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La polygamie au Canada : conséquences juridiques et sociales pour les femmes et les enfants – Recueil de rapports de recherche en matière de politiques

Accroître la reconnaissance accordée aux mariages polygames contractés à l'étranger : conséquences politiques pour le Canada


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IV. UNE PLUS GRANDE RECONNAISSANCE DES MARIAGES CONTRACTÉS À L'ÉTRANGER OU LA DÉCRIMINALISATION DE LA POLYGAMIE ET DES UNIONS MULTIPLES CONDUIRAIENT-ELLES À LA LÉGALISATION DE LA CÉLÉBRATION DE MARIAGES POLYGAMES AU CANADA?

Aucun lien nécessaire entre la reconnaissance des mariages contractés à l'étranger ou leur décriminalisation et le droit intérieur

Étendre la reconnaissance aux mariages polygames contractés à l'étranger n'implique pas d'accorder l'absolution judiciaire à la pratique de la polygamie. Cela donne plutôt effet au principe de l'universalité du statut. La décriminalisation de la polygamie et des unions multiples n'implique pas, non plus, qu'on accorde l'absolution judiciaire à la pratique de la polygamie. Il s'agit plutôt de reconnaître les limites du droit pénal quand il s'agit des préjudices associés aux pratiques et de donner effet aux droits des parties à de telles relations en vertu de la Charte. Ces réformes de la loi que nous recommandons ne comportent pas la suggestion implicite que les lois intérieures de ce pays devraient être modifiées pour permettre que des mariages polygames soient contractés au Canada. Cependant, la question de savoir si les mariages polygames devraient pouvoir être contractés au Canada peut sembler reliée à de telles réformes et nous en discutons dans la présente partie.

Le British Columbia Law Institute (1998) a publié un rapport sur la législation intérieure proposée sur les partenaires domestiques. Une possibilité étudiée par l'institut, et soutenue par une minorité de ses membres, était celle de partenariats domestiques qui comprendraient plus de deux personnes. La justification pour instaurer un régime de partenariats domestiques multiples était d'étendre l'éventail des choix et de mieux répondre aux besoins des Britannico-colombiens.

[Traduction]
Une question qui a été étudiée considérablement était celle de savoir s'il était nécessaire de limiter le partenariat domestique à deux personnes. Une minorité importante du conseil d'administration était en faveur de permettre à une personne d'avoir plus d'une ou d'un partenaire domestique, car cela répondrait aux besoins, par exemple, d'une unité familiale constituée d'un frère et de soeurs et dont chacun des membres souhaiterait s'assurer que les différents droits, comme les prestations d'emploi, seraient accessibles également à toutes et à tous. Il a cependant été convenu que cette question pourrait être examinée de nouveau plus tard après qu'on ait eu une certaine expérience des déclarations des partenaires domestiques (BC Law Institute 1998, p. 12).

Un partenariat domestique multiple serait une nouvelle institution, sans lien avec l'historique ou la pratique religieuse, et ne porterait donc pas le même « bagage » que la polygamie. Les partenariats domestiques multiples pourraient être conçus de manière à protéger les valeurs fondamentales du Canada. Il ne semble toutefois pas y avoir une grande demande pour les partenariats domestiques multiples, aussi est-il peu surprenant que le British Columbia Law Institute n'ait pas développé cette idée davantage.

Bien qu'il ne semble pas y avoir de demande pour une institution strictement laïque du genre des partenariats domestiques multiples, il peut y avoir une certaine demande pour la polygamie de la part de personnes dont les religions appuient cette pratique. Le Canada devrait-il envisager de permettre à ces parties de contracter des mariages polygames? Une telle façon de s'adapter aux pratiques religieuses serait-elle la suite logique de l'engagement du Canada à l'égard du multiculturalisme et de la liberté de religion? Serait-il possible de permettre la polygamie tout en conservant l'égalité de genre et les autres valeurs fondamentales de la société canadienne?

