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Journal de l'Association Médicale Canadienne
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Guides de pratique clinique pour la prise en charge et le traitement du cancer du sein : 8. Traitement systémique adjuvant du cancer du sein avec envahissement ganglionnaire (mise à jour de 2001)
Voir aussi :
Résumé
Objectif : Faciliter le choix de traitement systémique adjuvant pour les femmes atteintes de cancer du sein avec envahissement ganglionnaire.
Preuves : Fondées sur un dépouillement systématique des publications trouvées dans les bases de données MEDLINE à partir de 1976 et CANCERLIT de 1983 à mai 2000. Recension non systématique des publications jusqu'en janvier 2001.
Recommandations :
Femmes ménopausées
Tous âges
Validation : La version originale a fait l'objet de révisions par un comité de rédaction, par des lecteurs principaux, par des lecteurs secondaires et par le Comité directeur des guides de pratique clinique pour la prise en charge et le traitement du cancer du sein. Le document final est le fruit d'un consensus parmi tous ces collaborateurs. Le guide de 1998 a fait l'objet d'une validation externe au moyen du processus d'examen du JAMC, et il n'était pas nécessaire de soumettre la présente mise à jour à un examen externe. Un comité de rédaction a actualisé la première version du guide puis a soumis la version révisée à l'examen, à la révision et à l'approbation du Comité directeur.
Commanditaire : Le Comité directeur des guides de pratique clinique pour la prise en charge et le traitement du cancer du sein a été constitué par Santé Canada.
Complété : Janvier 2001 La chirurgie met en évidence un envahissement ganglionnaire axillaire chez environ la moitié des patientes atteintes d'une tumeur mammaire palpable (stade pathologique II)1. Ces femmes courent un grand risque de dissémination systémique subséquente et de décès par cancer métastatique du sein, même lorsqu'au moment du diagnostic, les numérations globulaires courantes, les explorations fonctionnelles hépatiques et les radiographies thoraciques peuvent ne révéler aucun signe de cancer. Avant l'arrivée du traitement systémique adjuvant, la survie à 10 ans des patientes présentant un envahissement ganglionnaire axillaire variait entre 25 % et 48 %2,3,4,5,6. Lorsqu'un à trois ganglions étaient atteints, le taux de survie à 10 ans oscillait entre 40 % et 60 % et, en cas d'envahissement de 4 ganglions ou plus, il s'établissait à environ 25 %3,4,5,6. Le recours à la chimiothérapie ou à l'hormonothérapie pour lutter contre le cancer a été amplement étudié au cours des 25 dernières années. Des études cliniques randomisées7,8,9,10,11,12,13,14,15,16,17 et des études de population18 ont montré que le traitement systémique adjuvant, faisant appel soit à la polychimiothérapie ou à l'hormonothérapie, contribuait à prolonger la survie sans récidive et la survie globale des patientes atteintes d'un cancer du sein de stade II. Il reste que de nombreuses femmes meurent toujours des suites d'un cancer du sein et que de nombreuses questions demeurent sans réponse quant à la meilleure façon de planifier un traitement systémique adjuvant optimal. Les recommandations concernant les femmes préménopausées et ménopausées sont présentées séparément. On entend par femmes préménopausées celles qui ont eu leurs dernières règles dans les 12 mois précédant le diagnostic de cancer du sein. Il arrive aussi qu'on utilise l'âge, c'est-à-dire moins de 50 ans, lorsqu'on ignore si la patiente est en préménopause11. Le «traitement systémique adjuvant» désigne l'usage de médicaments cytotoxiques (chimiothérapie), le recours à une manipulation hormonale (l'ablation des ovaires) ou l'administration de certains médicaments comme le tamoxifène (hormonothérapie). Méthode Les auteurs ont dépouillé systématiquement les articles et les ouvrages publiés recensés dans les bases de données MEDLINE (de 1976 à mai 2000) et CANCERLIT (de 1983 à mai 2000) en utilisant les mots clés suivants : breast neoplasms, invasive breast adenocarcinoma, adjuvant, chemotherapy, hormonal therapy, premenopausal node-positive, postmenopausal node-positive, randomized studies et high doses. La recherche se limitait aux articles rédigés en anglais. D'autres articles ont été repérés au moyen des références citées dans les rapports recensés. Une recension non systématique des publications a été poursuivie jusqu'en janvier 2001. Les preuves sur lesquelles s'appuient les conclusions ont été classées en cinq niveaux (voir les niveaux de preuves)19. Le processus itératif mis à profit pour élaborer ce guide a été décrit précédemment20. Un comité de rédaction a mis à jour la première version du guide puis l'a soumis à l'examen, à la révision et à l'approbation du Comité directeur. Recommandations (y compris données probantes et raisons d'être) Femmes préménopausées Chimiothérapie adjuvante
Des études cliniques randomisées (preuves de niveau I)7,8,9,10,11,12,13,14,15,16 de même que des études de population (preuves de niveau III)18 ont montré que la chimiothérapie aidait à prolonger la durée de survie sans récidive et de survie globale chez les patientes préménopausées atteintes d'un cancer du sein de stade II. Le Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group a récemment procédé à la mise à jour de sa méta-analyse de 47 études portant sur l'administration d'une chimiothérapie chez les femmes atteintes d'un cancer du sein à un stade précoce16. On a observé une réduction proportionnelle du risque de récidive de 34 % chez les femmes de moins de 50 ans qui avaient reçu une polychimiothérapie comparativement à celles qui n'avaient reçu aucun traitement, et la réduction correspondante du risque de mortalité s'établissait à 27 %. Chez les patientes ayant suivi une chimiothérapie, la réduction absolue du risque de récidive à 10 ans atteignait 15,4 %, et l'amélioration absolue de la survie à 10 ans, 12,4 %. L'avantage de la chimiothérapie a été observé aussi bien chez les femmes atteintes de tumeurs RE+ que chez celles présentant des tumeurs RE-.
Même si elles présentent des facteurs de risque différents, les patientes bénéficient uniformément d'une réduction proportionnelle du risque. Il reste que le gain absolu augmente en fonction de l'ampleur de l'envahissement ganglionnaire, car plus l'atteinte est importante, plus les risques sous-jacents de récidive et de mortalité sont élevés.
Il ressort des sous-analyses de la chimiothérapie que la polychimiothérapie prolongée, associant habituellement cyclophosphamide, méthotrexate et 5-fluoro-uracile (CMF) est plus efficace qu'une chimiothérapie préopératoire ou périopératoire de courte durée. Les données recueillies dans le cadre de la méta-analyse n'ont pas permis de déterminer s'il vaut mieux mettre en route la chimiothérapie prolongée avant ou après la chirurgie. Des études récentes n'ont pas réussi à déceler de différences entre l'administration préopératoire et postopératoire de la chimiothérapie pour ce qui est de la survie sans récidive et de la survie globale21.
