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The AnthroGlobe Journal

An initiative to broaden international electronic communication in Anthropology

 

ELEMENTS POUR UNE NOUVELLE THEORIE DE LA POETIQUE DE LA PAROLE AFRICAINE:

la théorie de l’élégance langagière

 

© Urbain Amoa

Ecole Normale Supérieure- Abidjan

First Posted: 16 November 2005

Les différentes fractures sociales connues par l’Afrique lui ont fait perdre des valeurs que l’école nouvelle n’a su prendre en compte dans les projets d’éducation conçus aussi bien à l’ère coloniale, à l’ère du parti unique qu’au lendemain de la mise en place du multipartisme. Ainsi, le négro-africain nouveau n’aura su tirer profit des pratiques sociales que sont les nouvelles (genre littéraire oral), la quête du consensus ou de la Vérité collective au pied de l’arbre à palabres. La palabre africaine analogue à ce que l’on appelle en communication en entreprise « brainstorming » , n’aura été perçue que d’un point de vue dépréciatif. En perdant ses bras valides, l’Afrique aura aussi perdu de son âme et c’est de là que naît la véritable tragédie d’une Afrique qui, chaque jour, cherche ses repères avec des fils, ses propres fils qui, eux-mêmes ne l’auront jamais réellement connue ainsi que le déplore avec élégance David Diop dans son célèbre poème « Afrique » extrait de Coups de pilon. Qu’est-ce donc cette Afrique que nous n’aurons jamais connue ? L’Afrique de la misère ? Nous ne la connaissons que trop bien. L’Afrique mystique ? Nous la connaissons aussi. L’Afrique des guerres fratricides ? Nous la subissons encore. L’Afrique philosophico- littéraire ? Nous ne la connaissons que partiellement. L’Afrique politique, nous ne la connaissons que superficiellement. D’où notre aventure d’aller à la quête des stratégies de communication dans les systèmes de gouvernance en Afrique ancienne. Ne serait-ce pas une ébauche de solution aux crises à rebondissement en Afrique ? Afrique des coups d’Etat, Afrique des rebellions et de l’auto- flagellation. Ce voyage au cœur de l’Afrique que chaque intellectuel effectue, parfois même avec un réel désespoir, pourrait s’effectuer aussi à travers une marche probablement longue et lente qui passerait par une approche de conceptualisation (théorisation) et une pratique sociale conventionnelle (pragmatisme) et révolutionnaire qui consisterait, entre autres, dans une pratique savante des alliances inter-ethniques et des parentés à plaisanterie .Et cette Afrique insuffisamment connue pourrait exiger aussi que l’on s’interrogeât sur l’usage de la parole comme support essentielle de tout projet d’émergence. Cette volonté ne peut être effective que si les managers de l’Afrique moderne avouent, tant en politique qu’en entreprise, leur impuissance face aux méthodologies suggérées, mais non peut- être imposées, aux classes d’Afrique, et osent déclarer la faillite d’une certaine pratique de la parole à l’Afrique imposée par des maîtres penseurs d’outre-mer eux-mêmes, à présent, dans le désarroi. Mais comment être maître de la parole si le fonctionnement scientifique des éléments de la parole africaine dans les milieux dits civilisés d’Afrique, échappe à ceux qui, tant sur le plan politique qu’académique ou professionnel, sont, par le fait des médias, perçus comme des « porteurs de normes »… des modèles?

 

I/ PARENTES A PLAISANTERIE ET ELEMENTS DE POETIQUE DE LA PAROLE AFRICAINE

L’histoire des peuples d’Afrique noire nous enseigne trois grandes leçons de sagesse :

  • savoir se taire pour apprendre ;
  • savoir écouter pour comprendre ;
  • savoir dire pour construire.

La première leçon se résume dans la théorie de la loi du silence qu ‘énonce le Professeur Georges NIANGORAN-BOUAH. Pour le professeur G.N-BOUAH, le chef ou le roi d’une cité est un modèle pour son peuple. Il est le symbole de la beauté et de l’intelligence parce qu’ayant été choisi par le peuple pour le représenter. La réussite collective en ces peuples apparaît comme un défi social collectif. Aussi le peuple entoure-t-il son chef de toutes les intelligences (les grands conseillers) des différentes familles. Celles-ci guident et ses pas et ses paroles notamment en public parce qu’il est un symbole. Et parce qu’il est un symbole, lourde est sa parole et les effets de celle-ci : d’où le principe de la délégation à la prise de parole auquel la société soumet son chef qui, lors des concertations préalables donne son point de vue tout en acceptant de se rallier à la vérité collective : celle des grands conseillers. Selon la théorie de la loi du silence le Tambour-parleur d’un pays, ne peut en aucun cas dénoncer le comportement du roi ou du Chef de ce pays au risque d’agir négativement sur l’image de ce chef voire de la Cité. Seuls les tambours des peuples ennemis s’autorisent à le faire pour vanter les mérites de leurs chefs. Un tel silence est loin d’être synonyme d’une attitude de faiblesse : c’est un silence civilisé parce que visant au maintien de l’ordre social.

La deuxième leçon rappelle qu’il faut savoir écouter pour comprendre. Elle fait appel à la théorie du Sankofa. Le néologisme SANKOFA est un concept dynamique qui enjoint de Retourner loin dans son propre passé pour y aller puiser ce qu’il y a de plus beau dans l’unique dessein de venir aider à bâtir un monde nouveau.

