PAGE
1/2/3/4/5/6
Vers
la perte du French Shore et de l'île Rouge
Vers
la fin de la deuxième moitié du dix-neuvième
siècle, la pêche française au French Shore
entre dans son déclin. Les raisons en sont multiples :
techniquement, les navires sont à présent assez
vastes et assez solides pour faire une campagne entière
sur le Grand Banc sans devoir toucher terre pour déposer
leur poisson. Le bulot, pêché directement
sur les bancs, est venu remplacer la boette traditionnelle
- hareng, capelan ou encornets -évitant ainsi les effets
potentiellement ravageurs du Bait-Bill, une loi
passée par le parlement Terre-Neuve qui interdit la vente
d'appât aux navires de pêche français. Les
navires n'ont donc plus besoin de gagner Saint-Pierre pour acheter
hareng, capelan ou encornet, ou de se rendre à la baie
St-Georges pour pêcher leur boette. La morue verte
(c'est à dire simplement lavée et salée)
est devenue plus populaire que la morue séchée.
Et puis il y a plus que de simples progrès dans les techniques
de pêche.
À
Terre-Neuve, les relations entre Anglais et Français s'enveniment.
De plus en plus de pêcheurs anglais s'installent à
leur tour sur les côtes. On se chamaille sur tous les aspects
de la pêche - sur celle du homard surtout - les tracas sont
quotidiens, les pertes de matériel de pêche importantes…
bref, la cohabitation devient de plus en plus difficile.
En
voici un exemple rapporté par Daniel Prowse dans son livre
«A History of Newfoundland» : en 1888, un monsieur James
Baird, de Saint-Jean de Terre-Neuve, a une homarderie à
l'anse-à-Canards, sur la péninsule de Port-au-Port.
Ses hommes pêchent dans la baie mais ce n'est pas du goût
des pêcheurs de l'île Rouge, 18 miles plus loin, qui
insistent que les trappes à homard les empêchent
d'utiliser les sennes pour pêcher le hareng qui leur sert
de boette. Toujours selon Prowse, les pêcheurs français
viennent à l'anse-à-Canards pour détruire
une partie de l'équipement. «Leurs plaintes étaient
sans fondement», ajoute Prowse «et je crois savoir qu'ils ont
été puni de leurs actes. Toutefois», ajoute-t-il,
«le gérant, Monsieur John Halliburton, m'a informé
qu'il s'en irait plus au Nord pour la saison prochaine.»
Lassés
de cet environnement hostile et, sans doute, parce que les baies
s'avèrent moins poissonneuses, les armateurs de France
métropolitaine perdent peu à peu intérêt
à cette côte qui a pourtant assuré la richesse
de bien d'entre deux. «En 1894, quinze navires seulement armaient
pour la pêche à la côte; en 1904, le nombre
devait en être réduit à six.»La perte du French
Shore est imminente.
Mais
il reste encore quelques années de sursis : tandis
que, dans les ambassades et les consulats, les gouvernements anglais
et français font appliquer le Modus vivendi
tout en cherchant une solution à la question des droits
de pêche, à Saint-Pierre-et-Miquelon on décide
de combler le vide laissé par les pêcheurs de France.
En 1893, le Conseil général de Saint-Pierre décide
de verser une prime de 50 francs à tout pêcheur qui
voudra se rendre au French Shore.