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PublicationsLa polygamie au Canada : conséquences juridiques et sociales pour les femmes et les enfants – Recueil de rapports de recherche en matière de politiques
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La polygamie est une relation matrimoniale structurée dans laquelle un conjoint d'un sexe a plusieurs conjoints de l'autre sexe. Au cours des âges, la forme de polygamie de loin la plus populaire a toujours été celle selon laquelle un homme a plusieurs épouses. Cette forme de polygamie se nomme la polygynie;c'est celle qui est pratiquée à Bountiful. La polyandrie est le terme utilisé pour décrire une relation dans laquelle une femme a plusieurs époux. Bien que la polygynie et la polyandrie aient des significations différentes pour les anthropologues et les historiens et puisque la polygynie a toujours été et est de loin la forme de polygamie la plus commune, le terme « polygamie » est maintenant utilisé de manière générique pour décrire toute relation à conjoints multiples et sera utilisé aux fins du présent document. Cela dit, nous devons souligner que la pratique de la polygamie à Bountiful se limite à la polygynie.
Même si la communauté canadienne de Bountiful sert d'étude de cas dans le présent document, il est important de souligner que dans un grand nombre de régions du monde, des sociétés polygames existent depuis de nombreux siècles. L'union matrimoniale monogame n'est pas un concept universel en matière de relations familiales. Les sociétés polygames ne constituent pas des aberrations. Elles ont souvent existé à travers l'histoire et dans toutes les cultures.
En Amérique du Nord et en particulier aux États-Unis, la polygamie est depuis longtemps associée aux membres de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, communément appelés les mormons. Aucune analyse de la polygamie en Amérique du Nord ne serait complète sans un examen de cette pratique sur le territoire de l'Utah au XIXe siècle. Plusieurs milliers de disciples du mormonisme ont décidé de s'y établir après avoir quitté un climat de préjugés hostiles qui prenait parfois la forme de persécutions violentes et mortelles de la part de leurs voisins des États-Unis avant la guerre de Sécession. Avant de devenir un État en 1896, le territoire de l'Utah, qui était une théocratie de toute forme sans en porter le nom, était une source de curiosité et de défi pour le gouvernement fédéral américain. Outre les habitants autochtones et leurs traditions spirituelles, la majorité des résidents de l'Utah étaient des disciples d'une seule religion, le mormonisme, qui reposait sur la croyance que les relations polygames représentaient la meilleure et la plus grande assurance d'une vie éternelle après la mort (Krakauer 2003 : 5-6). Toutefois, même si la polygamie avait l'assentiment des aînés de l'Église mormone des premières années et même si cette pratique a atteint des sommets du milieu à la fin du XIXe siècle en Utah, elle n'était pas universelle parmi les fidèles et on estime que seulement 20 p. 100 des mormons se sont engagés dans des relations familiales polygames (Iverson 1984 : 505).
Quoi qu'il en soit, au début du XXe siècle, surtout parce que, pour que l'Utah soit admis en tant qu'État de la république américaine, les mormons devaient officiellement renoncer à la polygamie en tant qu'article de la foi, l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours officielle a abandonné la polygamie en tant que doctrine de l'Église (Nedrow 1981 : 314). Toutefois, une minorité de fondamentalistes stricts n'étaient pas d'accord avec cette nouvelle position officielle au sujet de la polygamie et ils se sont plus tard séparés de l'Église principale pour fonder leur propre religion, l'EFSDJ. Même si cette nouvelle Église conservait bon nombre des croyances de l'Église mormone principale, les dirigeants de la secte dissidente et leurs fidèles disciples ont maintenu la pratique de la polygamie lorsqu'ils ont établi une institution religieuse grâce à un réseau de communautés et de peuplements ruraux isolés aux États-Unis, au Canada et au Mexique. La croyance qu'un homme puisse atteindre la paix immortelle et que son statut dans l'au-delà, comme son statut sur terre, dépende de l'acquisition de plusieurs épouses et de la mise au monde d'un grand nombre d'enfants était et demeure une particularité importante de la foi de l'EFSDJ.
En Amérique du Nord, l'homme polygame moderne de l'EFSDJ a appris à adopter les signes extérieurs apparents du mariage civil légal puisqu'il n'est marié légalement qu'à une seule femme, mais qu'il adopte des règles et des croyances complètement différentes qui servent à étayer son ensemble complexe de relations et à camoufler cet ensemble de relations au public. Les adultes polygames des communautés de l'EFSDJ vivent simplement sous un seul toit sans être mariés légalement, des cérémonies religieuses privées et secrètes faisant de ces unions des engagements obligatoires pour les participants (Nedrow 1981 : 314-320). C'est certainement ce qui se passe dans la communauté de l'EFSDJ de Bountiful, en Colombie-Britannique, où les hommes mariés n'ont qu'une seule épouse au sens de la loi (BC 1993 : 28). Les autres « épouses » obtiennent le statut « d'épouses célestes » et s'engagent à l'égard d'un seul « époux » dans le cadre d'un rite religieux par lequel les époux deviennent « scellés ».4 De plus, les fidèles de l'EFSDJ de Bountiful et d'autres communautés de l'EFSDJ aux États-Unis et au Mexique reçoivent la directive expresse des dirigeants de leur église que l'obéissance aux règles religieuses régissant les différents aspects de leur vie est plus importante que l'obéissance aux lois laïques des pays dans lesquels ils vivent (BC 1993 : 28). Enfin, l'accès à la propriété privée, qui est certainement un des aspects du système économique de la démocratie moderne, mais aussi de son système politique, n'est pas encouragé pour les disciples de l'EFSDJ. Les dirigeants de l'EFSDJ gèrent une importante fiducie nommée le plan d'effort unifié (United Effort Plan), qui va au-delà des frontières internationales et qui est gérée par le bureau central de l'Église en Utah. Les membres des différentes communautés de l'EFSDJ ont été fortement encouragés à faire cession de leurs terres et de leurs résidences à cette fiducie (BC 1993 : 7-8).
Réponse juridique à la polygamie
Dans les pages qui suivent, nous traiterons des lois criminelles et civiles existantes au Canada en ce qui concerne la polygamie, ainsi que des lois internationales qui ont un impact sur les obligations du Canada dans ce domaine.
En vertu de l'article 293 du Code criminel, la polygamie est illégale au Canada. Cet article stipule ce qui suit :
Polygamie
293. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, selon le cas :
a) pratique ou contracte, ou d'une façon quelconque accepte ou convient de pratiquer ou de contracter :
(i) soit la polygamie sous une forme quelconque,
(ii) soit une sorte d'union conjugale avec plus d'une personne à la fois, qu'elle soit ou non reconnue par la loi comme une formalité de mariage qui lie;
b) célèbre un rite, une cérémonie, un contrat ou un consentement tendant à sanctionner un lien mentionné aux sous-alinéas a)(i) ou (ii), ou y aide ou participe.Preuve dans les cas de polygamie
2) Lorsqu'un prévenu est inculpé d'une infraction visée au présent article, il n'est pas nécessaire d'affirmer ou de prouver, dans l'acte d'accusation ou lors du procès du prévenu, le mode par lequel le lien présumé a été contracté, accepté ou convenu. Il n'est pas nécessaire non plus, au procès, de prouver que les personnes qui auraient contracté le lien ont eu, ou avaient l'intention d'avoir, des rapports sexuels.5
Toute personne qui est déjà mariée et qui s'engage dans toute forme de mariage avec une autre personne se rend coupable de bigamie, un acte criminel en vertu de l'article 290 du Code criminel. À certaines occasions, des poursuites ont été intentées contre des personnes en vertu de cet article.6
En ce qui concerne les approches juridiques en matière de polygamie, certains prétendent que l'adultère est une activité semblable, mais que cette activité n'est pas sujette aux lois criminelles du Canada. Il en est de même pour une personne qui est mariée mais séparée et qui s'engage dans une relation de vie commune subséquente sans avoir divorcé. En fait, les tribunaux ont conclu que la disposition anti-polygamie du Code ne s'applique pas à l'adultère, même lorsque ceux qui commettent l'adultère cohabitent7, puisque les personnes en cause ne prétendent pas contracter une forme de mariage.
Bien que la polygamie soit illégale, il peut s'avérer très difficile d'intenter des poursuites contre des personnes qui pratiquent la polygamie, comme le démontre une affaire rendue célèbre aux États-Unis. Les États-Unis comptent de 50 000 à 60 000 polygames pratiquants, la majorité d'entre eux étant des membres de l'EFSDJ. De loin, le plus grand nombre de personnes qui pratiquent la polygamie vivent dans des communautés de l'Utah et de l'Arizona, la plus connue de ces communautés étant celle de Colorado City, une ville à prédominance polygame d'environ 5 000 habitants qui chevauche la frontière de l'Arizona et de l'Utah. Colorado City était une petite communauté agricole isolée qui portait le nom de Short Creek lorsqu'un jour, vers la fin de juillet 1953, les adultes de l'EFSDJ y furent arrêtés massivement. Tous les membres de la communauté, à l'exception de cinq adultes et des 236 enfants, furent accusés de complot et de polygamie (Gripman 2001). Les enfants furent placés en garde préventive par l'État de l'Arizona et confiés à différents foyers d'accueil. Par la suite, les procureurs publics établirent une transaction pénale avec les 26 hommes qui acceptèrent de plaider coupable à des accusations de cohabitation ouverte et publique, et ces hommes furent ensuite libérés sous réserve d'une période de probation d'un an. La majorité des enfants de la communauté furent rendus à leurs parents après plusieurs longues batailles judiciaires. Cette opération se révéla un désastre sur le plan des relations publiques pour les autorités de l'Arizona, surtout pour le gouverneur qui avait autorisé l'opération puisqu'il fut défait aux élections suivantes.
Malgré les difficultés passées auxquelles ont fait face les autorités américaines lorsqu'elles ont voulu obtenir des déclarations de culpabilité contre les polygames, certaines affaires récentes ont été couronnées de succès, dont la déclaration de culpabilité prononcée à l'égard d'un homme de l'EFSDJ en Utah en 2003 sur des chefs d'accusation de viol, de non-soutien criminel et de bigamie. Thomas Green s'est fiancé avec sa belle-fille de 12 ans en 1985 et en a fait une de ses « épouses célestes » selon les rites de la religion mormone fondamentaliste après qu'elle eut atteint l'âge de 13 ans. Cette jeune fille donna ensuite naissance à un enfant qui est né deux mois après son 14e anniversaire de naissance. Par la suite, tentant en vain d'éviter des accusations de pédophilie, Green épousa la jeune fille lorsqu'elle atteignit l'âge légal pour consentir au mariage, conformément aux lois de l'Utah. Dans son jugement de 2005, la Cour suprême de l'Utah confirma que Green s'était rendu coupable de viol d'un enfant au sens de la loi.8 Dans un jugement précédent, la Cour suprême de l'Utah avait également admis un appel déposé par Green relativement aux accusations de non-soutien criminel et à quatre chefs d'accusation pour bigamie.9 Green avait tenté en vain de contourner les lois de l'Utah qui lui interdisaient d'être marié à plus d'une personne à la fois en ne faisant pas partie de plus d'un seul mariage autorisé à la fois. Green, qui avait une épouse légitime et trois « épouses célestes » divorçait d'une femme et en mariait une autre tout en poursuivant sa « relation céleste » avec la femme dont il avait divorcé.
Bien que l'article 293 du Code criminel interdise la polygamie, les lois civiles ont adopté une approche quelque peu différente en ce qui concerne la polygamie. Au cours de l'histoire, les tribunaux canadiens ont toujours reconnu à des fins très limitées la validité des mariages polygames contractés à l'étranger en appliquant le conflit de lois au sujet du mariage. En bref, tant que les parties à un mariage contracté dans un pays étranger ont une capacité juridique et ont été mariées conformément aux lois du mariage du pays en question, le mariage est déclaré valable au Canada à certaines fins. Le transfert de propriété d'une personne décédée à son héritière ou héritier par testament en est un exemple. En 1923, dans le jugement Yew c. la Colombie-Britannique,10 la Cour d'appel de la Colombie-Britannique renversa une décision rendue par un tribunal inférieur qui avait refusé l'état matrimonial aux deux veuves chinoises d'un résident canadien décédé. Le défunt avait laissé des directives dans son testament pour qu'une rente soit versée par sa succession à chaque veuve. Il s'agissait de déterminer si les rentes seraient assujetties à des droits selon le taux applicable aux personnes mariées conformément à la loi sur les successions applicable en Colombie-Britannique ou si elles seraient assujetties à un taux plus élevé. Un tribunal inférieur avait refusé l'état matrimonial aux deux femmes en précisant que leurs unions respectives n'étaient pas des mariages au sens défini par la loi canadienne. Toutefois, la Cour d'appel détermina que, puisque le défunt avait épousé les deux femmes en Chine alors qu'il était toujours citoyen de la Chine et que la loi chinoise de l'époque autorisait les mariages polygames, les deux femmes étaient des épouses légitimes du défunt et qu'elles avaient droit à leurs rentes selon le taux d'imposition le moins élevé.
