer une biopsie ou de pratiquer une exérèse. La recommandation reposera en grande partie sur le degré de risque qui aura été évalué. Les décisions qui suivent s'appuient sur la classification du risque établie ci-dessus.

  • Les anomalies de catégorie 1 ne requièrent pas une investigation plus poussée.

Même si une patiente reçoit l'assurance qu'une anomalie mammographique n'est pas maligne, l'obtention d'une mammographie faussement positive peut être lourde de conséquences. Dans une étude de suivi, les femmes ayant obtenu des résultats faussement positifs à la mammographie étaient plus nombreuses à éprouver de l'anxiété que celles dont les résultats étaient négatifs (29 % contre 13 %) et ce, pendant une période pouvant atteindre 18 mois après l'examen mammographique (preuves de niveau III)19. Un soutien est donc important même dans le cas des femmes porteuses d'anomalies de catégorie 1 (preuves de niveau V).

  • Dans le cas d'anomalies de catégorie 2, des examens mammographiques et cliniques périodiques de suivi peuvent être indiqués.

Plusieurs facteurs déterminent dans quelle mesure une surveillance mammographique sera sécuritaire : l'exactitude avec laquelle le degré de risque a été évalué, la probabilité qu'une surveillance mammographique permette de mettre en évidence les lésions devenues malignes dans l'intervalle et la probabilité que les cancers ainsi découverts soient diagnostiqués à un stade assez précoce, c'est-à-dire à un moment où le pronostic demeure favorable6.

La politique de suivi périodique soulève plusieurs inquiétudes, notamment l'absence d'assurance absolue que la lésion en question soit bénigne, la possibilité de manquer les petites lésions occultes cancéreuses du sein à un stade où le succès d'un traitement est fort probable, et la peur d'une poursuite éventuelle9. Il a toutefois été démontré que la surveillance mammographique de lésions probablement bénignes peut être menée de façon sécuritaire (preuves de niveau III)4,20-22. Dans une étude de suivi de 543 anomalies chez 382 femmes, 3 anomalies ont été éventuellement soumises à la biopsie : une s'était révélée causée par un carcinome canalaire in situ, et deux étaient bénignes23. Le suivi est maintenant une stratégie largement acceptée pour les anomalies de risque faible.

  • L'examen de suivi des anomalies de catégorie 2 devrait être pratiqué à approximativement six et douze mois. S'il y a stabilité, l'examen devrait être répété annuellement pendant deux à trois ans.

Aucune étude n'a défini la périodicité optimale pour la surveillance après comparaison de l'efficacité de différents protocoles de suivi6. On déterminera donc le moment où le contrôle mammographique doit être effectué en estimant le temps de doublement du volume tumoral. Dans la plupart des cas de cancer, on observera une modification de l'image mammographique à l'intérieur d'une période d'un an, bien qu'il arrive, quoique très rarement, que les images puissent sembler stables pendant plus de deux ans et demi24. Les examens mammographiques se font habituellement après six et douze mois, et ensuite après un et deux ans si la stabilité des images est maintenue (preuves de niveau IV)24.

  • Il faut expliquer les raisons pour lesquelles un suivi est nécessaire. Il faut bien faire comprendre aux patientes qu'on ne peut entièrement leur garantir qu'une anomalie est bénigne.

La décision ultime d'exercer une surveillance ou de pratiquer une biopsie en présence d'une lésion dont la malignité est peu probable ne doit être prise qu'une fois que tous les aspects de la question ont été abordés avec la patiente25. Certaines femmes peuvent être fermement convaincues que tout risque, si infime soit-il, est déjà trop élevé et préfèrent subir une biopsie. Si la surveillance est l'option retenue, la patiente devra être bien consciente qu'on suit l'évolution de la lésion parce que celle-ci pourrait ne pas être bénigne.

  • Les anomalies de catégorie 3 devraient habituellement faire l'objet d'une biopsie à l'aiguille fine ou par forage guidée par des techniques d'imagerie.

À moins que les calcifications soient nombreuses et étendues ou que la lésion ne puisse être identifiée par repérage stéréotaxique, il faut en général, dans le cas des lésions de catégorie 3, pratiquer une biopsie à l'aiguille guidée par des techniques d'imagerie. Fait exception à cette règle la lésion papillaire suspecte qui, en raison des difficultés d'interprétation par le pathologiste de l'échantillon biopsié, impose de pratiquer aussi une biopsie chirurgicale (preuves de niveau V).

