Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 7, 1983-1984

Accueil
English
Introduction
Histoire
Index annuel
Auteur et Sujet
Crédits
Contact

Les influences cézanniennes chez Adrien Hébert

par Jean-René Ostiguy*

English article

Pages  1  |  2  |  3  |  4

*Jean-René Ostiguy est conservateur chargé de recherche en art canadien à la Galerie nationale du Canada.

À son origine, la production du peintre montréalais Adrien Hébert (Paris, 1890- Montréal, 1967) paraît principalement axée sur les muralistes Henri Martin et Puvis de Chavannes, ainsi que sur celle de certains post-impressionnistes tel Henry Moret. Puis, avant de se figer lentement dans cette formule typique des meilleurs peintres montréalais des années trente que l'on qualifierait de « fauvisme assagi », l'artiste a connu un goût certain pour la forme cézannienne. C'est une surprise d'en voir la manifestation chez lui dès 1921. Puis, on en décèle la présence encore bien vivante dans les tableaux assez près de ceux qu'André Derain peignit à compter de 1908 et dans d'autres franchement apparentés à ceux de plus jeunes artistes de volonté classique comme André Favory. Lui-même n'a pas poussé l'expérience cézannienne jusqu'à la pratique d'un certain cubisme, mais il n'en faut pas tant pour ouvrir un chapitre nouveau au dossier que l'histoire a tissé entre Cézanne et le Canada.

On pourrait dénombrer, à date, une quinzaine de tableaux plus ou moins cézanniens d'Adrien Hébert et ils se situent tous entre 1920 et 1925. Ils ne sont pas tous datés mais, dans un cas comme dans l'autre, des raisons d'ordre historique ou stylistique confirment la nécessité de les considérer à l'intérieur de ces strictes limites et dans une chronologie qui ne saurait varier considérablement. (1)

Lorsqu'il fait un stage d'études à Paris en 1912 et 1913, Adrien Hébert ne semble pas s'intéresser à Cézanne. Sans doute aurait-il pu voir quelques tableaux de lui au Musée du Luxembourg ou chez les marchands Vollard et Bernheim-Jeune à l'époque. S'il l'a fait, il n'en semble pas influencé. La Bretagne l'attire où il peint des paysages à la manière de certains artistes comme Henry Müret et Camille Maufra dont il avait vu des oeuvres au Canada en 1909. (2) À son retour, sa production ne montre pas d'écarts considérables par rapport à cette direction qui s'affirme (fig. 1). Ainsi, de 1914 à 1916 tout au moins, Hébert cherche une synthèse des diverses influences qu'il a pu subir depuis le début de sa carrière. La première version de son Panneau décoratif, soleil couchant ( fig. 2) illustre un mélange fort heureux d'emprunts divers avec des éléments en provenance de Puvis de Chavannes qu'il n'avait cessé d'admirer depuis ses visites à l'hôtel de ville de Paris tout comme au Panthéon. Sans doute par la suite peint-il bon nombre de tableaux plutôt sombres faisant songer à Kerr-Xavier Roussel, grand admirateur de Cézanne, mais ce n'était pas là l'occasion d'un pas vers l'oeuvre du grand maître qui d'ailleurs ne pouvait lui être facilement accessible à Montréal.

On aurait raison de croire cependant qu'Adrien Hébert aurait pu chercher à mieux connaître l'oeuvre de Cézanne à compter du mois de février de l'année 1918. Depuis 1914, croira-t-on, il s'était lié d'amitié avec Fernand Préfontaine qui fondera la revue de critique littéraire et artistique Le Nigog en janvier 1918. (3) Il dessine les en-têtes et culs-de-lampe pour la revue et suit régulièrement les réunions de ses collaborateurs. Parmi ceux-ci figure Léo-Pol Morin, pianiste et musicologue, qui accueille à Montréal en 1918 le peintre français Robert Mortier (1878-1940) et son épouse Jane Mortier, concertiste. (4) Robert Mortier était un admirateur inconditionnel de Cézanne et de Matisse. Ami de Guillaume Apollinaire, il aime causer peinture, et n'a sans doute pas manqué de s'entretenir avec Adrien Hébert. Chose certaine, Fernand Préfontaine l'invite à écrire un hommage à Cézanne pour la revue et l'article paraît dans le numéro du mois d'avril. (5)

À peine quatre cents mots pour saluer Paul Cézanne dans une revue qui se veut avant-gardiste, cela paraîtra bien peu. On y dit cependant des choses essentielles et il appert que peu d'articles du genre avaient alors été publiés dans des revues. (6) Cézanne, lira-t-on entre autres sous la plume de Robert Mortier, « a vu le côté massif et plein des objets. » Adrien Hébert a probablement été touché à la lecture de ces mots. Peut-être l'a-t-il été davantage en entendant l'artiste français causer de la poétique formelle chez Cézanne, laquelle invite à des explorations du côté des formules plastiques non occidentales que Mortier utilisait lui-même. (7) Si tel fut le cas, où donc Adrien Hébert aurait-il pu voir des tableaux de Cézanne ou même tout simplement s'en procurer des reproductions? À notre connaissance, il ne voyage plus avant l'été 1922. Il n'a sans doute pas pu satisfaire sa curiosité nouvelle avant quelques années car sa peinture n'évolue pas dans le sillage cézannien avant l'été 1921, date à laquelle il semble avoir exécuté quelques tableaux comportant définitivement certaines caractéristiques cézanniennes. Le petit paysage de la collection du Musée des beaux-arts du Canada, L'enclos, île Bélair (fig. 3), ne saurait se comprendre sans une référence à Cézanne de même qu'à divers autres tableaux de 1921. Comment l'artiste en est-il arrivé là? L'hypothèse la plus plausible serait qu'Adrien Hébert se mit à la recherche d'écrits sur Cézanne et plus particulièrement d'écrits illustrés. Or, comme on l'a déjà noté précédemment, (8) les écrits du genre demeurent peu nombreux et de toute évidence peu accessibles à Montréal. Une découverte toutefois nous autorise à poursuivre ce cheminement. Celle de la présence d'une collection quasi complète des numéros de la revue L'Amour de l'Art pour les années 1920 à 1924 à la Bibliothèque de la ville de Montréal. Tous ces numéros sont marqués au tampon du monogramme d'Henri Hébert, le frère d'Adrien. (9) Ce premier s'était donc abonné à la revue dès sa parution au mois de mai 1920, peut-être même à la suggestion de Fernand Préfontaine qui, après avoir mis fin à la publication de sa revue Le Nigog en janvier 1919, s'en était retourné vivre à Paris où sa femme suivait des cours de l'École des Chartres. Il écrivait souvent à Henri à l'époque et lui donnait des nouvelles de la scène parisienne.

Le numéro du mois de décembre 1920 de L'Amour de l'Art comporte six articles illustrés sur Cézanne. Une reproduction hors-texte en couleurs, Le Lac, y figure. C'est sans doute là qu'Adrien Hébert a nourri son intérêt pour le maître d'Aix.

Page Suivante | paysage de l'île Belair 

1
  |  2  |  3  |  4

Haut de la page


Accueil | English | Introduction | Histoire
Index annuel
| Auteur et Sujet | Crédits | Contact

Cette collection numérisée a été produite aux termes d'un contrat pour le compte du programme des Collections numérisées du Canada, Industrie Canada.

"Programme des Collections numérisées, droit d'auteur © Musée des beaux-arts du Canada 2001"