Au fil des ans, nos tribunaux n'ont également pas hésité à reconnaître les mariages polygames contractés à l'étranger lorsque les personnes qui demandaient à être admises au Canada étaient des enfants. Par exemple, en 1983, la Cour d'appel fédérale renversa une décision de la Commission d'appel de l'immigration qui avait refusé la demande de parrainage d'un père qui voulait faire venir ses trois enfants au Canada. Les enfants étaient nés à Hong Kong pendant que l'homme y vivait avec deux femmes. Le mariage polygame étant légitime à Hong Kong, la Cour d'appel statua que le statut des enfants ne faisait aucun doute et que ces derniers pouvaient être admis au Canada conformément à la demande de parrainage de leur père.11 Elle statua également que les tribunaux canadiens ne pouvaient aucunement refuser quelque réparation demandée dans le cas d'un mariage polygame contracté à l'étranger lorsqu'une demande de réparations matrimoniales en vertu des lois canadiennes était en cause. Dans un jugement rendu en 1976 en Ontario, la Haute Cour de justice de l'Ontario examina le statut juridique d'un mariage contracté en Égypte conformément aux rites matrimoniaux de l'islam.12 Un mari et sa femme, tous deux citoyens canadiens, s'étaient mariés en Égypte en 1962 pour ensuite immigrer au Canada. Le mari prétendait avoir reçu un jugement de divorce en 1974 du Consul égyptien à Montréal conformément aux rites de l'islam. La femme contestait la validité du « divorce » conformément aux lois canadiennes et présentait une demande de soutien prétendant que son mariage était encore valable. Le mari prétendait que, puisque le mariage égyptien pouvait être polygame, les tribunaux canadiens et les lois canadiennes n'avaient aucune compétence dans cette affaire et que sa femme n'avait droit à aucun soutien. La Cour appliqua le conflit de lois au sujet du mariage et statua que le mariage égyptien était valable et que, lorsque le couple avait immigré au Canada, leur mariage était devenu assujetti aux lois canadiennes de sorte que les lois de l'Ontario s'appliquaient et que des réparations en matière matrimoniale pouvaient être accordées à la femme séparée de son mari.
Toutefois, nos tribunaux ne permettent pas à des personnes qui immigrent d'autres pays de continuer à pratiquer la polygamie. En 1998, un agent de l'immigration a refusé une demande de résidence permanente à un Palestinien qui avait épousé deux femmes au Koweït et qui était le père des cinq enfants des deux femmes. L'homme demanda une révision judiciaire de la décision, laquelle fut accordée. Toutefois, le tribunal chargé de revoir cette affaire confirma la décision rendue par l'agent de l'immigration et refusa de rejeter les conclusions de ce dernier selon lesquelles l'homme et ses deux femmes pratiqueraient la polygamie au Canada une fois qu'ils en seraient des résidents permanents.13 De plus, les mesures législatives fédérales existantes interdisent qu'un résident canadien parraine un ressortissant étranger qui est son conjoint ou sa conjointe et qu'un résident canadien parraine une personne lorsque, en date de son mariage, il était déjà marié à une autre personne.14
L'approche adoptée par le Canada est conforme à celle adoptée par le Royaume-Uni, qui a dû régler plusieurs questions importantes au cours des dernières décennies afin de répondre aux besoins du grand nombre d'immigrants provenant de l'Afrique et du Moyen-Orient. En effet, un grand nombre de ces immigrants provenaient de pays où les unions polygames n'étaient pas exceptionnelles et, dans de nombreux pays sub-sahariens, ces unions représentent jusqu'à la moitié de toutes les unions matrimoniales (Wing 2001). Les tribunaux anglais appliquent également le conflit de lois pour reconnaître la validité des mariages polygames contractés à l'étranger à certaines fins. La loi anglaise continue aussi d'interdire la polygamie pour les résidents du Royaume-Uni (Martin 1994 : 424-426). Toutefois, l'interdiction touchant la polygamie a souvent été contestée devant les tribunaux et par le lobbying de groupes musulmans traditionalistes. Les musulmans traditionalistes ont proposé, en vain jusqu'à ce jour, que la Convention européenne des droits de l'homme15 soit utilisée pour appuyer la légalisation de la polygamie en Grande-Bretagne. Conformément à l'article 8 de la Convention, « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications ». Les musulmans traditionalistes sont en faveur d'une interprétation large de cet article. Ils prétendent que, puisque la polygamie est une pratique qui fait partie du patrimoine religieux et culturel de milliers de musulmans britanniques, le respect de la vie privée et familiale devrait comprendre la reconnaissance juridique du droit pour les musulmans polygames de parrainer une deuxième épouse et même des épouses ultérieures pour qu'elles soient acceptées au Royaume-Uni. Toutefois, à ce jour, cet argument n'a pas été admis par la Commission européenne des droits de l'homme, qui a statué que les lois britanniques sur l'immigration qui interdisent le parrainage de plus d'un conjoint aux fins d'immigration ne contreviennent pas à la Convention (Wing 2001 : 856). En effet, conformément au paragraphe 8(2) de la Convention, un État a le droit de promulguer des lois concernant la vie familiale afin de protéger les droits et libertés des autres. Cette approche est conforme aux jugements rendus par les tribunaux du Royaume-Uni qui appliquent le conflit de lois pour que les mariages polygames soient reconnus à certaines fins, mais non à toutes les fins (p. ex. aux fins d'héritage). Ce qui freine la reconnaissance des unions polygames contractées à l'étranger est que les tribunaux refusent de reconnaître toute relation légitime créée en vertu de lois étrangères qui pourraient enfreindre la politique publique fondamentale de la Grande-Bretagne (Martin 1994 : 443).
Les obligations du Canada en vertu des lois internationales doivent être examinées. Les tribunaux canadiens ont tenu compte des instruments internationaux des droits de la personne par lesquels le Canada est lié pour guider l'interprétation et l'application de la Charte. En ce qui concerne l'interprétation et l'application des droits de la personne de la Charte, la Cour suprême du Canada a clairement statué que le droit international coutumier et conventionnel est utile et pertinent. La Cour suprême du Canada a également indiqué que les diverses sources de droit international en matière de droits de la personne, y compris les normes coutumières, doivent être des sources pertinentes pour l'interprétation des dispositions de la Charte.16
Le Canada est assujetti à un certain nombre de lois internationales en matière de droits de la personne en ce qui concerne la polygamie ou les activités qui y sont associées. L'article 34 de la Convention relative aux droits de l'enfant17 stipule que les États parties s'engagent « à protéger l'enfant contre toutes les formes d'exploitation sexuelle et de violence sexuelle ». Cette convention prévoit également que les États parties doivent prendre toutes les mesures requises pour empêcher « que des enfants ne soient incités ou contraints à se livrer à une activité sexuelle illégale ». Les activités sexuelles des personnes d'âge mineur qui se dérouleraient à Bountiful devraient donc inciter notre gouvernement à mener tous les efforts de prévention requis.
De plus, l'article 16 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW)18 prévoit que les « États parties prennent toutes les mesures nécessaires pour éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux » et, en particulier, pour assurer, sur la base de l'égalité de l'homme et de la femme :
(a) le même droit de contracter mariage;
(b) le même droit de choisir librement son conjoint et de ne contracter mariage que de son libre et plein consentement;
(c) les mêmes droits et les mêmes responsabilités au cours du mariage et lors de sa dissolution;
(d) les mêmes droits et les mêmes responsabilités en tant que parents, quel que soit leur état matrimonial, pour les questions se rapportant à leurs enfants; dans tous les cas, l'intérêt des enfants sera la considération primordiale;
(e) les mêmes droits de décider librement et en toute connaissance de cause du nombre et de l'espacement des naissances et d'avoir accès aux informations, à l'éducation et aux moyens nécessaires pour leur permettre d'exercer ces droits;
(f) les mêmes droits et responsabilités en matière de tutelle, de curatelle, de garde et d'adoption des enfants, ou d'institutions similaires, lorsque ces concepts existent dans la législation nationale; dans tous les cas, l'intérêt des enfants sera la considération primordiale;
(g) les mêmes droits personnels au mari et à la femme, y compris en ce qui concerne les choix du nom de famille, d'une profession et d'une occupation;
(h) les mêmes droits à chacun des époux en matière de propriété, d'acquisition, de gestion, d'administration, de jouissance et de disposition des biens, tant à titre gratuit qu'à titre onéreux.
En 1994, le Comité sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes des Nations Unies a adopté la recommandation générale 21, qui stipule ce qui suit sur la polygamie.
Mariages polygames
14. On constate, dans les rapports des États parties, qu'un certain nombre de pays conservent la pratique de la polygamie. La polygamie est contraire à l'égalité des sexes et peut avoir de si graves conséquences affectives et financières pour la femme et les personnes à sa charge qu'il faudrait décourager et même interdire cette forme de mariage. Il est inquiétant de constater que certains États parties, dont la Constitution garantit pourtant l'égalité des droits des deux sexes, autorisent la polygamie, soit par conviction, soit pour respecter la tradition, portant ainsi atteinte aux droits constitutionnels des femmes et en infraction à la disposition 5a) de la Convention.
La disposition 5a) porte sur l'élimination des préjudices associés à l'infériorité ou à la supériorité d'un sexe. Il est clair que le Comité sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes des Nations Unies a déterminé que la polygamie devrait être interdite. Par conséquent, puisque le Canada a signé et ratifié ces conventions, ces recommandations devraient, à tout le moins, influencer l'interprétation de droits tels que celui de l'égalité prévu au paragraphe 15(1) de la Charte.
Les pages précédentes présentent un sommaire de la réalité historique et courante de la polygamie en mettant l'accent sur le contexte nord-américain et les lois existantes applicables. Celles qui suivent définissent et examinent certains principes essentiels qui sont pertinents dans le cadre de notre analyse juridique.
Nos lois en matière de droits de la personne reflètent certaines valeurs importantes du Canada sur les plans juridique et social. Une de ces valeurs est la tolérance et le respect des pratiques et croyances religieuses, ou des non-croyances, de toutes les personnes. La liberté de religion est garantie et protégée par l'alinéa 2b) de la Charte. Les Canadiennes et Canadiens jouissent également du droit au traitement égal en vertu de la loi conformément au paragraphe 15(1) de la Charte. L'égalité formelle entre les hommes et les femmes a également une valeur normative en vertu de l'article 28 de la Charte. L'égalité du traitement en vertu de la loi est un élément précieux et un des éléments qui définit le plus les sociétés modernes et démocratiques.
L'autonomie personnelle est exercée au Canada contemporain dans un cadre juridique, politique et social qui repose sur les valeurs normatives de l'égalité devant la loi, de l'adaptation aux différences et de l'égalité formelle entre les sexes. Ces valeurs normatives sont formellement et juridiquement exprimées dans les articles 15 et 28 de la Charte, qui fait partie de la constitution canadienne et qui constitue ainsi la source de droit la plus élevée du pays. La notion d'égalité de toutes les personnes devant et selon la loi est peut-être une valeur que les Canadiennes et les Canadiens tiennent maintenant pour acquise. Toutefois, l'égalité en vertu de la loi évolue lentement, surtout pour les femmes et les jeunes filles.
Par exemple, autrefois, les voeux de mariage faisaient perdre aux femmes le statut qu'elles avaient avant le mariage ainsi que les droits légaux restreints qu'elles auraient pu avoir autrement. Du point de vue de la loi, une femme qui se mariait devenait sous la responsabilité et la garde de son mari. Cette réalité de la loi prévalait dans les démocraties anglophones. Aussi longtemps qu'un mari fournissait les nécessités de la vie et le logement à sa femme et à sa famille, les tribunaux étaient extrêmement réticents, pour des raisons juridiques et politiques, à intervenir, sauf dans les cas les plus odieux de violence ou de négligence (Golz 1995). À cette époque, les activités qui se déroulaient en privé et qui ne causaient aucun préjudice ni aucune menace à la paix et à l'ordre publics ne nécessitaient aucune intervention de l'appareil judiciaire, sauf s'il s'agissait de cas flagrants de violence ou de négligence.19 Cette politique de non-intervention dans les activités privées des personnes demeure valable en ce qui concerne la réglementation du rôle de l'État dans le domaine privé. Dans la plupart des cas, l'État ne décide d'intervenir que lorsque des actes qui portent préjudice sont commis envers une autre personne.
Les droits à l'égalité entre les sexes ont été intégrés au paragraphe 15(1) de la Charte.
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
De nombreuses décisions ont été rendues par les tribunaux d'appel provinciaux et par la Cour suprême du Canada, qui ont examiné les lois contestées à la lumière du paragraphe 15(1) de la Charte afin de déterminer si une loi donnée contrevenait au droit à l'égalité garanti par la Charte. Toutefois, la norme d'analyse reposait sur deux jugements rendus par la Cour suprême du Canada : Andrews c. Law Society of British Columbia20 et Law c. Canada.21 Orton (1990 : 302) traite de l'incidence de la décision Andrews et souligne que l'approche de la Cour suprême du Canada à l'égard du droit constitutionnel à l'égalité, parce qu'elle repose sur la correction des désavantages plutôt que sur le traitement égal, signifie que les lois qui n'ont pas été avantageuses pour les groupes désavantagés doivent maintenant l'être.
Le jugement Law c. Canada établit un cadre analytique qui met l'accent sur la nécessité d'une approche contextuelle en matière de droits à l'égalité. Pour déterminer s'il y a eu discrimination en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte, il n'est pas nécessaire de démontrer une intention de discrimination envers la personne ou le groupe lésé qui prétend qu'il y a eu inégalité de traitement en vertu de la loi. Un tribunal peut plutôt déterminer que l'égalité de traitement prévue par la loi a été refusée à une personne ou à un groupe lorsqu'on n'a pas réussi à tenir compte des cas de désavantage réel (Sharpe et al. 2002 : 276). Essentiellement, pour qu'une personne ou un groupe réussisse à établir qu'une loi contrevient à la disposition d'égalité de la Charte, cette personne ou ce groupe doit démontrer qu'il y a eu un traitement différent ou de la discrimination reposant sur l'un des motifs indiqués au paragraphe 15(1) ou sur un motif semblable. Le cadre analytique, tel que défini par la Cour suprême, est le suivant :
Premièrement, la loi contestée : a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles? Le cas échéant, le demandeur fait-il l'objet d'une différence de traitement aux fins du paragraphe 15(1). Deuxièmement, le demandeur fait-il l'objet d'une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues? Et, troisièmement, la différence de traitement est-elle discriminatoire de manière substantielle en mettant en évidence l'objet du paragraphe 15(1) de la Charte dans la lutte contre des fléaux tels que les préjugés, les stéréotypes et le désavantage historique?22
L'objet du paragraphe 15(1), tel que défini par la Cour suprême, est de favoriser le maintien d'une société dans laquelle les citoyennes et les citoyens peuvent être assurés que la loi leur accorde un respect et un traitement égaux sans préjugés. Le paragraphe 15(1) doit servir de garantie contre l'oppression et a pour objet de « remédier à la restriction inéquitable des possibilités, particulièrement en ce qui concerne les personnes et les groupes qui ont fait l'objet, au cours de l'histoire, de désavantages, de préjugés et de stéréotypes ».23
Le paragraphe 15(1) reconnaît également le droit à l'égalité entre les sexes, un droit appuyé par l'article 28 de la Charte, qui garantit l'égalité entre les sexes dans l'application des autres droits et libertés de la Charte.24 De plus, le droit fondamental d'une femme à l'égalité devant et selon la loi a été reconnu par diverses conventions internationales et divers engagements internationaux dont le Canada est signataire.25 Également, au moins un accord international appelle tous les États signataires à mettre en oeuvre des initiatives visant à éliminer tous les préjugés et toutes les pratiques qui sont associés aux rôles stéréotypés des hommes et des femmes. Conformément à l'alinéa 5a) de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes,26 les États parties à la Convention doivent mettre en oeuvre les mesures appropriées pour :
modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l'homme et de la femme en vue de parvenir à l'élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l'idée de l'infériorité ou de la supériorité de l'un ou l'autre sexe ou d'un rôle stéréotypé des hommes et des femmes (Mayer 2000-2001 : 248).