La polychimiothérapie prolongée est en général plus efficace que l'administration sur une longue période d'un seul agent thérapeutique. L'administration d'une polychimiothérapie par CMF pendant 12 à 24 mois ne s'est pas révélée plus bénéfique que les protocoles de plus courte durée, tels que l'association CMF pendant 6 mois.
Outre le fait que la chimiothérapie influe sur la survie, des preuves de niveau III apportées par une étude rétrospective de cas montrent que cette modalité thérapeutique peut également réduire considérablement le taux de récidive locale chez les patientes qui ont subi une chirurgie mammaire conservatrice suivie d'une radiothérapie18.
La plupart des patientes des premières méta-analyses ont été traitées par CMF11,16. Diverses variantes du protocole CMF ont été décrites, dont les schémas comportant l'administration de cyclophosphamide par voie orale et intraveineuse. De façon générale, la plupart des protocoles duraient 12 mois, car ces études comptaient parmi les premières de ce type et avaient été réalisées avant 1985.
Dans le cadre d'une méta-analyse récente, les résultats de 11 études qui comparaient les protocoles faisant appel aux anthracyclines avec les protocoles de type CMF ont été analysés16. Les traitements aux anthracyclines ont été associés à une réduction proportionnelle du risque de récidive de 12 % et du risque de mortalité de 11 % comparativement aux modalités de traitement par CMF. L'étude MA5 du Groupe des essais cliniques de l'Institut national du cancer du Canada comptait au nombre des études de l'analyse. Dans le cadre de cette étude, plus de 700 femmes préménopausées atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire ont reçu un traitement par CEF ou par CMF. Après un suivi médian de 60 mois, la chimiothérapie par CEF présentait une amélioration significative sur le plan statistique de la survie sans récidive et de la survie globale (preuves de niveau I)22. Selon les résultats d'une grande étude menée par le Danish Cooperative Group, l'utilisation de protocoles de chimiothérapie adjuvante faisant appel à l'épirubicine est associée à meilleure amélioration de la survie sans récidive et de la survie globale que l'utilisation de protocoles de type CMF.
Dans l'étude B-15 du National Surgical Ajduvant Breast and Bowel Project (NSABP), on a comparé l'administration de quatre cycles de l'association AC à raison d'un cycle aux trois semaines pendant deux à trois mois avec l'administration de six cycles de l'association CMF24. On n'a décelé aucune différence quant à la réponse aux traitements après trois ans, ce qui a démontré qu'un traitement par AC d'une durée de deux à trois mois est équivalent à un traitement au CMF par voie orale d'une durée de six mois (preuves de niveau I).
L'InterGroup a récemment fait état des résultats préliminaires d'une étude qui, à l'aide d'un plan factoriel, comparait trois différentes doses de doxorubicine dans l'association AC (60, 75 et 90 mg/m2), et comparait l'administration de quatre cycles de la combinaison AC avec l'utilisation de la combinaison AC suivie de paclitaxel (175 mg/m2) administré aux trois semaines pour un total de quatre cycles25. Les patientes avec des tumeurs RE+ recevaient du tamoxifène pendant cinq ans. Au total, 3170 patientes préménopausées et ménopausées atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire ont participé à l'étude et le suivi médian était de 30 mois. On n'a décelé aucune différence entre les trois doses de doxorubicine, mais l'ajout du paclitaxel à la combinaison AC a été associé à une réduction du risque de récidive de 22 % (risque relatif = 0,78, intervalle de confiance [IC] à 95 % = 0,67–0,91) et à une réduction de 26 % du risque de mortalité (risque relatif = 0,74, IC à 95 % = 0,600,92) (preuves de niveau I). Les gains toutefois semblaient profiter uniquement aux patientes atteintes de tumeurs RE-. Le risque relatif s'établissait à 0,92 (IC à 95 % = 0,731,16) pour ce qui est du taux de survie sans récidive chez les 2066 patientes atteintes d'un cancer RE+, et parmi les 1055 patientes présentant un cancer RE-, il s'établissait à 0,68 (IC à 95 % = 0,550,85). Il est possible qu'un suivi plus long permette de relever un gain chez les patientes atteintes d'un cancer RE+. Les données ont récemment été mises à jour lors de la Conférence de concertation des National Institutes of Health (NIH)26. Après un suivi médian de 52 mois, la réduction des taux de risque de récidive et de mortalité atteignait 13 % et 14 %, respectivement. L'avantage additionnel attribuable au paclitaxel ne s'observait toujours qu'auprès des patientes présentant des tumeurs RE-.
Lors de la Conférence de concertation des NIH, les résultats préliminaires de l'étude B-28 du NSABP ont été présentés26. Dans cette étude, les femmes atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire étaient réparties au hasard pour recevoir quatre cycles de la combinaison AC administrée seule ou la combinaison AC suivie de paclitaxel (225 mg/m2) administré aux trois semaines pour un total de quatre cycles. Toutes les femmes âgées de plus de 50 ans et les femmes de moins de 50 ans qui présentaient des tumeurs RE+ ou des tumeurs à récepteurs de progestérone positifs (RP+) ont reçu du tamoxifène. Ainsi, on a administré du tamoxifène à plus de 80 % des patientes. Le suivi médian comptait 34 mois. On a recensé 282 cas de réactions adverses chez les 1529 patientes du groupe traité par AC comparativement à 269 réactions adverses chez les 1531 patientes qui ont reçu une chimiothérapie par AC suivie de paclitaxel. Cette différence correspond à un risque relatif de 0,93 (IC à 95 % = 0,781,1, p = 0,38). Il y a eu 133 décès dans le groupe traité par AC comparativement à 136 dans le groupe ayant reçu la combinaison AC puis du paclitaxel (risque relatif = 1,0, IC à 95 % = 0,781,27, p = 0,98). Pour ce qui est de l'issue du traitement, on n'a observé aucune différence significative sur le plan statistique entre les patientes qui ont reçu du tamoxifène et celles n'ayant pas reçu le traitement. Il y a eu cinq cas de leucémie aiguë ou de syndrome myélodysplasique dans le groupe des patientes ayant reçu l'association AC suivie de paclitaxel, tandis qu'on n'a constaté aucun cas semblable dans le groupe des patientes ayant reçu la combinaison AC uniquement.
L'étude du Cancer and Leukemia Group B (CALGB) a signalé des différences dans les taux de récidive et de mortalité très tôt dans l'étude25,26. Suite à une analyse de sous-ensemble, cet effet semblait s'appliquer au groupe des patientes atteintes de tumeurs RE-. Après un suivi plus long, on observait toujours une réduction des taux de récidive et de mortalité, mais de moindre importance. L'étude du NSABP n'a pas, à ce jour, réussi à déceler une différence. Le suivi cependant a été beaucoup plus court que celui de l'étude du CALGB. Puisqu'une forte proportion des femmes de l'étude du NSABP ont reçu du tamoxifène, il pourrait être plus difficile de déceler une différence sur le plan de la puissance, et, par conséquent, il est nécessaire de faire un plus long suivi.