L’écoute, ici, nécessite un apprentissage (savoir écouter). Savoir écouter revient donc à l’idée d’une écoute plurielle : s’écouter soi-même, écouter le silence, écouter l’Autre, écouter son environnement c’est-à-dire s’imprégner de l’intelligence du contexte ainsi que nous le rappelle Birago Diop dans son poème « Souffles » dans lequel il nous offre les vers suivants:

« Ecoute plus souvent

Les choses que les Etres

La voix du feu s’entend,

Entends la Voix de l’Eau

Ecoute dans le Vent

Le Buisson en sanglots

C’est le Souffle des Ancêtres »1

L’écoute devient alors une action à mener pour soi et envers les autres puisqu’il s’agit de chercher à comprendre à la fois ce qui est dit ou écrit et les non-dits, les signes, la gestuelle et la mimique. Et puisqu’il faut tout de même parler, nous énonçons une troisième théorie qui est la théorie de l’élégance langagière . Cette théorie postule que la parole est le reflet de l’intérieur du sujet-parlant et que lorsque la parole est blessée ou blesse, c’est par la parole qui faut le soigner. D’où l’intérêt pour tout sujet-parlant de soigner son discours et de savoir faire un bon usage du médium qui le porte et le transporte. Cette disposition fait appel à la jonglerie langagière ,un moyen de transmission des alliances inter-ethniques ou culturelles dont l’une des manifestations quotidiennes est la plaisanterie. La parenté à plaisanterie est un jeu (communication sociale) qui offre à l’Emetteur et au récepteur d’être, tour à tour ou concomitamment, Esclave et /ou Maître. Les parentés à plaisanterie permettent de faire comprendre que l’Etre africain est par essence un Etre qui échappe à toute velléité d’enfermement pour se vouloir et être un Etre Social.

D’où la problématique de la dynamique de résolution durable des conflits les plus sanglants par la parole (exorcisme, libération de soi) ; d’où aussi l’approche par substitution (méthodologie) qui consiste à remplacer les conflits armés par des conflits verbaux dé-dramatisés, jusqu’à en faire des jeux entre peuples et entre personnes. Cette approche a alors pour objet de faire disparaître la charge de violence contenue dans les modes et expressions de colère entre les groupes ethniques.

Cette vision des choses nous amène à interroger cette pratique à plusieurs entrées : les plaisanteries au sein de la famille, les alliances inter-ethniques, les alliances patronymiques.

«Toukpè » est, en Côte d’Ivoire, devenu un concept national. Pour G.N. Bouah, «Toukpè » est une institution des temps anciens qui permettait de régler les conflits sociaux de façon perpétuelle. «Toukpè », est synonyme de mode de recherche de la paix. «Toukpè» est une convention sociale et un principe de vie communautaire. C’est une pratique religieuse animiste dont les véritables garants sont les ancêtres. Dans les civilisations anciennes, l’action de «Toukpè » s’exerce en trois temps :

  • arrêter les conflits à l’endroit où ils se manifestent ;
  • régler les conflits en respectant les règles du jeu ;
  • agir pour le maintien de la paix.

C’est un pacte de bon comportement, de non-agression et de paix perpétuelle. «Toukpè» est composé de deux éléments linguistiques de langue Baoulé (Tou) «arracher» ou «sauter» et (Kpè) qui signifie «traverser» ou «couper». C’est un principe social  dont la philosophie peut se résumer en ces termes : c’est avec de bonnes paroles que le mille-pattes traverse un champ fleuri de fourmis magnan ( traduction littérale). La bonne parole, c’est la parole de raison : l’intelligence.

André NYAMBA (Sociologue) de l’Université de Ouagadougou, dans une communication sur la problématique des alliances et des parentés à plaisanterie au Burkina Faso : historique, pratique et avenir  (mai 1999), écrit :

« L’on peut définir les alliances et les parentés à plaisanterie comme des formes de communication sociale, entre des parents qui tiennent des positions spécifiques différentes au sein de famille, ou entre des groupes ethniques différents aujourd’hui, mais qui ont vécu dans un passé lointain un fait d’histoire commun».

Puis il ajoute :

« Le caractère essentiellement oral et gestuel du jeu des alliances à plaisanterie lui donne toute sa dimension de communication sociale directe. La parole n’y joue pas seulement le rôle d’information immédiate. Elle y est aussi révélation : révélation d’une certaine attitude et d’une certaine disposition à l’égard d’autrui,; révélation et répétition d’un moment vécu ensemble, d’une histoire commune ou si l’on préfère, ‘‘vécu commun’’ d’une même histoire » (p.77)

Ces dispositions générales sont valables aussi bien pour la Côte d’Ivoire que pour le Burkina Faso. A ce propos, monsieur Yacouba Kouadio dans sa communication au Colloque international sur « Royautés, chefferies traditionnelles et nouvelle(s) gouvernance(s) - Tiassalé, 6-13 juillet 2003- écrit :

«Ces alliances reposent sur l’histoire commune des peuples, sur des faits historiques, des légendes, mythes toujours rapportés à l’avantage du peuple auquel appartient le conteur»

Puis il énonce les principes et les objectifs des alliances en huit points :

  • le respect de la dignité de l’être humain du point de vue moral, physique et social ;
  • l’atténuation des différences sociales entre maîtres et esclaves, entre grands-parents et petit-fils ;
  • l’égalité entre les groupes sociaux et les groupes ethniques ;
  • l’obligation de respect mutuel ;
  • le devoir de fraternisation et d’assistance mutuelle ;
  • le devoir d’humanisation des rapports sociaux ;
  • l’observation de la paix perpétuelle entre les peuples concernés ;
  • l’obligation de désamorcer ou de dédramatiser tout conflit naissant ou en cours.

