Accueil
English
Introduction
Histoire
Index annuel
Auteur et Sujet
Crédits
Contact |
Une très
rare tazza romaine
christianisée et
néo-classicisée
par Philippe Verdier
Pages 1
| 2 | 3
La tazza de la Galerie nationale aurait-elle été utilisée
après l'édit de Milan qui, en 313, décrétait la fin de la
persécution contre le christianisme, pour administrer le baptême
par aspersion combiné avec l'immersion dans les fonts baptismaux?
À l'époque paléochrétienne, ses faces concave et convexe
furent intaillées d'un double rinceau de vigne. Celui de la partie
concave jaillit d'un canthare (fig. 2 à 4) dont le dessin et le
tracé du rinceau aux menues feuilles de vigne pointues sont
remarquablement semblables à ceux de la vigne de la mosaïque du
pavé de la chambre sépulcrale chrétienne d'Ancône (fig. 7).
L'inscription de cette mosaïque en explicite le symbolisme: Vinea
facta est dilecta in cornum in loco uberi. (18) Elle est empruntée
au cantique d'Isaïe (5, 1) qui déjà appartenait à la liturgie
paléochrétienne du Samedi saint, comme oraison de la huitième
leçon. Le texte de cette oraison diffère par quelques détails de
la traduction d'Isaïe selon la Vulgate, réalisée par saint Jérôme, et appartient donc à la série parahiéronymienne des textes
liturgiques extraits de la Bible. (19) La vinea dilecta, la
vigne bien-aimée, c'est l'Église du Christ. (20) C'est à l'époque
de la mosaïque, vers la fin du Ive s., que la tazza a dû
être christianisée, l'asymétrie du dessin intaillé de la
vigne mystique indiquant clairement qu'il s'agit d'une
addition. Vu son poids et la difficulté de l'utiliser pour verser
l'eau baptismale en la tenant par les anses, elle n'a pas dû
servir aux aspersions, malgré le rapprochement un peu tardif qu'on
aimerait bien faire entre notre tazza et la grande tazza de
Vienne.
Sur de très nombreux monuments paléochrétiens, le canthare est
à la fois source de vie et calice. Il semble donc que la tazza dut
faire partie de ces vases d'offrandes - offertoria, vasa offertoria
-
souvent en or ou en pierres fines, qui accompagnaient
les calices et les patènes. Primitivement, on y recueillait l'offrande de la messe dans ces vases et ils étaient rapportés de la
sacristie à l'autel au moment de la Préface. (21)
Parmi les plus fameux vases alexandrins, qui parfois étaient sculptés,
leur descendance romaine et byzantine où les gemmes sont la matière
première et qui furent transformés en vases liturgiques ou en
reliquaires, mentionnons la coupe de sainte Cunégonde (trésor de
la cathédrale de Bamberg), celle de sainte Hélène (trésor de la
cathédrale de Trèves), le vase en sardoine (trésor de
Saint-Maurice d'Agaune), la patène en serpentine aux petits
poissons d'or (trésor de Saint-Denis), la « coupe des Ptolémées
», le calice et la navette en sardoine, la grande burette en
agate, disséminés entre la Galerie d'Apollon au Louvre le
Cabinet des médailles de Paris et la National Gallery de
Washington. Une coupe d'onyx, gemme vénitienne montée en or et
offerte, en 1350, par l'empereur Charles IV, se trouve dans le trésor
de la cathédrale de Prague. (22) D'autres pièces ont été montées
à Florence au temps de Laurent le Magnifique. (23) Une tazza d'agate,
maintenant au Louvre, provenant des collections de la couronne de
France et que l'on situe entre le IIe et le IVe s., montre sur
la panse une inscription en belles capitales romaines (gravée à l'époque
carolingienne?): JUSTUS UT PAL(MA) FLO(REBIT), inscription
tirée du Psaume 91, verset 13, de la Vulgate. Une autre tazza fut
trouvée, avec la couronne de sainte Élisabeth de Hongrie, quand
en 1236 l'empereur Frédéric II fit procéder à l'ouverture de
la tombe. (24) Dans l'ambon que l'empereur Henri II avait offert à
la cathédrale d'Aix-la-Chapelle avant 1014, des patères d'agate
furent réutilisées ainsi que des pions d'échiquier en pierre dure
et deux coupes en cristal de roche. Toutefois, après la restauration de 1957, il appert qu'une seule serait
originale. (25)
Au moyen âge, les inventaires d'églises allemandes font mention
d'un urceus [aquamanile] ex onichino, d'un vase
liturgique en prime d'émeraude « Greci operis »,
de calices variés en onyx (agate) ou en pierres fines (in lithin), d'une patera piscea (comme celle de Saint-Denis?) et même d'une navette en forme de crapaud
« de lapide
onochino concavo », avec l'inscription en grec. (26) Henri II
fit don d'une pyxide d'onyx devant servir de ciboire à Saint-Vanne
de Verdun. (27) Une tazza en onyx, de l'ancienne collection
Stoclet à Bruxelles, a été ornée à Byzance vers 900 d'un médaillon
en émail cloisonné d'or représentant la Cène, ce qui réussit à
la transformer en patène (fig. 8). (28) En 1593, il y avait au trésor
de Notre-Dame de Paris « ung joyau d'agathe cassé en
plusieurs endroictz garny d'argent doré et de plusieurs pierreries...
