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Source: L’Estudiant, Vol. 2 No 2, Nov. 1937
par Robert Tellier, élève du conventum 1904-1911 et Gaétan Valois, du Conventum 1900-1907. Les 4 premiers extraits sont de Robert Tellier, les autres de Gaétan Valois.

 

La vie musicale de mon temps

Sommaire

Le père Dubé

La Petite Fanfare
La fabrication des lutrins Mon confrère et sa contrebasse
Da Capo Au feu ! (Incendie de la salle de musique, 1903 et 1904)
La Mazurka de Godard Souvenir de scène
Nos confrères des États Pique-nique de la fanfare

 

Le père Dubé

Pour les élèves de mon temps [vers 1907], la salle de musique évoque le souvenir du Père Dubé, qui en a été l'âme dirigeante pendant au-delà de quinze ans. Il y enseignait déjà en 1902, il y était encore en 1917.

Musicien délicat et cultivé, artiste dans l'âme, professeur d'une rare compétence, le Père Dubé était en plus pour ses élèves un ami sincère, un conseiller bienveillant et un guide éclairé.

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Dès qu'un élève avait du talent et voulait apprendre, le Père Dubé s'y intéressait, l'encourageait, le faisait réussir. Que d'anciens lui doivent aujourd'hui tout ce qu'il savent en fait de musique. Il jouait avec une égale perfection le piano, l'orgue et tous les instruments de la fanfare.

Sous sa direction, la chorale et les corps de musique atteignirent un degré de perfection et d'efficacité qu'ils n'avaient jamais connu jusque là.

[…]

Travailleur infatigable, il était au poste dès six heures du matin et ne quittait la salle de musique qu'après neuf heures le soir. Durant toute la journée, il était pris par les leçons de piano, les exercices de solfège, les pratiques des aspirants à la fanfare, les répétitions générales et ses moments libres — durant les heures de classe — il les employait à se perfectionner.

Ne l'a-t-on pas vu, à 40 ans, se mettre à l'étude du violoncelle et acquérir en peu de temps une sûreté d'exécution fort enviable. Compositeur à ses heures, il a écrit entre autre choses, vers 1916, un oratorio à quatre voix mixtes, avec accompagnement d'orchestre, intitulé : Petit Oratorio pour Pâques, qu’il a fait exécuter devant les élèves la même année et qu'il a fait publier l'année suivante.

C'est lui qui introduisit au Séminaire le chant de l'Alma Mater.

 

La petite fanfare

Pendant le récréation, les soirs où il n'y avait pas de séance de l'Académie ou du Cercle, et très souvent les jours de congé, en dehors des pratiques régulières, nous nous réunissions un certain nombre à la salle de musique pour y faire de la fanfare. Notre petit groupe était dénommé La petite fanfare.

 

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La fanfare en 1903.
La petite fanfare comprenait: Gaston Beaudoin, sur la petite flûte, Onésisme Despatie, Edmond Dubé et Jean Perreault, sur la clarinette, Lionnel Gravel, Alphonse Fafard et Léopol Lamoureux, sur le cornet, Anatol Dugas, sur l'alto, Rosaire Chevalier, sur le baryton, Josaphat Asselin et Jos. Laporte sur le trombone, Géo Lévesque, sur la petite basse, Albert Renaud et Jos. Payette, sur la contrebasse, Philippe Coutu, sur la grosse caisse, et Sinal Lamarre, qui se promenait d'un instrument à l'autre, suivant les besoins du moment.

C'est grâce à ces petites pratiques, faites tantôt sous la direction du père Leprohon, tantôt sous la direction de l'un d'entre nous, que nous avons appris à lire la musique à première vue.

Tous les membres de notre groupe étaient devenus des habitués de la salle de musique où nous avions, en quelques sorte, nos entrées libres en tout temps durant les récréations. Que d'heures agréables nous y avons passées ensemble, en compagnie du Père Dubé et de son alter ego le Père Leprohon.

 

La fabrication des lutrins

Depuis longtemps la fanfare manquait de lutrins et le Père Léger, qui considérait la musique non comme un art, mais uniquement comme une source de dépenses inutiles, ne se souciait guère d'en acheter des neufs. Un bon matin, le père Leprohon nous fait part qu'il a découvert dans les greniers du hangar du Père Léger une réserve de belles planches de chêne avec lesquelles nous pourrions facilement nous fabriquer des lutrins. Aussitôt, nous transformons une petite salle de musique en atelier, nous nous procurons des outils de menuisier et nous nous mettons à en fabriquer. Après quelques semaines de travail, nous avions complètement terminé une vingtaine de lutrins. Une autre équipe, installée dans la tour, les vernissait au fur et à mesure de leur sortie de notre atelier, et ce, tandis qu'un forgeron de la ville en forgeait les supports métalliques.