Dédramatiser: cela veut dire qu’il y a eu un drame, donc un choc. Cela signifie qu’il y a eu un événement tragique. Ce sens du mot ‘‘drame’’ ne fait nullement perdre de vue cet autre sens littéraire du même terme qui renvoie à un genre où le pathétique, ce qui émeut profondément, et le sublime, l’admirable par sa très grande beauté, côtoient le familier et le grotesque. La communication sociale par la plaisanterie vise à la réhabilitation des bonnes mœurs lorsque celles-ci ont été altérées par un fait violent voire difficile à supporter et à oublier. Autant l’acte de pardonner relève d’une décision qui peut être prise par l’offensé autant l’acte d’oublier, toujours plus difficile à poser relève d’une pratique sociale constante et continue. Dès lors par le jeu, l’on grossit les faits (hyperboles) en exagérant et en dénaturant volontairement le fait initial pour le vêtir de comique voire de ridicule. Le fait tragique initial se banalise au moyen de scènes particulières et ponctuelles, elles- mêmes toujours marquées par l’intelligence du contexte. Il s’agit alors de la théâtralisation des faits sociaux avec un accent particulier sur le comique. C’est le cas des pratiques entre les familles, conformément aux réseaux de plaisanterie existant entre les Coulibaly, les Traoré, les Bamba, les Diaby, les Ouattara et les Touré ; entre les Coulibaly, les Bamba et les Kéita ; entre les Doumbia, les Sidibé, les Konaté, les Sangaré, les Diakité ; entre les Traoré, les Koné, les Diarra et les Coulibaly ; entre les Konaté, les Coulibaly, les Doumbia, les Cissoko.L’usage a fait appeler cette pratique « Djon ».Ce terme est inexact dans la mesure où «Djon» signifie «esclave ». Ainsi pourrait-on dire d’un Coulibaly qu’il est le « Djon » d’un Touré et vice versa. En malinké, le terme le plus approprié pour désigner cette pratique n’est donc pas «Djon» mais plutôt «Sanahoun-ya» ou « Senenkoun- nia», ( pratique qui consiste à unir ou à lier les têtes) synonyme de «Toukpè.

L’expression ‘‘TOUKPE’’, plus qu’un mot, devient une prescription sociale qui s’enrichit, dans certains cas, de l‘idée de communion avec les siens . Autrement dit, nous sommes en ‘‘alliance avec’’. Ce disant, l’on rappelle qu’on a avec ceux- ci, un type de parenté qui contraint à certaines exigences dont le non-respect peut provoquer des malheurs. La carte des alliances inter-ethniques conçue à la demande de l’Université des Temps Libres d’Abidjan, offre d’observer au moins deux niveaux (degrés) d’alliances : les alliances à l’intérieur d’un même groupe et les alliances entre les peuples de différents grands groupes (MANDE – KROU, GUR – AKAN) . Chez les Mandé, l’on a par exemple, une alliance entre les Sénoufo et les Tagwana. Avec ce peuple apparaît un troisième niveau : le niveau international. Les Sénoufo, au Burkina Faso, sont les alliés des Dagara, des Lobi et des Djan. Or les Lobi de Côte d’Ivoire sont les alliés des Djimini, eux-mêmes alliés des Sénoufo qui sont les alliés de Yacouba, alliés eux aussi des Gouro et des Godé. Une observation attentive des pratiques laisse apparaître que les trois principales clés du jeu des alliances des peuples de Côte d’Ivoire sont : les Sénoufo, les Dida et les Godé. En partant de ce principe et en s’obligeant à faire un bon usage de la parole, l’on pourrait, au cas où aucune implication extérieure n’aurait été établie, émettre quelques hypothèses sur les sources des crises ivoiriennes 

  • hypothèse 1: les frustrations occasionnées par les dirigeants du pays depuis les soleils de indépendances;
  • hypothèse 2: les frustrations liées aux questions sociales et ethniques (privilèges accordés à certaines ethnies);
  • hypothèse 3: le choix des pôles et stratégies de développement depuis l’ère coloniale;
  • hypothèse 4: la mauvaise appréciation des faits et pratiques culturels des différents peuples;
  • hypothèse 5: la question religieuse : les privilèges accordés aux religions d’appartenance des gouvernants;

Sur l’hypothèse 1, la solution peut être de dédramatiser les divergences d’opinion politique en créant un réseau de parentés à plaisanterie entre les partis politiques. Quant à l’hypothèse 2, il peut être suggéré qu’entre les peuples dits du Nord que la pratique sociale appelle Dioula et ceux dits du Sud, les Akan, mais aussi entre les Wê, les Bété et les Baoulé se tisse un autre réseau d’alliances et de parentés à plaisanterie. Ce réseau pourrait être exploité dans l’hypothèse 3. Des hypothèses 4 et 5, il peut être retenu que le processus d’ une nécessaire affirmation de soi (quête identitaire) passe par l’enseignement et la promotion des valeurs culturelles, même à travers les religions et les croyances.

Entre les burkinabé et les ivoiriens, par exemple ,pourrait être tissée une toile d’alliances. Cette toile rétablirait des liens perdus entre les Akan et les Mossé qui, d’après les travaux de Joseph Ki- Zerbo, doivent, au moins une étape de leur origine commune à GAMBAGA (nord du Ghana), à l’analogie entre l’histoire de la princesse du Yennega et celle de la Reine Abraha Pokou et à leurs pratiques culturelles similaires : le discours du Bendré Gom’dé ( chez les Mossé), le langage de l’Apèdrê (chez les Baoulé), le langage des tambours-parleurs , l’organisation sociale et le voisinage des phonèmes ( « Nanan » et « Naaba » dont le pluriel est « Nanamse »). Peut-être est-il bon, à ce stade de notre réflexion, de rappeler quelques éléments de la carte des alliances et parentés à plaisanterie que propose monsieur Yacouba Kouadio .

 

Ethnies concernées

Ethnies alliées

 1

Sénoufo

Yacouba, Koyaka, Lobi, Gouro, Mahouka, Koulango

 2

Koyaka

Sénoufo, Djimini, Koulango, Tagwana

 3

Lobi

Sénoufo (Grand groupe)

 4

Yacouba

Sénoufo, Gouro, Djamala, Tagwana, Mahou

 5

Attié

Dida, M’Batto, Kroumen, Bakwé

 6

Dida

Attié, Abbey, Abidji, Kroumen, Godié, Allandian

 7

Abbey

Dida

 8

Ano

Sénoufo, Koyaka, Djimini, Baoulé, Godé, Agni, Barbo, Bini, Bona

 9

Baoulé

Ano, Agni

 10

Godé

Djamala, Dida, Baoulé, Anofoué, Koyaka, Mona, Wan, Tagwana

 11

Gouro

Peulh, Yacouba, Sénoufo, Tagwana, Djamala, Djimini

 

Rappelons également le tableau des alliances et des parentés à plaisanterie du Burkina Faso que nous offre André NYAMBA de l’Université de Ouagadougou :