Parkinson (1994, p. 503) a prétendu que [Traduction] « l'importance de préserver les valeurs culturelles héritées de la majorité doit être pondérée par les effets d'une telle loi sur la capacité d'expression culturelle de la minorité ». Pour Parkinson (1994, p. 503) :

[Traduction]
… une insistance à préserver le caractère monogame de l'institution du mariage serait plus contraignante si la compréhension chrétienne du mariage était préservée par le droit à d'autres égards et si les autres relations assimilables à des relations conjugales n'avaient pas la reconnaissance juridique. Toutefois, l'acceptation très répandue des unions de fait qui ne comportent pas de promesses d'engagement pour toute la vie et leur reconnaissance par la loi pour une multitude de fins minent toute prétention que la loi cherche à confirmer les valeurs chrétiennes[.] Les rapports homosexuels sont aussi reconnus à un petit nombre de fins dans le droit australien.

Parkinson (1994, p. 499) a aussi laissé à entendre [Traduction] « qu'il serait possible de rédiger une loi qui reconnaîtrait la polygamie et tiendrait compte de la nécessité de l'égalité de genre ». Il (Parkinson 1994, p. 499) a prétendu que [Traduction] « la loi devrait être non sexiste… et exigerait le consentement entier et libre de la partenaire ou du partenaire du premier mariage ». Il (1994, p. 499) a suggéré ce qui suit :

[Traduction]
Une façon de faire serait d'exiger le consentement d'un tribunal de la famille pour avoir droit au mariage polygame, après une enquête, avec l'aide du service d'orientation du tribunal, pour assurer que les parties au premier mariage et au nouveau mariage ont donné leur consentement entier et libre et que le mariage se justifie par des pratiques culturelles du groupe ethnique auquel une ou plusieurs des parties appartiennent.

Parkinson (1994, p. 477) n'a pas défini cette dernière restriction, même si elle semblait incohérente avec sa référence antérieure au [Traduction] « principe, qui est un postulat fondamental des ordres juridiques occidentaux, que tous les membres de la société devraient être régis par les mêmes lois ».

Les Canadiennes et les Canadiens sont libres de pratiquer la religion de leur choix ou de n'avoir aucune religion, et cette liberté est garantie par la Charte108. Toutefois, la loi ne s'occupe pas de l'application de la doctrine de quelque religion que ce soit; les lois religieuses n'ont aucun statut juridique au Canada. Les pratiques religieuses doivent évoluer dans le cadre des lois canadiennes. La notion selon laquelle la liberté de religion ou le principe d'égalité devraient inclure le droit que le statut civil d'une personne soit déterminé conformément à une loi religieuse n'a jamais été acceptée au Canada. Cependant, dans certains États, les questions reliées au droit de la famille et des successions sont régies par le « droit personnel », au sens des lois qui ont trait à la tribu ou à la religion d'une personne, plutôt que par le droit civil. En Inde, où les questions de droit de la famille et des successions sont régies par les lois de la religion de chacun, le système a soulevé la controverse et a été mis en doute par la Cour suprême. Dans l'arrêt Vallamattom c. Union of India, le juge en chef Khare a dit, en parlant des articles qui garantissent la liberté de religion :

[Traduction]
[L]es questions du mariage, des successions et autres affaires semblables de nature laïque ne peuvent pas être portées devant la cour en relation avec la garantie inscrite dans les articles 25 et 26 de la Constitution. Il est regrettable que l'article 44 de la Constitution [qui prévoit la création d'un code civil commun et l'abandon des lois religieuses] n'ait pas été appliqué. Le Parlement en est encore à intervenir pour formuler un code civil commun au pays. Un code civil commun aidera la cause de l'intégration nationale en éliminant les contradictions fondées sur des idéologies109.