Le panel de la Conférence de concertation des NIH a formulé l'énoncé suivant au sujet des taxanes :
«Bien qu'un certain nombre d'études semblables soient terminées et que d'autres soient présentement en cours, les données dont on dispose actuellement ne sont pas concluantes et ne permettent pas d'étayer des recommandations définitives en ce qui concerne l'effet des taxanes sur la survie sans récidive ou sur la survie globale. Il n'existe pas d'éléments probants pour justifier l'utilisation de taxanes dans le traitement du cancer sans envahissement ganglionnaire en-dehors du contexte d'une étude clinique»26.
La qualité de vie de la patiente a une influence déterminante sur le choix du protocole de chimiothérapie adjuvante. Les patientes traitées par chimiothérapie, quel que soit le protocole, éprouveront fréquemment une certaine fatigue. Les patientes peuvent préférer le traitement bref comportant l'administration d'AC pendant trois mois plutôt que le traitement de six mois au CMF, afin que leurs activités professionnelles et leur vie de famille normales soient moins perturbées, et que la durée des effets secondaires soit réduite.
Le traitement au CMF entraîne souvent des nausées et des vomissements d'intensité légère à modérée27. Ces symptômes sont habituellement temporaires et peuvent être bien maîtrisés par les médicaments. Le traitement au CMF par voie orale est administré pendant 84 jours sur une période de six mois, de sorte que les nausées peuvent durer plus longtemps. L'administration de quatre cycles d'AC par voie intraveineuse (un toutes les trois semaines) peut entraîner des nausées et des vomissements plus prononcés mais de plus courte durée.
Les associations AC et CEF s'accompagnent d'une alopécie complète mais temporaire; le traitement de type CMF par voie orale entraîne quant à lui une chute partielle des cheveux chez 70 % des patientes et une alopécie prononcée chez 40 % d'entre elles. Les deux protocoles peuvent être à l'origine d'une irritation légère et transitoire des muqueuses de la bouche, de la gorge et des yeux et, dans de rares cas, peuvent causer une cystite chimique28.
Tous les protocoles s'accompagnent d'une myélodépression temporaire de même que d'un risque accru d'infection, chez une proportion heureusement peu élevée de patientes27. Dans les rapports du Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group, une toxicité mortelle a été observée dans 0,1 % à 1,0 % des cas11. L'importante cardiotoxicité liée à la dose administrée limite l'usage des anthracyclines. Dans le cas de la doxorubicine, il est rare que les effets toxiques se présentent sous forme d'insuffisance cardiaque (± 1 %) lorsque la dose totale cumulative est maintenue en deçà de 300 mg/mètre carré29,30. La fréquence des effets toxiques augmente avec la dose et avec l'âge de la patiente. L'épirubicine cause également une insuffisance cardiaque à fortes doses, mais très rarement (approximativement 1 %) lorsque les doses cumulatives sont inférieures à 1 000 mg/mètre carré31. Les atteintes cardiaques, lorsqu'elles se produisent, mettent du temps à guérir32. Il arrive par ailleurs souvent qu'une insuffisance ovarienne entraîne une ménopause précoce, en particulier chez les patientes préménopausées plus âgées. Un gain de poids durant le traitement peut également être observé chez 14 % des femmes traitées par CMF28. Le suivi des patientes traitées selon les protocoles CMF standard n'a pas révélé d'augmentation significative du nombre de tumeurs chimio-induites33,34. L'apparition d'une leucémie était extrêmement rare chez les patientes traitées par CMF au Milan Cancer Institute35. Un nombre inquiétant de leucémies aiguës non lymphoblastiques a cependant été signalé après l'administration d'anthracyclines associées à des agents alkylants (jusqu'à 1 % des patientes de certaines études)22,36,37. L'utilisation du paclitaxel peut être associée avec une myélodépression et une alopécie. Le paclitaxel présente en outre un profil de toxicité unique comprenant des réactions d'hypersensibilité, des neuropathies périphériques, des myalgies et des arthralgies.
La décision de choisir une chimiothérapie par CEF plutôt que par CMF ou de préférer la combinaison AC suivie de paclitaxel à la combinaison AC administrée seule doit être prise avec la patiente en tenant compte tout à la fois de l'augmentation des effets secondaires et des gains aux chapitres de la survie sans récidive et de la survie globale.
Le NSABP a effectué une étude qui n'a relevé aucune différence quant à la survie entre les femmes qui avaient suivi une chimiothérapie préopératoire (néo-adjuvante) et celles qui avaient suivi une chimiothérapie périopératoire (preuves de niveau I)21. D'autre part, dans le cadre d'une série d'études du International Breast Cancer Study Group, Colleoni et ses collaborateurs ont étudié le lien entre l'issue du traitement et le moment choisi pour amorcer la chimiothérapie adjuvante chez les femmes préménopausées (preuves de niveau V)38. Parmi les femmes présentant des tumeurs RE-, le taux de survie sans récidive à dix ans était de 60 % lorsque la chimiothérapie avait été amorcée dans les 21 jours suivant l'intervention, comparativement à un taux de 34 % lorsque le traitement avait débuté après 21 jours (p < 0,01). Il n'y avait aucune différence chez les patientes présentant des tumeurs RE+.
La pratique actuelle repose sur le principe selon lequel un long délai ne serait pas dans l'intérêt de la patiente. La plupart des études cliniques ont fait ressortir l'importance d'amorcer le traitement dans les 12 semaines qui suivent l'intervention chirurgicale. En pratique, la plupart des patientes entreprennent le traitement de quatre à six semaines après leur opération. Pour les patientes qui sont candidates à la radiothérapie, l'ordre idéal dans lequel devraient être administrées la chimiothérapie et la radiothérapie n'a pas été clairement établi. Dans la plupart des centres, la chimiothérapie est offerte en premier. Certains centres administrent les deux traitements concurremment, mais les risques d'effets toxiques pourraient être accrus, en particulier dans le cas des protocoles prévoyant l'administration d'anthracyclines (preuves de niveau III). Cette question est explorée dans le guide no 6.
Les protocoles prévoyant l'administration de CMF pendant 6 mois sont aussi efficaces que les schémas plus longs de 12 à 24 mois (preuves de niveau I)39. L'étude B-15 du NSABP a montré que quatre cycles d'AC par voie intraveineuse à raison d'un cycle toutes les trois semaines équivaut à six cycles de CMF par voie orale au rythme d'un cycle toutes les quatre semaines (preuves de niveau I)24.