 

Ethnies concernées

Ethnies alliées

 1

Bissa

Gourounsi, Yarcé, Samo

 2

Birifor

Lobi, Goin, Dafing

 3

Bwaba

Peulh, Semba, Dafing

 4

Bobo-Dioula

Peulh, Semba, Dafing

 5

Bobo-Fing

Peulh, Dafing

 6

Bozo

Dogon

 7

Dafing ou marka

Peulh, Bobo-Dioula, Bwaba

 8

Dagara

Siamu, Sénoufo, Goin

 9

Djan

Goin

 10

Dogon

Bozo

 11

Fulsé

Gourounsi, Gourmantché, Bissa

 12

Gourounsi

Bissa, Yarcé, Djerma

 13

Gourmantché

Yarcé

 14

Goin

Lobi, Djan, Dagara

 15

Jula

Lobi

 16

Lobi

Jula, Goin, Birifor

 17

Mossi

Saino

 18

Peulh

Bobo, Yarcé, Bambara, Marancé, Dioussambé

 19

Pougouli

Dagara, Peulh, Goin, Bwaba, Turka, Sénoufo

 20

Samo

Dagara, Bissa

 21

Sénoufo

Mossi, bissa

 22

Sembla

Dagara, Lobi, Djan

 23

Siamu

Toussian, Bobo-Dioula, Bwaba

 24

Toussian

Djan, Lobi, Dagara, Pougouli

 25

Turka

Semba, Lobi, Dagara

 26

Vigué

Dagara, Lobi

 27

Winy

Peulh, Bissa, Goin, Lagana, Djerma

 28

Yana

Zaoussé (Diabo)

 

Les différentes stratégies en cours dans la pratique du discours (poéticité ou rhétoricité ) qui sous- tendent les alliances et parentés à plaisanterie, sont des éléments de poétique indispensables à tout projet ou à toute action de communication dans les sociétés susmentionnées. Aussi s’impose-t-il de formuler ou d’énoncer quelques  postulats en guise de référents, pour un cadrage discursif davantage élégant voire performant .

Postulat n°1: Toute parole proférée prélude ou conduit à une action ou à une réaction dont les effets immédiats ou lointains – souvent irréversibles- peuvent être porteurs de fatalité ou de félicité.

Postulat n°2: Parce que la puissance de la parole peut conduire à la violence, pour éviter que celle-ci, en les esprits s’installe, il faut se prédisposer à habiller son discours d’une belle syntaxe, de bonne foi et de vertu.

Postulat n°3: Quand la parole vive se fait brûlante, il faut nécessairement recourir à l’ élégance et à un silence actif et responsable , (un soupir ou un silence qui parle), pour la faire mélodieuse et belle.

Postulat n°4: Quand dans son univers la parole est brisée et violée , c’ est par la parole et dans le même univers qu’il faut soigner la parole, pour les cœurs meurtris, apaiser.

Postulat n°5: Tout comme la personne humaine, la parole nue , dans un espace désert sur une longue durée, devient laide : d’où l’impérieuse nécessité pour la personne humaine d’œuvrer sans cesse à l’habiller pour son propre mieux-être, pour le plaisir de l’Autre et pour le bien-être de tous.

Au cœur de la gestion de la Cité en Afrique noire, est la Parole, une parole plurielle qui sait se vêtir de mille couleurs. Celle-ci mue selon les circonstances et tous les citoyens ne peuvent en être les orfèvres même si, pour l’usage commun, tout le monde t la pratique. Cette disposition amène à affirmer que dans la Cour du Chef ou du Roi, la parole, parce qu’elle peut conduire immédiatement au pays des ancêtres, pays d’où l’on ne revient jamais, est une fête qui invite à la jonglerie (jonglerie langagière) et à l’élégance (élégance langagière). En Afrique ancienne l’on ne pouvait s’imaginer être sans une bonne maîtrise de la parole et des enjeux de la parole et c’est ici que prend naissance la théorie de l’élégance langagière prélude à la quête de la vérité collective par le fait d’un bon usage de la parole civilisée. D’où le schéma de communication suivant :

Schéma "A.U"de Communication en Afrique ancienne  

 

  

Commentaire

  1. JE 1 , par le fait du respect de la théorie de la loi du silence, s’oblige à se taire officiellement parce que par habitude et par le jeu de la communication JE 2 sait donner l’essentiel à TU 2 qui distille la parole, la soigne et l’embellit de façon à prévenir tout conflit entre les personnes humaines et les peuples : JE 1 et TU 1 restent attentifs à la jonglerie langagière entre JE 2 et TU 2.
  2. En Afrique ancienne et singulièrement chez les GUR, les KWA, les KRU et les MANDE, la parole proférée est toujours amortie, filtrée, tamisée avant d’atteindre la cible ou l’interlocuteur.

 

II/ DE L’USAGE DE LA PAROLE AFRICAINE A LA THEORIE DE L’ELEGANCE LANGAGIERE

Rappelons ici le postulat suivant : « Toute parole proférée prélude ou conduit à une action ou une réaction dont les effets immédiats ou lointains - souventes fois irréversibles- peuvent être porteurs de fatalité ou de félicité ».

