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Les influences cézanniennes chez Adrien Hébert
par Jean-René Ostiguy
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C'est le petit paysage de l'île Bélair qui
paraît le plus cézannien. Pour reprendre les mots de Robert
Mortier, Hébert « a vu le côté massif et plein
des objets. » Il a donné aux troncs des arbres et à
leurs branches des contours noueux et mobiles accentuant leur dégagement
volumétrique. Il a réduit la profondeur des espaces entre
les arbres et les bâtiments, entre les frondaisons et les branches.
Les espaces eux-mêmes semblent pleins. Les plans des bâtiments
fonctionnent selon l'organisation propre du tableau plutôt qu'en
fonction de visées illusionnistes traditionnelles. À l'extrême
droite de la composition, par exemple, le mur blanc de l'atelier paraît
à un plan différent dans l'espace selon que l'on considère
la portion figurant à gauche ou à droite de l'arbre monumental
qui le divise en deux. Ainsi les plans ont pour fonction de se jouxter
de part et d'autre des verticales dessinées par les troncs. La couleur
franche et forte des toitures rougeâtres, rouilles et gris rosé
contrastent les tons dominants de verts dans cette composition rythmée
où circule « une poétique sauvage » où
les ocres verdâtres chantent comme dans plusieurs sous-bois de Cézanne tels Le Château noir (1894-1896, coll.
O Reinhart,
Winterthur) et Ferme normande: le clos (1880-1886, coll.
Abercomway,
Londres ). L'enclos, île Bélair adopte un schéma
constructif et tout autant un esprit cézannien.
La cabane à chaloupe (fig. 4) en dépit
de son ciel gris, évoque également Paul Cézanne. Sans
doute l'allée d'arbres débouchant sur un bâtiment et
un boisé dans un rectangle vertical rappellent-ils certaines vues
du bois de Chantilly et tout particulièrement celle qui est reproduite
à la page 261 du numéro de décembre de la revue L'amour de
l'art. La touche oblique et sa silhouette du dernier arbre
sur la gauche confirment notre sentiment d'un espace cézannien.
Nulle part ailleurs que chez Cézanne trouvera-t-on de semblables stylisations pour rendre ou plutôt pour
« synthétiser »
le volume souple et léger d'une frondaison. L'artiste ne s'en tire
pas toujours avec autant de bonheur en 1921. Il glisse souvent du côté
des effets fauves à la manière d'André Derain comme
dans Yvonne Hébert à l'île Bélair (fig. 5) ou
encore, à la manière de ceux de Maurice de Vlaminck comme
dans La glacière et le hangar (fig. 6). Quant au
Nu debout (fig. 7), on ne saurait y voir d'influence particulière,
sauf si l'on pouvait le mettre en rapport avec un grand tableau de baigneuses -
thème cézannien s'il en fut - dont une photographie d'archives
seule nous donne un aperçu très vague (fig. 8). Un Portrait
du Dr Léo Pariseau (fig. 9) évoque en moins coloré
la tête de Paul Alexis dans La lecture chez Zola (1869-1870,
Museu de Arte de Sâo Paulo, Brésil). L'oeuvre n'est pas datée
et son propriétaire laisse entendre (10) qu'il aurait pu être
peint en 1924. Ne pourrait-on pas proposer la date de 1921. On sait que
le critique du journal La Presse, commentant une exposition Hébert
au Cercle universitaire de Montréal dans un article (11) daté
du 29 décembre 1921, mentionne un portrait. Celui de Léo
Pariseau est très sombre; or, parmi les nombreux paysages exposés,
plusieurs sont des « paysages nocturnes », note le commentateur.
Ces derniers, tout comme le portrait en question, reflétaient peut-être des essais à la manière de la période sombre
de Cézanne.
Tous les autres tableaux plus ou moins cézanniens
d'Hébert que nous connaissons ont été exécutés
en France à compter de 1922. L'artiste aurait-il profité
de son voyage pour mieux étudier le maître d'Aix? Il l'a
sans doute fait, mais avec l'aide du point de vue d'un artiste français
de son âge, André Favory, lequel s'était épris
de Cézanne dix années plus tôt et s'en était
éloigné considérablement depuis.
Le 8 juin 1922, Adrien Hébert s'embarque à
New York en compagnie de Fernand Préfontaine à destination
du Havre. Ce dernier était revenu passagèrement au Canada
six mois auparavant. (12) Adrien logera chez son ami au 7 de la rue des
Eaux à Passy. Sans doute Préfontaine s'est-il empressé
de mettre Hébert en contact avec ses amis peintres. Une lettre
qu'il adresse à Pauline Rolland le 15 novembre révèle
qu'André Favory est passé voir les travaux d'Adrien au 7
rue des Eaux et qu'il l'en a félicité. L'artiste français
a sans doute vu les paysages exécutés au cours du récent
voyage des deux amis à Issoire et au Puy-en-Velay. Paysage à
Vals-les-Bains (fig. 10) et Paysage de l'Ardèche (fig. 11)
figuraient probablement dans le groupe de toiles réunies pour
l'occasion avec certaines vues parisiennes de la Seine qui nous sont déjà
connues grâce à l'exposition Les esthétiques modernes
au Québec de 1916 à 1946 et à celle qu'organisait
en septembre 1984 la Galerie Walter Klinkhoff sous le titre Hommage
à Adrien Hébert. Les éléments cézanniens,
schémas de composition, recettes de couleurs et
solutions
caractérisées à des problèmes d'échelonnements
de plans sont fortement teintés ici par le goût classique
qu'André Derain, Othon Firesz (13) puis André Favory lui-même
ont ajouté à leurs emprunts cézanniens. Il est sans
doute trop tôt pour porter un jugement définitif sur l'influence
de Favory telle qu'elle apparaît dans ces paysages. Il faudrait mieux
connaître l'oeuvre de l'artiste français. De plus, on sait
trop peu sur les autres influences qui entrèrent en jeu au cours
des quinze mois du séjour parisien d'Hébert. Qu'en fut-il
par exemple d'une certaine visite des deux amis à Robert Mortier? (14)
Et quand saura-t-on pourquoi Robert de Roquebrune, ancien collaborateur
à la revue Le Nigog, ne consigne aucun souvenir (15) du passage
de son ami Adrien Hébert à Paris, lui qui fréquentait
Metzinger et autres peintres cézanniens à l'époque.
Jean Marchand (1883-1940) par exemple, autrefois cubiste, figure dans
le groupe de Metzinger. La critique fait grand état (16) de ses nus
et de ses portraits au Salon d'Automne de 1921 et 1922. Hébert se
serait-il inspiré de lui pour son Nu assis (v. 1922, MBAC,
Ottawa), lequel s'apparente tout autant à Marchand qu'à Favory?
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