Au Royaume-Uni, une proposition qui visait à établir un régime distinct de droit de la famille musulman a été rejetée pour favoriser un régime laïc universel qui confirmerait les droits de la personne, particulièrement l'égalité de genre (Fournier 2004, p. 21). La Law Reform Commission de l'Afrique du Sud (2003), d'un autre côté, a proposé de légaliser les mariages polygames (musulmans) et d'établir un régime distinct de droit de la famille musulman. Le rapport de la Commission indiquait que sa recommandation était controversée, en partie parce que les groupes islamiques n'étaient pas d'accord avec le contenu de la loi proposée. Il n'y a pas eu d'acceptation générale de la façon d'incorporer les lois islamiques sur le mariage dans le régime civil existant tout en protégeant les valeurs de base de l'État, notamment l'égalité de genre. La diversité des religions qui acceptent la polygamie lancerait aussi un défi à quiconque tenterait d'incorporer les normes religieuses (islamiques ou autres) au droit canadien. Comme le Conseil Canadien des Femmes Musulmanes (2004) l'a dit [Traduction] : « le droit musulman n'est ni monolithique, ni simple, ni appliqué de façon uniforme dans le monde. »

Même la question portant sur la légalisation de la polygamie dans ce pays suscite une diversité de points de vue au sein des communautés religieuses concernées. Le président de l'Association musulmane du Canada et les principaux membres de la communauté musulmane britannique, par exemple, ont affirmé qu'il n'y avait pas de demande de la part de ces communautés pour légaliser la polygamie au Canada ou au Royaume-Uni (Smith 2004). En Grande-Bretagne, les membres de la communauté musulmane cherchent à réduire le nombre de relations polygames et à déconseiller les mariages religieux qui ne sont pas légalement valides. Les lignes directrices publiées, l'an dernier, par le Muslim Parliament ont déconseillé les mariages ratifiés seulement par les cérémonies islamiques. Ces lignes directrices affirmaient [Traduction] : « Aucune musulmane ou aucun musulman ne devrait chercher à contracter un mariage sans la pleine protection du droit du pays… [l]es personnes les plus vraisemblablement susceptibles de subir un préjudice en évitant l'enregistrement civil seraient les épouses, qui n'auraient alors que le statut de "partenaires" non mariées au R.-U. - un statut interdit dans l'islam. Les enfants seraient illégitimes. Aucun musulman ne devrait souhaiter placer sa conjointe ou ses descendants dans une position aussi déshonorante » (Smith 2004.).

Au moins au sein de la communauté musulmane, le contexte de la pratique est un élément crucial pour justifier la polygamie. Comme Ghayasuddin Siddiqui, dirigeant du Muslim Parliament, l'a dit [Traduction] : « À mon avis, dans ce pays, il n'y a absolument aucune raison pour laquelle les gens devraient avoir plus d'une épouse. » (Smith 2004.)

Le fait de modifier le droit du mariage pour y incorporer les droits personnels reliés à l'appartenance religieuse d'une personne ne serait pas compatible avec l'histoire et les valeurs du Canada. Cela irait aussi à l'encontre de la nature de plus en plus laïque du mariage au Canada. Cette tendance se reflète dans les lois qui ont trait à la célébration du mariage par des agents laïques (Arnup 2001, p. 8-14), dans les modifications à la loi relative aux degrés interdits de consanguinité et d'affinité qui s'éloignent des normes religieuses110 et l'ouverture du mariage aux couples de même sexe. Estin (2004) a discuté des racines religieuses de l'actuelle loi laïque sur le mariage aux États-Unis et sa thèse, selon laquelle le mariage ne porte plus aucun caractère religieux, est applicable au Canada. Dans Au-delà de la conjugalité, la Commission du droit du Canada (2001) a eu ce commentaire : « L'histoire de la réglementation du mariage au Canada est donc caractérisée par une distanciation progressive des exigences religieuses et juridiques, reflétant l'importance croissante accordée à la séparation de l'Église et de l'État dans une collectivité laïque et pluraliste au plan politique. »

Dans le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, la Cour suprême du Canada a signalé que la notion de mariage « chrétien » énoncée dans Hyde c. Hyde n'était plus pertinente. « L'arrêt Hyde s'adressait à une société aux valeurs sociales communes, dans laquelle le mariage et la religion étaient perçus comme indissociables. Tel n'est plus le cas. La société canadienne est une société pluraliste. Du point de vue de l'État, le mariage est une institution civile111. » Il faudrait aussi remarquer qu'un sondage récent montre qu'une forte majorité de Canadiennes et de Canadiens (96 p. 100) désapprouvent la polygamie (Bibby 2005).

