Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 20, 1972

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Le choléra à Québec 

par Sylvia Giroux

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Les plans du tableau Le choléra à Québec sont multiples: le ciel de nuit tourmenté et presque apocalyptique éclairé par la lumière crue de la pleine lune occupe la moitié supérieure de la toile. Le registre du milieu comprend l'architecture dégagée des personnages à la manière d'un décor de théâtre. (25) Au premier plan, la foule à la fois désespérée et courageuse qui s'agite n'est pas sans rappeler les Hollandais et les Flamands de l'École du Nord que Légaré aurait pu étudier dans sa collection personnelle dont l'inventaire est encore à faire.

L'élément architectural présente une particularité. M. Pierre Théberge, conservateur à la Galerie nationale, a remarqué que dans la gravure de Robert Auchmety Sproule [Athlone (Irlande), 1799 - Haut-Canada, 1845, La Place du marché et l'Eglise catholique, Québec publiée en 1832 d'après l'original, lui-même exécuté en 1830 (voir fig. 6), la rue de la Fabrique est représentée dans le même angle de vision que le tableau de Légaré: jusqu'à la porte droite de la cathédrale qui est entrebâillée à peu près au même degré d'ouverture, et les aiguilles de l'horloge qui se sont arrêtées (9 heures chez Légaré) à la même heure. Légaré aurait-il connu la gravure de Sproule et s'en serait-il servi? C'est sûr: les similitudes de l'aspect architectonique sont évidentes. Mais, il faut ajouter que chez Sproule la scène qui se déroule sur la place du marché de la haute-ville se passe le jour, dans le calme et l'absence de drame alors que chez Légaré, la tragédie que fut la peste à Québec et qui motive l'action de tous les personnages du tableau est reproduite la nuit suivant un style fortement romantique.

Au premier plan, à gauche, un groupe de personnes dont on ne peut identifier les gestes se trouve devant les bâtiments du marché de la haute-ville de Québec. Tout près, à droite, un personnage habillé d'un long vêtement noir, portant un haut bonnet également noir et tenant une valise, court vers quelque but inconnu (voir fig. 7). À ses côtés, un homme s'affaisse dans la rue, subitement frappé par la peste. Toujours vers la gauche du tableau mais à l'arrière-plan, se trouve la Basilique de Québec longeant la rue Buade qui débouche sur la place du marché, lieu des événements dramatiques représentés par le peintre. Un prêtre accompagné de deux suivants sort par la porte droite de la Basilique: il s'en va administrer l'extrême-onction. Le clocher que l'on aperçoit au fond à droite est celui de la cathédrale anglicane.

L'éclairage provient surtout de la lune, et aussi des nombreuses fumigations qui brûlent devant les maisons et la Basilique: « Les soirs on a brûlé dans presque toutes les rues des matières bitumineuses ». (26) C'est là un bel exemple de la médecine et de l'hygiène de l'époque. Un autre remède ou préventif est également décrit dans Le Canadien de Québec: « Aujourd'hui il a été tiré une quarantaine de coup de canon, comme moyen sanitaire, et on dit qu'on va continuer à tirer ainsi du canon chaque jour, pour donner à l'air une secousse salutaire ». (27) À l'avant-droite, une charrette emporte les mourants et contribue à donner un aspect macabre au tableau: «...Toujours est-il qu'il est urgent que les citoyens soient soulagés du spectacle affligeant du danger, peut-être des charriots chargés de colériques, traversant la ville d'un bout à l'autre...». (28) Derrière, au fond, un fourgon funèbre suivi par un cortège de gens vêtus de noir, des immigrants irlandais: « The Irish were about the only ones to accompany the mortal remains of their relatives or friends to the grave ». (29) Tous ces êtres évoluent dans une atmosphère pénétrée de tragédie: la mort est partout présente.

La lecture du tableau soulève plusieurs difficultés. On ne peut identifier certains des personnages. À gauche, par exemple, un homme debout, vêtu de noir, non sans une certaine élégance, étend le bras droit et pointe du doigt, au-dessus d'un petit groupe de gens consternés, la charrette qui emporte les cholériques. Légaré a-t-il fait des croquis sur les lieux mêmes de la scène? S'il a fui à la campagne comme beaucoup de citadins pendant l'épidémie de choléra, le réalisme impressionnant de son tableau peut laisser supposer qu'il en aurait vécu certains épisodes. Pour ce qui a trait aux personnages et à l'action en général, la toile donne l'impression d'avoir été peinte sur le vif. La composition, bien que ce soit un tableau de nuit, est équilibrée cn ce qui concerne la lumière et la couleur: les tons de noir, de bleu nuit, de bitume sont éclairés par le blanc de la lune et des nuages. Le jaune ocré des feux fumigatoires se reflète dans les vitres des maisons et se remarque aussi aux bonnets de quelques personnages du premier plan. La touche de l'artiste est mince et légère.

Le tableau est actuellement en bon état de conservation, bien que de nombreuses et fines craquelures (« traction cracks ») soient visibles. Il a été rentoilé il y a quelques années et plusieurs couches de vernis ont été ajoutées, ce qui lui donne un fini brillant. Selon certaines évidences quelques retouchcs ont été effectuées. Il n'y a aucune inscription au revers.

Le choléra à Québec
est un tableau saisissant parce qu'il rend le tragique de l'événement avec une précision et une intensité qui font de cette oeuvre l'une des plus intéressantes et des plus romantiques de la peinture canadienne du XIXe siècle.

Peintre canadien entièrement intégré à son milieu et patriote convaincu, Légaré ne pouvait manquer de partager avec ses compatriotes les faits marquants du terroir, les drames et les malheurs de son époque et d'en tirer par son talent et sa sensibilité une expérience esthétique. Il est le premier à le faire au Québec et, en ce sens, est à la tête de cette génération artistique de Canadiens vraiment enracinés dans le sol d'Amérique qui participent directement du milieu et du paysage du Nouveau-Monde.

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