Les décisions de la Cour suprême du Canada établissent clairement que le paragraphe 15(1) est l'instrument dont les tribunaux doivent se servir pour déterminer si les droits à l'égalité d'une personne ou d'un groupe ont été violés. Comme l'a statué J. Wilson. dans le jugement McKinney c. University of Guelph :
En d'autres termes, l'article 15 est dans les faits déclaratoire des droits de tous à l'égalité dans l'appareil judiciaire de sorte que si la garantie d'égalité d'un individu n'est pas respectée par ceux à qui la Charte s'applique, les tribunaux doivent remédier à cette inégalité.27
La jurisprudence canadienne a établi que, sans égard à la revendication d'une personne lésée selon laquelle la loi contrevient aux droits individuels, le tribunal qui examine une question doit adopter « une démarche fondée sur l'objet et sur le contexte en vue de l'analyse relative à la discrimination ».28 De plus, pour déterminer qu'une mesure est discriminatoire de manière substantielle, on doit démontrer que la dignité humaine a été bafouée. Dans l'affaire Law c. Canada, la Cour suprême du Canada a statué ce qui suit :
La dignité humaine signifie qu'une personne ou un groupe ressent du respect et de l'estime de soi. Elle relève de l'intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelles qui n'ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne. Elle est rehaussée par des lois qui sont sensibles aux besoins, aux capacités et aux mérites de différentes personnes et qui tiennent compte du contexte sous-jacent à leurs différences. La dignité humaine est bafouée lorsque des personnes et des groupes sont marginalisés, mis de côté et dévalorisés, et elle est rehaussée lorsque les lois reconnaissent le rôle à part entière joué par tous dans la société canadienne. Au sens de la garantie d'égalité, la dignité humaine n'a rien à voir avec le statut ou la position d'une personne dans la société en soi, mais elle a plutôt trait à la façon dont il est raisonnable qu'une personne se sente face à une loi donnée.29
L'égalité devant la loi est une valeur démocratique importante. Si l'égalité entre les sexes était en question, les demandeurs devraient démontrer, d'une façon à justifier des réparations fondées sur la Charte, qu'ils font l'objet et qu'ils ont fait l'objet au cours de l'histoire de préjugés, de stéréotypes et de désavantages. En ce qui concerne la polygamie, les femmes pourraient affirmer que l'autorisation de la polygamie menace gravement leur « dignité humaine ».
Dans l'affaire Law c. Canada, la Cour suprême a défini quatre facteurs contextuels servant à déterminer si la dignité humaine a été bafouée, même si la Cour indique que cette liste n'est pas exhaustive. Les quatre facteurs appliqués à la question de la polygamie sont les suivants :
La Cour suprême a précisé que le désavantage historique n'entraîne pas automatiquement un résultat de discrimination, même s'il fait pencher la balance en faveur d'un tel résultat. On peut prétendre que les femmes et les jeunes filles font actuellement l'objet et ont fait l'objet au cours de l'histoire d'un désavantage social, politique et économique. Dans le contexte de Bountiful, la décision de ne pas intenter de poursuites pour polygamie renforce la compréhension erronée du mérite, des capacités et de la valeur des femmes et des jeunes filles dans la société canadienne, ce qui perpétue leur désavantage.
Les femmes et les enfants qui vivent dans des unions et dans des familles polygames à Bountiful méritent autant d'être protégés et d'être appuyés par la loi que toutes les autres femmes et que tous les autres enfants du Canada. Toutefois, puisque la polygamie ne fait pas l'objet de poursuites judiciaires, ils ne bénéficient pas de la protection et de l'appui juridique auxquels ils ont droit.
Lorsque des Canadiennes et des Canadiens choisissent de s'engager dans une union, cette union est habituellement monogame.30 Les sociétés occidentales valorisent la monogamie pour un certain nombre de raisons. Nous n'affirmons pas ici que la monogamie n'a pas son lot de problèmes. Par exemple, cette forme de famille produit des résultats négatifs pour les femmes des Premières nations.31 Il est clair que la famille canadienne est une institution qui tient grandement compte du rôle des hommes et des femmes et qui repose sur la répartition, selon les sexes, des tâches de chaque aspect de la vie familiale (Majury 2002 : 321). Par conséquent, on ne peut pas affirmer que les unions monogames traditionnelles sont un parangon d'égalité, puisque, comme l'histoire l'a démontré, ce n'est absolument pas le cas. Avant la confédération, on pouvait considérer que les femmes non mariées avaient un droit naturel à la dignité égal à celui des hommes non mariés. Toutefois, lorsqu'elles se mariaient, les droits restreints dont elles jouissaient, qu'ils soient naturels ou civils, se fusionnaient à ceux de leur mari de sorte que du point de vue de la loi, elles n'avaient aucune personnalité juridique (Golz 1995 : 325). Des changements sporadiques ont été apportés aux lois régissant l'union matrimoniale à partir du milieu du XIXe siècle. Par exemple, des initiatives de réforme du droit de la famille menées en Ontario ont élargi les droits des femmes mariées dans des domaines tels que la tutelle et la garde des enfants. Ces réformes tellement minimalistes reposaient toutefois grandement sur les notions de la moralité de l'ère victorienne, appuyées par la notion de faute entourant tout acte d'adultère féminin commis sans égard aux circonstances qui l'avaient précédé. Toute preuve d'adultère de la part d'une femme entraînait la condamnation juridique de la mère comme étant moralement inapte et donc indigne d'obtenir la garde légale de ses enfants (Golz 1995 : 326). La longue marche vers la reconnaissance formelle de l'égalité entre les hommes et les femmes au Canada a sans doute atteint un point culminant lors de l'intégration de l'article 28 à la Charte. Toutefois, pour vraiment se rendre compte du long trajet accompli par les femmes au Canada, il suffit de savoir que les femmes ont obtenu le statut constitutionnel de « personnes » en 1929 seulement conformément au jugement du 18 octobre 1929 du comité judiciaire du Conseil privé d'Angleterre dans ce qu'on appelle maintenant « l'affaire personne ».32 La longue évolution vers l'égalité a été parsemée d'histoires individuelles de courage et de persévérance face à l'indifférence publique et même pire.
Le présent document n'a pas pour objet d'examiner l'évolution de la reconnaissance juridique de l'égalité entre les sexes. Il est toutefois pertinent de reconnaître l'évolution historique du concept et de souligner qu'à la suite des nombreuses initiatives de réforme du droit de la famille, les unions monogames contemporaines ont à tout le moins le potentiel d'un partage égal du fardeau associé au soutien des enfants.
À l'opposé, les familles polygames sous-tendent une division des tâches, du temps et des ressources du mari entre plusieurs femmes et plusieurs enfants. Les enfants de nombreuses familles polygames grandissent essentiellement dans des maisons où le père à temps partiel ne peut jouer qu'un rôle de soutien et parental transitoire. Même si ce problème se retrouve également dans des familles monoparentales ou dans des familles où un des deux parents est absent pendant de longues périodes et où la présence à temps partiel du père ne pose aucun problème, la polygamie telle que pratiquée à Bountiful crée une situation dans laquelle un grand nombre de femmes et d'enfants dépendent financièrement et émotivement d'un seul homme. Ce type d'union peut donc créer un stress émotionnel pour les femmes, un stress qui est encore plus grand si la famille vit dans la pauvreté (Schnier et Hintmann 2001 : 810). De plus, les femmes des unions polygames de Bountiful n'ont souvent pas le droit de choisir leur compagnon potentiel (Schnier et Hintmann 2001 : 821).
Ce facteur contextuel a peu de pertinence en ce qui concerne la polygamie.
Comme l'a souligné la majorité des juges de la Cour suprême du Canada dans M. c. H. :
...on ne pouvait évaluer pleinement le caractère discriminatoire d'une différence de traitement sans vérifier si la distinction en question restreint l'accès à une institution sociale fondamentale, si elle compromet un aspect fondamental de la pleine appartenance à la société canadienne ou si elle a pour effet d'ignorer complètement un groupe particulier.33
La décision de ne pas intenter de poursuites pour polygamie a un effet sur les femmes et les enfants de Bountiful et un effet profond sur leur intérêt. On pourrait prétendre que les femmes et les enfants qui font partie de familles polygames sont des victimes et qu'en décidant de ne pas intenter de poursuites fondées sur l'article 293, les représentants officiels de la justice contribuent au maintien des conditions d'asservissement des femmes et des enfants de la polygamie. Cette question a été brièvement soulevée dans un rapport de 1993 sur Bountiful préparé à l'intention du Ministry of Women's Equality de la Colombie-Britannique (BC 1993 : 13). Ce rapport précisait que la situation du groupe de Bountiful soulevait la question suivante : quand la culture cesse-t-elle d'être de la culture pour devenir un cas d'abus? Si les dirigeants de communautés polygames telles que Bountiful veulent que les tribunaux acceptent la proposition selon laquelle les femmes choisissent de participer à des unions polygames dans lesquelles un homme prend toutes les décisions pour un groupe de femmes et d'enfants, ils devront démontrer que les femmes en question choisissent librement après avoir pris en considération les autres options possibles. Toutefois, on pourrait prétendre qu'un tel choix ne peut être légitime que s'il résulte d'un système qui encourage la libre pensée et le libre exercice des droits à la parole et à la liberté de conscience. Pour qu'une démocratie soit efficace, les citoyennes et les citoyens doivent acquérir les compétences et les capacités requises pour comprendre les politiques et les lois qui pourraient les gouverner. Les structures éducatives et sociales de Bountiful ne favorisent pas cette notion de libre exercice de la volonté individuelle.
Pour toutes ces raisons, la décision de ne pas intenter de poursuites pour polygamie bafoue la dignité des femmes et des enfants de Bountiful et soulève donc certaines préoccupations en ce qui concerne leur droit à l'égalité en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte.
Outre l'égalité, d'autres valeurs sont pertinentes et importantes, par exemple la « règle de droit » et le « principe du préjudice ». La règle de droit est un élément fondamental de la démocratie canadienne. Cette règle peut être résumée comme suit :
On doit souligner que ces limites ont été établies par la majorité des citoyennes et des citoyens qui ont exprimé leur volonté par l'entremise de nos représentants politiques élus. Peu importe ce qui motive une personne à respecter une loi donnée, on peut prétendre que la fonction la plus importante qu'accomplit une loi en tant qu'institution de la démocratie est de permettre une autonomie maximale aux personnes, à la condition seulement que, lorsque nous satisfaisons nos besoins individuels et poursuivons nos ambitions dans la vie, nous ne portions préjudice à aucune autre personne qui veut aussi satisfaire ses propres besoins et atteindre ses propres objectifs.
Le principe du préjudice, tel qu'élaboré par John Stuart Mill en 1869, est souvent cité par la Cour suprême du Canada. Dans son document, On Liberty, Mill présente le principe qui indique la portée de la liberté individuelle et les limites de l'intrusion de l'État dans cette liberté comme suit :
[traduction]...le seul but dans lequel le pouvoir peut être légitimement exercé sur un membre d'une collectivité civilisée, contre son gré, est d'empêcher tout préjudice envers les autres. (Mill 1989 : 13)
Le principe du préjudice est devenu un élément important du droit canadien, surtout pour l'analyse de l'alinéa 2b) (liberté d'expression) de la Charte et de l'article 7 (droit à la vie, à la liberté et à la sécurité) de la Charte (Levine 2004 : 197). Par exemple, dans l'affaire R. c. Butler34, une affaire de pornographie, la majorité des juges de la Cour suprême du Canada ont adopté la philosophie de Millian selon laquelle seulement un préjudice aux autres (aux femmes et aux jeunes filles dans le cas qui nous concerne) pouvait justifier une violation de la liberté personnelle ou de la liberté. La Cour suprême du Canada a affirmé que le niveau de préjudice requis pour justifier une telle violation correspondait à une « crainte motivée de préjudice », mise en évidence par un lien rationnel entre la sanction criminelle et l'objectif.35 Levine (2004 : 199) a indiqué que, dans la jurisprudence qui a suivi l'affaire Butler, trois points au sujet du principe du préjudice sont devenus très clairs. Premièrement, les mesures législatives doivent avoir pour objectif la prévention du préjudice pour justifier des violations des droits de la Charte. Deuxièmement, le principe du préjudice est un élément important de l'analyse de la « justice fondamentale » dans l'article 7 et dans l'approche compensatoire utilisée dans l'analyse de l'article premier de la Charte. Enfin, les gouvernements ont la tâche de plus en plus difficile de fournir des preuves évidentes de préjudice pour justifier des limites législatives qui restreignent les droits reconnus par la Charte.
