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Janvier/Février 2004
Vol. 36, no 1
ISSN 1492-4684

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SAVOIR FAIRE

Ne laissez pas le soleil se coucher sur sa mémoire :
Le combat de Frederick James Ney pour le salut de l’Empire

Martin Ruddy, Services de recherche et d’information

Le major Frederick James Ney était un homme extraordinaire, qui avait une haute idée de la nationalité canadienne. Selon Amy Tector et Sandy Ramos, archivistes de référence à Bibliothèque et Archives Canada, le major est né un siècle trop tard, et ses idées, même s’il les défendait envers et contre tout, étaient presque toujours à contre-courant. Amy Tector et Sandy Ramos ont tenu un vaste auditoire en haleine en septembre dernier, pendant leur exposé de la série SAVOIR-FAIRE, consacré à la mémoire d’un fervent adepte de l’impérialisme britannique, la grande cause qu’il avait épousée pour la vie.

Le major Frederick Ney voit le jour dans le comté de Sussex, en Angleterre, en 1884. Il est le deuxième d’une famille de neuf enfants. Il est élevé, comme sa sœur aînée, par son grand-père, qui les imprègne de ses valeurs strictes du début de l’ère victorienne et les alimente de récits de la gloire impériale britannique dès leur tendre enfance. Bon nombre des idées maîtresses de la vision qu’aura Frederick Ney de l’Empire à l’âge adulte feront écho à ces perspectives du début de l’ère victorienne.

Il choisit l’enseignement et se rend à Chypre. Déjà, à 23 ans, il est promu directeur du collège anglais de Nicosie. En 1908, Frederick James Ney immigre au Canada où il assume les fonctions de directeur de l’école secondaire de Treherne, près de Winnipeg. La capitale manitobaine connaît à cette époque une croissance démographique fulgurante – sa population a plus que triplé, en fait, en une décennie, soit de 1900 à 1910, passant de 52 000 à 170 000 habitants. À quoi attribuer cette explosion ? En grande partie à un programme de recrutement d’immigrants déployé en Europe de l’Est et en Europe centrale. Or, l’arrivée massive d’immigrants non anglo-saxons provoque naturellement des tensions avec le WASP Charter Group, la communauté des fondateurs de la ville. Cherchant à étouffer les sentiments anti-impériaux qui se manifestent, le major Ney, qui s’était lié d’amitié avec Robert Fletcher, sous-ministre de l’Éducation du Manitoba, propose et met en œuvre un plan d’échange de professeurs. Il estime qu’un séjour dans les collines verdoyantes et une exposition aux richesses culturelles de la mère patrie ne pourront qu’inspirer à ces enseignants un respect de leur héritage britannique, respect qu’ils sauront ensuite transmettre à leurs élèves. Ce programme, intitulé Hands Across the Seas (correspondances transocéaniques), connaît un immense succès et se poursuivra jusqu’au moment où la Première Guerre mondiale mettra un terme aux déplacements transatlantiques.

Au moment de l’entrée en guerre, Frederick Ney choisit son camp. Il se joint à l’armée britannique plutôt qu’au corps expéditionnaire canadien. Et il se lance corps et âme dans cette guerre, comme en témoignent ses décorations. Il reçoit la Croix de Guerre de la France avec palme, la Croix de Guerre de la Belgique et la Croix militaire. Il est cité à l’ordre du jour à trois reprises. Cette gloire, il la paie cher, cependant, puisqu’il souffrira, à la suite de ses blessures, de maux de tête chroniques, d’affections dentaires et de maux d’estomac qui le mineront pendant le reste de sa vie.

Après la guerre, le major Ney revient à Winnipeg, où son amitié avec Robert Fletcher lui vaut une relance de sa carrière. Il est bientôt secrétaire du Conseil national sur l’enseignement, qui vient d’être créé, et qui a pour mandat d’unifier les systèmes d’éducation du Canada, de promouvoir les valeurs chrétiennes et de réprimer les tendances socialistes. Frederick Ney poursuit également son travail pour le programme Hands Across the Sea, qu’il renomme, dans le cadre d’une gestion concertée avec le ministère de l’Éducation du Manitoba, l’Overseas Education League (la ligue pour l’éducation outre-mer). Malgré tous les déboires qu’il connaîtra par la suite dans sa lutte pour la cause de l’impérialisme, le succès de l’Overseas Education League ne se démentira jamais. Plus de 10 000 étudiants et professeurs auront participé aux visites et aux échanges du programme jusqu’aux années 1930.

Divers mouvements de jeunesse, tels que les scouts, les guides et la Boys Brigade [brigade des garçons] connaissant une popularité croissante vers 1937, Frederick Ney se tourne vers les élèves plutôt que les professeurs. Mais contrairement à la plupart des autres dirigeants de mouvements de jeunes, Frederick Ney, dont l’élitisme n’a jamais fléchi, entend offrir aux « bons » types d’adolescents les outils dont ils ont besoin pour assumer des rôles de leaders au sein de l’Empire.

