Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 7, 1983-1984

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Les influences cézanniennes chez Adrien Hébert

par Jean-René Ostiguy

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C'est le petit paysage de l'île Bélair qui paraît le plus cézannien. Pour reprendre les mots de Robert Mortier, Hébert « a vu le côté massif et plein des objets. » Il a donné aux troncs des arbres et à leurs branches des contours noueux et mobiles accentuant leur dégagement volumétrique. Il a réduit la profondeur des espaces entre les arbres et les bâtiments, entre les frondaisons et les branches. Les espaces eux-mêmes semblent pleins. Les plans des bâtiments fonctionnent selon l'organisation propre du tableau plutôt qu'en fonction de visées illusionnistes traditionnelles. À l'extrême droite de la composition, par exemple, le mur blanc de l'atelier paraît à un plan différent dans l'espace selon que l'on considère la portion figurant à gauche ou à droite de l'arbre monumental qui le divise en deux. Ainsi les plans ont pour fonction de se jouxter de part et d'autre des verticales dessinées par les troncs. La couleur franche et forte des toitures rougeâtres, rouilles et gris rosé contrastent les tons dominants de verts dans cette composition rythmée où circule « une poétique sauvage » où les ocres verdâtres chantent comme dans plusieurs sous-bois de Cézanne tels Le Château noir (1894-1896, coll. O Reinhart, Winterthur) et Ferme normande: le clos (1880-1886, coll. Abercomway, Londres ). L'enclos, île Bélair adopte un schéma constructif et tout autant un esprit cézannien.

La cabane à chaloupe (fig. 4) en dépit de son ciel gris, évoque également Paul Cézanne. Sans doute l'allée d'arbres débouchant sur un bâtiment et un boisé dans un rectangle vertical rappellent-ils certaines vues du bois de Chantilly et tout particulièrement celle qui est reproduite à la page 261 du numéro de décembre de la revue L'amour de l'art. La touche oblique et sa silhouette du dernier arbre sur la gauche confirment notre sentiment d'un espace cézannien. Nulle part ailleurs que chez Cézanne trouvera-t-on de semblables stylisations pour rendre ou plutôt pour « synthétiser » le volume souple et léger d'une frondaison. L'artiste ne s'en tire pas toujours avec autant de bonheur en 1921. Il glisse souvent du côté des effets fauves à la manière d'André Derain comme dans Yvonne Hébert à l'île Bélair (fig. 5) ou encore, à la manière de ceux de Maurice de Vlaminck comme dans La glacière et le hangar (fig. 6). Quant au Nu debout (fig. 7), on ne saurait y voir d'influence particulière, sauf si l'on pouvait le mettre en rapport avec un grand tableau de baigneuses - thème cézannien s'il en fut - dont une photographie d'archives seule nous donne un aperçu très vague (fig. 8). Un Portrait du Dr Léo Pariseau (fig. 9) évoque en moins coloré la tête de Paul Alexis dans La lecture chez Zola (1869-1870, Museu de Arte de Sâo Paulo, Brésil). L'oeuvre n'est pas datée et son propriétaire laisse entendre (10) qu'il aurait pu être peint en 1924. Ne pourrait-on pas proposer la date de 1921. On sait que le critique du journal La Presse, commentant une exposition Hébert au Cercle universitaire de Montréal dans un article (11) daté du 29 décembre 1921, mentionne un portrait. Celui de Léo Pariseau est très sombre; or, parmi les nombreux paysages exposés, plusieurs sont des « paysages nocturnes », note le commentateur. Ces derniers, tout comme le portrait en question, reflétaient peut-être des essais à la manière de la période sombre de Cézanne.

Tous les autres tableaux plus ou moins cézanniens d'Hébert que nous connaissons ont été exécutés en France à compter de 1922. L'artiste aurait-il profité de son voyage pour mieux étudier le maître d'Aix? Il l'a sans doute fait, mais avec l'aide du point de vue d'un artiste français de son âge, André Favory, lequel s'était épris de Cézanne dix années plus tôt et s'en était éloigné considérablement depuis.

Le 8 juin 1922, Adrien Hébert s'embarque à New York en compagnie de Fernand Préfontaine à destination du Havre. Ce dernier était revenu passagèrement au Canada six mois auparavant. (12) Adrien logera chez son ami au 7 de la rue des Eaux à Passy. Sans doute Préfontaine s'est-il empressé de mettre Hébert en contact avec ses amis peintres. Une lettre qu'il adresse à Pauline Rolland le 15 novembre révèle qu'André Favory est passé voir les travaux d'Adrien au 7 rue des Eaux et qu'il l'en a félicité. L'artiste français a sans doute vu les paysages exécutés au cours du récent voyage des deux amis à Issoire et au Puy-en-Velay. Paysage à Vals-les-Bains (fig. 10) et Paysage de l'Ardèche (fig. 11) figuraient probablement dans le groupe de toiles réunies pour l'occasion avec certaines vues parisiennes de la Seine qui nous sont déjà connues grâce à l'exposition Les esthétiques modernes au Québec de 1916 à 1946 et à celle qu'organisait en septembre 1984 la Galerie Walter Klinkhoff sous le titre Hommage à Adrien Hébert. Les éléments cézanniens, schémas de composition, recettes de couleurs et solutions caractérisées à des problèmes d'échelonnements de plans sont fortement teintés ici par le goût classique qu'André Derain, Othon Firesz (13) puis André Favory lui-même ont ajouté à leurs emprunts cézanniens. Il est sans doute trop tôt pour porter un jugement définitif sur l'influence de Favory telle qu'elle apparaît dans ces paysages. Il faudrait mieux connaître l'oeuvre de l'artiste français. De plus, on sait trop peu sur les autres influences qui entrèrent en jeu au cours des quinze mois du séjour parisien d'Hébert. Qu'en fut-il par exemple d'une certaine visite des deux amis à Robert Mortier? (14) Et quand saura-t-on pourquoi Robert de Roquebrune, ancien collaborateur à la revue Le Nigog, ne consigne aucun souvenir (15) du passage de son ami Adrien Hébert à Paris, lui qui fréquentait Metzinger et autres peintres cézanniens à l'époque. Jean Marchand (1883-1940) par exemple, autrefois cubiste, figure dans le groupe de Metzinger. La critique fait grand état (16) de ses nus et de ses portraits au Salon d'Automne de 1921 et 1922. Hébert se serait-il inspiré de lui pour son Nu assis (v. 1922, MBAC, Ottawa), lequel s'apparente tout autant à Marchand qu'à Favory?

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