Contestations constitutionnelles possibles

Comme dans le cas des autres pays occidentaux, le Canada a défini le mariage comme une relation entre un homme et une femme. Comme nous l'avons mentionné plus tôt, la définition acceptée au Canada depuis 1866 était : « l'union volontaire d'un homme et d'une femme, à l'exclusion de toute autre personne112 ». L'exigence selon laquelle les parties doivent être de sexe opposé a été contestée avec succès en tant que violation de la garantie d'égalité que prévoit la Charte113. En 2004, la Cour suprême a conclu qu'un projet de loi qui viserait à permettre le mariage civil pour les couples de même sexe était constitutionnel114. Cette jurisprudence a suscité une certaine spéculation au sujet de la possibilité d'utiliser la Charte pour contester la constitutionnalité de restreindre la capacité de se marier au Canada aux unions monogames115.

Une contestation en vertu de la Charte pourrait être portée devant la cour contre la définition du mariage qui est prévue dans la common law, qui a été attaquée avec succès dans les causes de mariages entre conjointes ou conjoints de même sexe116, ou, s'il devait devenir loi, la définition du mariage proposée dans le projet de loi sur le mariage civil117, ou la Loi sur le divorce, qui n'étend pas le « redressement de nature matrimoniale » aux parties à un mariage polygame118, ou au règlement d'application de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui permet aux agentes et aux agents des visas de refuser de considérer les mariages polygames119. De plus, si une personne se voyait refuser une licence de mariage ou un divorce ou une résidence permanente pour le motif qu'elle est une partie à un mariage polygame véritable (ou éventuel) au Canada, le refus constituerait le fondement pour donner la capacité d'entreprendre une contestation en vertu de la Charte.

La question de savoir quels droits prévus dans la Charte pourraient être violés en limitant le statut civil du mariage aux unions monogames est riche de possibilités. Ironiquement, le droit le plus souvent cité dans ce contexte - le droit à la liberté de religion prévu à l'article 2(a) de la Charte - ne devrait pas faire partie de ces possibilités. L'article 2(a) serait très pertinent pour une contestation en vertu de la Charte de l'interdiction criminelle de la polygamie. Si une telle contestation devait être couronnée de succès, elle lèverait le seul obstacle à la pratique religieuse du mariage polygame. C'est-à-dire que les religions qui permettent la polygamie seraient en mesure de célébrer des mariages pour les personnes qui adhèrent à la polygamie. Leur liberté de recourir aux rites religieux pour sanctionner des mariages polygames ne connaîtrait plus aucun empêchement de la part de l'État. Toutefois, ces religions n'auraient pas le droit de conférer le statut civil du mariage aux unions polygames. Le statut civil est, par définition, assujetti à la prise de décision politique, et non pas religieuse. En conséquence, la décriminalisation permettrait la célébration religieuse, mais non la reconnaissance civile des mariages polygames.

Les droits qui seraient les plus vraisemblablement invoqués par les parties qui chercheraient à contester la constitutionnalité de définir le mariage civil comme étant monogame sont garantis dans les articles 7 et 15(1) de la Charte. L'article 7 prévoit ce qui suit : « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale120. » Le droit à la liberté est le motif le plus vraisemblable de cette contestation. La Cour suprême du Canada a statué que la liberté ne s'entend pas « uniquement de l'absence de toute contrainte physique »; elle peut aussi s'appliquer quand la loi empêche une personne de faire des « choix personnels fondamentaux »121. Aujourd'hui, au Canada, il est difficile de concevoir un choix personnel plus fondamental que celui de choisir la personne avec laquelle on souhaite se marier.

