CMAJ/JAMC Special supplement
Supplément spécial

 

Guides de pratique clinique pour la prise en charge et le traitement du cancer du sein

8. Traitement systémique adjuvant du cancer du sein avec envahissement ganglionnaire


Ce guide a été remplacé par une version révisée publiée le 6 mars 2001. Veuillez détruire les exemplaires imprimés ou téléchargés de la version précédente.
Le Comité directeur des guides de pratique clinique pour la prise en charge et le traitement du cancer du sein

Ce guide a fait l'objet d'un examen par les pairs.


Résumé

Objectif : Faciliter le choix de traitement systémique adjuvant pour les femmes atteintes de cancer du sein avec envahissement ganglionnaire.

Recommandations :

  • Une chimiothérapie devrait être offerte à toutes les femmes préménopausées atteintes d'un cancer du sein de stade II.
  • Les schémas thérapeutiques acceptables font appel à la cyclophosphamide, au méthotrexate et au 5-fluoro-uracile (CMF) ou à l'association doxorubicine (Adriamycin) et cyclophosphamide (AC). L'association cyclophosphamide, épirubicine et 5-fluoro-uracile (CEF) peut améliorer davantage la survie sans récidive que le traitement de type CMF. Le choix de la thérapie dépendra aussi de la préférence personnelle, de la qualité de vie et du coût.
  • La chimiothérapie systémique adjuvante devrait être mise en route le plus tôt possible après la cicatrisation de l'incision chirurgicale.
  • La durée recommandée du traitement au CMF ou au CEF est d'au moins six cycles (six mois). Si l'on utilise l'association AC, le schéma recommandé est d'au moins quatre cycles (deux à trois mois).
  • Le schéma recommandé dans le cas du traitement au CMF est l'administration de cyclophosphamide par voie orale pendant 14 jours associé au méthotrexate et au 5-fluoro-uracile (5-FU) par voie intraveineuse le premier et le huitième jour. Le traitement est répété tous les 28 jours pour un total de six cycles.
  • Il faut discuter ouvertement avec la patiente de tous les effets toxiques possibles du traitement.
  • Dans la mesure du possible, les patientes devraient recevoir les doses standard complètes. On ne peut pour l'instant recommander une chimiothérapie à forte dose.
  • L'ablation des ovaires est efficace chez les femmes préménopausées atteintes de tumeurs à récepteurs d'estrogènes positifs (RE+). La chimiothérapie a toutefois été mieux étudiée et est considérée généralement comme l'intervention de choix. L'ablation des ovaires devrait être recommandée aux femmes qui refusent la chimiothérapie.
  • Il est possible que des études futures démontrent que l'association ablation des ovaires et chimiothérapie chez les femmes atteintes de cancers avec envahissement ganglionnaire et tumeurs RE+ apporte un léger avantage. On ne dispose pas pour l'instant de données suffisantes pour recommander cette option.
  • L'administration de tamoxifène ne devrait pas être recommandée comme traitement unique des femmes préménopausées atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire.
  • On ne peut pour l'instant recommander l'administration systématique de tamoxifène après la chimiothérapie aux femmes préménopausées.
  • Avant de recommander l'hormonothérapie chez les femmes préménopausées, il faut tenir compte des effets à long terme de ce traitement et de son incidence sur la récidive du cancer.
  • Un traitement adjuvant au tamoxifène devrait être offert aux femmes ménopausées atteintes d'un cancer de stade II à tumeur RE+.
  • La durée recommandée du traitement au tamoxifène est de cinq ans.
  • Aucune autre manipulation hormonale hormis l'administration de tamoxifène ne peut être recommandée dans le cas des patientes ménopausées.
  • Une chimiothérapie (soit l'association CMF ou AC) devrait être offerte aux femmes atteintes d'une tumeur RE- qui sont assez fortes pour subir un tel traitement (en général les femmes âgées de moins de 70 ans). Aucune donnée ne démontre de façon probante que le tamoxifène ajoute quelque avantage à la chimiothérapie. Le tamoxifène administré seul est peut être bénéfique.
  • Les femmes atteintes d'une tumeur RE+ peuvent obtenir un léger avantage additionnel si la chimiothérapie est ajoutée au tamoxifène. C'est une option à présenter à une patiente motivée bien informée.
  • Il importe d'offrir aux patients l'occasion de participer à des études cliniques, lorsque c'est possible.

Validation : Ce guide a été révisé par un comité de rédaction, par des lecteurs principaux, par des lecteurs secondaires et par le Comité directeur des guides de pratique clinique pour la prise en charge et le traitement du cancer du sein. Le document final est le fruit d'un consensus parmi tous ces collaborateurs.

Commanditaire : Le Comité directeur des guides de pratique clinique pour la prise en charge et le traitement du cancer du sein a été constitué par Santé Canada.

