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Canadian Conference of the Arts

CCA Bulletin 25/07

Du bureau d'Alain Pineau

Directeur général

Conférence canadienne des arts

Ottawa, 19 juillet 2007

ILe rapport du groupe de travail du CRTC sur la crise au Fonds canadien de télévision : une capitulation inconditionnelle devant les entreprises de distributions

Le groupe de travail du CRTC sur le Fonds canadien de télévision (FCT) a publié son rapport le 29 juin dernier, juste avant la longue fin de semaine de la fête nationale et le début des vacances. Les parties intéressées à participer à cette consultation ont jusqu’au 27 juillet pour faire connaître leur point de vue sur les 24 recommandations du groupe de travail, dont l’une d’entre elles propose que le CRTC applique ces recommandations pour le 15 septembre afin de « mettre sur pied un volet de financement du secteur privé axé sur le marché » au FCT.

 

Formé au point culminant de la « crise du Fonds canadien de télévision » afin de tenter de d’établir, derrière des portes closes, des consensus sur la manière de résoudre la situation créée par la suspension unilatérale des versements mensuels au fonds par deux importants câblodistributeurs, Shaw et Vidéotron, le groupe de travail s’est concentré sur « l’utilisation la plus efficace des contributions obligatoires des entreprises de distribution de radiodiffusion ».

 

Le groupe de travail mentionne laconiquement en page 13 de son rapport que le seul consensus qu’il a été possible de dégager fut au sujet de la nécessité pour le CRTC de modifier le règlement sur la distribution de radiodiffusion (règlement sur les EDR) de manière à ce que les câblodistributeurs et autres distributeurs soient tenus d’effectuer leurs paiements sur une base mensuelle plutôt qu’annuelle. Ce point faible de la réglementation a été utilisé par Shaw et Vidéotron pour tenir en otage le Fonds canadien de télévision au cours de l’hiver dernier.

 

Le manque total de consensus n’empêche pas le groupe de travail d’émettre 23 autres recommandations qui semblent satisfaire la plupart des demandes de Shaw et Vidéotron en ce qui concerne le rôle et le fonctionnement du FCT et affectent considérablement le rôle du Fonds en tant qu’instrument du ministère du Patrimoine canadien favorisant la production et la distribution de programmation audiovisuelle distinctement canadienne.

 

Les principales recommandations du groupe de travail du CRTC sont les suivantes :

  • Demander au FCT de crée « un volet distinct de financement du secteur privé davantage axé sur le marché » avec l’argent remis par les EDR, pour permettre la production d’émissions de télévision commerciales sur la base de « principes directeurs simples et souples » et de critères moins sévères quant au contenu culturel canadien.
  • D’inviter le CRTC à modifier le règlement sur la distribution de radiodiffusion (règlement sur les EDR) d’ici au 15 septembre afin que le succès auprès de l’auditoire devienne le « facteur déterminant d’un financement continu » dans le cadre du « volet distinct de financement du secteur privé davantage axé sur le marché » et que les critères d’admissibilité du contenu canadien soient abaissés
  • De remettre à janvier 2008 toute modification du règlement sur les EDR qui aurait pour but de les forcer à faire leur « contribution » au FCT sur une base mensuelle
  • D’augmenter les frais de licence des radiodiffuseurs afin d’aider à augmenter les programmes de financement
  • De retrancher 25 million $ de l’actuel FCT, déjà insuffisant, « pour appuyer les émissions canadiennes destinées aux projets de nouveaux medias »
  • Demander au CRTC qu’il « modifie sa politique à l’égard des fonds de production indépendants agréés (Note : ceux-ci sont déjà sous le contrôle des EDR) de façon à offrir toute la souplesse nécessaire pour venir en aide aux projets de nouveaux médias »
  • D’exclure les représentants des producteurs indépendants du conseil d’administration du FCT tout en consolidant la position des EDR grâce au processus de nomination et d’ajouter un siège pour le second distributeur par satellite pour ainsi résoudre l’impasse qui persiste entre Shaw et Bell

 

Le groupe de travail poursuit en proposant un échéancier très serré pour la mise en place de ses suggestions, lesquelles incluent des changements dans la manière dont le FCT agit en tant qu’instrument de la politique culturelle canadienne.

