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Étude sur une statue en argent de Salomon Marion
par Jean Trudel
English Summary
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En 1962, M. E. E. Poole d'Edmonton faisait don à la Galerie
nationale du Canada d'une statue d'aergnt représentaent la Vierge
Marie (voir fig. I). Cette oeuvre qui porte les poinçons de l'orfèvre
Salomon Marion [Lachenaie, 1782-Montréal, 1830] est unique dans
l'orfèvrerie canadienne ancienne. Nous n'avons pu, jusqu'à ce
jour, en retracer aucune autre du genre. Contrairement à la plupart
des oeuvres d'orfèvrerie religieuse canadienne d'autrefois, elle ne
remplit aucune fonction liturgique précise: elle a une fonction
essentiellement spirituelle. Pour la mieux situer dans son contexte,
nous avons cru bon de procéder à une étude aussi complète que
possible de tous les problèmes qu'elle suscite.
La statue d'argent repose sur un piédestal de bois sculpté peint
en noir (voir fig. 2). (1) Ce piédestal, en plus de porter une plaque
d'argent sur laquelle le nom Marie s'inscrit en relief, se
termine à la manière d'un chapiteau ionique. Autrefois employé
par les sculpteurs du Québec, l'ordre ionique avait une signification particulière dont nous pouvons trouver
l'explication dans le Précis d'architecture pour servir de suite au
traité élémentaire de physique à l'usage du Séminaire de
Québec,
oeuvre manuscrite de l'abbé Jérôme Demers [Saint-Nicolas,
1774- Québec, 1853], conservée aux Archives du Séminaire de Québec
et datée de 1828.
On peut y lire le passage suivant:
...Les Grecs étant passés dans l'Asie mineure sous la conduite
d'Ion, un de leurs chefs, voulurent élever un temple magnifique à
Ephèse en l'honneur de Diane. Ils cherchèrent, pour décorer ce
monument, un nouvel ordre d'Architecture qui, sans être moins régulier
que le Dorique, offrît un genre de beauté plus délicate, et qui fût
susceptible de recevoir plus d'ornemens. Comme l'ordre Dorique
avait été déterminé sur le corps de l'homme, ils imaginèrent de
régler les proportions du nouvel ordre sur la taille plus délicate
des femmes Grecques. Poussant loin l'imitation, ils copièrent les
boucles de leurs cheveux, ce qui donna lieu aux volutes du
chapiteau, et ils cannelèrent les colonnes pour imiter les plis de
leurs vetemens. Ce nouvel ordre fut nommé Ionique.
(2)
Il devient évident ici qu'on a associé, consciemment ou non, à
travers la de la base de la statue d'argent, Diane, la vierge de la
mythologie grecque et romaine, et la Vierge Marie. On les représente
souvent d'ailleurs avec le même attribut, le croissant.
Debout sur son piédestal, la Vierge Marie est représentée
les mains croisées sur la poitrine, la tête légèrement tournée
vers la droite et penchée vers le sol. Cette attitude correspond très
précisément à l'iconographie de l'Immaculée Conception qui est
représentée non pas les yeux vers le ciel, comme l'Assomption,
mais les yeux baissés vers la terre. (3) C'est l'image de la Vierge
conçue sans péché dans la pensée de Dieu depuis toute éternité
et descendant vers la terre; l'iconographie du thème s'est développée
dans la religion catholique romaine surtout à partir du XVIe siècle
pour répondre aux objections soulevées par Luther et Calvin. (4) Ce
n'est cependant que le 8 décembre 1854 que le pape Pie IX proclama
le dogme de l'Immaculée Conception. En Nouvelle-France, cette dévotion
s'était répandue, par l'intermédiaire des Jésuites, entre
autres, dès le XVIIe siècle. (5) À Québec, lorsqu'on décida, le 8
octobre 1645, de construire l'église paroissiale, il fut stipulé
qu'elle le serait « en l'honneur de la Très Sainte Vierge Mère de
Dieu, Sous le titre de Notre-Dame-de-la-Conception, qui est la
patronne titulaire de la paroisse de Québec ». (6)
L'église Notre-Dame de Québec, détruite une première fois lors
du bombardement de la ville de Québec en 1759, le fut à nouveau,
le 22 décembre 1922, par un incendie. Elle contenait avant cet
incendie un grand tableau, l'Immaculée Conception, qui nous
est connu par une photographie (voir fig. 3) de Jules Livernois
prise à la fin du XIXe siècle. (7) On disait de ce tableau qu'il était
peint « d'après Murillo, copié dans le style de Lebrun ». (8) La
Vierge y était représentée dans la même attitude, à peu de
choses près, que celle de la Vierge en argent de Solomon Marion. Le
traitement iconographique du sujet était évidemment plus
complet. On peut le rapprocher de la description suivante tirée
de Louis Réau:
Mais c'est à l'art baroque du XVIIe siècle que revient le mérite
d'avoir créé le type définitif de l'Immaculée Conception. Débarrassée de tous les symboles des Litanies dont
l'avaient surchargée les théologiens, entourée seulement par
les anges, elle plane dans une gloire céleste sur un croissant de
lune. Parfois, pour rappeler sa victoire sur le péché
originel,
ses pieds, posant sur le globe, écrasent la téte du Serpent
tentateur. (9)
En 1797, ce tableau avait été restauré par François Baillairgé
[Québec, 1759- Québec, 1830] pour être ensuite installé
au-dessus du maitre-autel de Notre-Dame. (10) Il devait avoir une
certaine importance puisqu'en 1835 le peintre Joseph Légaré [Québec,
1795- Québec, 1855] demandait aux marguilliers « la permission de
prendre une copie du tableau de la Conception de la Ste Vierge »,
s'obligeant en retour de lui faire certaines
« réparations ». (11)
C'est là un exemple, célèbre à Québec au XIXe siècle, de
l'iconographie de l'Immaculée Conception connue à partir d'oeuvres européennes importées.
Au bas de la statue donnée à la Galerie nationale, l'orfèvre
Salomon Marion a apposé ses poinçons, sur trois des côtés (voir
fig. 4). Salomon Marion est né à Lachenaie, près de Montréal, en
1782. (12) Le 23 juillet 1798, il a alors seize ans et demi, son père
le met en apprentissage jusqu'à l'âge de vingt et un ans révolus
chez Pierre Huguet dit Latour [Québec, 1749- Montréal, 1817] maitre
orfèvre à Montréal. (13) Marion commence à exercer son métier vers
1804 et se marie à la veuve du navigateur Charles Olivier en
1817. (14) Sa carrière est assez brève puisqu'il meurt subitement en
1830, le 31 octobre. (15) Le 10 mars 1831, sa veuve fait paraître
dans La Minerve l'annonce suivante:
Madame Marion prends la liberté d'informer Messieurs les Curés et
les amis de Jeu Mr. Marion, qu'elle a changé sa résidence, et
demeure maintenant chez Madame Millette, dans la maison où se
tient l'imprimerie de La Minerve; et aucun ordre, qu'il lui
sera confié pour tout ouvrage d'Eglise et Orfèvrerie seront exécutés
à l'ordinaire, et à des prix très modérés. Elle a encore en
mains une quantité d'ouvrages dans la branche ci-dessus, et autres
Argenteries exécutés par feu Mr. Marion. (16)
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