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La polygamie au Canada : conséquences juridiques et sociales pour les femmes et les enfants – Recueil de rapports de recherche en matière de politiques

Accroître la reconnaissance accordée aux mariages polygames contractés à l'étranger : conséquences politiques pour le Canada


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I. INTRODUCTION

Le présent rapport examine les lois du Canada qui portent sur la reconnaissance des mariages polygames valides contractés à l'étranger et évalue si une reconnaissance accrue de ces mariages est justifiée. La discussion entourant les mariages polygames contractés à l'étranger soulève la question de savoir comment le droit canadien devrait répondre aux « unions multiples » contractées à l'intérieur des frontières du Canada dans certaines communautés religieuses. Ces arrangements seront décrits comme des unions multiples dans l'ensemble du présent rapport. Bien qu'il n'y ait pas de conséquences juridiques civiles qui découlent du simple fait que les parties se soient mariées, il y a des conséquences criminelles. L'interdiction de la polygamie qui est prévue au Code criminel s'applique aux personnes qui se sont engagées dans une union multiple à l'intérieur des frontières du Canada et aux parties à un mariage polygame contracté à l'étranger qui « pratiquent » la polygamie au Canada. Le présent rapport examine si la criminalisation dans l'un ou l'autre cas est pertinente et si l'interdiction résisterait à une contestation constitutionnelle.

Le présent rapport insiste sur le fait que ni la reconnaissance des mariages polygames valides contractés à l'étranger ni la décriminalisation ne sont une acceptation de la polygamie. Au contraire, la polygamie est très largement associée à l'inégalité de genre et ne mérite pas d'être acceptée. Cependant, les recommandations du rapport sur les questions de la reconnaissance accrue des mariages polygames contractés à l'étranger et de la décriminalisation peuvent être mal comprises par certaines personnes qui croiraient qu'elles sont une acceptation de cette pratique et un appui à la permission de contracter des mariages polygames au Canada. Pour éviter de telles méprises, le rapport examine les arguments en faveur et contre la permission de contracter des mariages polygames en vertu des lois intérieures du Canada et, particulièrement, les arguments constitutionnels qui pourraient être soulevés. Le rapport ne recommande pas que le Canada permette de contracter des mariages polygames sur son territoire, mais il recommande qu'il se prépare à une contestation constitutionnelle possible du mariage limité à deux personnes.

Qu'est-ce qu'un mariage polygame?

En vertu du droit canadien, un mariage polygame est célébré en vertu d'un régime de lois qui permet à une partie de prendre plus d'une conjointe ou d'un conjoint simultanément1. Si un mariage répond à ce critère, il est caractérisé comme étant polygame, qu'il soit « virtuellement polygame » ou « véritablement polygame »2. Si une personne ne prend qu'un conjoint ou une conjointe, le mariage est virtuellement polygame. Si une personne prend plus d'un conjoint ou d'une conjointe, le mariage est véritablement polygame. Le terme « polygamie » comprend la « polyandrie », le système en vertu duquel une femme est mariée simultanément à deux hommes ou plus, et la « polygynie », le système en vertu duquel un homme est marié à plus d'une femme simultanément (Walker 1980, p. 967-968). La polyandrie est rare, mais on a observé la polygynie dans plusieurs sociétés (Walker 1980; Mair 1971, p. 143).

En termes juridiques, un mariage polygame ne peut être contracté que dans un pays qui permet la polygamie3. Un mariage célébré au Canada en vertu de la loi provinciale sur le mariage pertinente est monogame. Si les parties contractent un mariage de forme polygame au Canada, mariage qui n'est pas célébré conformément à la loi sur le mariage provinciale pertinente, le mariage est une nullité4. C'est le cas quel que soit le domicile des parties5. Si l'une ou l'autre des parties est déjà partie à un mariage, tout mariage additionnel célébré au Canada est une nullité6.

Le terme « polygamie » est aussi utilisé par certaines personnes pour décrire les unions multiples qui sont célébrées dans des communautés religieuses dans des pays qui ne permettent pas la polygamie7. De tels arrangements ne sont pas des mariages en vertu du droit canadien. Ils sont des nullités et aucune conséquence juridique civile ne découle d'une telle cérémonie religieuse. Le présent rapport porte d'abord sur les questions reliées aux mariages polygames tels qu'ils sont définis légalement. Les unions multiples célébrées à l'intérieur du Canada sont ensuite intégrées à une discussion sur sanctions pénales pour la polygamie et celle qui consiste à savoir si le Canada devrait modifier sa loi sur le mariage civil pour permettre les mariages polygames.