Dans une étude préliminaire, la Dana-Farber Cancer Clinic a comparé deux protocoles thérapeutiques : 5 cycles d'AC (15 semaines) et 10 cycles d'AC (30 semaines), administrés à des patientes atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire. Aucune différence n'était perceptible après neuf ans40. Le Eastern Cooperative Oncology Group a comparé un traitement de 4 mois au CMFPT (CMF plus prednisone et tamoxifène) à un traitement de 12 mois avec les mêmes agents chez les patientes ménopausées et n'a détecté aucune différence11. Cependant, cela tient peut-être au fait que l'association CMF n'offre guère d'avantages chez les femmes ménopausées qui reçoivent également un traitement adjuvant au tamoxifène. Le Ontario Clinical Oncology Group a comparé pour sa part un traitement de 12 semaines associant CMF, vincristine et prednisone (CMFVP) plus doxorubicine et tamoxifène avec un traitement de 36 semaines au CMFVP chez des patientes présentant un envahissement ganglionnaire; il a fait état d'un gain dans le cas du traitement de plus longue durée tant sur le plan de la survie sans récidive que sur le plan de la survie globale41. Même s'il s'agit de preuves de niveau I, la durée de la chimiothérapie de même que les schémas utilisés différaient, d'où la difficulté de déterminer le facteur qui a influé sur l'issue du traitement.
Le International Breast Cancer Study Group, en suivant un plan factoriel, a réparti aléatoirement des femmes préménopausées atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire afin qu'elles reçoivent soit six cycles de l'association CMF, soit six cycles de l'association CMF plus trois cycles de réinduction au CMF, soit trois cycles de l'association CMF, ou enfin, trois cycles de l'association CMF plus trois cycles de réinduction au CMF42. Les patientes à qui on avait administré trois cycles du traitement au CMF présentaient une réduction significative statistiquement du taux de survie sans récidive (preuves de niveau I). Le German Breast Cancer Study Group a mis à profit un modèle factoriel pour évaluer la durée de la chimiothérapie (six cycles du protocole de type CMF contre trois cycles du CMF) et du traitement au tamoxifène auprès de 481 patientes43. On n'a détecté aucune différence entre les deux groupes de patientes (preuves de niveau II).
En se fondant sur les résultats des études du Ontario Clinical Oncology Group et du International Breast Cancer Study Group, on ne peut recommander l'administration d'un traitement au CMF d'une durée de trois mois.
Il n'existe aucune étude randomisée comparant l'administration de cyclophosphamide par voie intraveineuse ou par voie orale en traitement adjuvant. Une étude européenne (EORTC) qui a comparé ces deux protocoles utilisés pour traiter des patientes atteintes d'un cancer métastatique a montré que le taux de réponse et la durée de la réponse étaient meilleurs et que la durée de survie était plus longue chez les patientes ayant reçu le traitement au CMF par voie orale plutôt que par voie intraveineuse (preuves de niveau II)44. Il faut toutefois signaler que la dose administrée oralement était plus forte.
Le Cancer and Leukemia Group B (CALGB) a étudié l'intensité des doses dans une étude réalisée auprès de 1 572 patientes dont la moitié étaient au stade de la préménopause45,46. Il a comparé dans cette étude trois posologies différentes de CAF administrées pendant quatre à six cycles. Il ressort que les schémas à dose modérée et à forte dose étaient plus efficaces que le schéma à faible dose, mais qu'aucune différence n'était perceptible entre les deux posologies plus fortes (preuves de niveau I). Toutefois, dans cette étude, même le traitement le plus massif est analogue au protocole CAF classique et ne représente pas en fait un véritable traitement «à forte dose». Cette étude semble donc indiquer qu'il existe un effet lié à une dose seuil, en deçà de laquelle la chimiothérapie est moins efficace et au-delà de laquelle on n'obtient aucun bienfait supplémentaire. La conclusion à tirer de ces résultats est que, dans la mesure du possible, les patientes devraient recevoir les doses complètes prévues dans leur protocole standard, vu que l'effet bénéfique peut s'atténuer si l'on réduit les doses. Il ne faudrait pas déduire de cette étude que si l'on augmente l'intensité de la dose, on obtiendra nécessairement un bienfait additionnel.
Cette conclusion est corroborée par les observations de Bonadonna et Valagussa publiées en 198147. Dans cette étude faisant autorité, 386 femmes (dont la moitié étaient préménopausées) qui avaient reçu un traitement de type CMF par voie orale ont été suivies pendant 20 ans et seulement celles qui avaient reçu au moins 85 % de la dose prévue ont retiré des bienfaits de la chimiothérapie adjuvante (preuves de niveau I). Ces données confirment l'utilité d'administrer autant que possible les doses complètes. De même, dans une étude effectuée en France à laquelle participaient des femmes atteintes d'un cancer avec envahissement ganglionnaire qui ont reçu à toutes les trois semaines un traitement par FEC (à raison de 100 mg d'épirubicine) ou un traitement par FEC (à raison de 50 mg d'épirubicine), le schéma à plus forte dose d'épirubicine était plus bénéfique que celui à faible dose48.
Lors de la réunion annuelle de l'American Society of Clinical Oncology en mai 1999, on a présenté les résultats de trois études randomisées évaluant la chimiothérapie à forte dose supportée par greffe de cellules souches. Les études en questions avaient été menées aux États-Unis49, en Scandinavie50 et en Afrique du Sud51. Les deux première études n'ont pas réussi à faire état d'un avantage en faveur de la chimiothérapie à forte dose. L'étude sud-africaine, d'autre part, a démontré la supériorité des bienfaits du protocole à forte dose. Ces résultats ont toutefois été contestés récemment en raison de l'inconduite scientifique des principaux chercheurs.
Dans l'étude du CALGB, 781 femmes dont dix ganglions ou plus étaient atteints ont été réparties aléatoirement pour recevoir de fortes doses de l'association CPB (cyclophosphamide, cisplatine et BCNU [bis-chloronitrosourée]) et une greffe de cellules souches de moelle osseuse ou une dose modérée de l'association CPB49. On n'a décelé aucune différence aux chapitres de la survie sans récidive ou de la survie globale (preuves de niveau I). Le groupe des patientes ayant reçu le schéma à forte dose présentait un taux de décès liés au traitement de 7,4 %. Lors de la récente Conférence de concertation des NIH, on a mis à jour ces résultats26, et il n'y avait toujours pas de différence entre les deux groupes quant à la survie sans récidive ou à la survie globale.
Dans l'étude du Scandinavian Breast Cancer Study Group, 525 patientes atteintes d'un cancer primitif du sein à haut risque ont été choisies au hasard pour recevoir neuf cycles d'un protocole individualisé de type FEC avec facteurs de croissance hématopoïétique G-CSF ou trois cycles du protocole de type FEC suivis d'une chimiothérapie à forte dose associant cyclophosphamide, thiotépa et carboplatine supportée par greffe de cellules souches50. Les patientes qui ont reçu le traitement individualisé au FEC présentaient une amélioration significative sur le plan statistique de la survie sans récidive. On n'a décelé aucune différence dans la survie globale entre les groupes (preuves de niveau I).
