Historique des Hopitaux de la Péninsule Acadienne
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La Vie Autrefois au Lazaret

Soeur Ste-Elizabeth

Réminiscences de Soeur Ste-Élizabeth Landry), telles que retransmises ou relatées par une soeur converse (soeur domestique) anonyme.

« Soeur Ste-Elizabeth était du nombre des premières postulantes entrées à Tracadie, la sixième ou la septième. Elle racontait qu'au début les postulantes se présentaient en grand nombre. Il fallait leur faire de la place, mais comment? Trois ou quatre soeurs converses ont pris une pièce au poulailler.

L'été, il faisait tellement chaud, il fallait ôter les ciels qui étaient au-dessus du lit. A quatre heures du matin, les coqs et les poules chantaient déjà et en plus, rendus à leur demeure, donc grimpaient sur les bas du lit, grattaient. Il fallait sortir du lit et leur donner la place! La règle [demandait de] baiser la terre, [mais] les poules avaient passé avant nous! On dérangeait un peu et [on] baisait le foin ou la paille. Cela a duré deux ans. Nous grelettions de froid, étant près de la mer, le froid pénétrait. Nous avions bien du plaisir en récréation.

Avec tout cela, elle a été cordonnière. Il y avait Sr Marie-des-Anges (Doucet), Sr Hedwige et Sr Françoise. Nous faisions toutes les chaussures des Sœurs. [Il y avait] une forme faite de la même manière, les deux bouts ronds, donc pas de place pour la grosse orteille. Celles qui avaient les pieds plus courts avaient une chance pour la grosse orteil! Les autres, ont eu toutes des oignons aux joints de la grosse orteil ! Il fallait porter une bottine dans un pied et changer chaque semaine. Les souliers appartenaient à personne. Le pied court galochait, le long, il fallait se raccourcir. Chance que ça durait seulement une semaine!

Une lépreuse, qui était bien douce, une autre bien prompte. Si elle garrochait quelque chose à celle qui était plus douce, [celle-ci] pleurait. La Sœur qui était en charge de l'étage l'envoie faire ses excuses. Les yeux rouges, fâchée, [elle] lui disait : " Ma démone, ma méchante, ma m... " Et l'autre qui était sourde lui répondait : " Oui, je te pardonne, ne pleure plus, oui, mon enfant, je te pardonne. Je le perde [pardonne?], sois assurée, " pensant que l'autre lui demandait pardon. Ça lui a fait du bien. Elle a prolongé ses disputes…

Une autre avec les yeux coulés, à la place c'était de la pourriture. Les doigts [étaient] de même, les yeux [étaient] bandés, les deux mains de même. Des fois, il y avait des hommes qui juraient sur leur nourriture, frappaient le plateau. Quelques-uns étaient bien pieux, mortifiés. Un à minuit trente ne voulait pas prendre de l'eau : "J'ai la gorge sec jusqu'au palais. Je ne boirai pas, je ne veux pas manquer ma communion. "

Autre fait, John X., pour ses dîners et ses soupers [demandait] toujours un quartier de mouton. [Il voulait] celui du jambon, cuit jusqu'à ce que la viande [ne] se détache pas trop de l'os. Rien d'autre chose que ce quartier, pas de légumes, ni patates qu'on devrait appeler pommes de terre. Il ne parlait que l'anglais. [Un autre] il avait déserté. Il a pris le chauffeur, un homme, il l'a jeté en bas. Si on n'avait pas été à son secours, il l'aurait tué. Il était toujours dans une prison. Il était assez furieux. [Il avait] une paillasse de paille de gros coutil, au milieu de sa chambre. Il se couchait le plus souvent roulé. Il tenait toujours ses [?] pleins de mousse en dessous de son lit. Ca prenait deux hommes pour [faire] le ménage de cette chambre, des fois plus.

Un autre homme avait la paupière des yeux tournée à l'envers et la bouche rouge par la lèpre. Il souffrait beaucoup [et était] toujours au lit. Il y en avait qui fumaient. Il fallait que la Sœur lui allume sa pipée et la remplissent de tabac. Ca prenait du courage! Il y avait des conversions assez souvent. Il y avait deux chinois. Un s'est converti. L'autre lui dit : " Si tu suis cette religieuse-là, je vais te tuer. " Le Catholique avait peur. Ils l'ont renfermé dans une chambre d'une fille, vieille, malade. Cette dernière a changé de chambre pendant quinze jours. Durant ce temps-là, ils ont fait des démarches. Puis, il est parti. Le Catholique a pu continuer à faire sa religion. Il y a eu de très bons Chinois, toujours souriants… »