fait en façon de couppe, estant sur le couvercle d'iceluy un
rond de cassidoine [calcédoine] » et, en 1577, « ung
vased'agathe garny de bordeure d'argent, le pied doré et une grosse
pierre blanche de cristal au dessus, ledit vaisseau fact en manière
de couppe ». (29) Bien que par « couppe » il faille, dans
les deux cas, entendre une pyxide d'assez grandes dimensions montée
en ostensoir, ne sommes-nous pas invités à supposer qu'au moyen
âge la tazza de la Galerie nationale, son rôle terminé
avec les changements apportés par la liturgie au rite de
l'offrande, ait pu servir de réserve eucharistique placée au-dessus de l'autel?
Elle fut remontée sous forme de lampe à huile antique sous Napoléon
1er par un joaillier qui, malgré l'absence de poinçon, a dû être
Philippe J. B. Huguet, connu de 1798 à 1810 (fig, 9), (30) Une
Psyché (31)
agenouillée verse l'huile de son urne cependant que l'autre extrémité,
pour dissimuler la cassure, fut ciselée d'un masque de Méduse et
gravée d'étoiles et d'une plante d'acanthe d'où sortent des
fleurs de lotus et des rinceaux de lierre.
Addendum
Carlo Gasparri, dans Vasi antichi in pietra dura a Fierenze e
Rama*, interprète comme dyonisiaques et contemporains, en
principe, du façonnage de la gemme les canthares et rinceaux de
vigne intaillés au dedans et au dehors de la coupe Morgan. Il suggère
que leur dessin n'apparaissait pas malhabile lorsqu'ils étaient
remplis d'une coulure d'or. Il hésite à dater la coupe dans le
second siècle de l'empire romain. Peut-être aurait-elle été le
remploi d'une gemme alexandrine, comme la mode s'en était implantée
à Rome depuis la fondation de la dynastie Julienne. La
classification de la coupe Morgan dans la même catégorie que
les « canthares » collectionnés par Laurent le Magnifique
me paraît sujette à caution. Mais le remarquable article de Carlo
Gasparri est extrêmement riche en rapprochements qui jalonnent la
problématique des vases précieux de l'antiquité et leur constante
culturelle, qui dépasse l'Occident, puisqu'ils ont été imités en
Chine, donnant naissance à un jeu de contreinfluences qui ont
rejoint l'Europe.
*Carlo Gasparri, Vasi antichi in pietra dura a Firenze e Roma, dans
Prospettiva no 19, octobre 1979, p. 11-13, fig. 26-28.
Page Suivante | Notes
1
| 2 | 3
Haut de la page
Accueil
| English | Introduction
| Histoire
Index annuel |
Auteur
et Sujet | Crédits |
Contact
Cette
collection numérisée a été produite aux termes d'un contrat
pour le compte du programme des Collections numérisées du
Canada, Industrie Canada.
"Programme
des Collections numérisées, droit d'auteur © Musée
des beaux-arts du Canada 2001"
|