Nos souvenirs en sciences du langage nous imposent de garder en mémoire la rhétorique aristotélicienne dont les composantes sont : l’invention, la disposition, l’élocution, la mémorisation et l’action. Ce disant, Aristote établit les bases des conditions et des exigences de la construction du discours. Cette postulation exige donc et inévitablement du ‘‘Sujet-parlant’’ une nécessaire programmation neurolinguistique qui exige du locuteur que point aucun discours ne peut être proféré qui n’ait été revu, corrigé et pré-structuré dans le secret des fibres neuronales. Les neurones apparaissent donc comme le siège du discours à proférer et c’est sans doute la lecture de cette pratique qui fonde la rhétorique d’Aristote qui consiste dans l’art de bien dire et de dire bien. Qu’est-ce donc bien dire chez Aristote si ce n’est bien penser ce qu’il faut dire avant de produire des sons qui amplifient un bien -penser-intuition ou un bien- penser-conception ou encore chez les poètes (les créateurs), un ‘‘bien-penser- inspiration’’ qui, sans doute, auront favorisé la naissance de la célèbre phrase de Boileau selon laquelle : « Tout ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ». Ainsi au cœur de la palabre africaine réside la concertation c’est-à-dire la quête permanente du consensus qui passe par des myriades de concertations pour parvenir à l’étape finale qui est ce que nos travaux peuvent à ce jour permettre d’appeler vérité collective. La palabre africaine est donc la célébration de la jonglerie langagière. Celle - ci se pratique en plusieurs séances par les maîtres de la Parole dans l’unique dessein de quérir une vérité qui soit collective c’est-à-dire une vérité dont la recherche aura mis en scène le plus grand nombre possible d’acteurs sociaux, soucieux d’un bien - être collectif parce que l’Etre négro-africain est fondamentalement un Etre social.

L’invention chez Aristote apparaît comme l’étape sans laquelle aucun acte langagier ne peut être posé devant les anciens. L’âge ici est sacré parce que même entre les enfants nés le même jour et même entre des jumeaux l’on sait reconnaître les plus âgés et les plus jeunes de façon à obliger moralement chacun à occuper sa place et à jouer le rôle qui est le sien dans la cité. Et quant à la disposition c’est-à-dire le plan ou la structure interne du discours, il correspond à l’organisation de la parole qui, toujours, doit s’obliger à partir d’une préoccupation principale que le Professeur Georges Niangoran BOUAH appelle le nœud de la parole et que les rhétoriciens appellent « problématique ». Et c’est ici aussi que la prise de parole en public pré-suppose que l’on sache énoncer le nœud de son discours qui se décline en plan (la disposition), se tisse (élocution) à l’aide d’allégories, de rythmes, de sonorités, d’assonances, de métaphores, de symboles et d’images du milieu que porte le mot qui, en la circonstance, se vêt de plusieurs couleurs pour justifier l’affirmation de Jean Paul Sartre selon laquelle, ainsi qu’il l’écrit dans Qu’est-ce que la littérature, : « Le mot poétique est un microsome ». Le nœud du discours se décline aussi en mémorisation ; le maître de la parole est la mémoire collective, la mémoire du peuple qui, sans cesse, l’enrichit. Le griot ou le tambour conserve alors les pensées collectives. Comme le griot, le tambourinaire a aussi pour mission de conserver et de réciter les textes anciens, les textes sacrés (la mémorisation) pour les dire et bien les dire de façon à atteindre non plus uniquement le corps de l’Autre, mais son inconscient. Rude épreuve qui exige donc que l’on sache dire en limitant les gestes et en étant soigné et précieux (c’est-à-dire civilisé et élégant) par le fait de la parfaite maîtrise de la langue de communication : de ses vices mais aussi et surtout de ses vertus. C’est pourquoi la théorie de l’élégance langagière qui exige que l’on sache faire un bon usage du silence (le soupir comme signe de ponctuation) dispose que bien-être c’est aussi savoir dire, et dire c’est ouvrir les pages du livre que l’on est soi-même : dire n’est alors que laisser apparaître ce que l’on est en réalité même lorsque l’on tente de paraître ce qu’on n’est pas : d’où la nécessaire quête du non-dit qui passe par une parfaite maîtrise de la langue et de ses subtilités.

La théorie de l’élégance langagière postule que Etre et bien-être, c’est Savoir et Savoir- Etre avec soi-même et avec l’Autre quel que soit le contexte (intelligence du contexte) : c’est également Savoir Ecrire et Dire. L’élégance langagière (l’inélégance langagière ou la violence verbale aussi) est l’une des principales portes d’entrée en Soi, en son Etre. C’est pourquoi l’objet de cette théorie réside essentiellement  dans l’’art d’habiller un discours (esthétique langagière) sans être ni extravagant ni pédant ni grossier.

La théorie de l’élégance langagière dispose principalement de deux types d’outils : les outils principaux et les outils secondaires.

  • Les outils principaux sont :

la langue de communication ;

le langage du sujet-parlant ;

le corps (expression corporelle) du sujet

  • Quant aux outils secondaires, ce sont  : les supports didactiques, l’environnement et la tenue vestimentaire

Au nombre des fonctions de l’élégance langagière, figure la fonction thérapeutique, dont l’objet est le soin par le discours (guérir ou soigner par le discours oral / écrit). Celle-ci vise à refouler toute velléité de névrose ou d’étouffement par l’art de dire ou d’écrire (Scripto- thérapie // Oratorio-thérapie). L’application de cette théorie dans les sessions de perfectionnement des agents et cadres d’entreprise consiste dans une production écrite comme acte préliminaire d’appréciation des besoins de formation. Le champ de prédilection du praticien de l’élégance langagière comprend les éléments suivants que nous appelons indicateurs d’élégance:

    • champ lexical ;
    • tournures et expressions ;
    • formules de politesse ;
    • interrogations indirectes
    • logique d’argumentation (fil conducteur)/ raisonnement ;
    • esthétique poétique (poéticité et articité) ;
    • figures de rhétorique (humour, ironie, prétention, euphémisme, inversions du sujet, comparaisons, métaphore) ;
    • ton ;
    • ponctuation (… ?, !…) et absence de ponctuation ;
    • modes et temps (le conditionnel / l’impératif / le subjonctif/l’indicatif).

L’élégance langagière s’applique aussi bien à la pratique quotidienne de la parole, à la poésie, à la politique, à la presse, à la magistrature qu’à la diplomatie. La lecture de l’élégance langagière passe au moins par quatre étapes .

Etape 1  : avoir quelque chose à dire ou vouloir dire ou écrire quelque chose pour se libérer (pédagogie de la libération) : c’est la phase d’invention et de création qui permet d’identifier (identification) l’objet.

Etape 2  : se prédisposer (psychologiquement / physiquement / moralement) à tout dire pour se libérer de toute charge émotive susceptible de ronger l’Etre en Soi en sachant exploiter judicieusement les référents contextuel, situationnel et textuel.