Un mariage virtuellement polygame peut être converti en mariage monogame si les parties adoptent une religion monogame8 ou élisent domicile dans un pays dont les lois exigent que les mariages soient monogames9 ou si l'État où a lieu la célébration modifie ses lois pour interdire la polygamie10.Ainsi, les parties à un mariage polygame virtuel qui acquièrent un domicile au Canada voient leur mariage converti automatiquement en un mariage monogame. Une partie acquiert un domicile canadien en devenant résidente du Canada avec l'intention d'y rester en permanence ou indéfiniment11.

Pratique et motifs de la polygamie

La polygamie a été permise dans la plupart des parties du monde à une certaine époque, mais cette pratique a ensuite été abandonnée. La monogamie est désormais la règle en Europe de l'Est, en Europe de l'Ouest, en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, en Amérique Centrale, en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans de grandes parties de l'Asie, notamment au Japon et en Chine12. Bien que l'Inde continue de permettre aux musulmans de contracter des mariages polygames, 80 p. 100 de sa population est régie par la Loi sur le mariage hindou, qui permet seulement le mariage monogame13. Dans plusieurs des pays d'Asie, du Moyen-Orient et d'Afrique qui permettent encore la polygamie, les règles qui régissent cette pratique sont devenues plus strictes14 et, en réalité, les mariages polygames sont l'exception plutôt que la règle15. Dans les pays islamiques, seuls les hommes riches sont en mesure de se conformer à l'exigence du Coran selon laquelle un homme qui prend plus d'une épouse doit être capable d'assurer à chacune d'elles et à leurs enfants une protection et des avantages égaux16.

Les anthropologues suggèrent que les motifs ou les fonctions de la polygamie sont les suivants :

  • Augmenter la probabilité d'avoir des enfants, particulièrement quand une épouse est stérile ou donne naissance seulement à des filles.

  • Augmenter l'offre de main-d'oeuvre au sein du réseau de la parenté.

  • Régler le « problème » de l'excédent de femmes.

  • Étendre la portée des alliances d'un homme de manière à ce qu'il puisse conserver ou acquérir une position de chef de file.

  • Peut-être offrir la satisfaction sexuelle aux hommes, particulièrement dans les sociétés où les tabous sexuels postnataux sont de longue durée (Macfarlane 1986, p. 217-221; Mair 1971, p. 152-153).

On trouve la polygamie communément dans les cultures fermées où l'on évite de faire la cour ouvertement et d'afficher son affection. Aussi, la polygamie a historiquement été utilisée au lieu du divorce dans les pays où les motifs de divorce sont limités et où les critères pour démontrer ces motifs sont très exigeants (Marasinghe 1995, p. 72-73).

Les spécialistes des sciences sociales ont donné différentes explications théoriques pour la pratique de la polygamie. Alexander17, Betzig18 et MacDonald19 ont offert des variantes de la théorie du « compromis entre les hommes » qui explique que la polygamie résulte des stratifications socio-économiques parmi les hommes. Ils ont prétendu que la monogamie est le résultat d'un compromis entre les hommes qui suit habituellement le développement démocratique et par lequel les hommes riches et puissants abandonnent les pratiques polygames et leurs diverses épouses en échange de l'appui politique des hommes pauvres. La théorie du compromis entre les hommes se fonde sur la théorie de Richard Alexander selon laquelle les États-nations imposent la monogamie à leurs citoyens mâles pour égaliser leurs possibilités de reproduction.

Kanazawa et Still (1999) ont avancé des arguments en faveur d'une théorie du « choix des femmes » pour les pratiques du mariage. Cette théorie pose comme postulat que les femmes sont dans la position de demander une forme de mariage particulière fondée sur la disponibilité et le statut des hommes. Quand les inégalités en matière de ressources sont grandes entre les hommes, les femmes choisissent de se marier dans un contexte de polygamie. Quand les inégalités sont relativement faibles, les femmes choisissent de se marier dans un contexte de monogamie. Cette théorie est habilitante pour les femmes en plus d'être fonctionnelle. Elle reconnaît la polygamie ou la monogamie comme des choix rationnels à faire en fonction des déterminants sociaux, comme l'inégalité des ressources. Toutefois, elle a été critiquée, car elle ne tient pas compte de la réalité politique qui sape ce choix. En outre, les politiques de manque d'équité qui sous-tendent la pratique de la polygamie (là où il y a des personnes fiancées à l'âge de l'enfance, par exemple) sont souvent attribuées à tort à l'institution de la polygamie. Morrison et Jutting (2004, p. 16) ont écrit : [Traduction] « La polygamie entraîne l'inégalité entre les hommes et les femmes, car il y a habituellement un écart de 20 à 30 ans entre la deuxième (ou troisième) épouse et son mari. »