Toutefois, récemment, la Cour suprême du Canada a rejeté le principe du préjudice comme « principe de la justice fondamentale » en vertu de l'article 7 de la Charte.36 Le jugement Malmo-Levine indiquait que le Parlement a le droit de défendre ses propres décisions de criminaliser un comportement, sous réserve seulement des droits constitutionnels.37 Ainsi, le Parlement pourrait adopter des lois criminelles en vue de légitimer des intérêts de l'État non limités à la prévention des préjudices.38 De plus, la Cour a indiqué que le principe du préjudice est un intérêt important de l'État, mais non un principe juridique normatif.39 La Cour a également souligné le manque de consensus sur ce qui constitue un préjudice dans notre société. Néanmoins, Levine (2004 : 208) en vient à la conclusion que les valeurs sociales utilisées pour appuyer les lois criminelles ne survivront pas à un examen détaillé de l'article 7 de la Charte si aucun préjudice n'est évité.
Ce qui peut constituer un préjudice peut aussi être une source de débat et de discussion animée. Après tout, le plaisir inoffensif d'une personne peut être perçu par une autre comme un affront à la moralité et comme une activité constituant un préjudice social. Toutefois, dans le débat sur ce que constitue un préjudice, même des personnes ayant des points de vue différents peuvent en venir à une entente sur certaines actions qui doivent indéniablement constituer des actes portant préjudice. Dans toute la documentation volumineuse du droit canadien, un document important peut légitimement être considéré comme étant un code de conduite uniforme pour tous : le Code criminel. Le Code contient de nombreux exemples d'interdictions contre différentes formes de conduite considérées comme portant préjudice à des personnes ou à la société. Même certaines de nos activités les plus privées sont assujetties à des interdictions en vertu du Code. Par exemple, conformément à l'article 43, un enseignant ou un parent peut utiliser des moyens physiques pour discipliner un élève ou un enfant, pourvu que cette force ne « dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances ».40 Prenons aussi l'exemple du paragraphe 282(1), qui stipule qu'il est illégal pour un parent de prendre et de détenir un enfant qui est assujetti à une ordonnance attributive de garde qui a attribué la garde de l'enfant à l'autre parent. Enfin, un autre exemple constitue l'interdiction relative à l'inceste qui est stipulée par l'article 155 et qui définit l'inceste comme étant une relation sexuelle entre des cosanguins, une définition qui comprend les demi-frères et les demi-soeurs. Ces interdictions, et les nombreuses autres interdictions du Code, ne sont pas arbitraires. Elles reflètent les normes minimales que des personnes raisonnables du spectre politique ont jugées comme étant nécessaires pour assurer la cohésion sociale d'un grand ensemble d'habitants disparates. Il va sans dire que ce code de conduite uniforme s'applique de manière égale à tous les résidents du Canada sans égard à leur sexe, à leur orientation sexuelle, à leur origine ethnique, à leurs antécédents culturels ou à leurs croyances religieuses. En effet, même si ces restrictions peuvent empêcher certaines personnes de pratiquer leur religion, elles sont considérées comme étant complémentaires puisque les lois sont appliquées de manière globale et générale et puisqu'elles portent sur les préjudices.
Il est donc approprié et admissible que le Parlement choisisse la méthode la plus adéquate pour traiter une activité nuisible, même si d'autres méthodes peuvent être utilisées. Par exemple, dans l'affaire RJR-MacDonald Inc. c. Canada (procureur général),41 la Cour suprême du Canada devait déterminer s'il était constitutionnel de traiter le tabagisme, une activité nuisible, en réglementant les étiquettes des paquets de cigarettes plutôt qu'en criminalisant le tabagisme. La majorité des juges de la Cour suprême ont souligné que :
...lorsqu'il est admis, comme cela doit l'être à mon avis, que l'usage du tabac a des effets nocifs sur la santé et que, lors de l'adoption de la loi en question, le Parlement souhaitait lutter contre ces effets, alors la sagesse de la méthode qu'il a choisie ne peut être déterminante relativement à sa compétence de légiférer.42
Ainsi, lorsqu'il est admis que la polygamie porte préjudice et que l'intention du Parlement, lorsqu'il promulgue des lois criminelles, est d'en combattre les effets nuisibles, la prudence dans le choix d'une méthode par le Parlement ne déterminera pas s'il a le pouvoir de légiférer en matière de polygamie.
La Cour suprême du Canada a affirmé que, même si le Parlement a choisi de ne pas utiliser les lois criminelles pour combattre une activité nuisible (par exemple, le tabagisme ou la consommation d'alcool), cela ne signifie pas que le Parlement ne peut pas imposer de sanctions criminelles sur une autre activité semblable (par exemple, l'usage de marihuana).43 Par conséquent, même si l'adultère et les activités semblables peuvent en effet être considérées comme étant nuisibles, le Parlement a choisi de ne pas appliquer d'interdictions criminelles à ces activités, tout en imposant des sanctions criminelles à l'égard de la polygamie, une activité que le Parlement considère également comme étant suffisamment nuisible pour être criminalisée plutôt que de faire l'objet de lois ou règlements civils.
Avant que nous discutions des préjudices associés à la polygamie, il est important que nous parlions des difficultés associées à la définition de ces préjudices. Premièrement, il est parfois difficile d'établir une différence entre les préjudices associés aux communautés polygames et ceux associés aux communautés théocratiques fermées. Il peut exister d'autres préjudices associés aux pratiques d'une communauté théocratique en particulier qui n'a aucun lien avec la polygamie. Certains de ces préjudices peuvent faire ou ne pas faire l'objet de sanctions criminelles. Par exemple, les pratiques reliées à la discipline des enfants peuvent contrevenir aux dispositions du Code relatives à l'agression. Les aînés de l'EFSDJ expliquent aux jeunes mormons fondamentalistes que les règles de leur religion régissant les différents aspects de leur vie sont plus importantes que les lois laïques du pays dans lequel ils vivent (BBC 1993 : 18). À tout le moins, des personnes pourraient ainsi croire qu'il est correct de désobéir aux lois laïques de leur pays, ce qui pourrait affaiblir la règle de droit, pierre angulaire de la démocratie.
Deuxièmement, certains des préjudices associés à la polygamie peuvent en réalité être difficiles à différencier des préjudices associés au patriarcat qui, bien entendu, n'est pas limité à la communauté de Bountiful. Par exemple, les relations hétérosexuelles monogames ne sont pas exemptes de préjudices à l'égard de l'égalité des femmes avec les hommes.
Enfin, pour déterminer les préjudices associés à la polygamie telle que pratiquée à Bountiful, nous étions limités par les ressources dont nous disposions : du matériel fourni par d'anciens membres de la communauté, un rapport rédigé en 1993 intitulé Life in Bountiful et un document rédigé par un professeur de l'Université de l'Alberta.
Certains des préjudices contestés de la polygamie telle que pratiquée à Bountiful sont considérés comme touchant la société en général et d'autres sont considérés comme étant très personnels. Par exemple, on craint que la création de communautés telles que Bountiful (des communautés reposant sur la polygamie qui, en apparence, veulent assurer la protection par la loi de leur mode de vie) puisse représenter une menace au déroulement adéquat de la démocratie moderne. D'autre part, Beaman (2004 : 33) affirme qu'il n'est plus nécessaire d'intenter des poursuites contre les polygames des SDJ [saints des derniers jours] - ils ne sont plus considérés comme une menace pour le pays ou l'ordre social. En réponse à cet argument, Kent (à paraître) affirme que les communautés polygames telles que celles de Colorado City et de Bountiful peuvent très bien représenter des menaces pour l'État dans la mesure où certains de leurs citoyennes et citoyens peuvent subir de graves préjudices et mauvais traitement au regard des droits de la personne qui pourraient être évités.
La pratique continue de la polygamie soulève certaines préoccupations sociales. Que se passerait-il si le Canada permettait l'établissement de règles et de lois distinctes pour les familles et les unions de communautés insulaires comme Bountiful? Les autres Canadiennes et Canadiens se sentiraient-ils encouragés à établir leurs propres règles et lois pour leurs familles et leurs unions sans égard au droit à l'égalité qui, selon les tribunaux, doit servir à l'établissement des lois au Canada?44 Un ensemble de sous-comités ou de sous-groupes disparates dans le domaine du droit de la famille pourrait miner notre notion d'égalité en vertu de la loi et entraîner des problèmes potentiels en matière de cohésion sociale dans notre pays. En effet, nous affirmerions ainsi que l'égalité pour tous sans égard au sexe n'est pas une valeur canadienne absolue ou intrinsèque.
Les membres les plus vulnérables de notre société demeurent les femmes et les enfants. Il est reconnu que l'inégalité et la hiérarchie patriarcale sont des éléments importants de la plupart des sociétés polygames, même de celles qui existent encore aujourd'hui (Thompson et Frez 1994 : 29-32 passim). Cette inégalité est démontrée par le fait que, même si l'homme n'a habituellement aucune restriction sur le nombre d'épouses qu'il peut avoir (à l'exception de l'islam qui permet aux hommes d'avoir jusqu'à quatre épouses seulement, sous réserve du consentement des autres épouses), les femmes ne peuvent avoir qu'un seul époux (Wing 2001 : 838). C'est ce qui se passe à Bountiful.
Dans certains cas, il existe une culture prédominante de subordination des femmes dans les familles polygames, ce qui est particulièrement préjudiciable pour les fillettes (Wing 2001 : 817). Pour ces fillettes, les mères sont le modèle d'identification le plus important qui leur permet d'envisager leur propre avenir. Même si, en quelque sorte, l'appareil judiciaire et la structure socioéconomique de la société canadienne prennent racine dans le patriarcat, ils reposent sur la valeur de l'égalité formelle, laquelle, selon les féministes et de nombreuses autres personnes, devrait mettre l'accent sur la liberté des femmes à choisir leur propre chemin dans la vie et à entretenir des liens avec qui elles veulent. Toutefois, ce n'est certainement pas la réalité de l'environnement familial dans le ménage polygame typique de Bountiful. La notion selon laquelle l'homme est la voix dominante d'un ménage et selon laquelle les femmes subordonnées doivent rivaliser pour obtenir son attention n'en est pas une qui assure la liberté optimale des jeunes femmes à choisir leur vie future. Les leçons apprises dans ces familles sont aussi négatives pour les jeunes garçons de la famille puisque leurs expériences familiales leur enseignent certaines notions sur les femmes et sur leur inégalité par rapport aux hommes.
La polygamie telle que pratiquée à Bountiful est nuisible pour les enfants, les femmes et la société parce qu'elle perpétue un système de valeurs reposant sur la notion que les femmes n'ont aucune place dans la communauté en tant que citoyennes pleinement égales aux hommes. Il ne fait aucun doute qu'un système de valeurs reposant sur la concentration du pouvoir politique et religieux entre les mains de quelques hommes est un système qui ne respecte ni ne favorise la libre pensée critique et l'indépendance. À Bountiful, les enfants des unions polygames grandissent dans un environnement où on dit aux femmes ce qu'elles doivent croire et où elles sont entièrement contrôlées par les hommes; les enfants sont conditionnés à croire que les femmes sont assujetties à la volonté de leur mari. De plus, les enfants constatent que leur mère n'a qu'un seul mari à qui elles sont totalement dévouées et loyales, tandis que l'homme peut avoir autant de femmes qu'il le désire.
Et qu'en est-il de l'argument selon lequel toute personne qui n'est pas d'accord avec les règles du groupe de familles polygames n'a qu'à quitter la communauté? Cet argument qui repose sur le « droit de quitter » rappelle une époque lointaine lorsque le consentement des femmes au mariage était présumé signifier un consentement à des relations sexuelles uniquement selon les conditions du mari, même lorsque cela signifiait le consentement à diverses formes de violence psychologique et physique dans le but de corriger l'épouse. Jusqu'en 1982, l'article 143 du Code criminel définissait le viol comme étant une relation sexuelle sans consentement entre un homme et une personne qui n'était pas son épouse. Donc, la femme n'avait aucun droit en vertu de la loi canadienne de refuser de consentir à une relation sexuelle avec son mari. Le syndrome de la femme battue qui est reconnu par la loi est un autre exemple de la simplicité de l'argument reposant sur le « droit de quitter ». En effet, les femmes qui souffrent de ce syndrome, déclenché par un cycle de violence psychologique, physique, financière, sexuelle et autre, ne quittent pas leur mari violent.45
Toutefois, certains peuvent prétendre que les femmes qui font partie d'unions polygames sont libres de se joindre à de telles unions et sont libres de quitter cette union et même la communauté. D'après la réalité culturelle présentée par une communauté polygame comme celle de Bountiful, les femmes sont autonomes. Mais pour que cette liberté de choisir ait une quelconque validité, elle doit permettre aux femmes qui choisissent de s'associer à d'autres personnes dans une union polygame de faire un choix informé sans qu'aucune contrainte ni aucune pression ne soit exercée par les autres. Après tout, une personne vraiment autonome n'adopte aucun système de valeur religieux ou philosophique sans se poser d'abord certaines questions. Une personne rationnellement autonome fera de temps à autre un examen critique de ce système de valeurs religieux ou philosophique et le comparera à la réalité du monde extérieur. La polygamie, telle que pratiquée à Bountiful, peut donc être discriminatoire. La polygamie peut aussi perpétuer le patriarcat et renforcer le système de croyances de celles et ceux qui font partie de cultures polygames à l'effet que la condition des femmes est déterminée par ses relations avec un homme et que son statut est moins élevé que celui d'un homme. Dans de telles circonstances, comment les femmes, en particulier les jeunes filles de 13 ou 14 ans, peuvent-elles choisir de manière autonome de s'engager dans une union polygame lorsque ce choix résulte du fait qu'elles ont été endoctrinées par un système de croyances qui leur apprend qu'elles ne seront valorisées que si elles deviennent l'épouse d'un homme qui est assez vieux pour être leur grand-père?