Lors de son analyse du rapport du groupe de travail du CRTC, la Conférence canadienne des arts (CCA) s’est concentré sur trois différents éléments du processus de développement des politiques publiques :

  • La transparence du processus
  • La cohérence avec le cadre et les objectifs des politiques publiques existantes
  • La responsabilité dans la gestion des fonds publics et des résultats mesurables

La CCA a examiné le rapport du groupe de travail à l’aune de ces trois éléments. Dans son mémoire présenté devant le comité permanent du patrimoine canadien, la CCA s’était déjà prononcé contre le fait que le processus se déroulerait derrière des portes closes.

Le groupe de travail invoque une urgence d’agir – aucunement démontrée jusqu’à maintenant – pour imposer un échéancier incroyablement court pour implanter des changements fondamentaux à un système conçu pour appuyer la production de contenu audiovisuel véritablement canadien et ne répondant pas aux impératifs commerciaux. Cela est particulièrement inquiétant étant donné le rôle d’intendance qui est dévolu au CRTC dans la mise en œuvre des objectifs de la politique publique contenue dans la loi sur la radiodiffusion.

Les conclusions du groupe de travail les plus surprenantes sont les suivantes :

  • Après avoir reconnu l’importance vitale du FCT pour la production de contenu audiovisuel culturel canadien, le groupe de travail semble épouser la vision de Shaw en ce qui a trait à une bonne programmation en suggérant de donner aux EDR le contrôle sur « le volet de financement du secteur privé axé sur le marché ». Si on appliquait cette logique à l’impôt sur le revenu des particuliers, chaque payeur d’impôt pourrait déterminer quel usage doit être fait de ses impôts pour ainsi maximiser ses bénéfices personnels.
  • En suggérant de diviser le Fonds en deux secteurs et en considérant le succès commercial comme souverain par rapport aux objectifs culturels du FCT, le groupe de travail agit comme si les directives du ministre de l’Industrie au CRTC concernant les décisions en matière de télécommunications (i.e. de donner la priorité aux considérations de marché plutôt qu’à toute autre considération édictée par le parlement dans la loi sur les télécommunications) s’appliquaient de manière équivalente dans le cadre de la loi sur la radiodiffusion. Aucune directive de la sorte n’a pourtant été donnée par la ministre du Patrimoine canadien, responsable du CRTC pour ses activités relevant de la loi sur la radiodiffusion.
  • Les suggestions du groupe de travail auraient pour effet de diminuer l’argent disponible pour la programmation de contenu canadien qui se fraie un chemin dans la grille horaire du radiodiffuseur public. Connaissant l’hostilité affichée des câblodistributeurs envers le fait que Radio-Canada/CBC a un accès garanti au Fonds, qui pourrait croire l’assertion du groupe de travail qui stipule que la SRC « devrait avoir accès au volet de financement du secteur privé pour les projets qui rencontrent les conditions requises ».
  • Outrepassant son mandat premier, le groupe de travail s’égare dans les eaux troubles du droit d’auteur pour suggérer qu’en ce qui concerne les nouveaux médias, les radiodiffuseurs et producteurs devraient trancher la questions des droits, « à titre provisoire » au moins, en se partageant en parts égales (à 50/50) les revenus nets – sans égard aux droits que peuvent détenir d’autres parties – lorsque ceux-ci provient d’une distribution via les nouveaux médias.
  • Sur la question de la gouvernance et des conflits d’intérêt, le groupe de travail reconnaît d’abord que contrairement aux accusations portées par les câblodistributeurs, « on n’a cité aucun exemple concret d’un conflit, preuve en bonne partie de l’efficacité des dispositions adoptées par le conseil d’administration pour régler ce genre de problème ». Le groupe de travail note toutefois qu’une étude menée par le cabinet indépendant Renaud Foster mentionne à propos de ces mesures qu’elles constituent « un cadre de référence exhaustif et plus détaillé que ceux qu’on voit dans beaucoup d’autres conseils d’administration où siègent les représentants de l’industrie. »
  • Néanmoins, le groupe de travail recommande que les producteurs indépendants soient exclus du conseil d’administration et qu’un siège de plus soit attribué à un représentant des EDR. En faisant cela, le groupe de travail omet la réalité de la concentration de la propriété, ce qui signifie, en termes pratiques, donner le contrôle du FCT aux conglomérats de propriétaires de licences de diffusion ou de systèmes de distribution. Cela a pour conséquence d’étendre les soi-disant nouveaux médias contre lesquels ils sont considérés en compétition. Plus que cela, même si les nouveaux médias ne contribuent aucunement au FCT, le groupe de travail recommande que 25 millions $ provenant du Fonds soit dédié au développement de contenu pour les nouveaux médias.
  • Reconnaissant que le FCT est sous financé, le groupe de travail suggère de permettre à ces mêmes opérateurs de nouveaux médias d’avoir accès au financement public sans que ceux-ci n’aient à fournir aucune contribution similaire à celle des radiodiffuseurs et autres EDR. Il est encore plus intéressant de remarquer que le CRTC, qui a conclu en décembre dernier, suite à son étude sur l’impact des nouveaux médias sur les radiodiffuseurs traditionnels, qu’il n’était pas nécessaire de réglementer ceux-ci d’aucune manière, puisqu’ils ne constituaient pas encore une réelle menace pour les radiodiffuseurs traditionnels, est maintenant invité amputer son budget de 25 M $ pour subventionner la production de contenu destiné aux nouveaux médias.
  • Enfin, le groupe de travail du CRTC évoque la compétition que les mêmes nouveaux médias représentent pour les EDR pour dire, sans avancer de preuves en appui, qu’il «est conscient que les changements qu’il recommande doivent se faire rapidement » – ignorant ainsi la concentration de la propriété dans ce milieu, une question qui doit être examinée par le CRTC à la mi-septembre, alors que les changements au FCT suggérés dans le rapport auront déjà commencé à être implantés.

