Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 2, 1978-1979

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Une très rare tazza romaine 
christianisée et néo-classicisée

par Philippe Verdier

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La Galerie nationale du Canada a acquis, en 1976, un objet d'un très grand intérêt tant par sa beauté que par sa métamorphose au cours des siècles. Il s'agit d'une coupe avec anses, une tazza, remontant au haut empire romain, et qui est façonnée dans de l'agate brune ocellée, (1) de la variété appelée onyx indien par Pline l'Ancien (2) (voir figs. 1-4). Elle fut transformée en vase liturgique à l'époque paléochrétienne et, sous Napoléon 1er, adaptée en lampe à huile dans une monture en vermeil et or moulu. C'est ainsi qu'elle fut présentée, à Londres en 1972, dans l'exposition The Age of Neo-Classicism, organisée sous les auspices du Conseil de l'Europe, (3) et appartenait à Fabrizio Apolloni de Rome.

Auparavant, elle avait été dans la collection de J. Pierpont Morgan, le grand financier et collectionneur américain. En 1909, à la suite de l'adoption de la loi Payne-Aldrich (dispenant les droits d'entrée aux oeuvres d'art) par le Congrès des Etats-Unis, Morgan avait décidé de rapatrier les richesses qu'il avait accumulées en Europe. Entre la fin de 1911 et le 31 mars 1913, date de la mort de Morgan à Rome, 351 caisses furent expédiées en franchise de Londres à New York. La fabuleuse collection qui comprenait plus de 4100 objets d'art, fut entreposée dans le sous-sol du Metropolitan Museum of Art. En juin 1914, toute la collection fùt exposée en ce musée. Cependant, le Metropolitan n'en retint que quelque 3000 pièces pour ses collections. Le reste, dont la tazza de la Galerie nationale, fut vendu afin de payer les droits de succession. (4)

La tazza est profilée en coupe plate, avec un pied et deux anses, dont une qui a été brisée avec sa partie attenante. La monture néo-classique dissimule le dégât; l'agate, elle aussi brisée, fut réparée. Il n'existe aucun terme latin pour décrire exactement cette forme de tazza. Patera (patère) est le mot le plus rapproché, car il désigne un vase plat et largement ouvert, (5) bien que la patère des Latins fût une écuelle sans anses pour faire des libations de sang ou de vin sur l'autel des dieux. On a trouvé, cependant, dans les catacombes de Saint-Calixte dans la campagne romaine une patère de verre, ou calice plat du Ive s., avec anses en S attachées sous la lèvre. (6) Notre tazza pourrait aussi bien être appelée une kylix, ou coupe à pied court, qui serait de la catégorie des vases d'apparat façonnés pour la montre, mais sans fonction religieuse ou utilitaire définie, et relèverait du goût alexandrin.

C'est d'Alexandrie et de l'Orient que vint à Rome cette mode de la vaisselle d'apparat, faite de métaux précieux ou de gemmes, montées ou non en or ou en argent. Citant le philosophe et historien Posidonius, qui naquit à Apamée de Syrie vers 135 av. 
J. C., Athénée note dans son Banquet des sophistes qu'il existait des gobelets à boire de tailles diverses, skyphoi, faits en onyx. (7) Pline l'Ancien souligne que ce genre de vaisselle fut introduit par Pompée lors de son défilé triomphal dans les rues de Rome après la victoire sur Mithridate VI en 61 av. J. C. (8)

Selon Appien, le questeur aurait mis tout un mois à inventorier le butin rapporté par Pompée, (9) La collection de gemmes (dactyliothèque: étymologiquement, collection de bagues) fut déposée au trésor du temple de Jupiter sur le Capitole. On aurait pu remplir neuf crédences avec la vaisselle d'or et les gemmes affichées au triomphe de Pompée. (10) Plus tard, César dédia six dactyliothèques dans le temple romain de Venus Genitrix, et le fils d'Octavie, Marcellus, en dédia une dans le temple d'Appolon sur le Palatin. (11) Après la victoire d'Actium , en 31 av. J. C., le trésor des Ptolémées tomba entre les mains d'Auguste; (12) ce trésor était fort riche en vases taillés dans des pierres précieuses ou fines, parfois ornés en reliefs sculptés de scènes mythologiques, et en cristaux de roche. Avec l'instauration de la paix romaine sous Auguste) les tailleurs de gemmes, gemmarii, affluèrent de la Grèce, de l'Egypte et de l'Orient dans les provinces occidentales de l'empire romain. Là, ils s'organisèrent en corporations et fondèrent des ateliers dynastiques à Tarente, à Aquilée et, plus tard, à Cologne et à Trèves. (13)

L'anse subsistant de la tazza fournit un élément précieux de datation. Elle consiste en un anneau pour passer le pouce et en une saillie plate où reposer l'index et le majeur, et se termine en ergot. Un élégant rinceau la rattache à la lèvre. Des anses plus petites mais analogues, faites pour être tenues entre le pouce et l'index seulement, distinguent les skyphoi fabriqués en Asie mineure dès le premier siècle avant l'ère chrétienne. (14) Une forme d'anse, presque identique à celle de notre tazza, se voit sur un skyphos alexandrin de la même période, mais en cristal de roche, aujourd'hui au trésor de Saint-Marc de Venise (fig. 5), et sur une tazza en calcédoine du haut empire au palais Pitti de Florence. (15)

La tazza à deux anses de la Galerie nationale répond à une forme de vase qui est apparue sous le règne d'Auguste et dont il existe des exemples en orfèvrerie, comme la vaisselle d'argent de Boscoreale au Louvre, la coupe d'Alésia et la coupe d'argent ciselé à deux anses trouvée en 1868 près de Hildesheim. (16) La grande tazza d'agate, du Trésor de la Couronne du Palais Impérial de Vienne, laquelle a 75 cm de diamètre comparé aux 42,5 de la nôtre (fig. 6), est munie de deux anses aux rinceaux découpés en sarments, dont la facture desséchée, corroborant l'inscription gravée de son auteur, un gemmarius de Trèves du nom de Flabius Aristo, indique une date au début du Ive s., ou sous le règne de Constant le Grand.

Dans les temps postmoyenâgeux, après 1564 (date de la première mention documentée de la grande tazza), et peut-être même dès le moyen âge, l'inscription Fl(a)b(ius)Aristo Tr(eviris) f(ecit) xx p(ondo) était lue B. Christo Ri xxpp, et christianisait la coupe par un contre-sens anachronique. Ceci explique pourquoi on l'utilisa pour conférer le baptême aux archiducs d'Autriche, ainsi qu'il est consigné dans l'inventaire du Palais Impérial, de la Schatzkammer, dressé en 1677. (17)

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