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Lazaret - Interview avec un Lépreux

L'interview suivant avec le Père Donat Cournoyer, franciscain, qui a contracté la lèpre au Pérou, a été réalisé par Raynald Basque, scénariste pour un film «Les larmes du Lazaret», en 2002.

Père Donat Cournoyer

Le Père Donat Cournoyer est né en 1916, à Saint-Marcel, près de Sorel, au Québec. Entré chez les Franciscains en 1936, il fut ordonné prêtre en 1944 et, dès 1947 il partait en mission au Pérou. Cette année-là, en effet, Rome venait de confier aux Franciscains canadiens un immense territoire missionnaire le long de l'Amazone, appelé la Préfecture apostolique Saint-Joseph de l'Amazone. Monseigneur Damase Laberge, o.f.m., fut nommé préfet apostolique de ce territoire qu'il organisa en une dizaine de postes de mission, dont l'un d'eux s'appelait San Pablo. En ce lieu reculé, aux frontières du Brésil, le gouvernement péruvien avait relégué plusieurs centaines de lépreux dans un village où ils devaient se débrouiller pour survivre ou pour y attendre la mort. C'est dans cet « enfer vert» de l'Amazonie péruvienne que le Père Donat aura à se dévouer. L'occasion lui sera donnée d'y rencontrer les Hospitalières de Saint-Joseph, que monseigneur Laberge avait sollicitées pour venir apporter consolation, soins et dignité humaine à ces pauvres lépreux abandonnés. Les premières Hospitalières qui y arrivèrent en 1948 , de même que celles qui suivront au cours des premières années avaient toutes travaillé auprès des lépreux du lazaret de Tracadie. À travers l'histoire du Père Donat, apparaissent les liens que le dévouement a tissés entre Tracadie, San Pablo, les Hospitalières et les Pères franciscains. La boucle est bouclée!



R.B. - Pour nous qui sommes du Nouveau-Brunswick et de la région de Tracadie, pour moi, particulièrement, Tracadie évoque une belle petite ville mais pour vous, Tracadie , ça veut dire quoi?

D.C. - C'est la ville que je redoutais car j'étais déclaré lépreux mais avec le temps je me suis familiarisé avec Tracadie et puis avec la grande sympathie que j'ai reçue des religieuses et même des amis que j'avais à Tracadie, j'en ai gardé un excellent souvenir.

R.B. - Pourtant en 1956 , je crois, vous veniez d'apprendre que vous deviez vous y rendre parce que, par un décret de la loi, vous étiez un paria de la société.

D.C. - Oui à cause d'une loi, si je me souviens bien en 1967, elle n'avait pas été abrogée encore, alors j'étais prisonnier , prisonnier de l'état. Je ne le savais pas encore quand je suis allé. Quand je suis parti de l'Institut Pasteur où j'avais passé un mois comme un pestiféré, je me sentais très malade. J'éprouvais une très grande faiblesse et puis j'avais tous les signes extérieurs d'un lépreux.J'avais les mains enflées, les yeux bouffis, le visage enflé avec de grosses rides. On l'appelle le visage léonien. Le visage du lion. Les autres s'en rendaient compte. J'ai donc dû me rendre au Lazaret de Tracadie.

R.B. - Quand vous êtes arrivé à Montréal vous étiez en vacances. Vous arriviez de l'Amérique du Sud . Vous aviez certains symptômes que vous soupçonniez être la lèpre, puisque vous aviez fréquenté des lépreux là-bas, n'est-ce pas?

