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Les influences cézanniennes chez Adrien Hébert
par Jean-René Ostiguy*
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*Jean-René Ostiguy est conservateur chargé de recherche en art
canadien à la Galerie nationale du Canada.
À son origine, la production du peintre montréalais Adrien Hébert
(Paris, 1890- Montréal, 1967) paraît principalement axée
sur les muralistes Henri Martin et Puvis de Chavannes, ainsi que sur celle
de certains post-impressionnistes tel Henry Moret. Puis, avant de se figer
lentement dans cette formule typique des meilleurs peintres montréalais
des années trente que l'on qualifierait de « fauvisme assagi », l'artiste a connu un goût certain pour la forme cézannienne.
C'est une surprise d'en voir la manifestation chez lui dès 1921. Puis, on en décèle la présence encore bien vivante
dans les tableaux assez près de ceux qu'André Derain peignit
à compter de 1908 et dans d'autres franchement apparentés
à ceux de plus jeunes artistes de volonté classique comme
André Favory. Lui-même n'a pas poussé l'expérience
cézannienne jusqu'à la pratique d'un certain cubisme, mais
il n'en faut pas tant pour ouvrir un chapitre nouveau au dossier que l'histoire
a tissé entre Cézanne et le Canada.
On pourrait dénombrer, à date, une quinzaine
de tableaux plus ou moins cézanniens d'Adrien Hébert et ils
se situent tous entre 1920 et 1925. Ils ne sont pas tous datés mais,
dans un cas comme dans l'autre, des raisons d'ordre historique ou stylistique confirment la nécessité de les considérer à
l'intérieur de ces strictes limites et dans une chronologie qui
ne saurait varier considérablement. (1)
Lorsqu'il fait un stage d'études à Paris
en 1912 et 1913, Adrien Hébert ne semble pas s'intéresser
à Cézanne. Sans doute aurait-il pu voir quelques tableaux
de lui au Musée du Luxembourg ou chez les marchands Vollard et Bernheim-Jeune
à l'époque. S'il l'a fait, il n'en semble pas influencé.
La Bretagne l'attire où il peint des paysages à la manière
de certains artistes comme Henry Müret et Camille Maufra dont il avait
vu des oeuvres au Canada en 1909. (2) À son retour, sa production ne
montre pas d'écarts considérables par rapport à cette
direction qui s'affirme (fig. 1). Ainsi, de 1914 à 1916 tout au moins, Hébert cherche une synthèse des diverses influences
qu'il a pu subir depuis le début de sa carrière. La première
version de son Panneau décoratif, soleil couchant ( fig.
2) illustre un mélange fort heureux d'emprunts divers avec des
éléments en provenance de Puvis de Chavannes qu'il n'avait
cessé d'admirer depuis ses visites à l'hôtel de ville
de Paris tout comme au Panthéon. Sans doute par la suite peint-il
bon nombre de tableaux plutôt sombres faisant songer à Kerr-Xavier
Roussel, grand admirateur de Cézanne, mais ce n'était pas
là l'occasion d'un pas vers l'oeuvre du grand maître qui d'ailleurs
ne pouvait lui être facilement accessible à Montréal.
On aurait raison de croire cependant qu'Adrien Hébert aurait pu chercher à mieux connaître
l'oeuvre de Cézanne
à compter du mois de février de l'année 1918. Depuis
1914, croira-t-on, il s'était lié d'amitié avec Fernand
Préfontaine qui fondera la revue de critique littéraire et
artistique Le Nigog en janvier 1918. (3) Il dessine les en-têtes
et culs-de-lampe pour la revue et suit régulièrement les
réunions de ses collaborateurs. Parmi ceux-ci figure Léo-Pol
Morin, pianiste et musicologue, qui accueille à Montréal
en 1918 le peintre français Robert Mortier (1878-1940) et son épouse
Jane Mortier, concertiste. (4) Robert Mortier était un admirateur
inconditionnel de Cézanne et de Matisse. Ami de Guillaume Apollinaire,
il aime causer peinture, et n'a sans doute pas manqué de s'entretenir
avec Adrien Hébert. Chose certaine, Fernand Préfontaine l'invite à écrire un hommage à Cézanne pour la
revue et l'article paraît dans le numéro du mois d'avril. (5)
À peine quatre cents mots pour saluer Paul Cézanne
dans une revue qui se veut avant-gardiste, cela paraîtra bien peu.
On y dit cependant des choses essentielles et il appert que peu
d'articles du genre avaient alors été publiés
dans des revues. (6) Cézanne, lira-t-on entre autres sous la plume
de Robert Mortier, « a vu le côté massif et plein
des objets. » Adrien Hébert a probablement été
touché à la lecture de ces mots. Peut-être l'a-t-il
été davantage en entendant l'artiste français causer
de la poétique formelle chez Cézanne, laquelle invite à
des explorations du côté des formules plastiques non occidentales
que Mortier utilisait lui-même. (7) Si tel fut le cas, où donc
Adrien Hébert aurait-il pu voir des tableaux de Cézanne
ou même tout simplement s'en procurer des reproductions? À
notre connaissance, il ne voyage plus avant l'été 1922.
Il n'a sans doute pas pu satisfaire sa curiosité nouvelle avant
quelques années car sa peinture n'évolue pas dans le sillage
cézannien avant l'été 1921, date à laquelle
il semble avoir exécuté quelques tableaux comportant définitivement
certaines caractéristiques cézanniennes. Le petit paysage
de la collection du Musée des beaux-arts du Canada, L'enclos,
île Bélair (fig. 3), ne saurait se comprendre sans une
référence à Cézanne de même qu'à
divers autres tableaux de 1921. Comment l'artiste en est-il arrivé
là? L'hypothèse la plus plausible serait qu'Adrien Hébert
se mit à la recherche d'écrits sur Cézanne et plus
particulièrement d'écrits illustrés. Or, comme on
l'a déjà noté précédemment, (8) les écrits
du genre demeurent peu nombreux et de toute évidence peu accessibles
à Montréal. Une découverte toutefois nous autorise
à poursuivre ce cheminement. Celle de la présence d'une collection
quasi complète des numéros de la revue L'Amour de l'Art
pour les années 1920 à 1924 à la Bibliothèque
de la ville de Montréal. Tous ces numéros sont marqués
au tampon du monogramme d'Henri Hébert, le frère d'Adrien. (9)
Ce premier s'était donc abonné à la revue dès
sa parution au mois de mai 1920, peut-être même à la
suggestion de Fernand Préfontaine qui, après avoir mis fin
à la publication de sa revue Le Nigog en janvier 1919, s'en
était retourné vivre à Paris où sa femme suivait
des cours de l'École des Chartres. Il écrivait souvent à
Henri à l'époque et lui donnait des nouvelles de la scène
parisienne.
Le numéro du mois de décembre 1920 de L'Amour
de l'Art comporte six articles illustrés sur Cézanne.
Une reproduction hors-texte en couleurs, Le Lac, y figure. C'est
sans doute là qu'Adrien Hébert a nourri son intérêt
pour le maître d'Aix.
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