Frederick Ney et ses collègues rêvent de créer le Mouvement des jeunes de l’Empire. Ils veulent dénicher l’élite de l’Empire et favoriser son développement grâce à un programme de voyages et d’interaction sociale. À leurs yeux, le Mouvement des jeunes de l’Empire saura combattre les dangers que pose la montée du communisme et du fascisme.

Pour lancer ce mouvement, il organise un grand rassemblement de la jeunesse impériale au Royal Albert Hall, le 18 mai 1937. Le temps est à la fête. George VI vient tout juste d’être couronné. Le lendemain du grand rassemblement des jeunes se tient, à l’Abbaye de Westminster, une cérémonie spéciale. Huit mille étudiants, dont 1 500 proviennent de pays d’outre-mer, sont là pour entendre certaines sommités mondiales leur parler de leur rôle au sein de l’Empire britannique. Parmi ces conférenciers figurent sir Stanley Baldwin, premier ministre de Grande-Bretagne, le poète Alfred Noyes et sir Firoz Khan Noon, haut-commissaire de l’Inde en Angleterre.

Le rassemblement et la cérémonie du lendemain marquent le sommet de la carrière de Frederick James Ney. Mais comment miser sur ces succès de mai 1937 et donner des assises plus permanentes au mouvement des jeunes de l’Empire, dépourvu d’objectifs précis, en ces temps de tensions internationales croissantes qui vont mener à la Deuxième Guerre mondiale, sans compter les problèmes de santé qui affligent toujours le fondateur ? Le major Ney n’est certes pas à court d’idées pour donner au mouvement une identité propre. Il songe à un magazine pour les jeunes, à des bourses d’études, à des échanges, à des ligues de loisirs et même à la construction d’une « cité des jeunes » – un complexe qui serait érigé à Londres et où les étudiants étrangers pourraient résider, au cœur de l’Empire, et s’immerger dans la culture impériale. Mais la plupart de ces projets ne se concrétiseront jamais. Une seule de ses idées connaîtra un réel succès : celle d’un dimanche de la jeunesse impériale, une journée annuelle où des jeunes de tout l’Empire se rassembleront, dans leur pays respectif, afin de célébrer le privilège que leur procure l’Union Jack. Ces dimanches de la jeunesse deviennent un important rendez-vous pendant les années de guerre, et se poursuivront, sur cette lancée, jusqu’en 1964.

Pendant toute cette guerre, Frederick Ney voyage sans relâche pour donner des conférences, au Canada d’abord, puis dans toute l’Angleterre, à titre d’employé du ministère de l’Information. Bien sûr, il met en valeur dans ces discours les nombreuses vertus de l’Empire britannique et cherche à aviver le patriotisme dans le cœur de ses auditeurs. Mais il constate souvent, à son grand désarroi, l’ignorance et l’apathie qui règnent au sujet de l’Empire. Peu importe ! Il n’en est que plus déterminé à relancer le mouvement des jeunes de l’Empire quand la guerre prendra fin.

À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’organisation géopolitique du monde est totalement bouleversée et l’Empire britannique s’effrite. Le major Ney n’en reste pas moins fidèle à ses idéaux impérialistes. Durant cette dernière partie de sa vie, il navigue seul, à contre-courant. Dans les cercles raréfiés qu’il fréquente, ses idées n’ont plus la cote. Même la Reine d’Angleterre le laisse tomber, abandonnant la désignation qui lui était chère, celle de l’Empire britannique, au profit d’une enseigne plus inclusive : celle du Commonwealth.

La Guerre froide marque de nouveaux horizons, où Frederick Ney craint que l’« instrument de la mort », le communisme, n’entraîne la fin de la civilisation occidentale si la Grande-Bretagne refuse d’assumer le leadership que veulent lui voir exercer tant de pays du monde.

Le nouveau Commonwealth Youth Movement [mouvement des jeunes du Commonwealth] fait acte d’allégeance à Dieu puis à la Reine, montrant ainsi clairement que le mouvement créé par le major Ney s’oppose diamétralement à tous les aspects de l’organisation de la jeunesse communiste. Il veut en faire essentiellement un mouvement spirituel, puisqu’à ses yeux le communisme est une religion qu’il faut combattre avec des armes spirituelles. Mais, malgré sa ténacité, la plupart des rêves et des projets du major Ney concernant son mouvement de jeunes ne prendront jamais forme. Vers la fin des années 1950, son message impérialiste était de moins en moins pertinent auprès des jeunes du Commonwealth, quand il n’était pas carrément perçu comme une offensive irrecevable.

Frederick James Ney connaîtra quelques années de paix relative à la fin de sa vie, malgré les maigres résultats de ses immenses efforts de promotion de l’Empire. De son grand rêve impérialiste, il ne nous reste que quelques activités, quelques bourses d’études pour les jeunes.

Renseignements au sujet des prochaines présentations Savoir-Faire : www.nlc-bnc.ca/1/9/index-f.html