D.C. - À la fin de mes vacances je ne me sentais pas bien du tout, même au début. Et puis je suis venu ici, à Rosemont, parce qu'il y avait un hôpital tout près. Il s'appelait l'Institut Lavoisier. J'ai dit au Supérieur que j'aimerais passer un examen. Alors je suis allé à l'Institut Lavoisier. Ils ont commencé à m'examiner puis je n'ai rien dit. Je n'ai pas dit d'où je venais. Alors ils se sont mis à chercher, à me faire des tests au laboratoire. Ils ne trouvaient rien. Mais sur les entrefaites est venue me visiter une missionnaire laïque appelée Garde Laurence Lefebvre. Elle me dit: «Mon Père, vous avez la lèpre». J'ai dit:« Non, non tu es malade. Je n'ai pas la lèpre. Je veux retourner au Pérou au plus tôt .» Alors elle me dit:« Acceptes-tu qu'ils te fassent un examen afin de détecter si tu as vraiment le bacille de la lèpre?». J'ai répondu «: C'est bien.» Ils ont mis quelques jours avant de trouver que j'avais 4 + de contagion. J'étais rempli de bacilles. Alors les symptômes que j'avais au visage, la grande faiblesse, c'était cela, j'étais lépreux.

R.B. - Mais quand on apprend qu'on est devenu comme vous dites , UN LÉPREUX, ce n'est pas sans conséquence.

D.C. - À, l'époque c'était pire qu'aujourd'hui. Je n'avais pas encore lu sur la lèpre. Je ne la connaissais pas. Je ne savais pas si elle était curable. Alors au premier moment, durant le mois de séquestration à Tracadie, c'est là que j'ai réalisé ce qu'était la lèpre. Et là, j'ai senti un certain désarroi. Malgré mon optimisme naturel , le cerveau circulait et je me disais: Qu'est-ce que je vais devenir? Voilà mon idéal missionnaire effrité à l'âge de 40 ans.. Ma vie s'en va. Mes ambitions de missionnaire , d'évangélisation, de faire des oeuvres, surtout D'AIDER MON PROCHAIN, d'aimer les autres, qui était mon idéal, mon idéal suprême, en allant au Pérou, pour aider ces gens à tout point de vue, c'était fini...

R.B. - Nous qui sommes des bien-portants, la question qui se pose c'est comment on peut se sentir quand on est atteint d'une bacille, d'une maladie qui date de 20 siècles, comment on peut se sentir quand on est atteint d'une maladie aussi repoussante et une maladie aussi terrible. Ce n'est pas une maladie ordinaire...

D.C. - À ce moment-là ,c'était une maladie repoussante mais déjà on savait que la lèpre pouvait se guérir. Il y avait plusieurs cas de guérison. Mais les premiers mois à Tracadie ,quand je suis arrivé, alors on se sentait repoussé comme un reclus et loin de la civilisation. Parce que, en arrivant à Tracadie, on m'a traité comme un vrai lépreux. On venait me voir avec un masque.. Je trouvais cela épouvantable. Mais sur les entrefaites, je lisais sur la lèpre et j'ai appris qu'elle était guérissable. J'ai dit: je vais guérir, je vais retourner au Pérou. Alors là ma peur, mon désarroi ont disparu. Puis là, je me suis sentie comme un jeune homme de 40 ans pour être comme autrefois, n'avoir peur de rien.

R.B. - Mais quand vous étiez ici à Montréal on vous a fait beaucoup d'examens , vous avez été traité un peu comme ... d'une certaine façon, comme une bête fauve!

Médicaments pour traiter la lèpre

D.C. - Oui, comme une bête fauve... Mais deux ou trois mois après être arrivé à Tracadie et avoir appris par la lecture que la maladie pouvait se guérir en prenant des sulfones, dont le diasone, je me suis dit: Je vais m'en sortir, ça ne sera pas long! Et puis, j'ai commencé à élaborer des plans.

R.B. - Vous saviez que vous alliez guérir, mais ce n'était pas le cas de tout le monde, y compris des autorités médicales de Tracadie. Racontez-nous comment ça s'est passé quand vous êtes arrivé à Tracadie.