Dans l'étude de Bezwoda, 154 patientes présentant un cancer primitif du sein ont été réparties aléatoirement pour recevoir deux cycles de l'association CNVP à forte dose (cyclophosphamide, mitoxatrone et étoposide) puis une greffe de cellules souches périphériques ou six cycles du traitement au CAF51. Après un recul médian de cinq ans, il y avait une amélioration significative statistiquement de la survie sans récidive et de la survie globale en faveur du groupe ayant reçu la greffe de cellules souches (preuves de niveau I). [On conteste présentement la validité de ces résultats en raison d'inconduite scientifique].
Deux autres études présentées en 1998 à la réunion de la American Society of Clinical Oncology n'ont associé aucun bienfait supplémentaire avec la chimiothérapie à forte dose supportée par greffe de cellules souches lorsqu'on la comparait à la chimiothérapie classique pour traiter les patientes atteintes d'un cancer primitif du sein qui présentaient un risque élevé52,53. Ces études reposaient sur de petits échantillons (preuves de niveau II). Traitement endocrinien adjuvant
L'ablation des ovaires (soit par chirurgie ou radiothérapie) des patientes préménopausées atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire est utilisée comme traitement adjuvant depuis plus de 30 ans. Les avantages de cette intervention ont été démontrés dans la méta-analyse du Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group (preuves de niveau I)11,54. Chez les 2100 femmes de moins de 50 ans atteintes d'un cancer du sein à un stade précoce (avec et sans atteinte ganglionnaire) qui ont été réparties aléatoirement pour subir, ou non, une ablation des ovaires, on constatait chez les patientes ayant subi l'intervention une amélioration significative statistiquement de la survie à 15 ans (52,4 % c. 46,1 %)54. L'effet bénéfique de l'intervention semblait toutefois moindre dans les études qui comparaient les traitements associant l'ablation des ovaires et une chimiothérapie avec l'administration exclusive d'une chimiothérapie. En outre, les résultats laissaient croire que l'ablation des ovaires n'était pas efficace chez les femmes présentant des tumeurs RE-.
L'effet bénéfique de la chimiothérapie associant plusieurs agents cytotoxiques a été évalué chez un plus grand nombre de patientes et a été plus largement démontré que les bienfaits associés à l'ablation des ovaires54. La chimiothérapie demeure à l'heure actuelle le traitement standard dans le cas des patientes préménopausées présentant un envahissement ganglionnaire.
Outre la castration permanente par chirurgie ou par irradiation, il est possible de supprimer temporairement l'action des ovaires au moyen d'agonistes de l'hormone de libération de la lutéinostimuline (LH-RH). Sur le plan théorique, ces composés présentent un intérêt certain vu que la manipulation hormonale ainsi réalisée est limitée et réversible et qu'elle permet d'éviter un dysfonctionnement ovarien permanent. Le taux de réponse à la goséréline (Zoladex) est similaire à celui obtenu pour l'ovariectomie chez les femmes préménopausées atteintes d'un cancer du sein métastatique55. Les résultats préliminaires d'études évaluant le Zoladex comme traitement adjuvant ont récemment été signalés. Dans l'étude du Eastern Cooperative Oncology Group, 1504 femmes préménopausées atteintes d'un cancer RE+ avec envahissement ganglionnaire ont été choisies au hasard pour recevoir une chimiothérapie par CAF, une chimiothérapie par CAF plus du Zoladex pendant cinq ans, ou une chimiothérapie par CAF plus du Zoladex et du tamoxifène pendant cinq ans56. Les taux de survie sans récidive à six ans s'établissaient respectivement à 67 %, 70 % et 78 %. La différence entre le protocole associant CAF, Zoladex et tamoxifène et l'association CAF administrée seule était significative sur le plan statistique.
Dans une étude suédoise, 2600 femmes préménopausées atteintes d'un cancer primitif du sein ont été réparties aléatoirement pour recevoir du tamoxifène, du Zoladex, les deux ou aucun traitement endocrinien57; 43 % des femmes recevaient également une chimiothérapie adjuvante. Après un recul médian de quatre ans, le risque relatif était de 0,77 chez les femmes ayant reçu du Zoladex (IC à 95 % = 0,660,90). Aucune différence n'a été décelée entre les groupes pour ce qui est de la survie globale.
Dans le cas d'une troisième étude effectuée en Autriche, 1045 femmes préménopausées atteintes de tumeurs RE+ ou RP+ ont été réparties aléatoirement afin de recevoir six cycles de chimiothérapie au CMF par voie intraveineuse ou l'association Zoladex-tamoxifène58. Après un suivi médian de quatre ans, le groupe des patientes qui avaient reçu le Zoladex et le tamoxifène présentait une amélioration de la survie sans récidive qui était significative sur le plan statistique.
En résumé, bien que les résultats des études évaluant l'administration de Zoladex à titre de traitement adjuvant sont encourageants, ils sont préliminaires, et on ne sait pas encore très bien de quelle façon cet agent doit être introduit dans la pratique de routine.
Une manipulation hormonale, soit l'ablation des ovaires ou un traitement au tamoxifène, devrait être offerte aux patientes atteintes de tumeur RE+ qui refusent de suivre une chimiothérapie. Une étude randomisée n'a démontré aucune différence significative entre les résultats des interventions. Cependant, cette étude n'était pas de taille assez importante pour établir de façon définitive leur équivalence (preuves de niveau II)59.
Les données semblent indiquer que l'association ablation des ovaires et chimiothérapie peut apporter un gain supplémentaire. Dans la méta-analyse de 1995, après un suivi de 15 ans, on a observé chez 550 femmes âgées de moins de 50 ans au moment de leur recrutement et atteintes de tumeurs RE+ (envahissement ganglionnaire variable), que l'association ablation des ovaires et chimiothérapie semblait être plus efficace qu'une chimiothérapie seule, sur les plans tant de la survie sans récidive que de la survie globale54. Le gain apporté n'était pas toutefois significatif sur le plan statistique.
L'étude du International Breast Cancer Study Group (Ludwig II) était incluse dans la méta-analyse de 199211 et a depuis été publiée10. Cette étude faisait un suivi après 15 ans auprès de 327 patientes préménopausées présentant 4 ganglions envahis ou plus. Dans l'ensemble, il n'existait aucune différence dans l'issue du traitement entre celles qui avaient subi une ovariectomie avant un traitement chimiothérapique par CMF et prednisone (CMFP) et celles traitées uniquement par CMFP. Néanmoins, dans le sous-groupe de 107 patientes atteintes de tumeurs RE+, celles qui avaient subi une ovariectomie avaient en général un meilleur taux de survie sans récidive (23 % [ET 5 %]) que celles traitées par CMFP uniquement (15 % [ET 5 %], p = 0,13) et une meilleure survie globale (41 % [ET 7 %] contre 30 % [ET 7 %], p = 0,12). Cette amélioration est survenue en dépit du fait que le traitement exclusif au CMFP a provoqué une aménorrhée permanente chez 70 % des patientes (preuves de niveau II). Le Southwest Oncology Group a publié récemment les résultats d'une étude comparant le traitement par CMF, vincristine et prednisone (CMFVP) avec l'ovariectomie suivie d'un traitement au CMFVP chez 314 patientes préménopausées avec envahissement ganglionnaire. Les taux de survie à sept ans s'établissaient à 71 % chez les patientes traitées par ovariectomie et CMFVP et à 73 % chez les patientes traitées par CMFVP uniquement (preuves de niveau II)60.
