ISSN: 1918-5901 (English) -- 1918-591X (Français)

 

2016: Volume 9, Numéro 1, pp. 147-149

 

Un compte rendu de livre par

Macky Sall
Université du Québec à Montréal, Canada

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Fin de l’Occident, naissance du monde
Par Hervé Kempf
Paris: Seuil, 2013. 155 pp.
ISBN: 9782021104943.

La fin de l’Occident est inéluctable. Ce pronostic déroutant mais pas nouveau, émis par Hervé Kempf dans son dernier ouvrage Fin de l’Occident, naissance du monde (2013) ne manque pas d’audace et parfois d’arguments. Il commence par aborder sous l’angle historique l’évolution des grands empires et civilisations (perse, chinoise, indienne) ayant marqué le monde, et décortique ensuite les processus de développement de l’Europe.

L’émergence de l’Europe qui s’est affirmée avec la révolution industrielle que l’anthropologue Claude Lévi Strauss, cité par l’auteur, range au même niveau que celle du néolithique, ne s’est pas faite en opposition avec les puissances existantes à l’époque.

La révolution industrielle lancée par l’Europe ne s’explique pas par une différence d’essence entre Orient et Occident, mais par des opportunités écologiques particulières. Sans charbon et sans Amérique, l’Europe serait restée une économie se développant lentement . . . le monde n’aurait pas divergé entre une partie de l’humanité rapidement et massivement enrichie, en moyenne, et le reste de la société humaine. (Kempf, 2013: 23)

Sont également relevées la modification des rapports de force et les velléités expansionnistes des pays européens qui vont se renforcer avec la mise en place d’un système énergétique associant le charbon, la machine à vapeur, le coton.

Utilisant aussi des données quantitatives pour étayer son argumentation, il indique que la quantité d’énergie utilisée par l’humanité passait de 250 millions de tonnes en 1700 à un milliard de tonnes en 1900. Une dynamique qui s’est poursuivie avec plus de 10 milliards de tonnes en 2000, soit 40 fois plus qu’avant la révolution industrielle. Hervé Kempf, avec des relents écologiques, déplore les énormes disparités entre les individus, les communautés et les États. La grande course vers la prospérité qu’il nomme la convergence met en pole position les États-Unis, les États d’Europe occidentale, le Japon et la Russie. Les nouveaux États africains et les pays d’Amérique latine croissent au même rythme. “De fait, c’est l’Asie qui est à la traîne et inquiète les experts du développement. . . . Le PIB africain dépasse alors celui de l’Asie, hors Japon” (Ibid: 30).

Sans toutefois expliquer les nombreux mécanismes (détérioration des termes de l’échange, service de la dette, monoculture de rente, et extraversion des économies), l’auteur relève furtivement que les économies africaines sont tombées en panne dans les années 1980 au moment où celles de l’Amérique latine ralentissent. Cette période coïncide avec le début de la dissolution de la suprématie des économies occidentales face à l’arrivée de deux nouveaux géants, la Chine et l’Inde. La course aux délices de la société de consommation était lancée avec un jeu multipolaire renforcé par le processus de mondialisation de l’économie, mais aussi d’uniformisation du statut des classes moyennes, des structures économiques et des cultures fondues dans un système commun de référence. Dans cette perspective, l’auteur prévient que ce mouvement ne parviendra pas à réduire les inégalités aussi bien entre les États qu’au niveau interne, et ce autant dans les pays développés qu’en développement. Il explique que

deux mouvements contradictoires développent leurs effets depuis une vingtaine d’années: la croissance du revenu réel des pays pauvres, surtout des géants comme la Chine et l’Inde, réduit l’inégalité moyenne de pays à pays, mais l’accroissement de l’inégalité dans chaque pays compense ce mouvement au niveau mondial. Si bien que l’inégalité à l’échelle mondiale demeure extrêmement élevée: le 1% le plus riche de la population reçoit près de 14% du revenu mondial, tandis que les 20% les plus pauvres n’en reçoivent qu’un peu plus de 1%. (Kempf, 2013: 35)

