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Une très
rare tazza romaine
christianisée et
néo-classicisée
par Philippe Verdier
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La Galerie nationale du Canada a acquis, en 1976, un objet d'un très grand
intérêt tant par sa beauté que par sa métamorphose au cours des siècles. Il s'agit d'une coupe avec anses, une
tazza,
remontant au haut empire romain, et qui est façonnée
dans de l'agate brune ocellée, (1) de la variété appelée
onyx indien par Pline l'Ancien (2) (voir figs. 1-4). Elle fut transformée
en vase liturgique à l'époque paléochrétienne
et, sous Napoléon 1er, adaptée en lampe à huile dans
une monture en vermeil et or moulu. C'est ainsi qu'elle fut présentée,
à Londres en 1972, dans l'exposition The Age of Neo-Classicism,
organisée sous les auspices du Conseil de l'Europe, (3) et appartenait
à Fabrizio Apolloni de Rome.
Auparavant, elle avait été
dans la collection de J. Pierpont Morgan, le grand financier et collectionneur
américain. En 1909, à la suite de l'adoption de la loi Payne-Aldrich (dispenant les droits d'entrée aux
oeuvres d'art)
par le Congrès des Etats-Unis, Morgan avait décidé
de rapatrier les richesses qu'il avait accumulées en Europe. Entre
la fin de 1911 et le 31 mars 1913, date de la mort de Morgan à Rome,
351 caisses furent expédiées en franchise de Londres à
New York. La fabuleuse collection qui comprenait plus de 4100 objets d'art,
fut entreposée dans le sous-sol du Metropolitan Museum of Art.
En juin 1914, toute la collection fùt exposée en ce musée.
Cependant, le Metropolitan n'en retint que quelque 3000 pièces
pour ses collections. Le reste, dont la tazza de la Galerie nationale,
fut vendu afin de payer les droits de succession. (4)
La tazza est profilée en coupe plate,
avec un pied et deux anses, dont une qui a été brisée
avec sa partie attenante. La monture néo-classique dissimule le
dégât; l'agate, elle aussi brisée, fut réparée.
Il n'existe aucun terme latin pour décrire exactement cette forme
de tazza. Patera (patère) est le mot le plus rapproché,
car il désigne un vase plat et largement ouvert, (5) bien que la patère
des Latins fût une écuelle sans anses pour faire des libations
de sang ou de vin sur l'autel des dieux. On a trouvé, cependant,
dans les catacombes de Saint-Calixte dans la campagne romaine une patère
de verre, ou calice plat du Ive s., avec anses en S attachées sous
la lèvre. (6) Notre tazza pourrait aussi bien être appelée
une kylix, ou coupe à pied court, qui serait de la catégorie
des vases d'apparat façonnés pour la montre, mais sans fonction
religieuse ou utilitaire définie, et relèverait du goût
alexandrin.
C'est d'Alexandrie et de l'Orient que
vint à Rome cette mode de la vaisselle d'apparat, faite de métaux
précieux ou de gemmes, montées ou non en or ou en argent.
Citant le philosophe et historien Posidonius, qui naquit à Apamée
de Syrie vers 135 av.
J. C., Athénée note dans son Banquet
des sophistes qu'il existait des gobelets à boire de tailles
diverses, skyphoi, faits en onyx. (7) Pline l'Ancien souligne que
ce genre de vaisselle fut introduit par Pompée lors de son défilé
triomphal dans les rues de Rome après la victoire sur Mithridate
VI en 61 av. J. C. (8)
Selon Appien, le questeur aurait mis
tout un mois à inventorier le butin rapporté par Pompée,
(9)
La collection de gemmes (dactyliothèque: étymologiquement,
collection de bagues) fut déposée au trésor du temple
de Jupiter sur le Capitole. On aurait pu remplir neuf crédences
avec la vaisselle d'or et les gemmes affichées au triomphe de
Pompée. (10) Plus tard, César dédia six dactyliothèques
dans le temple romain de Venus Genitrix, et le fils d'Octavie, Marcellus,
en dédia une dans le temple d'Appolon sur le Palatin. (11) Après
la victoire d'Actium , en 31 av. J. C., le trésor des Ptolémées
tomba entre les mains d'Auguste; (12) ce trésor était fort
riche en vases taillés dans des pierres précieuses ou fines,
parfois ornés en reliefs sculptés de scènes mythologiques,
et en cristaux de roche. Avec l'instauration de la paix romaine sous
Auguste) les tailleurs de gemmes, gemmarii, affluèrent de
la Grèce, de l'Egypte et de l'Orient dans les provinces occidentales
de l'empire romain. Là, ils s'organisèrent en corporations et
fondèrent des ateliers dynastiques à Tarente, à
Aquilée et, plus tard, à Cologne et à Trèves. (13)
L'anse subsistant de la tazza fournit
un élément précieux de datation. Elle consiste en
un anneau pour passer le pouce et en une saillie plate où reposer
l'index et le majeur, et se termine en ergot. Un élégant rinceau la rattache à la lèvre. Des anses plus petites mais
analogues, faites pour être tenues entre le pouce et l'index seulement,
distinguent les skyphoi fabriqués en Asie mineure dès
le premier siècle avant l'ère chrétienne. (14) Une forme
d'anse, presque identique à celle de notre tazza, se voit
sur un skyphos alexandrin de la même période, mais
en cristal de roche, aujourd'hui au trésor de Saint-Marc de Venise
(fig. 5), et sur une tazza en calcédoine du haut empire au
palais Pitti de Florence. (15)
La tazza à deux anses
de la Galerie nationale répond à une forme de vase qui est
apparue sous le règne d'Auguste et dont il existe des exemples
en orfèvrerie, comme la vaisselle d'argent de Boscoreale au Louvre,
la coupe d'Alésia et la coupe d'argent ciselé à
deux anses trouvée en 1868 près de Hildesheim. (16) La grande
tazza d'agate, du Trésor de la Couronne du Palais Impérial
de Vienne, laquelle a 75 cm de diamètre comparé aux 42,5
de la nôtre (fig. 6), est munie de deux anses aux rinceaux découpés
en sarments, dont la facture desséchée, corroborant l'inscription
gravée de son auteur, un gemmarius de Trèves du nom de Flabius Aristo, indique une date au début du Ive s.,
ou sous le règne de Constant le Grand.
Dans les temps postmoyenâgeux,
après 1564 (date de la première mention documentée
de la grande tazza), et peut-être même dès le
moyen âge, l'inscription Fl(a)b(ius)Aristo
Tr(eviris) f(ecit)
xx p(ondo) était lue B. Christo Ri xxpp, et christianisait
la coupe par un contre-sens anachronique. Ceci explique pourquoi on l'utilisa
pour conférer le baptême aux archiducs d'Autriche, ainsi
qu'il est consigné dans l'inventaire du Palais Impérial,
de la Schatzkammer, dressé en 1677. (17)
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tazza de la Galerie Nationale
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