Sanderson a prétendu que lapolygamie est réellement une question de choix par les hommes quant à leur préférence pour la variété sexuelle en vue d'assurer le succès de la reproduction. L'étendue de la possibilité de variété sexuelle peut varier, cependant, avec les circonstances sociales, comme le degré de disponibilité des femmes et leur coût en tant qu'épouses (leur valeur économique). Sanderson a observé que [Traduction] « [l]es femmes peu instruites des régions rurales et d'une condition socioéconomique défavorisée se retrouvent plus vraisemblablement dans un mariage polygame; les femmes qui ont une bonne instruction et qui sont d'une condition socioéconomique plus favorisée, qui ont beaucoup plus d'options de nature conjugale, évitent la polygamie20 ». L'auteur a rejeté la théorie du choix des femmes et a fait remarquer que ce sont surtout les hommes qui ont un statut supérieur dans les sociétés polygames qui ont des épouses multiples, car ils ont [Traduction] « les moyens de les acquérir et les traits de personnalité (p. ex., la compétitivité, l'agressivité) qui les inclinent à rechercher la compagnie de plusieurs femmes. Les hommes de haut rang s'accouplent plus souvent et laissent une plus grande descendance, un modèle de comportement qu'on retrouve largement chez les espèces mammifères21 ».

Sanderson a adopté cette compréhension sociobiologique de la polygamie et a appuyé la théorie du compromis entre les hommes proposée par Alexander22, théorie qui s'appuie sur l'idée d'égaliser les possibilités de reproduction. Sanderson, se reposant sur les données empiriques pour appuyer la théorie d'Alexander, a écrit : [Traduction] « La compétition des hommes pour obtenir des épouses produit des conflits et les sociétés qui recrutent de grandes quantités de jeunes hommes pour faire la guerre à d'autres sociétés doivent trouver un moyen de minimiser cette sorte de conflits… [ce] qui peut se faire en interdisant légalement la polygamie, accordant ainsi à chaque homme un accès égal aux épouses » (Sanderson 2001, p. 332). D'après Alexander, cette monogamie imposée socialement est un produit dérivé des grands États-nations. Sanderson s'est appuyé sur des données empiriques pour soutenir la théorie d'Alexander.

[Traduction]
[Quarante-six pour cent] des grands États ont imposé socialement la monogamie, comparativement à 26 p. 100 pour les petits États, 10 p. 100 pour les chefferies et 11 p. 100 pour les bandes et les tribus. Selon l'Ethnographic Atlas complet (1 267 sociétés plutôt que 186), 46 p. 100 des grands États ont adopté la monogamie et 39 p. 100 ne connaissent la polygamie qu'occasionnellement (Murdock et White 1969).

L'hypothèse de Michael Price selon laquelle la monogamie soutient la collaboration et s'est donc répandue de l'Occident aux autres régions a été vérifiée en utilisant cinq mesures de la réussite sociale dans 156 États-nations contemporains, parmi lesquels 84 sont monogames et 72 sont polygames. Entre autres conclusions, [Traduction] « Price a observé que 64 p. 100 des sociétés monogames, mais seulement 25 p. 100 des sociétés polygames, avaient des démocraties libérales23. » Cependant, ce n'est pas partout que la monogamie est imposée politiquement, comme le démontre son existence dans des sociétés de petite taille, telles les bandes et les tribus. [Traduction] « La monogamie imposée écologiquement » survient quand les hommes manquent des ressources nécessaires pour soutenir des épouses multiples (Sanderson 2001, p. 333).

Bretschneider (1995) a suggéré que la polygamie est un phénomène multidimensionnel. Il a prétendu qu'il n'est pas possible d'isoler des conditions socio-culturelles, économiques, démographiques ou environnementales comme étant des causes singulières. L'accès aux ressources et le contrôle sur celles-ci, ainsi que la mobilité transfrontalière des femmes sont plutôt des influences importantes.