Vazquez (2001-2002 : 246), qui traite des préjudices associés à la polygamie dans des communautés américaines semblables à celle de Bountiful, prétend qu'un examen constitutionnel strict et détaillé des lois anti-polygamie démontrerait que ces lois servent un intérêt essentiel du gouvernement. Les raisons pour lesquelles des poursuites pour polygamie doivent être intentées comprennent le potentiel accru de violence sexuelle envers les enfants des communautés polygames, la protection des femmes contre la violence physique et sexuelle et les cas de fraude (Vazquez 2001-2002 : 230, 233, 239). Il est difficile d'intenter des poursuites efficaces relativement à ces délits étant donné la règle du silence imposée par les communautés polygames et l'isolement de ces communautés. La criminalisation de la polygamie pourrait faire tomber le mur du silence derrière lequel ces crimes sont commis (Vazquez 2001-2002 : 243). Les fraudes en matière d'aide sociale et d'impôt semblent fréquentes dans les communautés polygames de l'Utah (Vazquez 2001-2002 : 244). Vazquez dresse également la liste d'une panoplie de lois civiles qui subissent les effets négatifs de la polygamie, notamment les lois en matière d'accident du travail, d'immigration, de succession et autres.46
Le professeur Kent (à paraître) en vient à la conclusion que la polygamie telle que pratiquée à Bountiful (et à Colorado City) est une pratique qui est source d'une mauvaise adaptation. Les mariages organisés retirent aux jeunes femmes leur droit à faire des choix matrimoniaux. Les mariages contrôlent également la sexualité des jeunes femmes puisqu'elles deviennent des productrices de bébés afin de répondre aux aspirations religieuses des hommes qui les contrôlent. Il explique que les grossesses des jeunes filles font courir des risques médicaux additionnels à ces jeunes filles et à leurs bébés, des risques qui peuvent même entraîner la mort pendant la grossesse ou l'accouchement.
Le professeur Kent ajoute qu'en plus d'être illégaux, les mariages avec des personnes d'âge mineur tels que pratiqués à Bountiful contreviennent gravement aux droits de la personne. Outre les préjudices mentionnés ci-dessus, Bountiful pratique probablement une certaine forme de trafic de jeunes filles entre le Canada et les États-Unis dans le but de permettre des mariages polygames. Cette pratique pourrait constituer un « trafic polygame », une pratique qui contrevient à l'article 35 de la Convention relative aux droits de l'enfant (Kent, à paraître).
Ceux qui prétendent que la polygamie devrait être décriminalisée soulignent qu'il existe de nombreuses autres situations dans la société canadienne qui sont semblables à la polygamie, par exemple lorsqu'un homme a plusieurs enfants avec des femmes différentes (en même temps ou dans des relations successives), ces relations n'étant pas illégales en vertu du droit criminel canadien. Toutefois, à Bountiful, la polygamie comprend la formation d'unités familiales qui sont habituellement composées de plusieurs enfants et de plusieurs mères et au sein desquelles les femmes et les enfants sont assujettis à un risque réel de préjudice. De plus, comme nous le mentionnons plus haut, les femmes de Bountiful qui contractent des mariages polygames n'ont souvent pas atteint l'âge de consentement et ne sont pas en mesure de comprendre les conséquences de leur consentement à un mariage polygame.
D'autres personnes qui s'opposent à la criminalisation de la polygamie prétendent qu'il est préférable de s'attaquer aux comportements criminels sous-jacents, tels que les relations sexuelles avec des personnes d'âge mineur, l'inceste et les délits connexes, plutôt que d'intenter des poursuites pour polygamie. Selon ces personnes, ces comportements sont les principales préoccupations en ce qui concerne la polygamie. Toutefois, bien que ces comportements constituent certaines des principales inquiétudes en ce qui concerne la polygamie, d'autres comportements demeurent inquiétants. Par exemple, les poursuites qui pourraient être intentées pour inceste et relations sexuelles avec des personnes d'âge mineur (agression sexuelle) ne régleraient pas les problèmes reliés aux préjudices psychologiques globaux et à la violation des droits de la personne associés à la polygamie et dont sont victimes les femmes et les enfants.
L'indifférence de l'État à l'égard de l'existence d'une communauté polygame au Canada n'aide pas les femmes de cette communauté, qui doivent grandir et atteindre la maturité dans un environnement qui restreint non seulement leurs choix de carrière (quels qu'ils soient), mais qui les condamne aussi à vivre sans avoir la possibilité de faire leurs propres choix, ou alors avec une possibilité très restreinte de faire des choix relativement à une foule d'activités pouvant aller de la satisfaction sexuelle personnelle à la liberté d'expression. En effet, l'indifférence à l'égard des communautés polygames peut, sous forme de conséquence non voulue, décourager les dirigeants d'une communauté à proposer des solutions au groupe pour qu'il modifie, ou même abolisse, certains des affronts les plus flagrants à notre notion de l'égalité. La non-interférence dans les affaires d'une communauté polygame ne peut qu'assurer que les pratiques non démocratiques de ce groupe se poursuivront et que la hiérarchie de cette communauté continuera de surveiller et de contrôler tous les aspects de la vie communautaire et privée dans un environnement qui restreint la liberté de choix, surtout la liberté de choix en ce qui concerne les droits des femmes. L'État ne demeure pas neutre lorsqu'il fait preuve d'indifférence à l'égard de la pratique de la polygamie, même si cette approche est tentante pour ce qui est de l'administration de la justice, étant donné le nombre peu élevé de personnes pratiquant la polygamie. La tolérance tacite de la polygamie, ou l'indifférence à l'égard de cette pratique, renforce le pouvoir de contrôle de l'élite patriarcale qui dirige la communauté polygame et assure une longue vie à un système qui condamne les femmes à être des citoyennes de second rang et à jouer un rôle de « productrices de bébés ». Le danger qui nous guette si nous acceptons ouvertement ou même tacitement les pratiques bornées d'un groupe minoritaire a été défini en détail par la juriste de l'Université de Toronto Ayelet Shachar (1998b : 95). Cette dernière explique qu'essentiellement, la politique de non-intervention rend invisibles les violations des droits individuels fondamentaux des membres, des violations qui sont commises sous le « bouclier » de l'identité du groupe, puisque cette politique de non-intervention conceptualise les affaires du groupe comme étant complètement « à l'extérieur » du ressort de la loi de l'État.
Puisque nous avons fait valoir que nous pouvions restreindre les libertés fondamentales dans le but de prévenir ou d'empêcher les préjudices, nous devons maintenant examiner d'autres exemples concrets de préjudices subis par les femmes et les enfants de familles polygames. Pour ce faire, nous pouvons examiner les incidences politiques et juridiques de la polygamie à propos de questions telles que la rupture d'une relation, la garde des enfants, la répartition des biens, l'aide sociale, les prestations et l'imposition. Quels sont les préjudices associés à ces questions dans un système qui rend la polygamie illégale, mais dans lequel aucune poursuite n'est intentée pour polygamie?
Comme nous l'expliquons ci-dessous, Bountiful est le seul exemple concret de communauté polygame à grande échelle au Canada. Nous pouvons donc utiliser cet exemple pour vous donner des exemples actuels de problèmes juridiques et sociaux existants. D'autres relations polygames non connues par la justice canadienne existent peut-être à plus petite échelle. Par exemple, un couple qui s'est marié dans un pays étranger peut immigrer au Canada et l'homme peut ensuite prendre d'autres « épouses » selon la tradition culturelle de son pays d'origine. Bien que la structure sociale de telles relations puisse être plus difficile à étudier, les incidences juridiques de certaines questions, notamment la rupture potentielle de l'union, seraient les mêmes que celles applicables à Bountiful.47 C'est pourquoi la communauté de Bountiful est utilisée comme exemple tout au long de ce chapitre pour évaluer le genre de problèmes juridiques sociaux associés aux unions et communautés polygames. D'une perspective juridique, le présent chapitre examine également les incidences sociales associées à une communauté polygame à grande échelle sur les femmes, les enfants, les familles et les communautés.
La légalisation de la polygamie aurait un effet sur chaque aspect des lois relatives à la famille. Non seulement les domaines mentionnés ci-dessus seraient en changement continuel, mais il en serait de même pour les testaments,48 le consentement aux traitements médicaux, l'immigration, les indemnités à la suite d'accidents mortels, les droits de la personne, la propriété et autres. L'analyse suivante démontre que la légalisation de la polygamie porterait un coup au coeur de notre système juridique, ce que n'ont pas fait d'autres changements tels que la légalisation des mariages entre personnes de même sexe. Toutefois, si on prétendait que l'autorisation de la polygamie faisait partie de l'engagement du Canada à l'égard de l'égalité de tous, ces lois devraient être modifiées, peu importe le chaos que cela pourrait entraîner. Ce chapitre démontre les préjudices causés par la décision de ne pas intenter de poursuites pour polygamie et par l'indifférence à l'égard des violations des droits reconnus par la loi pour les femmes et les enfants de ces unions.
Dans le passé, la jurisprudence a défini le mariage comme étant une union entre un homme et une femme, à l'exclusion de toute autre personne, et plus récemment comme étant une union entre deux personnes.49 En vertu de ces deux définitions, seulement deux personnes peuvent contracter un mariage légitime. Dans les unions polygynes, la première épouse est légalement mariée à l'homme, tandis que les autres épouses sont dans une situation légale fragile. Toutes les lois canadiennes régissant les unions reflètent le principe fondamental restreignant à deux le nombre de personnes qui contractent une union à un moment donné, qu'il s'agisse d'une union matrimoniale ou d'une union de fait.
Le jugement Hyde c. Hyde50 sur les unions polygames potentielles a statué que le mariage était défini comme étant une union de vie volontaire entre un homme et une femme, à l'exclusion de toute autre personne. Comme nous l'expliquons ci-dessus, les tribunaux ont depuis reconnu certaines unions polygames contractées à l'étranger.51 Toutefois, les tribunaux ont refusé de reconnaître les unions polygames aux fins de l'immigration.52 De plus, aux fins de l'état parental, la loi ne reconnaît toujours que deux parents pour un enfant en particulier.53
Les relations reconnues par la loi peuvent être des unions matrimoniales ou de fait. Les droits et responsabilités des conjoints de fait reconnus par la loi sont de plus en plus nombreux. Tout de même, la reconnaissance juridique des conjoints de fait demeure moins grande que celle des couples mariés en vertu des lois de certaines provinces et de certains territoires.54 Certaines provinces ont adopté des lois qui régissent les unions de fait. Par exemple, en Alberta, l'Adult Interdependent Relationships Act (AIRA)55 a modifié plus de 60 lois pour qu'elles incluent les unions interdépendantes. Un partenaire adulte interdépendant (PAI) est une personne avec qui une autre personne vit depuis trois années consécutives et qui est un partenaire interdépendant en vertu d'une série de facteurs économiques et familiaux, tels que l'interdépendance financière, l'exclusivité ou le fait de détenir une propriété ensemble. Il n'est pas nécessaire de faire partie d'une union conjugale pour être un PAI; toutefois, une personne ne peut avoir qu'un PAI à la fois. En vertu de l'AIRA, lorsque quelqu'un contracte un mariage avec un partenaire qui n'est pas son PAI existant, la relation de PAI d'origine est dissoute.56 De plus, une personne ne peut pas s'engager dans une relation de PAI si elle vit déjà avec un autre conjoint marié. Notamment, un PAI ne peut pas être une personne de moins de 16 ans, sauf si cette personne détient un consentement préalable par écrit de ses tuteurs.57
Par conséquent, il n'est pas possible, en vertu de l'AIRA, d'être marié avec une personne et d'avoir un PAI en même temps. Une famille polygame en Alberta serait traitée comme étant un couple marié avec un adulte ou des adultes supplémentaires vivant dans la même résidence. Les personnes ayant contracté un mariage légitime seraient les seules personnes à avoir les droits et responsabilités inhérents à une union légitime à l'égard de l'autre partenaire.
En vertu de la Loi sur le divorce,58 le seul motif d'un divorce est la rupture du mariage. Un couple peut établir cette rupture de l'une des trois façons suivantes :
Dans une relation polygame, l'adultère serait quasi impossible à prouver parce que l'une des raisons empêchant le divorce est le pardon.60 Si une femme pardonne à son mari d'avoir commis l'adultère, elle ne peut pas faire une demande de divorce fondée sur cet adultère. Dans une communauté polygame, on accepte qu'un mari ait plusieurs femmes. Par conséquent, une des femmes ne pourrait pas demander le divorce pour adultère si elle pardonne l'acte pour lequel elle fait une demande de divorce. Toutefois, elle pourrait demander le divorce en vertu de deux autres motifs. Le motif le plus fréquent des demandes de divorce est que les époux vivent séparément et indépendamment depuis un an.
Une des raisons pour lesquelles il est difficile d'obtenir un divorce à Bountiful découle de la façon dont le mariage est contracté. Seule la première épouse bénéficie des droits que lui procure un mariage légitime, tandis que les épouses ultérieures n'ont aucun statut d'union légitime. La place de la « première épouse » à Bountiful est parfois donnée à la première femme qu'un homme épouse, mais parfois cette place est conservée à un usage futur. C'est ce qui se passe lorsque de jeunes femmes sont envoyées de l'Utah pour devenir des épouses de Bountiful. Bountiful est toujours à la recherche de femmes pour les hommes de la communauté, et les femmes des États-Unis ne peuvent pas immigrer si elles ne sont pas mariées légalement avec un citoyen canadien. Par conséquent, on conseille parfois aux hommes de Bountiful de conserver la place d'épouse légitime pour une épouse américaine (Palmer 2005).