Ces données permettent de penser que des études de plus grande envergure pourraient mettre en évidence une légère amélioration de la survie sans récidive lorsqu'on associe l'ovariectomie à la chimiothérapie. Des études de confirmation sur la castration médicale temporaire sont en cours, mais aucune conclusion ne peut être avancée pour le moment.
Le Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group a mis à jour sa méta-analyse des études sur le tamoxifène17. Aucun avantage n'avait été observé auprès des femmes atteintes de tumeurs RE- et, par conséquent, les résultats ciblaient surtout les femmes présentant des tumeurs RE+. Lorsque les données ont été analysées en fonction de l'âge des patientes et de la durée des traitements au tamoxifène, les études où on avait administré du tamoxifène pendant un ou deux ans faisaient ressortir un léger avantage pour ce qui est des risques de récidive et de mortalité chez les femmes de moins de 50 ans, tandis que les études où on avait administré du tamoxifène pendant cinq ans aux femmes de moins de 50 ans ont fait état de réductions proportionnelles du risque de récidive de 45 % (ET 8 %) et du risque de mortalité, de 32 % (ET 10 %).
Il importe de vérifier s'il a déjà été démontré que l'administration exclusive de tamoxifène a une efficacité supérieure ou équivalente à celle de la chimiothérapie chez ces patientes préménopausées atteintes d'un cancer avec envahissement ganglionnaire. Il existe seulement deux études prospectives où l'on a comparé la chimiothérapie seule avec le tamoxifène seul chez les patientes préménopausées, et les résultats obtenus sont contradictoires. Dans l'étude du Italian Cooperative Group for Chemohormonal Therapy of Early Breast Cancer (GROCTA), 504 patientes atteintes de cancer du sein avec envahissement ganglionnaire et tumeurs RE+ ont été réparties au hasard en trois groupes pour recevoir soit du tamoxifène pendant 5 ans, soit 6 cycles de CMF par voie intraveineuse suivis de 4 cycles d'épirubicine, soit l'association de ces deux protocoles61. Le sous-groupe de femmes préménopausées comptait 237 patientes. Dans ce sous-groupe, aucune différence significative n'a été observée entre les patientes recevant uniquement du tamoxifène et les patientes recevant uniquement la chimiothérapie pour ce qui est de la survie sans récidive ou de la survie globale, ce qui laisse entendre que le tamoxifène est aussi efficace que la chimiothérapie dans ce sous-groupe (preuves de niveau II). Les patientes traitées exclusivement au tamoxifène présentaient cependant un nombre excédentaire de récidives loco-régionales la première et la troisième années après le traitement, ce qui pourrait être attribuable, selon les auteurs, à l'effet possible du tamoxifène, qui augmenterait le taux d'œstrogènes chez les patientes préménopausées.
Les résultats de l'étude du Gynecological Adjuvant Breast Group (GABG) en Allemagne62 viennent contredire ceux de l'étude du GROCTA. Dans cette vaste étude comparative randomisée, un sous-groupe de 331 patientes de moins de 50 ans considérées à «faible risque» (1 à 3 ganglions envahis et présence de récepteurs de stéroïdes positifs) a été réparti au hasard en deux groupes, l'un recevant un traitement au CMF par voie intraveineuse et l'autre du tamoxifène pendant deux ans. La survie sans récidive et la survie globale étaient significativement plus longues dans le groupe traité par CMF (taux global de récidive de 51,1 % dans le groupe traité au tamoxifène contre 15,7 % dans le groupe traité au CMF, et taux global de mortalité de 20,4 % contre 4,3 %, respectivement). Les intervalles de confiance n'étaient pas indiqués (preuves de niveau I).
Dans la méta-analyse la plus récente, les patientes qui avaient reçu pendant deux ans une combinaison de chimiothérapie et de tamoxifène affichaient une réduction du risque de récidive de 22 % (ET 4 %) et du risque de mortalité de 16 % (ET 4 %) comparativement à celles qui avaient reçu exclusivement une chimiothérapie16. Les données correspondantes pour les patientes ayant reçu pendant cinq ans une combinaison de chimiothérapie et de tamoxifène par opposition à l'administration exclusive d'une chimiothérapie s'établissaient respectivement à 52 % (ET 8 %) et à 47 % (ET 9 %). Parmi les femmes âgées de moins de 50 ans qui ont reçu le traitement associant chimiothérapie et tamoxifène, la réduction du risque de récidive atteignait 40 % (ET 19 %) et celle du risque de mortalité, 39 % (ET 22 %) en comparaison des patientes qui avaient reçu une chimiothérapie seulement. Les données relatives à ce sous-groupe ne sont cependant pas fiables en raison du nombre relativement modeste de patientes (preuves de niveau II). Ainsi, bien que les résultats laissent croire que l'ajout de tamoxifène à la chimiothérapie prolonge la durée de survie sans récidive et de survie globale comparativement à l'administration d'une chimiothérapie seule, les résultats ne sont pas concluants du tout. Le Groupe des essais cliniques de l'Institut national du cancer du Canada étudie présentement cette question. Le recrutement est maintenant complet aux fins d'une étude dans laquelle des femmes préménopausées atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire ayant terminé leur traitement de chimiothérapie adjuvante ont été choisies au hasard pour recevoir soit du tamoxifène, soit un placebo.
Au nombre des conséquences indésirables à long terme de la ménopause figurent l'ostéoporose et l'augmentation du nombre de décès par maladie cardiovasculaire63. La méta-analyse n'a cependant pas mis en évidence de surmortalité non attribuable au cancer du sein dans le sous-groupe traité par ovariectomie11. Dans le cadre de la méta-analyse la plus récente, la réduction proportionnelle du risque de cancer du sein contralatéral s'établissait à 26 % (ET 9 %) après un traitement au tamoxifène de deux ans et à 47 % (ET 9 %) après un traitement au tamoxifène de cinq ans17. La réduction proportionnelle du risque survenait indépendamment de l'âge. Ces résultats indiquent que l'administration de tamoxifène pendant cinq ans diminue approximativement de moitié le taux d'incidence annuelle de cancer du sein contralatéral. En chiffres absolus, le risque à dix ans passe d'approximativement 47 pour 1000 à 26 pour 1000 après un traitement au tamoxifène de cinq ans. Par ailleurs, l'administration de tamoxifène pendant cinq ans était associée à une augmentation d'environ quatre fois du taux du cancer de l'endomètre. Ces résultats correspondent à un risque à dix ans de 11 pour 1000 chez les femmes recevant du tamoxifène et de 3 pour 1000 dans le groupe témoin. Il y avait une augmentation significative statistiquement de la surmortalité annuelle liée au cancer de l'endomètre s'établissant à 0,2 pour 1000. La mortalité non attribuable au cancer du sein ne variait pas pour ce qui est des autres causes de décès, notamment, les maladies cardiovasculaires. Dans l'étude B-14 du NSABP, on a rapporté une augmentation du risque de cataracte (opacités sous-capsulaires postérieures) avec l'usage du tamoxifène, et dans l'étude du Breast Cancer Prevention Trial, un plus grand risque de subir une chirurgie pour cataracte64. De plus, cette étude a donné des estimations fiables des taux de thromboembolies et de cancers de l'endomètre pour les femmes qui avaient reçu du tamoxifène comparativement à celles qui avaient reçu un placebo64.