Le paragraphe 15(1) de la Charte, la garantie d'égalité, prévoit ce qui suit : « La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques122. » Les parties qui contesteraient l'interdiction des mariages polygames pourraient invoquer jusqu'à cinq motifs de discrimination. Parce que les mariages polygames contractés à l'étranger sont reconnus comme étant valides au Canada, au moins à certaines fins, les résidents à qui on aurait refusé des licences de mariage pour des mariages polygames virtuels pourraient prétendre qu'ils sont l'objet de discrimination fondée sur la citoyenneté ou la situation familiale. Le paragraphe 15(1) ne mentionne pas la citoyenneté ou la situation familiale. Cependant, la Cour suprême du Canada a conclu que la citoyenneté et la situation familiale sont des motifs analogues de discrimination123.

Les personnes qui contesteraient la loi pourraient invoquer plusieurs des motifs de discrimination énumérés, particulièrement la discrimination fondée sur l'origine nationale ou ethnique et la discrimination religieuse. Aucun de ces motifs de discrimination n'a été, à ce jour, le fondement d'une contestation en vertu de la Charte qui aurait été couronnée de succès124. Toutefois, cela ne laisse pas nécessairement prévoir la défaite pour les parties qui recourraient au paragraphe 15(1) pour contester la définition du mariage. Chaque affaire doit plutôt être tranchée sur la foi de son propre ensemble de faits.

Il peut aussi être possible de contester la définition du mariage sur la foi de la discrimination sexuelle. Plus particulièrement, certaines femmes peuvent être des parties à des mariages polygames religieux qui ne sont pas reconnus en vertu du droit canadien. Ces femmes peuvent ne pas avoir la capacité de mettre fin à leurs mariages religieux sans le consentement de leurs maris. Par exemple, les enseignements de l'Islam accordent le droit naturel de divorcer exclusivement au mari125. L'Islam prévoit aussi des mécanismes de substitution au divorce : le « khul' consenti mutuellement » entraîne généralement le paiement d'un certain montant de rémunération par l'épouse (habituellement son mahr) au mari alors que la dissolution judiciaire (faskh) comporte une évaluation du blâme par des arbitres externes pour établir les droits financiers de chaque conjointe et conjoint » (Quraishi et Syeed-Miller, sans date). Mais, sans consentement mutuel et motifs approuvés126, une épouse ne pourrait pas avoir accès à ces mécanismes. En l'absence d'un mariage reconnu légalement, elle ne serait pas en mesure de mettre fin à son mariage polygame religieux en vertu de la Loi sur le divorce. Elle pourrait donc prétendre que le défaut de l'État de prévoir un mécanisme pour mettre fin au mariage aggrave la discrimination religieuse originale pour des motifs sexuels, lui niant ainsi la résolution de sa situation et sa dignité. Il existe un précédent en vertu du paragraphe 15(1) dans lequel la Cour suprême du Canada a ordonné la rectification d'une omission législative127.

Il y a deux raisons importantes pour faire preuve de prudence relativement au résultat de toute contestation du droit à l'égalité prévu au paragr. 15(1). La première est que la Cour suprême du Canada a rendu plus difficile de démontrer une violation du paragr. 15(1) que pour toute autre disposition de la Charte. Pour être réputée telle, une violation du paragr. 15(1) exige des réponses affirmatives aux trois larges investigations qui suivent.

Premièrement, la loi contestée a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles? Si tel est le cas, il y a différence de traitement aux fins du paragr. 15(1). Deuxièmement, le demandeur a-t-il subi un traitement différent en raison d'un ou de plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues? Et, troisièmement, la différence de traitement était-elle réellement discriminatoire, faisant ainsi intervenir l'objet du paragr. 15(1) de la Charte pour remédier à des fléaux comme les préjugés, les stéréotypes et le désavantage historique128?

L'autre motif de prudence est plus pragmatique. Une étude récente de la jurisprudence reliée au paragr. 15(1) révèle que les personnes qui cherchent à faire valoir leurs droits à l'égalité ont perdu 80 p. 100 des 44 premières décisions rendues par la Cour suprême du Canada en matière de droits à l'égalité prévus dans la Charte (Martin 2001, p. 370-371). Qui plus est, 70 p. 100 de ces défaites ont eu trait au paragr. 15(1), la preuve de discrimination étant l'obstacle le plus difficile à surmonter (Martin 2001, p. 306).