Quelques semaines plus tard, la fanfare, dans un concert devant les professeurs et les élèves, utilisait pour la première fois ce nouvel équipement, à la grande satisfaction du Père Léger, qui ignorait y avoir contribué à même sa réserve de chêne.

C'est dans le même temps que le Père Dubé et le Père Leprohon, utilisant toujours le chêne du Père Léger, faisaient manufacturer dans une boutique de Joliette les bancs, les fauteuils, et les chaises avec dossiers en forme de lyre qui ornent encore aujourd'hui la nouvelle salle de musique.

 

Mon confrère et sa contrebasse

Les instruments à l'usage de la fanfare avaient au-delà de 25 années d'existence; ils étaient tous plus ou moins en mauvaise condition, et les intéressés souhaitaient ardemment qu'on les remplaçât par des neufs.

Le Père Dubé avait même approché le Père Léger à ce sujet, mais celui-ci avait catégoriquement répondu: "Les instruments ont duré 25 ans, ils peuvent durer 25 autres années encore".

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Un refus aussi péremptoire ne laissait guère de place à l'espérance d'un changement, et le Père Dubé jugea inutile d'insister davantage. Aussi se contentait-il, chaque année, de leur faire subir les réparations les plus nécessaires.

L'un de mes confrères, joueur de contrebasse circulaire, trouva cependant moyen de tirer parti des circonstances. Il avait en ville une amie qui lui plaisait beaucoup. Obtenir la permission de sortir, les jours de congé, n'était pas chose facile. Mon confrère imagina un bon jour de demander la permission d'aller faire souder sa contrebasse chez un ferblantier. Muni de celle-ci, il se présente chez le Père Saucier, qui lui accorde facilement cette permission. Le stratagème avait si bien réussi cette première fois, que mon confrère jugea qu'il valait la peine de le répéter, mais il eut la prudence de s'adresser à tour de rôle aux différents maîtres de salle pour obtenir sa permission. Un jour, cependant, il crut que l'affaire allait se gâter: en sortant du corridor qui longe le réfectoire, il fait la rencontre du Père Léger, qui lui demande à brûle-pourpoint:

-- Où allez-vous, mon garçon, avec votre gros cornet?

-- Je m'en vais chez le ferblantier pour le faire réparer, répond mon confrère, il est dessoudé.
-- Pas aux frais du Séminaire, n'est-ce pas, ajoute le Père Léger.
-- Non, mon Père, à mes frais.
-- C'est très bien, mon enfant, reprend le Père Léger, dans ce cas, allez-y tant qu'il vous plaira.

Et c'est pour cela que plusieurs fois par mois, les jours de congé, on rencontrait mon confrère dans les rues de la ville, la contrebasse circulaire sur l'épaule. Il s'en allait… la faire réparer…

 

Da Capo

"Une … n'oubliez pas le da capo… une, deux: Bing! Bang! Boum!"

Et avec Hot Shot s'envolait notre dernier morceau de fanfare, fin juin 1907. C'était la marche «obligato» des distributions de prix de notre époque.

La marche avait ceci de particulièrement enlevant qu'elle servait de palliatif aux sans-espoir dont j'étais, ce qui me faisait apporter sans arrière-pensée ma contribution d'enthousiasme au triomphe des autres. Ce n'est pas en vain que la musique adoucit les moeurs.

 

Au feu!

L'incendie de 1903-04, découvert un beau matin après la classe de dix heures, en entrant dans la salle de musique, fut l'une des émotions tragiques de notre temps.

De la casse, dans la salle de musique, il y en avait eu; les murs étaient déchiquetés, pantelants, les carreaux en éclats, les planchers convertis en pontage d'aquarium, trombones et basses lézardés de vert-de-gris, jusqu’à peau-d'âne qui avait la chair de poule. Par bonheur, le Frère Desmarais, notre directeur d'alors, avait retrouvé intact son petit cornet à clefs, une espèce de machin aplati, de la famille des vertébrés sans intestins, comme des jouets de Noël, et qu'il avait le tour de faire éclater comme une trompette de Jéricho.

