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Le
résultat dépasse les prévisions : 170
hommes, presque exclusivement de l'Île-aux-Chiens - petite
île de l'archipel Saint-Pierre-et-Miquelon - se rendent
au French Shore durant la campagne de 1894, soit : à
l'île Rouge 8 embarcations et 15 pêcheurs (ce qui,
d'après le nota de la dépêche ministérielle,
laisse entendre que l'armateur français a encore cette
année-là la concession de la place numéro
4 à l'île Rouge) , à l'île Tweed 5 embarcations
et 10 pêcheurs, à l'Anse à Bois 7 embarcations
et 16 pêcheurs, à Port-à-Port (Pointe des
Galets) 27 embarcations et 65 pêcheurs, à Port-à-Port
(Broad Cove) 29 embarcations et 64 pêcheurs.
Ces
chiffres se maintiendront jusqu'à la perte du French Shore
en 1904. Pour les pêcheurs de Saint-Pierre-et-Miquelon qui
ne voient guère abondance de morue autour de leurs îles
avant le mois de juin, le French Shore offre la possibilité
d'une excellente campagne de printemps. On comprend qu'en 1899,
sentant la France prête à céder aux Anglais
sur la question de leurs droits de pêche, ils aient écrits
à leur représentant en Métropole :
L'abandon
de nos droits au French Shore, entraînerait notre ruine,
au point de vue des conditions économiques de la vie. À
Saint-Pierre et à l'île-aux-Chiens, beaucoup de familles
ne vivent que grâce aux produits de la pêche au French
Shore et, si nos droits sur la côte de Terre-Neuve étaient
abandonnés, ces familles seraient réduites à
se préoccuper de trouver de nouveaux moyens d'existence
(…) Nous nous inquiétons à juste titre de l'avenir
car il est facile de voir que les Anglais poursuivent aujourd'hui
l'anéantissement de la prospérité économique
de notre colonie. Ils le savent bien, eux, que la vitalité
des îles Saint-Pierre-et-Miquelon tient dans une large mesure
au maintien même de nos droits au French Shore.
Peine
perdue! Les armateurs français n'ont plus aucun intérêt
dans cette côte lointaine, les autorités françaises
trouvent que leur dispute avec l'Angleterre à propos du
French Shore a assez duré et, par conséquent, l'inquiétude
justifiée des petits pêcheurs de Saint-Pierre-et-Miquelon
ne pèsent vraiment pas lourd dans la balance. Le 8 avril
1904, la France abandonne ses droits exclusifs de pêche
à Terre-Neuve, contre une île perdue d'Afrique dont
elle n'aura jamais la moindre utilité.
Les
pêcheurs de Saint-Pierre-et-Miquelon ont droit à
une dernière campagne cette année-là et c'en
est fini du French Shore et des pêcheries de Terre-Neuve
qui, au dix-huitième siècle représentaient
«la plus précieuse possession française en Amérique
du Nord».
À
compter de cette date, l'établissement de l'île Rouge
cesse d'être utilisé. Les Français, pour
la plupart des marins déserteurs rejoignent les Acadiens
qui s'établissent sur la côte dans les villages de
Grand Terre, Cap St-Georges ou Trois-Cailloux. Les Anglais n'ont
pas plus d'utilité pour cette île dénudée
qui redevient vite déserte. Les cabanes s'effondrent, les
constructions sur la hauteur de l'île tombent en ruine et
bientôt la nature reprend ses droits.
On
a peine à croire aujourd'hui en regardant l'île Rouge,
qu'il y a cent ans à peine, s'y trouvait un des plus gros
établissements de pêche français du French
Shore, en tous cas, sans contredit, le plus grand établissement
de la péninsule de Port-au-Port.