Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 3, 1979-1980

Accueil
English
Introduction
Histoire
Index annuel
Auteur et Sujet
Crédits
Contact


Cliquez figure 6 ici pour une image agrandie









Cliquez figure 7 ici pour une image agrandie









Cliquez figure 8 ici pour une image agrandie

Nouvel examen du dessin de « Raphaël » 
à la Galerie nationale du Canada

par Sylvia Ferino

Pages  1  2  |  3  |  4

Il existe un grand nombre de dessins où l'on a repris des parties de la composition du Pérugin: par exemple, une feuille au Stadel à Francfort représente le motif central du Baptême; une feuille à Madrid puis une autre à New York représentent les deux mêmes anges, comme dans celle de Venise (fig. 4), et il y en a beaucoup d'autres. (11) La plupart des figures seules se retrouvent incorporées à différentes peintures et fresques ombriennes: par exemple, notre ange se trouve dans l'une des scènes du Miracle des roses de Tiberio d'Assisi à Sainte-Marie des Anges à Assise. (12) C'est grâce à ces grandes collections de dessins de reproduction, que les artistes locaux réalisaient pour eux-mêmes, que les créations du Pérugin ont été diffusées et répandues dans toute l'Italie.

Si nous comparons le jeune d'Ottawa (fig. 1) avec les anges agenouillés de la fresque du Pérugin (fig. 6) et avec la feuille de Venise (fig. 4), nous pouvons facilement voir, au niveau du genou, une coupure dans le drapé. C'est que, avant que le bas du dessin d'Ottawa n'ait été coupé, le jeune était à genoux et non debout, comme il avait été supposé jusqu'ici. Dans la feuille de Venise, l'ange n'a pas la boucle du drapé au-dessus de l'avant-bras gauche, visible dans la fresque et dans le dessin d'Ottawa; son aile droite se déploie sur le côté et non pas en arrière comme dans la fresque. Dans la feuille d'Ottawa, les ailes ne sont pas visibles. C'est avant tout cette absence d'ailes qui a empêché le jeune du dessin d'Ottawa d'être identifié avec l'ange du Pérugin dans le Baptême de Foligno et qui, par conséquent, a induit l'attribution du dessin d'Ottawa au jeune Raphaël.

Cependant, même après la découverte d'ailes dans le dessin de fond de la figure d'Ottawa, question dont nous traiterons maintenant, le motif a été malheureusement relié aux anges du tableau de Raphaël, le Couronnement de la Vierge, (13) au Vatican. L'emploi subtil de la pointe d'argent et la facture libre laissent supposer que le dessin a été réalisé au cours de travaux préparatoires au tableau et non pas comme une copie après l'achèvement du tableau, même si le dessin n'a pas été fait d'après nature. On pourrait dire que l'artiste ne se souciait guère des ailes manquantes à ce stade, étant probablement absorbé par la pose de l'ange.

Il est plus surprenant de trouver de la même image un dessin au pinceau et au lavis à l'encre brune sous la préparation de couleur crème de l'actuel dessin à la pointe d'argent (fig. 7). D'après la photographie en ultraviolet, nous constatons que la figure portait des ailes tout comme l'ange de la fresque du Pérugin à Foligno. Il dénote un plus grand soin que le dessin de surface, bien que la pose, les contours et le drapé soient identiques. Le dessin plus soigné confère à la figure plus de vie et accentue ses qualités bidimensionnelles. Par comparaison, l'image du jeune homme, sur le dessus, paraît fade. De plus, le procédé qui consiste à couvrir un dessin au pinceau et à l'encre afin de tracer par dessus une autre figure à la pointe métallique est tout à fait inhabituel et illogique.

Toute tentative de vouloir expliquer ce procédé doit s'appuyer sur une de deux suppositions fondamentales: ou bien le dessin primitif et celui du dessus sont de la même main, ou bien ils sont l'oeuvre d'artistes différents.

Si nous supposons qu'un seul artiste est en cause, si nous ignorons pour le moment l'hypothèse que le dessin a pu être copié et redessiné par un élève s'exerçant aux diverses techniques, nous devons aussi supposer que les deux couches du dessin ont été faites par le maître qui a exécuté la peinture. Cependant, pourquoi le maître, le Pérugin en l'occurrence, aurait-il fait une image en se servant d'une technique pour ensuite la recouvrir et la recommencer avec une autre?