Ce genre de situation fournit un exemple de la manière dont les droits des femmes reconnus par la loi peuvent être bafoués, puisque la polygamie ne correspond pas à une union normale composée de « deux conjoints ». Dans cette situation, la première épouse serait une conjointe de fait jusqu'à ce qu'un mariage légitime ait lieu. Ensuite, lorsque le mari contracterait un mariage légitime avec une deuxième épouse céleste provenant des États-Unis, aux termes de la loi, il serait réputé se séparer avec la première conjointe de fait. Mais, en réalité, la situation serait tout à fait différente puisque la loi ne reconnaîtrait pas cette union à laquelle participeraient trois personnes.
Cette situation engendrerait plusieurs problèmes. Premièrement, la conjointe de fait pourrait techniquement faire une demande de pension alimentaire pour ex-conjoint et pour ses enfants. Les mesures législatives de chaque province restreindraient la période pendant laquelle elle pourrait demander une pension alimentaire pour ex-conjoint.61 Toutefois, en réalité, la conjointe de fait de Bountiful continuerait à vivre dans l'unité familiale et n'aurait pas accès à ses droits reconnus par la loi. Si la conjointe de fait décidait de quitter l'unité familiale des années après que son conjoint de fait ait contracté un mariage légitime, le délai prévu pour que la conjointe de fait puisse demander une pension alimentaire pour ex-conjoint serait échu. La loi considérerait que son droit à la pension alimentaire comme échu, et aucune autre loi ne tiendrait compte du fait qu'elle faisait partie d'une union polygame pendant cette période. Toutefois, elle pourrait avoir accès à la pension alimentaire pour ses enfants puisque ce droit demeure en vigueur tout au long de la jeunesse d'un enfant.
De nombreuses femmes de Bountiful se marient alors qu'elles sont encore de jeunes filles et qu'elles ne connaissent pas la vie à l'extérieur de Bountiful, ce qui les rend extrêmement vulnérables et ignorantes en ce qui concerne leurs droits reconnus par la loi (BC 1993 : 11). En réalité, une union céleste à Bountiful est rarement célébrée sans l'autorisation des dirigeants de la communauté. Parfois, ces dirigeants permettent à une femme ou lui demandent de quitter son mari pour être placée ailleurs dans la communauté. Souvent, cela se produit lorsque le mari n'est plus apprécié par les dirigeants de la communauté (Palmer 2005). Si une femme quittait son mari sans y être autorisée, elle risquerait d'être exclue de la communauté. Puisque Bountiful est une communauté complètement intégrée qui est le moins influencée possible par l'extérieur, ce genre d'action serait extrêmement difficile. La religion, les relations familiales, l'éducation des enfants, les affaires commerciales et les interactions sociales sont toutes menées à l'intérieur même du groupe de Bountiful (BC 1993 : 6). Par conséquent, si une femme agissait sans y être autorisée par le système, elle risquerait d'être mise à l'écart par la seule communauté qu'elle connaît - une communauté qui régit toute sa vie, son bien-être et ceux de ses enfants.
Le fait que les femmes soient si limitées à Bountiful qu'elles ne peuvent avoir accès à l'aide extérieure renforce les limites qui leur sont imposées par ce système polygame. Les femmes qui veulent garder leurs enfants avec elles n'ont pas d'autre choix que de se plier au système de fonctionnement Bountiful. Les droits à l'égalité des femmes s'en trouvent ainsi davantage diminués puisque les choix de ces femmes sont limités si elles veulent protéger leurs enfants et le mode de vie qu'elles connaissent. Lorsqu'elles doivent choisir entre maintenir le statu quo et s'échapper d'un système polygame étroitement contrôlé, les femmes ont très peu de latitude pour provoquer le changement ou augmenter l'égalité au sein de la communauté. Les femmes qui prennent le risque de quitter Bountiful ne bénéficient pas des mêmes avantages de droits que celles qui quittent une union monogame lorsqu'elles n'ont pas contracté de mariage légitime.
Pour déterminer le montant de la pension alimentaire à l'ex-conjoint, les tribunaux tiennent compte du nombre d'années pendant lesquelles les conjoints formaient un couple, des fonctions de chaque conjoint pendant la relation et de toute autre ordonnance précédente en matière de pension alimentaire pour l'ex-conjoint ou pour les enfants. Si une femme quittait son mari à Bountiful, il serait très compliqué pour elle d'obtenir une pension alimentaire. Si elle est l'épouse légitime, elle pourrait obtenir une pension. Toutefois, puisque le mari devrait soutenir non seulement cette épouse mais aussi plusieurs épouses et de nombreux enfants, le niveau de vie des membres de la famille qui sont restés en serait diminué. Si l'épouse qui quittait l'union était une conjointe de fait, elle n'aurait aucun droit légitime en vertu de l'union puisque le mari aurait déjà contracté un mariage légitime.62
En ce qui a trait à Bountiful, il est plus important pour le moment de déterminer si les ex-épouses auraient accès à la structure de soutien même si cette structure était disponible. Dans une communauté si insulaire qui évite l'influence extérieure à tout prix, les femmes sont moins susceptibles de demander aux tribunaux d'intervenir en leur nom. De plus, les dirigeants contrôlent le mouvement des femmes entre les maris et ils freineraient probablement tout droit reconnu par la loi que pourraient avoir les femmes dans le but de restreindre toute participation de l'extérieur. Cette situation est particulièrement problématique en ce qui concerne les droits des enfants à une pension alimentaire adéquate. Les parents d'un enfant sont tenus de s'occuper de cet enfant adéquatement. Sans système qui reconnaît ces unions ou qui intente des poursuites pour polygamie et qui tente d'empêcher de telles unions, les préjudices potentiels subis par les enfants augmentent, tout comme l'inégalité des femmes et des enfants.
En ce qui concerne les femmes qui quittent la communauté de Bountiful, certaines réalités sociales et juridiques peuvent les empêcher d'avoir pleinement accès à la division des biens. Par exemple, comme nous l'expliquons ci-dessus, les titres de propriété de Bountiful ont, la plupart du temps, été remis au plan d'effort unifié. Cela signifie que les titres juridiques de la plupart des terrains de Bountiful sont au nom des dirigeants du groupe et que de nombreuses familles sont locataires à discrétion de leurs propres résidences (BC 1993 : 7). Par conséquent, toute demande de répartition de la valeur de la résidence dite familiale de Bountiful d'un ex-mari serait futile. L'ex-épouse devrait intenter une réclamation fondée en droit contre le plan d'effort unifié même, ce qui serait beaucoup plus difficile et ne tiendrait pas compte de questions de lois familiales telles que la responsabilité du mari de soutenir une ex-épouse qui, dans certaines circonstances, a une éducation limitée ou qui était une mère au foyer.
Ces questions seraient plus complexes du fait que, même dans les familles où le mari serait le propriétaire des biens, d'autres épouses demeureraient dans la résidence familiale faisant l'objet d'une réclamation de la part d'une ex-épouse. En ce qui concerne la pension alimentaire, le mari soutiendrait déjà plusieurs épouses et enfants au moyen de ressources familiales limitées. Même si l'épouse légitime demandait le divorce, le mari pourrait invoquer le fardeau d'une telle demande de soutien sur tous les autres enfants qui demeurent au sein du ménage. Bien que la loi ne reconnaisse que deux conjoints, elle ne limite pas le nombre d'enfants qui peuvent demander le soutien d'un parent.63 Cet argument fondé sur la nature limitée des ressources pourrait également être invoqué dans le cas des familles monogames lorsque le mari a une nouvelle famille et que ses ressources sont limitées. Toutefois, la portée des préjudices est plus grande dans des communautés comme Bountiful étant donné le grand nombre de femmes et d'enfants qui font partie d'une seule famille.
Il est important de souligner qu'il existe d'autres communautés religieuses au Canada qui mettent les propriétés en commun, par exemple les huttériens. Même si la plupart des litiges concernant les colonies huttériennes avaient trait à des questions d'adhésion,64 un jugement de la Cour suprême du Canada rendu avant la promulgation de la Charte confirmait la validité de la loi albertaine qui interdisait la mise en commun des propriétés, même s'il s'agissait d'un aspect essentiel de la foi religieuse huttérienne.65 (Cette loi fut plus tard abrogée.) La loi interdisant la mise en commun des propriétés n'était fondée sur aucune loi familiale. La jurisprudence relative à des cas d'hommes ou de femmes ayant quitté les colonies huttériennes et ayant réclamé des droits de propriété pour cause de divorce ou autre est quasi sinon totalement inexistante. La raison en est simple : les articles d'association qui régissent les communautés stipulent que les personnes qui quittent les colonies huttériennes ne peuvent faire aucune revendication sur la propriété.66 De plus, bien que les huttériens mettent les propriétés en commun, ils ne pratiquent pas la polygamie.
En bref, la loi ne tient pas compte de la situation d'une famille polygame lorsqu'elle détermine la pension alimentaire de l'ex-épouse, la pension alimentaire des enfants et les droits à la propriété.67 Le préjudice le plus important produit par de telles unions est que les enfants de ces unions ne sont pas traités adéquatement parce que leur droit à une pension alimentaire est protégé, mais intangible. Bien que ces enfants aient un droit reconnu par la loi au soutien de leur père, ce droit a, en réalité, peu de chances d'être exercé. Si un enfant vit dans une communauté comme Bountiful, qui décourage les familles à avoir recours aux réparations juridiques offertes par l'extérieur ou qui compte des familles tellement pauvres que toute pension alimentaire serait minime, l'enfant est obligé de vivre dans la pauvreté. Les enfants qui ont plusieurs frères et soeurs et dont la famille compte plusieurs épouses ont accès à un soutien financier considérablement restreint. Surtout, dans une communauté où les épouses ne touchent aucun revenu et où le seul soutien fourni aux enfants provient d'un père qui est responsable de plusieurs épouses, les familles peuvent connaître des difficultés financières. Bien que cette situation puisse aussi être constatée dans des familles monogames, il est important de noter que le nombre véritable d'épouses et d'enfants d'une union polygame produirait les mêmes problèmes expérimentés lors d'une rupture d'une famille à deux parents dont la situation est semblable.
Les tribunaux déterminent les conditions de garde et d'accès relatives aux enfants en agissant dans le meilleur intérêt des enfants. Ils examinent un certain nombre de facteurs pour déterminer le meilleur intérêt de l'enfant, par exemple le temps que les parents peuvent consacrer à l'enfant, le bien-être physique et psychologique de l'enfant, ainsi que des facteurs connexes. Les tribunaux peuvent choisir parmi un certain nombre de conditions de garde, mais la garde conjointe (en vertu de laquelle les parents établissent une forme de garde partagée) est habituellement celle privilégiée par les tribunaux.
À Bountiful, les nouveaux-nés sont couverts de soins, mais au fur et à mesure qu'ils grandissent, le temps qui leur est consacré diminue. 68 Dans une famille qui ne compte qu'un seul père pour 40 ou même 80 enfants, il est normal que le père ait beaucoup moins de temps à consacrer à chaque enfant. Dans des communautés comme Bountiful, la garde et l'accès sont rendus plus complexes par le fait qu'une femme peut avoir des enfants avec différents maris si elle a été «réassignée» plusieurs fois d'un mari à un autre.
Les agressions sexuelles contre des enfants ne sont évidemment pas dans le meilleur intérêt des enfants. Les enfants de Bountiful courraient des risques d'agression sexuelle de la part des hommes du groupe. En 1993, un rapport indiquait qu'il y avait eu trois procès récents pour infractions sexuelles qui impliquaient des hommes de Bountiful et que les risques de violence sexuelle étaient plus grands étant donné la manière dont la communauté était structurée.
Il est possible que dans une communauté si insulaire, où l'obéissance absolue aux directives des dirigeants est extrêmement exigeante pour les membres, les problèmes personnels s'expriment de façon sournoise, souvent abusive. La pression exercée par les problèmes individuels dans une communauté exceptionnellement conformiste peut être envahissante; et à Bountiful, il existe peu d'exutoires autorisés pour évacuer la frustration accumulée (BC 1993 : 11).
Depuis ce rapport de 1993, il y a eu d'autres allégations de violence. Puisqu'il s'agit de graves allégations qui ont de graves conséquences, les tribunaux doivent être très prudents lorsqu'ils déterminent s'il y a eu violence sexuelle. Debbie Palmer (2005), une ancienne femme de Bountiful, a expliqué comment il est difficile de faire admettre aux enfants les violences commises dans la communauté. Les membres de la communauté enseignent aux enfants à garder le silence sur ce qui s'y passe. Dans une plainte concernant une de ses filles, Mme Palmer a indiqué que les gens de la communauté avaient essayé de faire taire sa fille avant que les autorités ne reçoivent des preuves de l'infraction.
En ce qui concerne les enfants, leur vie est compliquée, parce qu'ils ont une mère et un père biologiques et parce qu'ils interagissent avec de nombreuses autres mères pour ainsi dire. Lorsqu'une femme décide de quitter Bountiful, il est rare qu'elle puisse amener ses enfants avec elle. La communauté se bat pour que les enfants y restent (Palmer 2005). Les enfants qui restent à Bountiful ont très peu de chances de pouvoir voir leur mère qui a quitté la communauté. Les possibilités de garde conjointe ou de visite en ce qui concerne les enfants sont très restreintes étant donné les différences idéologiques entre la personne qui vit à Bountiful et celle qui vit à l'extérieur. Bien que certaines familles monogames puissent également avoir des différences idéologiques, Bountiful restreint également l'accès aux personnes qui quittent la communauté.
Une autre question complexe nécessite réflexion : les droits des autres mères à l'égard des enfants qui ne sont pas les leurs sur le plan biologique, mais avec lesquelles les enfants peuvent avoir établi des liens particulièrement harmonieux. De plus, lorsque les dirigeants assignent une femme à un nouveau mari pour des raisons politiques, comment se sentent les enfants lorsqu'ils perdent toute leur famille, c'est-à-dire leurs frères et leurs soeurs, et lorsqu'ils doivent repartir à zéro dans une nouvelle famille?