Si c'était nécessaire, le Canada invoquerait l'article 1 de la Charte pour justifier de restreindre le mariage à deux personnes. Si le gouvernement devait suggérer que le mariage est monogame parce qu'il a toujours été monogame, il pourrait recevoir la même réponse que celle qu'a donnée la Cour d'appel de l'Ontario dans une des causes reliées au droit à l'égalité pour les couples de même sexe, à savoir qu'une telle affirmation [Traduction] « est simplement une explication pour l'exigence du mariage [monogame]; ce n'est pas un objectif qui peut justifier la violation d'une garantie prévue dans la Charte.129 » Dans le même ordre d'idées, si le Canada devait prétendre que le but du mariage est d'unir deux personnes, une réponse pourrait être qu'« une fin qui abaisse la dignité [des polygames religieux] est contraire aux valeurs d'une société libre et démocratique et ne peut pas être considérée comme étant une préoccupation sociale, urgente et réelle130 ».

Le Canada aurait une plus grande possibilité de justifier le mariage limité à deux personnes en caractérisant l'objectif quant à la stabilité et l'ordre sociaux. Dans la mesure où cet objectif réduit le débat à des considérations utilitaires, il peut ne pas être possible de restreindre un droit prévu dans la Charte131. La Cour suprême du Canada a rejeté récemment des prétentions de coût et de rapidité administrative comme étant des limites aux droits à l'égalité132. Cependant, si le Canada devait démontrer que les coûts de l'inclusion de la polygamie seraient élevés au point qu'ils seraient prohibitifs, le gouvernement fédéral pourrait réussir en justifiant la limite au droit prévu en vertu de la Charte133. Subsidiairement, si le coût à payer pour se conformer à la Charte en vue de respecter un droit était élevé, mais non prohibitif, cela pourrait être un fondement pour formuler un recours qui étendrait l'application de la conformité sur une période de temps plus étendue.

L'objectif le plus impérieux que le Canada pourrait invoquer pour le mariage limité à deux personnes est que la polygynie rabaisse les femmes. Cet objectif est laïc. Il est compatible avec les valeurs d'une société libre et démocratique. De plus, il s'agit d'une préoccupation suffisamment urgente et réelle pour justifier d'enfreindre les droits prévus dans la Charte. Qui plus est, pour appuyer sa prétention, le Canada citerait son engagement à l'égard de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes des Nations Unies. D'après le Comité, les États qui permettent la polygamie contreviennent à leur obligation de protéger les droits des femmes à l'égalité (CEDAW, ONU, 1992, p. 1).

Pour répondre aux trois exigences du critère de la proportionnalité, le Canada prétendrait que le mariage limité à deux personnes est lié logiquement à l'objectif de protéger les femmes; qu'il ne viole pas les droits plus qu'il n'est nécessaire pour atteindre cet objectif; et qu'il n'a pas un effet dont la sévérité est disproportionnée sur les personnes qui cherchent à faire reconnaître leurs droits. Autrement dit, ces trois éléments exigent que le Canada « soup[èse] les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes »134. D'autres pays, dont certains ont des histoires et des systèmes de valeurs semblables, ont déjà fait cet exercice. Le Canada tirera vraisemblablement profit de leur expérience pour soutenir sa prétention que le fait d'omettre la polygamie est une contrainte justifiable aux droits à l'égalité.

