Rapport de recherche

La polygynie et les obligations du Canada en vertu du droit international en matière de droits de la personne

Septembre 2006

VIII. CONCLUSION

  1.  Étant donné que le droit international des droits de la personne a évolué dans un cadre de non-discrimination à l'égard des sexes vers un sens plus solide d'égalité de transformation, un consensus croissant voulant que la polygynie viole le droit des femmes de ne pas faire l'objet de discrimination sous toutes ses formes a émergé. Quelques organes créés par traités, notamment le CEDEF, le CDH, le CDESC et le CDE, ont déclaré dans leurs observations générales que la polygynie viole les droits décrits dans leurs traités respectifs. Dans son observation générale no 28, Égalité des droits entre hommes et femmes, le CDH a indiqué que, puisque « la polygamie est attentatoire à la dignité de la femme » et qu'elle « constitue, en outre, une inadmissible discrimination à son égard […] elle doit être, en conséquence, définitivement abolie là où elle existe[529] ». De même, le CEDEF a soutenu que, puisque la polygynie viole l'égalité entre les sexes et qu'elle engendre souvent des conséquences financières et émotionnelles délétères pour les femmes et leurs personnes à charge, « de tels mariages doivent être empêchés et interdits[530] ».
  2.  Ces déclarations des organes créés par traités reflètent la discrimination patriarcale et les préjudices à l'égard des femmes et des enfants associés à la polygynie. Bien que de tels préjudices diffèrent souvent en fonction des contextes religieux, coutumiers, culturels et socioéconomiques dans lesquels la polygynie est pratiquée, la perte de l'exclusivité conjugale est commune à toutes les unions de cette nature. Parmi les autres conséquences néfastes, on compte les préjudices découlant des relations entre les femmes d'un même mari, les préjudices à la santé mentale, les préjudices liés à la sexualité ou à la procréation, les préjudices économiques, les préjudices liés à la jouissance de la citoyenneté et les préjudices à l'égard d'enfants issus d'unions polygynes.
  3.  À la lumière de ces préjudices à l'égard des femmes et des enfants, la polygynie viole les droits de ces derniers en vertu du droit international des droits de la personne. Plus particulièrement, la polygynie mine les droits des femmes et des enfants relatifs à la vie familiale, à la sécurité et à la citoyenneté. Bien que les droits de la personne distincts compris dans ces réalités soient par définition universels, il est évident que, de la même façon que les préjudices liés aux unions polygynes selon leur contexte, les violations des droits peuvent différer. Toutefois, le droit d'égalité au sein du mariage et de la famille est violé per se de façon significative par la polygynie, sans égard au contexte culturel ou religieux dans lequel elle est pratiquée.
  4.  En ce qui concerne ces violations de droits, le droit international ne fournit pas de justifications relativement à la vie religieuse, culturelle ou familiale. Bien que des protections de la vie religieuse, culturelle et familiale existent dans différents traités internationaux, notamment le Pacte politique et le Pacte économique, ils ne traitent pas des pratiques qui violent les droits et libertés d'autrui. En outre, l'obligation de la Convention de la femme selon laquelle les États parties doivent « assurer le plein développement et le progrès des femmes » exclut la défense de la vie religieuse, culturelle et familiale pour les pratiques qui sont discriminatoires à l'égard des femmes ou qui leur portent préjudice.
  5.  Cette conclusion indiquant que la polygynie constitue une violation injustifiable des droits des femmes et des enfants peut de plus en plus être considérée comme la pratique opinio juris dominante de l'État pour interdire ou, à tout le moins, restreindre la pratique. L'interdiction en propre et pour toujours de la polygynie constitue la norme dans la majorité des États, notamment la totalité des Amériques, l'Europe, l'ancienne Union soviétique, le Népal, le Vietnam, la Chine, la Turquie, la Tunisie, l'Ouzbékistan, les Fidji et la Côte d'Ivoire. Les régions de l'Afrique, du Moyen-Orient et de l'Asie ont de plus en plus tendance à restreindre et, éventuellement, à interdire la pratique. L'existence de ce genre de pratique prohibitive ou restrictive des États liée à l'opinio juris voulant que le droit international l'exige, signale l'émergence d'une norme coutumière internationale à l'effet que la polygynie contrevient au droit international.
  6.  Malgré cet accord grandissant selon lequel la polygynie contrevient au droit international en matière de droits de la personne, le consensus international se brise toutefois sur la question de l'élimination réelle de la polygynie. En raison des préoccupations relatives à la transition dans les contextes d'immigration et de nations en ce qui concerne la protection légale continue des familles polygynes existantes, certains États et organismes régionaux ont été réticents à l'idée d'exiger l'interdiction absolue de la polygynie. Cette réticence ne doit toutefois pas être interprétée comme une dissolution du consensus selon lequel la polygynie contrevient au droit international en matière de droits de la personne. Par conséquent, en traitant de la polygynie dans des contextes nationaux variés, il est indispensable que les systèmes judiciaires, politiques et sociaux tiennent compte des contextes religieux et culturels auxquels les femmes et les familles s'identifient tout en protégeant les droits individuels de la personne.
  7.  Afin de renforcer le respect des droits d'égalité au sein du mariage et de la famille, il est essentiel que l'État canadien favorise l'amélioration du dialogue entre les communautés et les familles religieuses ainsi que la culture monogamique en général. En outre, étant donné que le Canada a ratifié la Convention de la femme, le Pacte économique, le Pacte politique et la Convention de l'enfant, les traités soulèvent respectivement une présomption de conformité dans le cadre de la jurisprudence interne et l'appui des valeurs et des principes dans l'analyse de la Charte. Finalement, à titre de partie de la Convention de la femme et de signataire de son Protocole facultatif, le Canada est assujetti à son mécanisme de présentation de rapports ainsi qu'à ses procédures de communication et de requête. Ces dispositions de surveillance visent à s'assurer que le Canada communique au CEDEF les difficultés auxquelles il fait face dans le cadre de ses obligations liées au traité et les divers moyens juridiques et d'élaboration de politiques à l'aide desquels il affronte ces difficultés. Pour ces raisons, il est indispensable que le Canada présente des rapports et prenne des mesures relativement à la présence de familles polygynes en s'efforçant d'atteindre l'élimination de fait de la polygynie.