Dans les familles polygames qui vivent à l'extérieur d'une communauté comme Bountiful, les enfants perdraient tout de même leurs frères et leurs soeurs. À la rupture d'une famille comptant deux parents, les enfants peuvent devoir répartir leur temps entre les deux parents, mais ils continuent de vivre avec leurs frères et soeurs. Dans le cas d'une famille polygame, les enfants peuvent devoir laisser derrière eux les enfants de deux ou plusieurs autres épouses. Si l'ex-épouse quitte la communauté, les probabilités qu'elle revoie ces enfants sont très minces.
Dans chaque province, des règlements stipulent comment un conjoint ou un partenaire sera pris en considération dans le calcul du montant d'aide sociale auquel le ménage a droit. En Alberta, les revenus de toute personne qui est conjoint, PAI69 ou qui a un enfant avec le bénéficiaire de l'aide sociale seront inclus dans le calcul du montant d'aide sociale admissible, s'il y a lieu, pour le ménage.70 La Colombie-Britannique a adopté des mesures législatives semblables71; toutefois, Narinder Serown (2005), du centre de service (Interior Service Centre) situé près de Bountiful, n'a pas encore eu à déterminer l'admissibilité de familles polygames à l'aide sociale. Comme le confirme cette information, le principal problème en ce qui concerne les lois relatives à l'aide sociale, qui ne tiennent pas compte de l'existence des unions polygames, est que la loi n'a toujours pas réglé cette question et qu'elle ne tient pas compte de la manière dont les familles polygames devraient être couvertes.
Par exemple, si un Canadien dont les antécédents culturels permettent la polygamie a deux épouses, le système d'aide sociale ne pourrait probablement pas déterminer la nature polygame de cette famille. Le couple légitimement marié serait traité comme un couple aux fins du calcul du revenu familial, tandis que la deuxième épouse, qui n'a pas contracté de mariage légitime, serait traitée comme étant une personne célibataire qui ne fait que partager un logement avec le couple marié. Le revenu de la « deuxième épouse » ne serait pas inclus dans le revenu familial du couple légitimement marié. Si cette épouse n'avait pas de revenu, elle pourrait présenter une demande d'aide sociale à titre de personne indépendante. Donc, puisque toutes les parties seraient couvertes par l'aide sociale, la vraie nature de la famille ne serait pas prise en considération dans les calculs.
L'objet des articles portant sur le « conjoint à domicile » de ce genre de loi est de déterminer le revenu du ménage pour les partenaires interdépendants, les coparents et les conjoints. Pour ce faire, le système d'aide sociale tient compte des membres de la famille qui se soutiennent l'un l'autre dans un ménage en particulier. Comme le système d'aide sociale ne reconnaît pas que le ménage en question compte trois personnes, ce ménage peut toucher un revenu plus élevé que les autres ménages. Toutefois, même si une famille polygame était reconnue aux fins de la loi, les mesures législatives telles que l'Income and Employment Supports Act de l'Alberta ne tiennent compte que des ménages formés de deux partenaires au maximum. Par conséquent, il n'existe aucun cadre juridique nous permettant d'établir à quel montant une famille polygame peut être admissible en vertu de l'aide sociale.
L'aide sociale est un instrument qui permet de niveler les inégalités entre les riches et les pauvres. Les femmes, en particulier, ont besoin de ce genre d'instrument de péréquation étant donné la pauvreté et les inégalités auxquelles elles font face par rapport aux hommes. Le système d'aide sociale ne tient pas compte des unions polygames et la situation des femmes de telles unions ne peut donc pas être examinée. Nous ne savons pas quelles seraient les inégalités créées par des familles polygames qui auraient accès à l'aide sociale par des méthodes frauduleuses ou si le système était accessible à ces familles. Les recherches menées indiquent déjà que les mesures législatives touchant le conjoint à domicile ont un effet négatif sur les femmes.72 En ne tenant pas compte de l'existence des familles polygames, on amplifie cet impact négatif. À tout le moins, si on n'apporte aucun changement, c'est-à-dire si la loi ne reconnaît pas ou n'interdit pas les unions polygames, les femmes dans le besoin s'en trouveront encore plus désavantagées.
Les questions exploratoires suivantes ne sont pas prises en ligne de compte par les mesures législatives touchant l'aide sociale, mais des réponses devraient y être apportées pour que nous puissions mieux en comprendre les répercussions. Quelles sont les inégalités financières entre les femmes d'une union polygame? Quel système devrait être utilisé pour déterminer le revenu familial équitable d'une famille polygame? Comment prévient-on les fraudes d'aide sociale lorsque seulement la première épouse a des droits reconnus par la loi à la suite d'un mariage légitime?
Surtout, il serait essentiel de déterminer si les familles polygames sont en fait autosuffisantes étant donné les circonstances sociales de ces communautés. Le système d'aide sociale a été conçu pour servir de filet de sécurité pour les personnes et les familles qui vivent dans la pauvreté. À Bountiful, bon nombre des femmes s'occupent de la maison familiale et des enfants tandis que le mari travaille à l'extérieur de la maison.73 Comme les hommes ont de deux à douze femmes et jusqu'à 80 enfants, il paraît quasi impossible qu'une telle famille puisse arriver financièrement. Actuellement, les femmes et les enfants qui ont besoin de ce système d'aide sociale pourraient y avoir accès par des moyens trompeurs, mais le montant qu'ils recevraient serait tout de même fondé sur une fausse image de la réalité par rapport à leurs conditions de vie réelles.
D'autre part, si le système d'aide sociale tenait compte de la réalité du mode de vie des familles polygames, et s'il était confirmé que la plupart de ces familles ne sont pas autosuffisantes, les dépenses du gouvernement dans ce domaine augmenteraient. Même si toutes les familles méritent d'avoir accès au filet de sécurité que constitue l'aide sociale, la décision de fournir de l'aide financière aux familles polygames doit faire l'objet d'une considération spéciale.
Les régimes d'avantages fournissent aux familles des prestations pour soins de santé, soins dentaires et invalidité. Les coûts assumés par la famille sont habituellement minimaux et souvent subventionnés par l'employeur. Les régimes d'avantages prévoient des sommes maximales qui permettent à chaque membre de la famille d'avoir accès à un montant déterminé relativement aux services de santé. Habituellement, on peut souscrire à un régime individuel ou familial, ce dernier couvrant deux conjoints et leurs enfants. Les unions polygames ne sont pas prises en compte par les régimes d'avantages. L'employeur offre un régime collectif sous forme d'avantages pour ses employés et aussi pour que ses employés demeurent en santé. Souvent, les exigences requises pour que la famille ait accès au régime collectif ne sont pas très grandes. L'employeur suppose habituellement que l'employé est en union de fait ou est marié et que des enfants font partie de la famille. L'assureur qui fournit le régime ne requiert pas toujours de preuves des liens de parenté.
Même si la deuxième ou la troisième épouse ne peut pas demander d'être couverte par le régime, les enfants de ces épouses pourraient facilement être regroupés avec la première épouse et être accessibles aux avantages, ce qui crée deux problèmes. Premièrement, cela crée de l'inégalité entre la première épouse et les épouses ultérieures. La première épouse a accès à l'assurance-santé, dentaire et invalidité par l'entremise de son mari tandis que les autres épouses n'ont pas accès à ces assurances. Deuxièmement, cela augmente les contraintes des assureurs qui couvrent alors des enfants qui ne sont pas issus du premier mariage ou de la première union. Tous ces enfants méritent d'être couverts, et il en est de même pour toutes les épouses. Toutefois, les assureurs augmenteraient probablement les primes d'assurance s'il y avait un nombre élevé de familles polygames dans une région.
Les familles polygames qui ne font pas partie d'une communauté, mais qui peuvent provenir d'un autre pays et qui ont réussi à maintenir leur union polygame secrète connaissent des difficultés semblables. Le fait qu'une seule femme ait accès à l'assurance-santé peut créer un déséquilibre du pouvoir entre les femmes d'une unité familiale. Cette situation peut amplifier l'impuissance de certaines femmes de l'unité familiale tout en créant de la compétition entre les femmes pour l'obtention des ressources limitées. Donc, même si les régimes d'avantages doivent servir à aider les familles à vivre sainement, le système existant n'est pas conçu pour répondre aux besoins des familles polygames. En revanche, cela ne justifie pas que l'on modifie les lois pour qu'elles incluent les familles polygames, mais plutôt que l'on examine comment la décision de ne pas intenter de poursuites pour polygamie peut contribuer à un système d'inégalité. Les seules façons de régler ce problème en ce qui concerne les personnes non couvertes sont les suivantes : établir un système qui légalise la polygamie et qui modifie les lois pour qu'elles incluent les unions polygames ou établir un système qui intente des poursuites pour polygamie et qui s'attaque ainsi aux incidences sociales négatives de la polygamie.
À l'instar des autres lois reliées aux relations entre les personnes, notre système d'imposition utilise les concepts de « conjoint » ou de « conjoint de fait » et suppose qu'une union ne comporte que deux personnes.74 Dans une famille polygame, les deux personnes qui ont contracté un mariage légitime ont tous les droits et toutes les responsabilités prévus par notre système d'imposition, tandis que les autres épouses sont exclues de ce système. Si un mari déclarait tous les enfants de chacune de ses épouses, ses déductions excéderaient ou diminueraient grandement l'impôt qu'il devrait payer. Les unions des deuxième, troisième et quatrième épouses d'une famille polygame ne seraient aucunement reconnues par le système d'imposition, ce qui pourrait être problématique si, par exemple, le mari venait à décéder et si seule l'épouse légitime recevait les avantages fiscaux à son décès. Le système d'imposition est complexe et ne tient pas compte des familles polygames, ce qui le rend vulnérable à de nombreuses inégalités pour les épouses d'unions de fait des familles polygames et augmente les préjudices subis par les femmes de ces unions.
L'examen ci-dessus démontre que, puisque nos lois sont fondées sur le concept d'une relation à deux conjoints seulement, la légalisation de la polygamie causerait un grand chaos et beaucoup de confusion. Toutefois, s'il s'agissait d'une question d'égalité, ce chaos ne constituerait pas un motif valable pour empêcher le rétablissement de l'égalité (par exemple, en promulguant des lois qui incluraient les unions polygames). Cette étude sur la manière dont les lois sont structurées pour inclure deux conjoints, ainsi que les principales difficultés qui résulteraient de la réglementation des unions polygames, démontre les risques auxquels nous exposons les femmes et les enfants. Si les législateurs ne réglementent pas la polygamie et ne modifient pas toutes les lois ci-dessus pour qu'elles tiennent compte des problèmes découlant de la polygamie ou si les services de la justice n'intentent pas de poursuites pour polygamie et ne s'efforcent pas de la combattre, ces familles demeureront à risque. Les droits des femmes de ces unions ne sont pas reconnus et les femmes qui quittent leurs familles polygames se retrouvent dans une grande pauvreté. Les droits des enfants de ces familles sont aussi bafoués étant donné la pauvreté dans laquelle ils vivent et leur hésitation à demander de l'aide de l'extérieur. D'autre part, les femmes qui demeurent dans des communautés comme Bountiful ont peu d'occasions d'exiger des changements qui appuieraient leurs droits à l'égalité et ceux de leurs enfants.
Comme nous l'avons constaté, toute discussion portant sur la décision de ne pas intenter de poursuites pour polygamie au Canada nécessite l'examen du niveau de protection des droits constitutionnels des groupes religieux et minoritaires. Souvent, les groupes religieux ou culturels minoritaires sont plus désireux d'obtenir un statut spécial pour leurs propres pratiques et coutumes en vertu des lois relatives aux personnes (c'est-à-dire les lois qui concernent le mariage, le divorce, la garde et le soutien des enfants, la division du patrimoine familial et la succession) (Okin 1998 : 679). Il semblerait juste qu'une nation moderne, pluraliste et démocratique axée sur la tolérance et le respect de la diversité culturelle s'adapte aux pratiques culturelles de certains groupes lorsque ces pratiques diffèrent en tout ou en partie de celles de la société principale. En fait, le respect des minorités a été reconnu par la Cour suprême du Canada comme étant un principe constitutionnel.75
Toutefois, comme nous le mentionnons plut haut, si nous reconnaissions toutes les pratiques d'un groupe religieux ou culturel minoritaire, nous pourrions, dans certains cas, créer des situations dans lesquelles des membres vulnérables de ce groupe seraient sujets à des préjudices. La polygamie (telle que pratiquée à Bountiful) peut très bien correspondre à une telle situation. Surtout, la polygamie peut nuire aux droits à l'égalité des femmes et des jeunes filles, comme nous l'avons expliqué ci-dessus.
Par conséquent, l'acceptation absolue des droits des groupes minoritaires ne ferait que maintenir les inégalités associées aux communautés polygames comme Bountiful. Cela créerait de graves problèmes pour les personnes vulnérables qui sont membres de telles communautés, des personnes dont le statut peut être considéré comme étant secondaire par les dirigeants du groupe, et ce, au nom des pratiques religieuses et culturelles traditionnelles. La réalité de la discrimination entre les sexes fondée sur la culture est telle que les formes les plus insidieuses de cette discrimination sont pratiquées dans la sphère de la vie privée où l'État a toujours hésité à intervenir. Par conséquent, si l'un des principes fondamentaux du système juridique d'une démocratie moderne est le respect des libertés et des droits personnels des particuliers, nos tribunaux doivent procéder avec prudence lorsqu'ils évaluent un cas portant sur la confirmation de la protection des rites religieux d'un groupe en particulier. Dans un écrit juridique, Kymlicka (1998 : 162-163) résume cette question en expliquant que si nous voulons défendre la liberté individuelle de conscience, et non seulement la tolérance d'un groupe, nous devons rejeter le concept communautarien selon lequel les buts des gens sont fixes et au-delà de toute révision rationnelle. Selon ses explications, nous devons endosser la croyance traditionnelle à l'autonomie.