La pauvreté ne peut plus être circonscrite géographiquement et le binôme Nord-Sud est devenu désuet, selon Kempf qui soutient que “riches et pauvres sont de moins en moins attachés à une nationalité, leur destin est de plus en plus délocalisé” (Ibid: 37). Il s’inquiète des prévisions fournies par les grandes instances internationales, à l’image de l’OCDE et pour qui le produit brut mondial devrait poursuivre inexorablement sa croissance au cours des prochaines décennies. Qualifiant de “magique” le monde de Rostow dont ses différentes étapes sont restées dans l’inconscient collectif, l’auteur, tout en les remettant en cause, se désole que l’humanité n’ait pas retenu les conséquences des précédentes crises économiques et de ses effets dévastateurs. Un modèle ignorant la dimension écologique et l’épuisement des ressources. Un problème transversal qui touche tous les pays développés, émergents, en développement. Le monde est arrivé à une “nouvelle transition de phase où le rythme” de croissance ne va pas dépasser le rythme de l’évolution démographique, à savoir 1.2%. L’auteur s’émeut de la déstructuration des systèmes de production dans les pays africains subissant durement “le prix de cette politique inspirée par l’idéologie”. Cette logique de domination se traduit depuis quelques années par un accaparement des terres dans tous les pays. Accordant une place essentielle à l’agriculture dans cette redéfinition des rapports entre les besoins et les offres, il soutient que

le bien-être de l’humanité va dorénavant reposer sur son habileté à mobiliser à bon escient les ressources de la biosphère, à exploiter sans les détruire les richesses immenses qu’offre ce que les Occidentaux appellent “la nature, à épouser la biodiversité sans la violenter. Il s’agit de tourner la page de la révolution néolithique . . . pour nous engager dans l’ère biolithique, où l’espèce humaine prospérera en accord avec les autres espèces vivantes de la planète. (Kempf, 2013: 37)

Kempf propose les “chemins de la mutation” par une volonté réelle de réduire la consommation matérielle dans les sociétés riches, de choisir entre la conservation oligarchique et la politique écologique, d’accepter et de reconnaitre que le système capitaliste n’est pas éternel, ainsi que la reprise par la société du contrôle de la science. Pourfendant le rôle des médias et des journaux économiques serinant quotidiennement les vertus du marché et les attributs du néolibéralisme, il appelle à une lutte politique menée par le citoyen axée autour de la maîtrise du système financier, (la réduction) des inégalités et “l’écologisation de l’économie”.

Selon lui, il faudrait arriver à déconstruire “trente ans d’idéologie individualiste, de déni de l’action collective et de glorification du marché” (Kempf, 2013: 113) et instaurer une politique culturelle de la transition devant façonner de nouvelles représentations, même s’il ne la définit pas. Tel un refrain, le livre ressasse sans cesse la fin de l’hégémonie occidentale et la marche vers la “grande convergence”, cette nouvelle ère aux relents fortement écologiques, en accord “avec les rythmes du vivant et les ressources de la terre” (Ibid: 137). Facile à lire et suivant un style alerte, l’ouvrage ne s’épanche pas cependant sur les manières de conduire le mouvement devant trouver des alternatives aux nombreux maux de la planète. Les voies de la transition ne sont pas également définies dans cet essai qui prédit une convergence loin d’être atteinte pour la plupart des États.

À propos du réviseur

Macky Sall est ancien journaliste et auteur de l’essai, La tyrannie du développement-Déconstruction d’un mythe (2014), il a dû mener des études en Sciences de l’information et de la communication à Dakar et en Développement international à Genève et à Rimouski.

Pour citer ce compte rendu de livre:

Sall, Macky. (2016). [Compte rendu du livre Fin de l’Occident, naissance du monde]. Global Media Journal -- Canadian Edition, 9(1), 147-149.

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