Un autre rescapé qui n'avait reçu qu'une légère douche d'eau froide, ce fut son bâton, qu'il cassait misérablement sur son lutrin, un jour d'exercice, où l'accord parfait avait mis du temps à se produire…

Le frère Charland en a été quitte pour lui en gosser un autre.

 

La mazurka de Godard

La salle de musique, de notre temps, était logée à l'extrémité nord de la salle de récréation, et tout au fond, le cabinet particulier du Père Dubé, où se trouvait le meilleur piano de la maison.

Une fenêtre donnait sur la rue Saint-Charles et embrassait, de la voie publique, une étendue un peu plus longue, vu que la façade du vieux Séminaire était plus distante qu'aujourd'hui du parc de l'évêché. Et par les beaux après-midi du mois de juin, alors que nous nous reposions des heures de récréation vouées à la préparation des examens de fin d'année, le trio d'inséparables que nous formions, Apollinaire Hébert, Adolphe Robert et moi, se retrouvait dans la fenêtre grande ouverte du cabinet du Père Dubé.

De toutes parts les effluves printanières caressaient nos figures de rêveries et d'espoirs, qu'Apollinaire savait traduire sur le clavier. Voilà qu'au beau milieu des envolées sentimentales de la mazurka de Benjamin Godard vint dévaler sur le trottoir d'en face la lente promenade des demoiselles du couvent de la Congrégation.

Et à mesure que les figures apparaissaient les unes après les autres, au coin du Séminaire, les regards se tournaient forcément de notre côtés, attirés par la musique éclatante qui s'échappait de la mazurka. Et c'était nous, Robert et moi qui en recevions l'hommage discret et tendre, dont nous pouvions lire l'aveu sur chaque nouveau sourire.

 

Souvenir de scène

     […] En une autre circonstance on avait retenu le concours de la fanfare pour une des tragédies du Frère Plante. On jouait l'Hetman, de Paul Déroulède, et la musique d'un bataillon slave devait paraître en scène et accompagner le chant de l'hymne russe, Bodjé tsara Khrani, que nous avions appris par cœur.

Replacée dans le cadre de la vie d'aujourd'hui [en 1937] cette scène nous aurait valu, tellement le Frère Plante nous avait attifés à la bolchevik, le sort des Amis de l'Union Soviétique qui se sont vus, dernièrement, refuser la tenue d'une assemblée par le maire de Montréal.

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Juin 1912, La Tour du Nord. Bien que postérieure au séjour de Gaétan Valois au Collège, cette photo permet d'apprécier la fantaisie qui animait la vie théâtrale des premières années du XXe siècle.

Revêtus d'habits rouges empruntés à l'arsenal du 85e bataillon des miliciens de Joliette, et la face adornée d'une barbe noire et hirsute, nous campions nos rôles de musiciens militaires, indifférents au suprême ridicule qu'offrait cet accoutrement disparate et cosmopolite. […]

 

Nos confrères des États

     […] C'est tantôt la Sainte-Cécile que nous chômions par des danses de coin, "barn-dances", et que nos confrères des États savaient "caller" aussi bien que quiconque parmi les draveurs de la Gatineau. Et à défaut de violoneux, nous comptions sur Hébert et Gustin Dufaut qui passaient la journée à se faire mutuellement la relève au piano.

Le soir, après souper, nous recevions le personnel de la maison et cela tournait en veillée du bon vieux temps où chacun y allait de sa chanson.

Le Père François Forest en avait adopté une qu'il excellait d'ailleurs à rendre: Les habitants de Boucherville se sont fait faire un bâtiment; le notaire Antonio Beaudoin, professeur de piano , s'en tenait à Victor de Laprade: Tu seras soldat, cher petit!; l'abbé Raynaud et son dada favori: Get up Sam, ça va-t-y monter, roulant roulé?; le Dr Hébert avec sa Dulcinée, la rose aux bois…; et le Dr Provost: Ayez pi-pitié d'elle! C'est complet. […]

 

Pique-nique de la fanfare

Ah!… Et puis il y avait le pique-nique de la fanfare, que nous avons dû faire une année par un 24 mai à température de pôle nord. Nous en avons été quittes pour laisser de côté notre pantalon blanc et nous souffler dans les doigts.

Nos parades au petit bois, dans le fond de la cour, ne demandaient pas autant de préparation, et c'était moins gênant; aussi y allions-nous souvent. C'est là, par exemple, que nous avons vu lever les premiers canards de Ti-Jos Gagnon, en mal d'apprendre la clarinette. […]

Gaétan Valois

 

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