Pourtant, il pourrait se trouver qu'un certain nombre de personnes, autrement bien intentionnées, considèrent la polygamie comme étant une aberration, mais, comme cette pratique ne concerne qu'un groupe très peu nombreux de personnes au Canada, proposent de laisser les choses en l'état. Après tout, diront-ils, si aucune loi n'est violée et que les enfants des unions polygames sont bien traités, qui sommes-nous pour juger de la vie que devraient mener des personnes ou même une communauté entière comme Bountiful? Il se peut même que certaines personnes se portent à la défense des « droits d'un groupe » en invoquant le multiculturalisme. Elles défendront une politique de tolérance, et même de reconnaissance formelle au sens de la loi, à l'égard des pratiques religieuses et culturelles d'une communauté polygame. Elles peuvent prétendre qu'aussi longtemps que la communauté polygame respecte les lois canadiennes dans les liens qu'entretient la communauté avec ceux qu'elle considère comme des « étrangers », la société devrait respecter les pratiques religieuses et culturelles de cette communauté. Toutefois, cet argument est problématique. Si la polygamie était formellement sanctionnée par la politique gouvernementale, un pays démocratique permettrait ainsi l'existence à Bountiful d'une communauté où les droits normalement acquis des citoyennes et des citoyens ne seraient simplement pas existants ou, s'ils étaient existants, réduits jusqu'à ne plus être pertinents. Nous utiliserons les mots d'un extrait du manuel intitulé Animal Farm76 pour résumer notre idée : l'État déclarerait ainsi que toutes les Canadiennes et tous les Canadiens sont égaux devant et selon la loi conformément à la Charte, mais que certaines Canadiennes et certains Canadiens sont moins égaux que d'autres et que rien ne peut être fait ou ne devrait être fait pour corriger cette situation.
Par conséquent, la conception démocratique des droits minoritaires devrait tenir compte de la difficulté, sinon de l'impossibilité, d'accepter toutes les pratiques d'un groupe religieux ou culturel minoritaire donné. Certains groupes religieux ou culturels refusent que leurs traditions culturelles traditionnelles soient guidées par des valeurs laïques comme l'égalité et l'autonomie individuelle, et la communauté de Bountiful de l'EFSDJ fait certainement partie de ces groupes. Une question troublante se pose : pourquoi une démocratie moderne qui défend l'égalité entre les sexes en tant que droit constitutionnel fondamental conformément à l'article 28 de la Charte accorderait-elle une sanction juridique aux pratiques culturelles et religieuses d'une communauté lorsque de telles pratiques condamnent les femmes à être des citoyennes de second rang?
Si nous reconnaissons que les femmes (et les enfants) subissent les contrecoups de la polygamie, la décision du gouvernement de ne pas continuer à légiférer en matière de polygamie ou de ne pas appliquer les dispositions existantes du Code criminel sur la polygamie représente de la discrimination envers les femmes (et les enfants) conformément au paragraphe 15(1) de la Charte.
Certains jugements rendus portent sur la décision du gouvernement de ne pas agir et sur la Charte. Les affaires concernant l'obligation absolue d'agir du gouvernement font habituellement référence au paragraphe 15(1) de la Charte. Par exemple, dans l'affaire Vriend c. Alberta,77 la Cour suprême du Canada a statué que l'Individual's Rights Protection Act de l'Alberta contrevenait au paragraphe 15(1) de la Charte parce que cette loi sur les droits de la personne n'incluait pas « l'orientation sexuelle » dans les motifs de protection en vertu de la loi. Le jugement Eldridge c. Colombie-Britannique (procureur général)78 a, pour sa part, statué que la décision du gouvernement de ne pas fournir l'interprétation en langage gestuel pour les patients ayant un handicap auditif enfreignait les droits prévus au paragraphe 15(1) de la Charte.
Dans l'affaire Dunmore c. Ontario (procureur général),79 la Cour suprême du Canada devait déterminer si l'exclusion des travailleurs agricoles des mesures sur les relations de travail enfreignait leurs droits en vertu de l'alinéa 2 d) (liberté d'association) de la Charte. La Cour suprême (selon Bastarache J. et al.) a indiqué que la Charte n'oblige habituellement pas l'État à prendre des mesures affirmatives pour protéger ou faciliter l'exercice des libertés fondamentales.80 La Cour suprême a précisé que les cas portant sur la sous-inclusion étaient habituellement examinés en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte.81 Toutefois, lorsque l'histoire démontre que la position restrictive du gouvernement expose des personnes à certains préjudices (par exemple, à des pratiques de travail injustes), la Charte peut imposer une obligation absolue à l'État d'étendre les mesures législatives de protection aux groupes non protégés.82 Ainsi, l'exclusion de personnes d'un régime de protection peut grandement contribuer à la violation des libertés protégées. La Cour suprême s'est donc servie des libertés fondamentales de la Charte plutôt que de l'accès à un régime réglementaire en particulier pour appuyer cette demande.83 La Cour a également mentionné que la doctrine exprimée dans cette affaire ne pouvait pas à elle seule obliger le gouvernement à agir lorsqu'il a déjà légiféré dans un domaine en particulier.84 En termes clairs, si l'État choisit de légiférer dans un domaine en particulier, il doit le faire conformément au paragraphe 15(1) de la Charte, ce qui signifie que les groupes non protégés devraient être inclus.
Porter (1998 : 78-79) explique que les affaires Vriend et Eldridge portaient toutes deux sur la sous-inclusivité des mesures législatives ou des pratiques du gouvernement plutôt que sur les lacunes en matière de loi. Ce fut également le cas de l'affaire Dunmore. Toutefois, Porter précise aussi que les conclusions de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Vriend étaient justifiées par l'incidence disproportionnée de l'exclusion de l'orientation sexuelle en tant que question d'égalité de fond. Par conséquent, si la non-intervention du gouvernement aun effet disproportionné sur un groupe désavantagé, cela pourrait enfreindre le paragraphe 15(1) de la Charte. De plus, le juge Cory a statué dans le jugement Vriend que Dianne Pothier avait correctement observé que l'article 32 de la Charte est formulé en termes assez généraux pour couvrir les obligations absolues relatives à une autorité législative de sorte que la Charte sera appliquée même si l'autorité législative refuse d'exercer son pouvoir.85 Porter (1998 : 79) prétend également que la décision majoritaire dans le jugement Vriend confirme que le paragraphe 15(1) oblige le gouvernement à protéger et à promouvoir l'égalité dans tous les secteurs qui sont de sa compétence. Il affirme enfin (1998 : 79) que l'inaction législative n'est pas neutre; on doit analyser les effets de l'inaction pour déterminer si elle est incompatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte.
Macklem (1999 : 3) prétend que le jugement Vriend, accompagné du jugement R. c. Morgentaler,86 démontre que la Charte peut être utilisée pour protéger les minorités contre les conséquences de l'absence de volonté de la part de la majorité. Toutefois, il exprime aussi certaines réserves pour ce qui est de conclure que la Charte impose des obligations absolues au gouvernement. Il préfère plutôt conclure que certaines omissions de la part du gouvernement sont en réalité des actions, lesquelles peuvent être assujetties à une contestation fondée sur la Charte (1999 : 26-39).
La polygamie est l'objet d'une interdiction du Code criminel. Si le gouvernement devait abroger l'article 293 du Code, enfreindrait-il le paragraphe 15(1) de la Charte? Aucun cas ne mentionne si l'abrogation d'une loi pourrait enfreindre la Charte. Si la Cour suprême du Canada déterminait que le Code est sous-inclusif, parce que la loi sur la polygamie a été abrogée, on pourrait s'attendre à ce qu'elle détermine que cette situation a une incidence disproportionnée sur les femmes et les enfants et que, par conséquent, il y aurait violation du paragraphe 15(1) de la Charte. Comme nous l'expliquons ci-dessus, le paragraphe 15(1) de la Charte oblige le gouvernement à protéger et à promouvoir l'égalité dans tous les domaines qui sont de sa compétence : le droit criminel est certainement de la compétence du Parlement. L'absence de la protection offerte aux femmes (et aux enfants) par le Code au moyen de lois anti-polygamie pourraient enfreindre leurs droits en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte. Étant donné qu'aucune jurisprudence n'existe dans ce domaine, cette conclusion est purement spéculative pour le moment. De plus, il s'agit d'un argument très difficile à établir puisque les tribunaux ont précisé très clairement que l'obligation absolue d'agir du gouvernement ne s'applique que lorsque le gouvernement a déjà « agi ».87 Il peut ne pas suffire d'affirmer que le gouvernement a agi en promulguant une loi anti-polygamie. Comme nous l'expliquons aussi plus haut, il est de la compétence du gouvernement de choisir d'autres méthodes pour traiter les comportements indésirables, par exemple la réglementation plutôt que la criminalisation.
Nous tenterons de déterminer ci-dessous si les lacunes en matière de loi anti-polygamie peuvent être comblées par l'article premier de la Charte.
La décision du gouvernement de ne pas appliquer les dispositions anti-polygamie du Code pourrait peut-être elle aussi représenter une violation du paragraphe 15(1) de la Charte. En utilisant le jugement Law, on pourrait prétendre que la décision du gouvernement de ne pas appliquer ces mesures législatives a des incidences graves en matière d'égalité. On pourrait ainsi prétendre que le gouvernement, après avoir promulgué des mesures législatives anti-polygamie, a l'obligation absolue d'agir pour les appliquer.
En décidant de ne pas intenter de poursuites en vertu de l'article 293 du Code, le gouvernement dit aux résidents de Bountiful qu'en réalité, le Canada tolère la polygamie, sans tenir compte des conséquences. De plus, ce faisant, l'appareil judiciaire laisse entendre qu'en ce qui concerne les groupes polygames, la distinction philosophique et juridique de longue date entre les sphères d'activité privée et publique devrait être finement, sinon étroitement, appliquée. Le dilemme découlant d'une telle approche est que la discrimination fondée sur le sexe est souvent vécue de façon plus aiguë dans la sphère dite privée. En effet, dans de nombreuses cultures traditionnelles, le contrôle strict des femmes s'exerce dans la sphère privée par les pères réels ou des pères symboliques, qui agissent seuls ou avec la complicité de leur première épouse (Okin 1998 : 679).
La décision de ne pas intenter de poursuites pour polygamie au Canada pourrait être interprétée par certains comme étant une reconnaissance de fait du statut spécial que possède une communauté unique pour maintenir efficacement une structure sociale distincte avec un ensemble de valeurs qui prépare les femmes pour une vie d'asservissement à l'intérieur de la communauté, ces femmes ayant moins de droits que les femmes qui vivent dans le reste de la société canadienne. De plus, la reconnaissance de fait de la polygamie telle que pratiquée à Bountiful perpétue les rôles des femmes au sein de la famille et décourage les femmes de poursuivre leurs études après le premier cycle de l'école secondaire, ce qui restreint davantage leurs choix de vie potentiels.
Certaines personnes pratiquant la polygamie peuvent prétendre qu'il est trop tard pour commencer à intenter des poursuites en vertu de l'article 293 du Code après plusieurs années d'indifférence à l'égard de cette pratique. Toutefois, pendant des décennies, la société et les autorités ont fait preuve d'une indifférence reconnue à l'égard de la violence conjugale, même si certaines lois criminelles interdisaient les actes de violence. Grâce à l'aide du mouvement féministe, le gouvernement a commencé à se préoccuper des incidences en matière d'égalité des sexes découlant de l'indifférence à l'égard de la violence (qui se produit grandement dans la vie privée) et il intente maintenant des poursuites pour violence conjugale.88
Lorsqu'un tribunal détermine qu'une loi contrevient à un article particulier de la Charte, le gouvernement peut défendre ses actions en fournissant des preuves à l'effet que ses lois ou actions peuvent être justifiées dans une société libre et démocratique en vertu de l'article premier. Dans le cas des lois anti-polygamie, le gouvernement défendrait ses actions en éliminant l'interdiction contre la polygamie du Code criminel ou en n'appliquant pas cette disposition. Dans le jugement Dunmore, la Cour suprême du Canada a analysé si la promulgation de certaines protections pour les travailleurs agricoles en vertu de la Loi sur les relations de travail dans l'agriculture de l'Ontario pouvaient être sauvegardées par l'article premier. La Cour suprême du Canada s'est fondée sur les lignes directrices établies dans l'affaire R. c. Oakes89 pour déterminer si la restriction d'un droit de cette manière pouvait être sauvegardée par l'article premier. La Cour a expliqué que le gouvernement devait établir que l'objectif qui sous-tend la restriction est suffisamment important pour justifier la dérogation à un droit ou à une liberté protégés par la constitution et que les moyens choisis pour atteindre cet objectif étaient adéquats.90 Dans le cadre de cette analyse, le tribunal doit porter une attention particulière au contexte concret et social entourant la promulgation de la loi.91 Ces facteurs aident le tribunal à caractériser l'objectif de la loi qui fait l'objet d'un examen approfondi.
La polygamie est une question qui est traitée par le Code criminel, lequel a été promulgué pour protéger les Canadiennes et les Canadiens contre les préjudices (voir la discussion ci-dessus). Par conséquent, le gouvernement devrait justifier ses actes s'il décidait de ne pas protéger les Canadiennes et les Canadiens contre les préjudices associés à la polygamie, soit en abrogeant la loi anti-polygamie soit en ne la mettant pas en application. Dans l'un ou l'autre des cas, le gouvernement pourrait justifier sa décision en invoquant le motif suivant : les lois anti-polygamie violent le droit à la liberté de religion reconnu par l'alinéa 2a) de la Charte. Si le gouvernement utilise ce motif pour justifier ses actes, les tribunaux devront établir un équilibre entre le droit à l'égalité des sexes et le droit à la liberté de religion. Le chapitre II porte sur cet équilibre.
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Mise à jour : 2006-01-13 Contenu revu : 2006-01-13 |
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