Etape 3  : dire ou écrire (production artistique ou articité) pour être entendu et compris le mieux possible (tout son discours et la puissance de la parole ou du verbe) et par le plus grand nombre de personnes possible.

Etape 4  : s’évaluer (auto-évaluation) pendant que l’on écrit ou que l’on dit, pour se soigner et soigner l’autre (se corriger) afin d’apprécier, atténuer ou renforcer les effets de façon que le discours atteigne la cible (le récepteur) entre 50% et 100%.

L’élégance langagière fait donc nécessairement appel à l’élégance comportementale. Elle fait du sujet-parlant ou émetteur (en toute circonstance) une œuvre d’art en situation de création pour elle-même et capable de faire un savant usage du silence comme un puissant noyau de communication (théorie de la loi du silence). Dans un discours donné, il peut être calculé la teneur en élégance jusqu’à obtenir un diagramme de taux d’élégance. Ce taux peut être soumis à un dosage savant, lui-même lié à l’image de soi (l’image que l’on veut que la Cité retienne de Soi) et à l’effort à produire sur l’Emetteur, voir la Cité. L’Etre est alors perçu et conditionné par le Dire-de-l’Etre .

 

III/ DE L’ELEGANCE LANGAGIERE A LA QUETE DE LA VERITE COLLECTIVE

Les sociétés humaines depuis le XVIIIè siècle et singulièrement à partir des réflexions de Montesquieu et de ses contemporains sur les modes de la gestion de la Cité présentent la démocratie comme étant le mode de gestion le plus fiable de la société. Au fil du temps, il apparaît que dans son application, ce mode de gestion se disqualifie puis se dégrade de façon à favoriser des bastions d’exclus. Dans sa pratique le négro-africain, Etre social par essence, s’oblige à reconnaître et à admettre qu’Etre, c’est toujours être en société et œuvrer sans cesse pour le salut de la société ; on travaille pour la société, on se marie pour obéir aux exigences du contrat social et on se marie pour entretenir et perpétuer les us et coutumes de la société. Apprendre à gérer cette cité et s’en donner les moyens passe même parfois aussi, hélas ! par la pratique de la polygamie ou de la polyandrie ( beaucoup plus rare) en tant que pré-apprentissage à la gestion d’une cité plus grande dans un « univers- village » réel ou virtuel.

Ainsi, à l’Homme qui aura su mettre en place les moyens convenables pour la réalisation de son propre bien-être, l’homme qui aura su conduire femmes et enfants vers la paix dans son foyer, à cet homme qui aura donc su faire ses preuves dans un micro-système, seront confiées des tâches de gestion dans le macro-système qu’est la tribu, le clan ou le canton. Etre chef, c’est donc s’offrir par ses efforts et son travail un bien-être de référence. Etre chef aussi, c’est savoir concilier et le cas échéant, réconcilier grâce à une parfaite maîtrise des techniques de la palabre africaine dont l’une des variantes actuelles est le brainstorming (ou le remue- méninge). Etre chef c’est savoir se taire en public car lourdes sont les conséquences du discours du chef. Le silence est donc une vertu essentielle pour le chef dont le comportement et la parole sont soignés pour servir de modèles. Le Chef est un modèle : pour son peuple, il n’est pas qu’une référence. Il est la Référence tant physiquement que moralement. Etre Chef c’est donc s’obliger à dépasser, à se surpasser. La gouvernance dans les civilisations africaines anciennes puise donc sa substance dans les principes que nos travaux nous invitent à énoncer en douze points .

Principe n°1  : Du principe de la définition de l’Etre humain en tant qu’Etre social : ce principe justifie l’usage des alliances inter-ethniques et des parentés à plaisanterie comme pratiques d’exorcisme de la Cité et de ‘‘dé-dramatisation’’ des heurts et des conflits sociaux en cours ou en gestation.

Principe n°2  : Du principe de la spiritualisation des attitudes et comportements. L’être ici évolue au quotidien sous le contrôle des devins, des anciens et des dieux qui agissent comme des gendarmes et qui oeuvrent à extirper de la Cité, les mauvaises graines qu’elles interpellent pour qu’elles viennent à eux pour répondre de leurs actes dans le royaume des ancêtres. Tel est le sens véritable du poème de Birago Diop lorsqu’il écrit :  « Les morts ne sont pas morts ».

Principe n°3  : Du principe du travail vivifiant. Ce principe commande à chaque être de produire pour lui-même et pour toute la communauté de façon à y maintenir un équilibre parfait. Ce principe prolonge l’action de l’individu pour la loger dans un projet communautaire à la manière du coumbite qu’évoque Jacques Roumain dans Gouverneurs de la Rosée.

Principe n°4  : Du principe de l’éloquence. En cette cité, la parole peut se définir comme l’autoroute de la mort et de la vie. Etre, signifie alors, savoir-dire pour être et être bien avec les autres. ‘‘Etre avec’’ est donc, dans le commerce entre les habitants d’un même espace physique ou métaphysique (mystique), une étape supérieure en ceci qu’Etre ensemble peut être compris et admis comme n’étant qu’un simple constat non soumis à aucune exigence de sélection et de préférence. ‘‘Etre avec’’ relèverait alors d’un acte dynamique et pensé

Principe n°5  : Du principe de la divinisation du Pouvoir. « Dieu » sur terre parce que porte-parole privilégié de Dieu, des dieux et des ancêtres, le Roi détient tous les pouvoirs. Son pouvoir est sacré autant que l’est sa parole et il en connaît le poids et l’effet. Sa puissance varie selon les circonstances. Aussi est-ce pour en réduire l’usage que le porte parole, le porte - canne, étudie sa psychologie et ses systèmes de façon à épouser totalement ses réflexions et réactions.

Principe n°6  : Du Principe de la paix perpétuelle.