La recherche n'est pas concluante en ce qui concerne les incidences sur les enfants qui sont élevés dans les familles polygames. En 2002, des chercheurs ont procédé à un examen de toutes les études quantitatives et qualitatives qui ont été effectuées sur l'effet de la polygamie sur les enfants (Elbedour et coll. 2002). Ils ont observé que les enfants issus de mariages polygames véritables étaient plus susceptibles de connaître des conflits conjugaux, la violence familiale et les démembrements de la famille, la détresse conjugale, particulièrement reliée aux degrés élevés de tristesse des femmes qui vivent dans un contexte d'unions polygames, l'absence du père et le stress financier. Cependant, certaines des études examinées ont conclu que les enfants, particulièrement les plus âgés, démontraient une résilience dans leur façon de composer avec ces facteurs de risque. Les chercheurs ont conclu que les facteurs culturels jouent un rôle sur la mesure dans laquelle les facteurs de risque associés à la polygamie touchent les enfants. Ils ont laissé à entendre qu'une culture qui non seulement tolère, mais valorise la polygamie, dans les cas où la plus grande partie des familles qui est associée à la polygamie est un signifiant du statut social et où les femmes sont respectées pour le rôle qu'elles jouent dans la production des enfants, peut aider les enfants à mieux composer avec les facteurs de risque qui sont associés à la polygamie.

La polygamie a longtemps été associée à l'inégalité de genre par les commentateurs occidentaux24 et cela reste le cas. En particulier, les Nations Unies ont constamment pris la position que la polygamie contrevient aux droits des femmes à l'égalité. Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes des Nations Unies, qui surveille si les États parties se conforment à la Convention, a émis une recommandation générale en 1992 dans laquelle on lisait :

La polygamie est contraire à l'égalité de genre et peut avoir de si graves conséquences affectives et financières pour la femme et les personnes à sa charge qu'il faudrait décourager et même interdire cette forme de mariage. Il est inquiétant de constater que certains États parties, dont la Constitution garantit pourtant l'égalité des droits des deux sexes, autorisent la polygamie, soit par conviction, soit pour respecter la tradition, portant ainsi atteinte aux droits constitutionnels des femmes et en infraction à la disposition 5 a) de la Convention25.

Des spécialistes des sciences sociales qui ont étudié en profondeur la condition des femmes dans les sociétés qui pratiquent la polygamie appuient les conclusions des Nations Unies. Dans une étude qui porte sur des Soudanaises et effectuée par des Soudanaises, les chercheuses ont conclu :

[Traduction]
Les femmes n'aiment pas la polygamie, mais elles ne peuvent rien y faire. Le divorce est un droit de facto des hommes au Soudan, quel que soit le comportement du mari. Une seule des répondantes a tenté d'obtenir le divorce de son mari et elle n'a pu faire en sorte que l'ordre judiciaire donne suite à sa demande, elle a donc dû abandonner. Les hommes peuvent divorcer de leurs femmes quand ils le veulent, et ils le font, bien que cette situation était assez rare lorsqu'on effectuait une comparaison parmi les personnes interrogées. Le fait que les hommes peuvent prendre une épouse additionnelle ou divorcer de leur épouse est une source d'insécurité et d'anxiété pour les femmes et contribue à assurer leur adhésion aux normes sociales conservatrices dans des domaines comme la reproduction, la circoncision, le travail… (Mukhopadhyay et coll. 2001, p. 4).

Les spécialistes des sciences sociales qui étudient différentes sociétés réitèrent souvent que la pratique de la polygynie fait en sorte que les femmes sont opprimées, menacées ou tenues à l'écart26.

Le déclin de la polygamie a été relié aux conditions sociales changeantes, à l'expansion de la démocratie, au déclin des mariages arrangés, à l'augmentation de l'union de fait27 et à l'amélioration de l'éducation des femmes et des protections de leurs droits. La polygamie peut offrir des avantages à court terme aux femmes dans les sociétés où elles ont généralement de faibles niveaux d'éducation et peu de possibilités économiques et où leur statut est lié au mariage et aux naissances. Toutefois, le consensus est que la polygynie ne peut s'épanouir que dans le contexte de l'inégalité de genre. Cela ne veut pas dire que toutes les expériences que les femmes font de la polygynie se caractérisent par l'exploitation ou sont indésirables28, mais seulement que la pratique est reliée à l'inégalité de genre par des organisations comme les Nations Unies et la plupart des spécialistes des sciences sociales.


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Mise à jour : 2006-01-13
Contenu revu : 2006-01-13
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