Enfin, dans une étude comparative randomisée récente, l'usage du tamoxifène a contribué à prévenir la déminéralisation des os de la colonne vertébrale et était associé à une réduction significative des indices de perte osseuse chez les patientes ménopausées atteintes d'un cancer du sein (preuves de niveau I)65. Femmes ménopausées Hormonothérapie adjuvante
Utilisé comme traitement systémique adjuvant chez les femmes ménopausées atteintes d'un cancer du sein de stade II, le tamoxifène réduit le risque de récidive et la mortalité (preuves de niveau I). Cet effet bénéfique se produit chez les patientes atteintes de tumeurs RE+17.
Le traitement au tamoxifène est la seule forme de traitement systémique adjuvant à avoir été bien évalué chez les femmes de 70 ans et plus. De nombreuses études cliniques comparatives randomisées ont tenté d'évaluer le rôle de la thérapie systémique adjuvante par tamoxifène dans le traitement du cancer du sein. Ainsi, dans la méta-analyse, l'administration de tamoxifène pendant cinq ans a été associée avec une réduction du risque de récidive de 43 % (ET 5 %) et du risque de mortalité de 28 % (ET 6 %) chez les femmes atteintes d'un cancer du sein RE+ avec envahissement ganglionnaire17. Après dix ans, ces résultats se traduisent en une réduction absolue de 15,2 % de la récidive et de 10,9% de la mortalité. La méta-analyse comprenait également des résultats selon l'âge des patientes atteintes d'un cancer RE+ (avec et sans envahissement ganglionnaire) qui avaient reçu un traitement au tamoxifène pendant cinq ans. La réduction du risque de récidive chez les patientes des groupes d'âge 5059 ans, 6069 ans et 70 ans ou plus s'établissait respectivement à 37 % (ET 6 %), 54 % (ET 5 %) et 54 % (ET 15 %). Les données correspondantes pour le risque de mortalité étaient 11 % (ET 8 %), 33 % (ET 6 %) et 34 % (ET 13 %).
Des preuves de niveau I montrent que le tamoxifène administré pendant moins de deux ans est moins efficace qu'administré pendant cinq ans66. Des comparaisons indirectes effectuées dans le cadre de la méta-analyse appuient en outre cette conclusion17. Il y a aussi des preuves de niveau I qui montrent que l'usage de tamoxifène pendant dix ans n'est pas plus efficace qu'un traitement de cinq ans67,68. Comme le niveau de toxicité du tamoxifène est relativement faible, la plupart des centres administrent ce médicament pendant cinq ans (preuves niveau IV) (voir aussi le guide no 7).
Une étude en cours en Scandinavie compare l'utilisation chez les femmes ménopausées du tamoxifène en alternance avec l'acétate de médroxyprogestérone et du tamoxifène seul.
Une autre étude a examiné l'utilisation d'un traitement adjuvant par aminoglutéthimide chez les patientes ménopausées69. Dans cette étude, 354 femmes présentant un envahissement ganglionnaire ont été choisies au hasard pour recevoir de l'aminoglutéthimide pendant deux ans (250 mg par voie orale quatre fois par jour) ou des placebos. Aucune amélioration n'a été relevée au chapitre de la survie dans le groupe des patientes traitées (preuves de niveau II). Enfin, l'étude Arimidex Tamoxifen Alone or Combined (ATAC) compare l'utilisation exclusive d'Arimidex (anastrozole), un inhibiteur d'aromatase, l'utilisation exclusive du tamoxifène, et l'utilisation de la combinaison des deux médicaments chez les femmes ménopausées atteintes d'un cancer du sein à un stade précoce. Chimiothérapie adjuvante
De nombreuses études cliniques ont évalué le rôle de la chimiothérapie comme traitement systémique adjuvant chez les femmes atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire (preuves de niveau I). Dans la première étude effectuée par Bonadonna et ses collègues34, 386 femmes âgées de 26 à 75 ans (dont 201 patientes ménopausées) ont été choisies au hasard après une mastectomie pour recevoir 12 cycles de CMF ou aucun autre traitement additionnel. Dans le cas des patientes ménopausées, on n'a observé après 20 ans de suivi aucune différence significative dans la survie sans récidive ou la survie globale entre les groupes ayant reçu un traitement adjuvant au CMF et les groupes qui n'ont reçu aucun traitement (preuves de niveau II). Selon Bonadonna et Valagussa47, la différence dans les résultats chez les femmes préménopausées par rapport aux femmes ménopausées est attribuable à la «faible dose de chimiothérapie reçue par de nombreuses patientes ménopausées».
Dans la méta-analyse la plus récente, la réduction du risque de récidive chez les patientes traitées par chimiothérapie s'établissait à 22 % (ET 4 %) chez les 50 à 59 ans et à 18 % (ET 4 %) chez les 60 à 69 ans16 (ces résultats ont été observés pour les cancers avec ou sans envahissement ganglionnaire). Les réductions correspondantes au chapitre de la mortalité étaient de 14 % (ET 4 %) et de 8 % (ET 4 %), respectivement. Les patientes âgées de plus de 70 ans qui participaient à ces études étaient trop peu nombreuses pour qu'on puisse tirer des conclusions sur les effets de la chimiothérapie dans ce groupe d'âge. La différence absolue de la récidive à dix ans était de 5,4 % chez les femmes de 50 à 69 ans atteintes d'un cancer avec envahissement ganglionnaire, et pour la mortalité, la différence correspondante était de 2,3 %.
La méta-analyse a donc démontré l'existence d'un gain modeste associé à la chimiothérapie chez les femmes ménopausées. Cependant, comme cet avantage est faible, il faut vérifier s'il l'emporte sur les effets secondaires et les risques et en discuter avec la patiente.