Aucune donnée objective n'indique dans quelles circonstances (degré de suspicion), une lésion non palpable détectée à la mammographie devrait faire l'objet d'une biopsie. Selon certains, le risque de malignité doit être d'au moins 2 % (preuves de niveau IV)26.

Comme les techniques de biopsie ne cessent d'évoluer, il se peut qu'elles varient d'un centre à l'autre. Des cellules peuvent être prélevées par ponction à l'aiguille fine (PAF) échoguidée en vue d'une analyse cytologique. La PAF a l'avantage d'être très peu traumatisante et elle fournit des renseignements utiles lorsque les prélèvements sont analysés par un cytologiste chevronné. L'échographie ne permet pas cependant de visualiser les carcinomes de très petite taille non plus que ceux qui n'apparaissent que comme des microcalcifications à la mammographie27. Elle ne permet pas non plus de distinguer les cancers invasifs des simples carcinomes canalaires in situ, et il n'est pas rare que le matériel de biopsie soit inadéquat. Dans une série de 254 lésions non kystiques, non palpables, mais visibles à la mammographie, qui ont été soumises à une vérification chirurgicale, 11 % des échantillons prélevés par PAF échoguidée étaient inadéquats. Il reste que le degré de sensibilité et de spécificité de l'analyse des échantillons restants atteignait 91 % et 97 % respectivement, et que seulement 2 % des résultats étaient faussement négatifs28. C'est une technique qu'il faut apprendre et son exactitude dépend de l'expérience et de l'habileté de l'opérateur et du cytologiste. Dans une étude canadienne, les 226 premières biopsies à l'aiguille fine sous guidage stéréotaxique ont donné de bons résultats dans seulement 70 % des cas29. En général, la sensibilité de la PAF oscille entre 68 % et 93 %, sa spécificité entre 88 et 100 %, et la fréquence des prélèvements inadéquats entre 0 et 38 %26.

À la différence de la PAF, la biopsie par forage ne requiert pas une expertise spéciale en cytologie et elle donne parfois un résultat plus définitif. La fiabilité de cette intervention diffère selon les études. Dans des rapports comparant la biopsie par forage sous guidage stéréotaxique avec la biopsie chirurgicale, la sensibilité de la biopsie par forage dans le cas des lésions malignes variait entre 85 % et 98 %26,30. Par ailleurs, une étude menée dans plusieurs établissements où l'on a comparé les résultats des biopsies par forage guidées par des techniques d'imagerie avec les résultats des biopsies chirurgicales effectuées par la suite, on a observé une concordance dans 98 % des cas, et seulement 1,1 % des biopsies par forage ont donné des résultats faussement négatifs (preuves de niveau III)31. Cette technique doit également être apprise, et chaque centre devrait s'assurer que la biopsie par forage sous guidage stéréotaxique produit des résultats très sensibles et spécifiques avant de s'en remettre à cet outil diagnostique26.

La ponction à l'aiguille fine et la biopsie par forage fournissent des renseignements fiables qui peuvent permettre d'éviter de nombreuses biopsies chirurgicales et de mieux planifier les chirurgies. Une syncope ou un léger saignement sont possibles mais rares (dans environ 1 % des 203 biopsies à l'aiguille fine ou mises en place d'un harpon)32. Dans l'étude multicentre citée ci-dessus, on a dénombré 6 complications après 3765 biopsies par forage guidées par des techniques d'imagerie (0,2 %) (3 hématomes et 3 infections qui ont nécessité une aspiration ou une antibiothérapie, ou les deux)31. Aucun cas de dissémination de cellules cancéreuses le long du trajet de l'aiguille n'a été signalé.

  • Un rapport complet devrait accompagner toute biopsie à l'aiguille guidée par des techniques d'imagerie.

Une biopsie mammaire à l'aiguille guidée par des techniques d'imagerie doit être considérée comme une intervention chirurgicale au même titre qu'une biopsie-exérèse pratiquée par un chirurgien. Elle doit être accompagnée d'un rapport exact et bien documenté comportant les indications suivantes : anesthésique local utilisé, taille de l'aiguille, distance approximative de celle-ci par rapport à la lésion, quantité de matériel prélevé, tolérance de l'intervention par la patiente et concordance entre l'évaluation pathologique et les résultats de la mammographie (preuves de niveau V).

