Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 2, 1978-1979

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Les tableaux de Charles Huot 
à l'église Saint-Sauveur

par Sylvain Allaire

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L'artiste qui pourtant avait pu voir de meilleurs modèles, ayant peut-être été mêlé à l'exécution des oeuvres de Paul Baudry à l'Opéra de Paris et ayant copié des scènes du vaste projet Philosophie de l'Histoire de Paul Chenavard, n'a pas montré à Saint-Sauveur un grand effort d'originalité. Même si l'étude des comparaisons iconographiques n'est pas complétée, on peut facilement constater l'éparpillement des sources. De La Transfiguration de Raphaël tronquée du « hors d'oeuvre du pied de la montagne », on passe à L'Enfer (fig. 5) de Paul Chenavard prévue pour la décoration du Panthéon.(13) La Fin du Monde ressemble étrangement à un tableau romantique du peintre russe Karl P. Brioullov, Le dernier jour de Pompéi (1828-1830). (14) On trouve dans Le Jugement Dernier (figs. 7, 8) quelques mêmes personnages que dans le Jugement (fig. 9) de Peter Cornelius. (15) La Nativité et La Résurrection qui connaîtront plusieurs variantes dans la carrière de Huot, sont assez près des compositions du Dominiquin et de Del Sarto. Les trois tableaux du choeur ayant disparus lors d'une « restauration » en 1943, une ancienne photographie reproduite à l'occasion du soixante quinzième anniversaire nous permet à peine de deviner les compositions. Fréchette qui le commente peu n'est pas très enthousiaste quant à leur style « un peu conventionnel ».

Saint-Sauveur ne fut pas pour Huot l'occasion d'exercer un talent de décorateur mais plutôt un endroit pour placer ses tableaux. Éveillé à la peinture d'histoire par l'exemple de son maître Alexandre Cabanel à l'École des beaux-arts de Paris, il ne semble pas l'avoir encore beaucoup pratiquée. Le seul tableau religieux-historique qu'on lui connaisse alors est Le Bon Samaritain (1877). (16) Il a cependant beaucoup dessiné et produit nombre de paysages, scènes et figures. Sa formation académique l'a aussi « entraîné » à imiter « l'exemple des anciens » et ce par la pratique de la copie. On peut reprocher à Huot un usage assez exclusif de ce moyen pour répondre à la commande de Saint-Sauveur. De plus il n'avouera ni n'expliquera jamais la source de ses oeuvres et par là seule La Transfiguration (fig. 6), tout de même trop célèbre, sera reconnue comme copie. C'est justement dans cette oeuvre qu'on lui reconnaît un talent 
d'« imitateur »:

Le dessin est fidèlement suivi, mais les couleurs ne sont pas les mêmes. Cette clarté un peu froide, un peu grisaille, au milieu de laquelle flottent et se nimbent les trois principales figures du tableau original, est remplacée ici par un coloris neuf, admirable de finesse et de délicatesse de teintes, qui répand je ne sais quel frissonnement harmonieux dans l'envolé des draperies. Il y a du rêve dans cette peinture. En la regardant on s'imagine apercevoir comme une musique, comme des lambeaux de mélodie douce et berçante qu'un génie aurait figée sur la toile, avec la légèreté des reflets que le soleil brode aux franges des nuages. Huot aurait donc embelli Raphaël, me direz-vous. Non, sans doute, mais il l'a imité avec une suprême intelligence. (17)
En plus de l'imitation Huot pratique comme ille dit lui-même « l'art des sacrifices » dans ses compositions. Ainsi Le Paradis (figs. 1, 2) n'est pas assez peuplé au goût de Fréchette qui juge cependant cette restriction nécessaire au but décoratif: « un entrelacement de figures, un fouillis de têtes, une plus grande complexité d'effets, eussent été une faute. Il aurait fallu multiplier les modèles, les raccourcis, l'enchevêtrement des perspectives linéaires, ce qui aurait alourdi la composition, écrasé l'entourage et fait heurt dans l'harmonie générale ». (18) Fréchette reconnaît beaucoup de qualité à l'exécution de la décoration de Huot. De même pour son sentiment artistique: « il lui suinte par tous les pores. Sous son pinceau discret et robuste flotte le rêve d'une âme vibrante, tantôt tendre et tantôt fougueuse, qui donne la sensation d'un poème à la fois doux et viril. Tout ce qu'il fait peut ne pas toujours être irréprochable; c'est toujours vécu. Ajoutons que c'est toujours poétique ».(19) Ajoutons encore que les fameuses images avaient déjà éveillées les âmes poétiques de Charles Baudelaire (20) et surtout celle de Théophile Gautier (21) devant L'Enfer de Chenavard et que Gogol s'enthousiasma devant Le dernier jour de Pompéi de Brioullov. (22)

Après Fréchette on est tenté de porter une critique un peu plus sévère et celle-là même que fit Huot devant un autre essai de représentation religieuse: « Dans une collection aussi considérable [La Vie du Christ par James Tissot] il ne faut pas s'étonner de rencontrer beaucoup d'inégalités, de défaillances. Il y a dès choses parfaites. Il y a des scènes qui sont plus étudiées, plus travaillées. Mais comment le talent de l'artiste eût-il pu se soutenir à la même hauteur tout le long de cette oeuvre prodigieuse? Comment son inspiration eût-elle pu être également heureuse? Il est tout naturel que certaines scènes trahissent la sécheresse, la fatigue de l'esprit ». (23) Huot a-t-il mieux réussi à revivifier le « grand genre » religieux? (24)

L'imposant ouvrage de Charles Huot occupe une place ambigüe dans 1'histoire de notre peinture religieuse. Plus éclectique que ne le fut Napoléon Bourassa, Huot par son besoin de s'appuyer sur des modèles trop souvent contradictoires mais aussi par son manque de sentiment personnel, n'atteint jamais à l'interprétation sensible d'Ozias Leduc. (25) Les vastes toiles de Saint-Sauveur bien qu'elles forment un ensemble équivoque assez mal adapté à la gravité des sujets et au cadre architectural témoignent d'un laborieux effort académique et restent un des rares documents encore in situ de décors religieux monumentaux de la fin du XIXe siècle.

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