Un des symboles de gouvernance dans les sociétés Ashanti s’énonce en ces termes « Obi nka bi » c’est-à-dire « que personne ne morde personne ». La cohabitation étant une nécessité absolue, par le fait de la condamnation des peuples à vivre dans un espace géographique réduit, le symbole postule que chaque Etre doit se préparer à tout affrontement car nul ne détient exclusivement le monopole de la violence. Cette recommandation est une invite à la défense et au maintien de la paix sociale par le fait de méconnaissance du génie et de la puissance militaire de l’Autre.

Principe n°7  : Du principe de la théorie de la loi du Silence (la puissance du non-dit). Les travaux du Professeur Georges Niangoran-BOUAH précisent que le tambour du pays ne peut en aucun cas s’autoriser à livrer les secrets de la Cité. Ainsi que le prescrit le langage tambouriné, il n’y a qu’un tambour – ennemi qui puisse s’offrir le plaisir de proclamer les méfaits du Roi. La théorie de la loi du silence oblige donc à la réserve, à la maîtrise de soi et au respect des secrets d’Etat. La danse - parlante (danse à travers laquelle le discours est suggéré par la mimique et la gestuelle) en est une forme d’expression éloquente. On parlera ici, d’une poétique de la danse.

Principe n°8  : Du principe de la soumission de la filiation. Qu’il s’agisse des peuples à système matrilinéaire ou à système patrilinéaire, les futurs chefs doivent, pour être respectés, être choisis conformément aux exigences de Cité dans l’unique dessein - en ce cas – de maintenir le Statu quo ante. Toute violation ainsi que c’est le cas à l’ère coloniale ou à l’avènement des Partis uniques, entraîne des bouleversements sociaux voire des cataclysmes et des séismes aux noms multiples dont les coups d’Etat et la rébellion.

Principe n°9  : Du principe de l’alternance. Dans nombre de villages à système traditionnel de chefferie ou de royauté, la société est structurée de façon à n’autoriser aucun exercice de dictature si ce n’est par le fait de la personnalité de la personne qui exerce le pouvoir politique. En certains cas, il est toujours deux, trois ou quatre familles qui se relaient au niveau de la plus haute hiérarchie, pendant que toutes les autres constituent – à l’image d’un conseil municipal – la cour. Les grands conseillers ou les ministres du Chef entourent le Chef, et attendent leur tour. Là où le pouvoir central relève de l’unique compétence du Chef ou du roi, le Chef ou le roi règne et les autres familles ou villages gouvernent. La gouvernance ici offre une place de choix à la concertation et à la recherche du consensus comme un passage obligé pour accéder à la vérité collective dont la quête s’effectue par un long processus d’échanges et de négociation. La parole ici se construit en spirale et elle est tamisée, délayée par un médium humain que Bernard Zaourou appelle agent rythmique. C’est lui qui répond, sélectionne et reformule le discours au goût du destinataire toujours soucieux de la manière dont le discours l’atteint, de la qualité et de la décence des mots choisis.

Principe n°10  : Du principe de la sécurité sociale. La paix sociale passe d’abord par la paix en Soi et la paix en Soi se fixe aussi par son appartenance à une communauté. L’être œuvre donc à l’affirmation de celle-ci qui lui garantit aide, assistance et protection. Ainsi, il est admis que le détenteur des biens communautaires gère les biens légués par les ancêtres et assure la croissance de ceux-ci. L’entretien de la plantation communautaire est assuré par tous sous la haute direction du Chef de famille ou de village. Le repas du soir est pris ensemble selon une répartition savante ; le cercle des hommes, le cercle des femmes et le cercle des enfants auquel les hommes cèdent une partie des plats mais aussi les repas qui auront été disqualifiés. Cette communion donne lieu à la pratique de plusieurs arts

Principe n°11  : Du principe de la tolérance. Quoique disposant du droit de vie et de mort, le chef ne peut à lui seul prendre des décisions exécutoires. Ses ministres ou conseillers, mais aussi et surtout ses sœurs et ses frères sont de véritables agents régulateurs qui jouissent auprès de lui d’une autorité incontestable.

Principe n°12  : Du principe de la collégialité. Les principales familles nucléaires gèrent ensemble la famille. De chaque famille sont issus des ministres et des conseillers qui entourent, qui aident le chef ou le roi dans sa tâche. Ce principe offre des ouvertures aux autres peuples, aux autres communautés. Le principe de la collégialité aura donc préparé les gestionnaires de la cité à s’organiser pour conduire une gestion fédérative.

Tous ces principes supposent que l’Afrique et les africains se prédisposent à appliquer dans toutes les sciences, la théorie de Sankofa. Concept dynamique, « Sankofa » est un mot akan composé de trois verbes eux-mêmes conjugués à l’impératif présent. Le premier verbe exige que l’on s’engage avec détermination à retourner loin dans l’Afrique ancienne. Le second verbe incite à aller, à avancer (ou à reculer). Le troisième verbe se traduit par le verbe ‘‘prendre’’. Ces trois verbes donnent alors cette phrase ’’Retourne, va, prends’’. Mais que peut-on aller chercher dans le passé si l’on ignore ce qu’il a de beau (connaissance) ou si l’on ignore comment transmettre (éloquence) ce beau ? Ou peut-on découvrir ce canari de la sagesse si ce n’est dans une Afrique qui, aujourd’hui encore, cherche en vain les traces pures des richesses de son passé ?

Que faut-il aller chercher dans cette vaste Afrique des tracas et des tracasseries, cette Afrique des singes et des parcs zoologiques destinés à des êtres en cage ? Que faut-il faire lorsque l’on sait qu’au fil des siècles, le mystère dont on a entouré les plantes médicinales, par exemple, a fini par étouffer la dimension scientifique des plantes qui, même par empirisme, ont fait leurs preuves fondant ainsi ce que nous avons osé appeler vérité collective. Que faut – il aller quérir dans la parole africaine tant au niveau de la forme qu’à celui du fond ? Sur la forme, il peut être retenu, sans aucun souci de mimétisme que les contes, les nouvelles, la poésie des tambours et la parole africaine apparemment diffuse, obéissent à une structure à forme fixe ainsi qu’il apparaît dans le tableau ci – dessus :

Tableau de présentation des structures du discours

Structure du discours tambouriné

Structure interne du conte et des nouvelles(chansons/animation)

Structure interne de la dissertation

Introduction (l’accueil)

Salut

Salut

Salut

Salutations d’usage

Nouvelles de façade
  • objet
  • annonce du plan

Idée générale et problématique (ou objet)

 

annonce des préoccupations

Corps du devoir (les échanges – les textes)

 

Juxtaposition des sentences

Nouvelles clé

Images

+ métaphores

+ allégories

Analyse logique

Définition Définition.