En particulier, l'Australian Law Reform Commission (ALRC), dans son rapport de 1992 intitulé Report on Multiculturalism and the Law, a conclu qu'il ne faudrait pas permettre de contracter des mariages polygames en Australie. L'ALRC a reconnu ce qui suit :

[Traduction]
… au sein de la communauté musulmane, un mariage polygame peut être acceptable et le fait de se marier dans un contexte de polygamie est plus acceptable aux membres de cette communauté que d'entrer dans une relation de fait tout en étant marié légalement. On y reconnaît aussi que la loi australienne est déficience en faisant d'un deuxième mariage une infraction criminelle, mais, dans certaines circonstances, et en traitant une relation de fait de la même manière qu'un mariage, même si une des parties ou les deux sont légalement mariées ou engagées dans une autre relation de fait. La reconnaissance du statut juridique de la polygamie irait toutefois à l'encontre des principes de l'égalité de genre qui sous-tendent les lois australiennes. Il y a très peu d'appui à la reconnaissance de la polygamie dans la communauté australienne. La Commission ne recommande pas de modifier le droit pour permettre qu'un mariage polygame contracté en Australie soit réputé valide (p. 94).

En réponse au rapport de l'Australian Law Reform Commission, Parkinson (1994, p. 504) a signalé qu'il y avait des divergences d'opinion au sein de la communauté islamique en Australie. En particulier, l'Australian Federation of Islamic Councils n'a pas demandé la reconnaissance de la polygamie, déclarant que ce n'était pas un enjeu important pour la communauté islamique en Australie. Qui plus est, [Traduction] « [d]ans d'autres parties du monde, l'incidence et l'acceptation de la polygamie ont diminué avec l'affirmation croissante de leurs droits par les femmes [citant la Turquie et le Pakistan]. La polygamie peut donc être une institution en déclin dans plusieurs parties du monde, menant un combat perdu avec la modernité » (Parkinson 1994, p. 504). Parkinson (1994, p. 504) a donc conclu [Traduction] : « Dans le cas de la polygamie, les arguments pour la reconnaissance ne sont pas assez forts, actuellement, pour justifier de miner encore une fois l'engagement de la société à l'égard de la préservation du mariage monogame. »

Ironiquement, l'effet causé par la recherche d'un équilibre entre l'égalité de genre et l'égalité sur le plan religieux - comme cela a été fait en Australie, au Royaume-Uni et en Afrique du Sud - est de dresser un portrait des communautés religieuses (et non seulement de la polygamie) comme étant des institutions qui subordonnent les femmes. Shachar a écrit que la vulnérabilité des femmes résulte de l'adaptation aux revendications des communautés religieuses qui veulent contrôler des questions comme celles du droit de la famille. Caractérisant la situation de [Traduction] « dilemme multiculturel au sujet des effets préjudiciables possibles de l'adaptation des relations de pouvoir inter-groupes aux relations de pouvoir intra-groupes », Shachar y a accolé l'étiquette de [Traduction] « paradoxe de la vulnérabilité multiculturelle135 ».

Toutefois, ce paradoxe n'est pas seulement celui qui ferait surface si le Canada cherchait à justifier le mariage limité à deux personnes. À l'étape de l'équilibre des effets salutaires de cette omission avec les effets nuisibles, les femmes enfermées dans des mariages polygames religieux qui ne sont pas reconnus légalement pourraient présenter leurs propres vies en exemple des effets nuisibles de se voir refuser l'accès au divorce, qui est l'une des incidences importantes du statut civil du mariage. De leur point de vue, autrement dit, la proportionnalité devrait être mesurée entièrement quant aux effets - salutaires et nuisibles - sur les femmes. Elles partageraient sans doute l'avis de Nathalie Des Rosiers, alors présidente de la Commission du droit du Canada, qui a dit au Parlement [Traduction] : « Il n'est pas dans l'intérêt des personnes qui vivent dans un contexte de mariage polygame - que je pourrais même appeler les victimes - que leur union ne soit pas reconnue, car elles ne peuvent pas bénéficier de la protection qu'accorde le mariage136. »

Recommandation 7 : Une contestation constitutionnelle du mariage limité à deux personnes peut être portée devant les tribunaux. Le Canada devrait se préparer à une telle contestation, y compris à une contestation qui se fonderait sur la discrimination sexuelle et qui serait entreprise par des femmes enfermées dans des mariages polygames religieux.


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Mise à jour : 2006-01-13
Contenu revu : 2006-01-13
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