On répondra plus facilement à cette question si l'on examine un cas similaire: au Fogg Art Museum, une étude à la pointe métallique, sur une surface préparée, d'un homme debout jouant de la viole (fig. 8). (14) Une photographie en infrarouge de ce dessin révèle une étude à la pierre de la même figure sous la préparation grise (fig. 9). (15) Les différences entre les deux images superposées, dans la pose et dans certains détails du corps, expliquent pourquoi l'artiste a adopté ce procédé particulier. Dans le premier dessin de fond à la pierre, le violiste est complètement nu, la tête inclinée carrément vers le haut avec des effets de perspective très semblables à ceux qu'offrent les apôtres du Pérugin dans la composition de 1496-1498 du retable de San Pietro. (16) Les formes du corps sont plus articulées, la posture droite et plus concentrée que dans le dessin du dessus. L'étude semble être un croquis d'après nature. Dans le dessin du dessus à la pointe métallique, la courbure des hanches est amplifiée, la tête est inclinée de côté, et l'image se déplace avec plus de rythme sur le plan. Cette impression est renforcée par le voile gracieusement drapé. L'ensemble de la figure s'est adouci et évoque davantage le plaisir de la musique.

Tandis que dans le premier exemple (l'esquisse à la pierre) l'artiste s'est concentré sur la fidèle représentation du corps humain dans une pose particulière, dans le second dessin il a eu le souci du contexte dans lequel la figure devra paraître dans le tableau fini.
(17) Au lieu de tout recommencer, il a corrigé l'esquisse à la pierre de la façon la plus économique, utilisant ses contours comme une base pour sa nouvelle image. Cette méthode a fréquemment été employée par le Pérugin, qui avait l'habitude d'utiliser et de réutiliser ses propres créations pour quantité de commandes.

Cet exemple semblerait offrir une explication plausible pour la similarité que semble présenter le dessin d'Ottawa. Or, bien qu'il y ait une certaine différence d'expression entre les deux images superposées du dessin d'Ottawa, elle est bien moins apparente que dans celui du Fogg et elle provient en grande partie du résultat obtenu par l'emploi de différentes techniques plutôt que par un changement dans la forme de la figure. Par conséquent, la superposition dans le dessin d'Ottawa ne peut s'expliquer comme un simple procédé de correction.

Une autre réponse possible, à savoir pourquoi l'artiste aurait choisi de recouvrir un dessin par un autre, peut être le fait que les ailes de l'ange ont été omises dans le second. L'ange a ainsi été transformé en un jeune homme pouvant représenter un saint ou quelque autre personnage exprimant une pieuse dévotion. Nous savons que le Pérugin a souvent réutilisé le même modèle de base, transformant des saints en saintes, et vice versa, en ne modifiant que les caractéristiques appropriées. Marie-Madeleine dans le retable de Fano, par exemple, apparaît en saint Jean-Baptiste dans celui du Senigallia. (18) Ce procédé d'adaptation était extrêmement courant aux XVe et XVIe siècles dans l'art italien et était particulièrement en vogue chez les imitateurs du Pérugin. Bacchiaca, par exemple, a transformé ApolIon et Marsyas du Pérugin en Adam et Eve, (19) et le Marsyas du Pérugin de cette même peinture, au Louvre, réapparaît en saint Jérôme dans une peinture anonyme autrefois dans la collection Goudstikker. (20) Cependant, il est bien improbable qu'un maître de la classe du Pérugin ait utilisé un procédé aussi complexe simplement pour faire d'un ange un homme.

Page Suivantel'auteur de lavis et du dessin
 
1
  2  |  3  |  4

Haut de la page


Accueil | English | Introduction | Histoire
Index annuel
| Auteur et Sujet | Crédits | Contact

Cette collection numérisée a été produite aux termes d'un contrat pour le compte du programme des Collections numérisées du Canada, Industrie Canada.

"Programme des Collections numérisées, droit d'auteur © Musée des beaux-arts du Canada 2001"