 


En effet

En effet

En outre

En outre

Donc

 

Conclusion (l’action)

Salut

Salut

Salut

Bilan

Appréciation

Faux départ animation

Départ vrai (effectif) animation

Bilan

Réflexions

Actualisation et ouverture

 

Les alliances inter-ethniques et les parentés à plaisanterie ont donc plusieurs fonctions qui peuvent permettre aux leaders et aux managers, quelles que soient leurs tendances politiques et leurs appartenances ethniques de réapprendre l’Afrique par le fait d’une pratique savante et élégante de la parole. Il faut, pour ce faire, observer les quatre fonctions principales qui fondent la pratique de ces alliances :

  • la fonction linguistique en laquelle réside l’art de tout dire, de bien dire ou de tout faire dire avec élégance dans l’unique dessein de contribuer à corriger les tares de la cité en ceci qu’en le dire de tout être, résident l’Etre et son Comportement  ;
  • la fonction sociale dont l’un des fondements est le respect de la tolérance ;
  • la fonction thérapeutique qui consiste dans l’exorcisme de la société tant par le fait de la maîtrise des enjeux de la palabre africaine que dans la jonglerie langagière qu’offrent les alliances et parentés à plaisanterie ;
  • la fonction didactique  : c’est en enseignant avec conviction l’Afrique aux Africains que l’Afrique identifiera ses propres voies de développement durable par la culture ;
  • la fonction ludique  : elle consiste dans un jeu qui permet de dédramatiser les attitudes et compétences qui suscitent des actions de violence et de vengeance.

Il faut avoir foi en Soi et opter pour une nouvelle forme de gouvernance qui serait la gestion de la Cité par une application savante de la « démocratie consensuelle ». La gestion collégiale à visée consensuelle – elle-même porteuse d’une répartition méthodique des plus hautes fonctions politiques apparaît alors comme la forme la plus achevée de la gestion de la Cité.

La parole africaine, implicite ou explicite, est source de puissance, et est essentielle dans la gestion de la Cité qui rappelle que pour gérer la cité des hommes, qui n’a d’intelligence naturelle doit être en possession de richesses matérielles ; qui n’a de richesses matérielles doit être nanti de l’art de bien dire et du pouvoir divin de la parole qui guérit et qui soigne. C’est à cette école qu’invitent les parentés à plaisanterie dont la pratique doit être enseignée à l’école nouvelle et dans les sociétés dites civilisées : il s’agirait alors de ce qu’il pourrait être convenu d’appeler la « pédagogique  des alliances inter- ethniques ». Et nous entendons par ‘‘pédagogique’’ tout ce qui relève des aptitudes et des compétences à acquérir pour conduire et réussir une action pédagogique. Elle est donc un projet d’actions didactiques (didaction) et sur cette base elle suppose :

  • une parfaite maîtrise du contenu ou de l’objet à enseigner qui est le principe général des alliances et des parentés à plaisanterie ;
  • une approche méthodique qui impose un préalable : la connaissance de l’objet à enseigner par l’enseignant. Cette étape exige de l’enseignant qu’il se documente et qu’il soit un enseignant –chercheur -praticien, c’est-à-dire qu’il s’imprègne des différentes méthodes et stratégies efficientes visant à une parfaite utilisation de tous les aspects de la communication didactique ;
  • une bonne utilisation du matériel : le matériel disponible, c’est ce guide qui comporte lui-même une carte : la carte des alliances inter-ethniques et des parentés à plaisanterie; une bonne gestion du temps, et ce, en relation avec le contenu (l’objet à enseigner).

 


Bibliographie

AMOA (Urbain): Poétique de la poésie des tambours, Paris, L’Harmattan, 2002, 349 pages.

DIOP (Birago): Leurres et lueurs (3 ème édition), Paris, Présence africaine, 1960, 86 pages.

DIOP (David): Coups de pilon , Paris, Présence africaine, 1973, 61 pages.

KANE (C. A. ): L’aventure ambiguë, Paris, Editions Julliard, 1961, 209 pages.

ROUMAIN (Jacques): Gouverneurs de la rosée, Paris, Les Editeurs français Réunis, 1946, 219 pages

ARISTOTE: Poétique, Paris, Librairie Générale Française, 1990, 213 pages.

ARISTOTE: Rhétorique, livre 1, Paris, Société d’Edition les Belles lettres, 1967, 143 pages.

BOILEAU: Œuvres 2, Epîtres, art poétique, œuvres diverses, Paris, Garnier – Flammarion, 1969, 253 pages.

NYAMBA (André): Problématique des alliances et des parentés à plaisanterie au Burkina Faso : historique, pratique et avenir, in Les grandes conférences du Ministère de la Culture et de la Communication du Burkina Faso , Ouagadougou, Imprimerie de l’avenir, 1999, 266 pages.

PARE (Joseph): Ecriture et discours dans le roman africain francophone post-colonial, Ouagadougou, Edition Kraal, 1997, 218 pages.

SARTRE (Jean-Paul): Qu’est-ce que la littérature, Paris, Gallimard, 1948, 307 pages.

WUNENBURGER (Jean-Jacques): Sigmund Freud, Paris, Ed. Balland, 1985, 428 pages.

ZADI (Zaourou): Le mythe, le prêtre et le poète : puissance unifiante du rythme, in Colloque sur littérature et esthétique négro-africaines, Abidjan-Dakar, NEA, 1979, 358 pages.

 


Diop (Birago) : Leurres et Lueurs, P.64.

 
 

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