Dans l'étude InterGroup à laquelle participaient des femmes ménopausées, on a observé une amélioration significative statistiquement de la survie sans récidive avec l'administration d'un traitement adjuvant par AC suivi de paclitaxel comparativement à l'administration exclusive du traitement par AC, et plus particulièrement chez les patientes atteintes de tumeur RE-25,26. L'étude B-28 du NSABP n'a pas décelé de différence entre l'issue de ces deux protocoles chez les femmes ménopausées26. L'étude MA5 du Groupe des essais cliniques de l'Institut national du cancer du Canada, qui a révélé que le traitement par CEF offrait une meilleure survie sans récidive et une meilleure survie globale que le traitement par CMF, comprenait des femmes âgées de plus de 55 ans22. Il faut soupeser les bienfaits supplémentaires possibles de l'ajout de paclitaxel au traitement par AC par rapport à l'administration exclusive du traitement par AC et ceux du traitement de type CEF par rapport au traitement de type CMF tout en tenant compte des effets secondaires accrus.
On administre une chimiothérapie adjuvante moins fréquemment aux femmes de plus de 70 ans qu'aux patientes plus jeunes. L'association chimiothérapie-tamoxifène
Dans l'étude B-16 du NSAPB, des femmes de plus de 50 ans présentant un envahissement ganglionnaire ont été réparties au hasard pour recevoir du tamoxifène (389 patientes) ou l'association AC-tamoxifène (385 patientes) pendant 5 ans70. Après une période de suivi de 7 ans, on observait une amélioration statistiquement significative en faveur de la thérapie combinée : la survie sans récidive atteignait 62 % chez les patientes ayant reçu la thérapie combinée, et 49 % chez celles traitées au tamoxifène seul, tandis que la survie globale atteignait 74 % et 65 %, respectivement.
L'étude réalisée par le groupe de Ludwig (Ludwig III) a évalué 463 patientes ménopausées de 65 ans et moins présentant un envahissement ganglionnaire, après mastectomie et évidement axillaire (33 % étaient atteintes de tumeurs RE+, 18 % de tumeurs RE-, et le dosage RE était inconnu chez 49 % des patientes)71. Les patientes ont été réparties au hasard en trois groupes pour recevoir soit 12 cycles de CMF plus prednisone et tamoxifène (CMFpT) pendant un an, soit du prednisone et du tamoxifène (pT), soit aucun traitement adjuvant. Après un recul médian de 9 ans, la survie sans récidive s'établissait à 41 % dans le groupe traité par CMFpT, à 31 % dans le groupe traité par pT et à 19 % dans le groupe témoin (p < 0,0001)72. Les valeurs pour la survie globale étaient de 53 % pour le groupe CMFpT, de 41 % pour le troupe pT et de 38 % pour le groupe témoin (p = 0,08) (preuves de niveau I).
Le Groupe des essais cliniques de l'Institut national du cancer du Canada a mené une étude dans le cadre de laquelle 706 patientes ménopausées atteintes d'un cancer avec envahissement ganglionnaire et tumeurs RE+ ou RP+ ont reçu soit du tamoxifène pendant 2 ans ou du tamoxifène pendant 2 ans plus du CMF pendant 8 cycles, concurremment73. On n'a relevé aucune différence entre les deux groupes dans la survie sans récidive ou dans la survie globale (preuves de niveau II). Les effets secondaires, notamment infections, nausées et vomissements, inflammation des muqueuses, diarrhée, leucopénie, thrombocytopénie et thromboembolie, étaient tous significativement plus fréquents dans le groupe traité par CMF plus tamoxifène que dans le groupe traité au tamoxifène seul (preuves de niveau I).
Trois récentes études ont comparé le tamoxifène avec le tamoxifène plus chimiothérapie. Dans l'étude Intergroup, des femmes ménopausées avec envahissement ganglionnaire et tumeurs RE+ ont été réparties au hasard pour recevoir du tamoxifène seul, du CAF suivi de tamoxifène, ou du CAF associé au tamoxifène. Il y a eu une amélioration statistiquement significative dans la survie sans récidive à quatre ans en faveur du CAF associé au tamoxifène (79 %) par rapport au tamoxifène seul (72 %). Il n'y a pas eu de différence dans la survie globale74.
Dans l'étude du International Breast Cancer Study Group, des femmes ménopausées avec envahissement ganglionnaire et tumeurs RE+ ont été réparties au hasard selon un modèle factoriel pour recevoir du tamoxifène seul, du tamoxifène plus CMF précoce, du tamoxifène plus CMF tardif ou du tamoxifène plus CMF précoce et tardif75. L'addition de la chimiothérapie au tamoxifène était associée à une réduction significative (24 %) des récidives par rapport aux groupes recevant le tamoxifène seul. Il n'y a pas eu de différence significative dans la survie globale entre les groupes (preuves de niveau I).
Dans une étude européenne, des patientes ménopausées ont été réparties aléatoirement pour recevoir du tamoxifène pendant quatre ans ou de l'épirubicine et du tamoxifène conjugués. L'ajout de l'épirubicine au tamoxifène donnait lieu à une amélioration significative sur le plan statistique de la survie sans récidive76. Il n'y a pas eu de différence dans la survie globale.
Dans le cadre d'une méta-analyse portant sur des femmes âgées de 50 à 69 ans, il y avait une réduction proportionnelle de la récidive qui atteignait 19 % (ET 3 %) avec l'administration d'une chimiothérapie associée au tamoxifène comparativement à l'administration de tamoxifène seul16. La réduction proportionnelle de mortalité était de 11 % (ET 4 %). Tous âges
Trois études ont évalué l'utilisation de bisphosphonates pour éviter les métastases du cancer du sein. Dans une étude allemande à laquelle participaient 302 patientes atteintes d'un cancer primitif du sein qui s'était répandu à la moelle osseuse, l'administration par voie orale d'un traitement au clodronate pendant deux ans a réduit de façon considérable le nombre de métastases osseuses et viscérales77. Dans une étude à laquelle participaient plus de 1000 femmes atteintes d'un cancer primitif du sein opérable, l'administration par voie orale d'un traitement au clodronate pendant deux ans a réduit le risque de métastases osseuses comparativement aux placebos (p = 0,054)78. Par ailleurs, une troisième étude a fait ressortir les effets néfastes qu'avait le traitement au clodronate de trois ans sur la survie sans récidive et la survie globale79. Études cliniques
L'amélioration des soins dispensés aux futures patientes atteintes d'un cancer du sein dépend de la participation d'un nombre suffisant de patientes à des études cliniques. Les médecins qui traitent ces femmes devraient par conséquent se tenir au courant des études en cours et inviter leurs patientes à y participer. Le Dr Levine est associé au Hamilton Regional Cancer Centre d'Action Cancer Ontario et à l'Université McMaster, Hamilton (Ont.), le Dr Sawka, au Toronto Sunnybrook Regional Cancer Centre d'Action Cancer Ontario et à l'Université de Toronto, Toronto (Ont.), et le Dr Bowman, à la Manitoba Cancer Treatment and Research Foundation et à l'Université du Manitoba, Winnipeg (Man.). Références
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