La principale inquiétude de la CCA est que l’adoption des recommandations du rapport du groupe de travail entraîneraient des changements fondamentaux dans le rôle du FCT, instrument mis au place par le gouvernement pour atteindre les objectifs déterminés par le parlement dans le cadre de la loi sur la radiodiffusion (1991). Ces changements se feraient sans un processus juste, ouvert, transparent et responsable comme on est en droit de s’attendre de la part du CRTC en tant que gérant de la loi sur la radiodiffusion.

Comme l’affirmait M. Douglas Barrett, président du conseil d’administration du FCT, le 8 février, lors de la session d’ouverture des audiences parlementaires sur la crise du FCT :

« La question à examiner en fait aujourd'hui est la suivante : qui doit être le principal responsable du choix et de la conception des structures appropriées pour soutenir la production télévisée au Canada avec les ressources publiques? Le débat doit-il être mené par le Parlement, par les ministres et par les fonctionnaires, avec l'aide de l'organisme de réglementation concerné, ou alors par les groupes d'intervenants du secteur privé, avec les leviers financiers dont ils disposent? »

Si l’on doit suivre les recommandations du groupe de travail du CRTC, la réponse est très claire.

Que puis-je faire ?

La CCA travaille présentement à l’élaboration du mémoire qu’elle soumettra au CRTC en regard du rapport du groupe de travail sur le FCT. Ce mémoire sera rendu disponible aussi tôt que possible. Vous pouvez faire connaître votre point de vue au CRTC :

  • En utilisant le formulaire d’intervention/observations – radiodiffusion

  • Par la poste à CRTC, Ottawa, Ontario K1A 0N2

  • Par télécopieur au 819-994-0218

 

Au minimum, vous pourriez demander que le CRTC entreprenne immédiatement de changer le règlement sur la distribution de radiodiffusion (règlement sur les EDR) afin d’empêcher Shaw et Vidéotron de répéter leur tactique offensive de l’hiver dernier, une menace qu’ils ont réitéré à la veille de la publication du rapport.