D.C. - Le médecin s'appelait le docteur Robichaud, un bon médecin, mais il n'avait pas été averti par le gouvernement fédéral qu'un lépreux devait arriver là. Moi, j'avais appelé les Religieuses Hospitalières que je connaissais, ayant travaillé à San Pablo, au Pérou, où elles s'occupaient de tout un village de lépreux. La supérieure avait averti le médecin, mais il n'avait pas voulu me recevoir: la Loi, c'est la loi! Le ministère de la santé ne l'avait autorisé à me recevoir...Imaginez mon état: un malade, car j'étais très malade en plus de la fatigue d'un long voyage de Montréal à Tracadie, et se faire dire qu'on ne m'acceptait pas! J'ai dit au médecin,: «Faites quelque chose, vous n'allez pas me laisser dans la rue, à cette heure du soir. Je crois qu'il a appelé Ottawa et finalement il m'a laissé entrer. Et là j'ai été séquestré pendant quatre ans.

R.B. - Vous ne pouviez pas sortir? Est-ce que vous pouviez avoir de la visite?

D.C. - Je pouvais seulement sortir sur le terrain du Lazaret, et me rendre au bord de la mer qui était toute proche. Heureusement que l'autre médecin de l'hôpital, le docteur Paulin, me fit don d'un petit bateau hors bord, et je pouvais m'évader sur la mer, jusqu'au golfe St-Laurent. Ça me rappelait l'Amazone. Et le docteur Paulin m'accueillait à son chalet, en cachette. Quand mes parents sont venus me voir, une fois, nous y avons été reçus. Aussi, les, Hospitalières venaient me voir, celles de l'Hôpital et celles de l'Académie, à côté; et, lorsque des soeurs missionnaires revenaient du Pérou, je recevais aussi leur visite . Les soeurs savaient que la lèpre n'était pas contagieuse: elles soignaient les lépreux depuis près de cent ans et jamais une soeur n'avait contracté la maladie! Mais j'ai surtout été bien traité par la supérieure , soeur Léontine Haché. Elle venait me voir chaque jour et me laissait téléphoner à son bureau même si ce n'était pas permis. Elle était donc bonne. Elle a vécu jusqu'à 90 ans et est morte ces dernières années. seulement.

R.B. - Qu'avez-vous fait pendant ces quatre longues années?

D.C. - Quand j'ai su que j'allais guérir, j'ai décidé que j'allais fonder un poste de radio, quand je retournerais au Pérou, je fonderais un poste de radio-école pour l'Amazonie. Je me suis renseigné et j'ai appris qu'il existait un cours par correspondance à Montréal et j'ai appris comment monter, de toute pièce, un appareil émetteur. Ils nous donnaient tous les devis, tous les plans. J'ai donc construit un appareil émetteur qui a fonctionné! Et quand je suis retourné au Pérou, j'ai fondé un poste de radio.

R.B. - Vous avez fait de la radio?

Le père Donat a son poste de radio

Le père Donat a fondé un poste de radio par miracle! Un vrai poste de radio, avec des services, créer des écoles radiophoniques à Indiana, le poste où j'ai été pendant 20 ans. Un vrai poste de radio. On fondait des postes de radio- école. Je me suis renseigné. J'ai visité un des plus gros postes de radio- école de Colombie où ils avaient 250 écoles radiophoniques. J'ai étudié là une quinzaine de jours, voir comment cela fonctionnait. Je suis revenu et j'ai demandé la permission à l'évêque: «Me donnes-tu la permission d'installer un poste de radio»? Mais il dit:« Penses-tu! As tu des finances, as-tu de l'argent» ? « Non, j'en ai pas beaucoup, mais je fais confiance au gars des finances en Haut.» J'ai construit une maison, une petite maison où j'ai installé tous les services. Et puis j'ai réussi avec des aumônes que j'avais reçu , des dons du Canada afin d'acheter un émetteur. Un émetteur de1000 kilowatts, à ondes courtes, pour diffuser nos services, nos programmes sur toute la grandeur de l'Amazone. Notre territoire avait la dimension de Terre-Neuve. Les gens sont disséminés le long des cours d'eau, le long du Fleuve Amazone, le long du Fleuve Napo. La distance entre Caballacocha et Pantoja est de 900 km.

Alors je me suis dit: tout ça je l'ai enfanté quand j'étais malade lépreux à Tracadie!