  • Les anomalies de catégorie 4 devraient habituellement être excisées. Cette intervention peut être précédée d'une biopsie à l'aiguille guidée par des techniques d'imagerie.

Si la probabilité de cancer est très élevée, on peut omettre la ponction à l'aiguille fine et la biopsie par forage pour procéder directement à une biopsie chirurgicale26. Il se peut toutefois que la ponction à l'aiguille échoguidée soit la prochaine étape du bilan diagnostique dans certains centres où cette intervention s'est avérée avoir une sensibilité et une spécificité très grandes. Le choix de la technique de biopsie doit également se fonder sur la fiabilité établie de chacune des techniques dans l'établissement lui-même et sur l'importance d'en arriver à poser un diagnostic final et à choisir un traitement en ayant recours au moins grand nombre d'interventions possible.

  • Lorsqu'on opte pour une biopsie chirurgicale, il faut vérifier si les marges du spécimen excisé sont saines.

Avant de procéder à la biopsie chirurgicale d'une anomalie non palpable, il faut localiser la lésion. La pratique habituelle consiste à mettre en place des harpons sous contrôle radiographique ou échographique. Le nombre de harpons mis en place varie selon les centres et selon l'étendue et la complexité de la lésion33. Il est essentiel de consulter le radiologiste et d'examiner la mammographie afin de pouvoir déterminer l'endroit où seront placés les harpons, le point où sera pratiquée l'incision et le volume du tissu à réséquer34. La biopsie devra être pratiquée comme s'il s'agissait d'une mastectomie partielle à visée thérapeutique, et les incisions devraient être pratiquées conformément aux lignes directrices du National Surgical Adjuvant Breast Project (preuves de niveaux IV)17,35.

  • Il faut radiographier les spécimens biopsiques intacts afin de vérifier que l'anomalie mammographique a été enlevée en totalité.

Il faut veiller à exciser la totalité de la lésion en une seule pièce et marquer les bords du spécimen avec des sutures pour indiquer la bonne orientation (preuves de niveau IV)35. Les harpons devraient demeurer en place, et le spécimen devrait être radiographié immédiatement après l'excision afin qu'on puisse vérifier que l'anomalie mammographique a été enlevée en totalité. Le radiologiste devrait fournir un rapport confirmant le prélèvement total de l'anomalie (preuves de niveau V).

  • La patiente devrait être tenue pleinement informée des raisons motivant chacun des tests et de la signification des résultats. Le laps de temps entre la détection initiale d'une anomalie mammographique et la décision finale relative à la prise en charge de la patiente devrait être le plus court possible.

Il est possible de réduire de façon considérable l'anxiété qu'éprouve la patiente après détection d'une anomalie mammographique si on tient cette dernière informée et si le diagnostic est posé rapidement. Il a été établi que le maintien d'une bonne communication entre la patiente et le médecin contribue à réduire l'anxiété dans l'immédiat et à accroître le bien-être psychologique des mois plus tard (preuves de niveau III)36,37. Un des volets importants de la prise en charge de ces patientes consiste donc à leur fournir une explication complète de toutes les étapes du processus dans un climat d'empathie en leur laissant le temps de poser des questions.


Collaborateurs

Auteurs de la version initiale : André Robidoux, MD, Centre hospitalier universitaire de Montréal; Françoise Bouchard, MD, Santé Canada, Ottawa; Neima Langner, MD, Ottawa

Comité de rédaction : Judy Caines, MD, Queen Elizabeth II Health Sciences Centre, Halifax; Jacques Cantin, MD, Centre hospitalier de l'Université de Montréal, Montréal; Maria R. Hugi, MD, Mount St. Joseph Hospital, Vancouver; David M. Bowman, MD, Manitoba Cancer Treatment and Research Foundation, Winnipeg; Maurice McGregor, MD (président), Hôpital Royal Victoria, Montréal

Lecteurs principaux : Drs G.M. Goff, H.L.A. Lickley, G.H. Schaller, W.J. Temple et N.A.T. Wadden

Lecteurs secondaires : Mme P. Baker, Drs N.D. Colapinto, J.C. Craig, C.E. DeMetz, V.H. Fraser, C.S. Hann, G.F. Kindle et C.E. Miller, et Mme J. Slater

Références

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