Complété : Le 1er juillet 1997.


La chirurgie met en évidence un envahissement ganglionnaire axillaire chez environ la moitié des patientes atteintes d'une tumeur mammaire palpable (stade pathologique II)1. Ces femmes courent un grand risque de dissémination systémique subséquente et de décès par cancer métastatique du sein, même lorsqu'au moment du diagnostic, les numérations globulaires courantes, les explorations fonctionnelles hépatiques et les radiographies thoraciques peuvent ne révéler aucun signe de cancer.

Avant l'arrivée du traitement systémique adjuvant, la survie à 10 ans des patientes présentant un envahissement ganglionnaire axillaire variait entre 25 % et 48 %2-6. Lorsqu'un à trois ganglions étaient atteints, le taux de survie à 10 ans oscillait entre 40 % et 60 % et, en cas d'envahissement de 4 ganglions ou plus, il s'établissait à environ 25 %3-6.

Le recours à la chimiothérapie ou à l'hormonothérapie pour lutter contre le cancer a été amplement étudié au cours des 20 dernières années. Des études cliniques randomisées7-15 et des études de population16 ont montré que le traitement systémique adjuvant, faisant appel soit à la polychimiothérapie ou à l'hormonothérapie, contribuait à prolonger la survie sans récidive et la survie globale des patientes atteintes d'un cancer du sein de stade II. Il reste que de nombreuses femmes meurent toujours des suites d'un cancer du sein et que de nombreuses questions demeurent sans réponse quant à la meilleure façon de planifier un traitement systémique adjuvant optimal dont le degré de toxicité soit acceptable.

Les recommandations concernant les femmes préménopausées et ménopausées sont présentées séparément. On entend par femmes préménopausées celles qui ont eu leurs dernières règles dans les 12 mois précédant le diagnostic de cancer du sein. Il arrive aussi qu'on utilise l'âge, c'est-à-dire moins de 50 ans, lorsqu'on ignore si la patiente est en préménopause11. Le «traitement systémique adjuvant» désigne l'usage de médicaments cytotoxiques (chimiothérapie) ou le recours à une manipulation hormonale ou à certains médicaments comme le tamoxifène (hormonothérapie).

Méthode

Les auteurs ont dépouillé les articles et les ouvrages publiés entre 1976 et le 31 décembre 1982 recensés dans la base de données MEDLINE et ont retracé également les publications à l'aide de MEDLINE et de CANCERLIT pour les années 1983 à décembre 1996. Les mots clés utilisés étaient les suivants : breast neoplasms, invasive breast adenocarcinoma, adjuvant, chemotherapy, hormonal therapy, premenopausal node-positive et postmenopausal node-positive, randomized studies et high doses. On n'a recherché que les articles de langue anglaise. D'autres articles ont été repérés au moyen des références citées dans les rapports recensés. Une recension non systématique des publications a été poursuivie jusqu'en juin 1997. Les preuves sur lesquelles s'appuient nos conclusions ont été classées en cinq niveaux.

L'ébauche du guide a été soumise à une série de revues et de révisions séquentielles effectuées par un comité de rédaction composé de cinq membres du Comité directeur, par trois lecteurs externes experts et par onze lecteurs secondaires choisis dans toutes les régions du Canada, soit des oncologues (radiologistes, médecins et chirurgiens), des médecins de famille, des infirmières et des patientes atteintes d'un cancer du sein. Après une dernière révision, il a été approuvé par l'ensemble du Comité directeur. Le guide est le fruit d'un consensus parmi tous ces collaborateurs.

Recommandations (Tableau 17,17)

Les renseignements et les recommandations qui suivent ont été regroupés en quatre sections 

  1. chimiothérapie pour les femmes préménopausées,
  2. traitement endocrinien pour les femmes préménopausées,
  3. hormonothérapie adjuvante pour les femmes méno pausées,
  4. chimiothérapie ou association chimiothérapie-tamoxifène pour les femmes ménopausées.

Chimiothérapie adjuvante pour les femmes préménopausées

  • Une chimiothérapie devrait être offerte à toutes les femmes préménopausées atteintes d'un cancer du sein de stade II.

Des études cliniques randomisées (preuves de niveau I)7-15 de même que des études de population (preuves de niveau III)16 ont montré que la chimiothérapie aidait à prolonger la durée de survie sans récidive et de survie globale chez les patientes préménopausées atteintes d'un cancer du sein de stade II. Les gains associés à un tel traitement varient selon l'âge, la présence de récepteurs d'estrogènes (RE), la taille de la tumeur et le nombre de ganglions envahis. Le Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group a examiné 133 études randomisées portant sur 75 000 femmes; cette méta-analyse fournit des preuves de niveau I à l'appui de plusieurs interventions11. Il est ainsi possible d'estimer que chez les patientes de tout âge, l'administration d'une polychimiothérapie pendant au moins un mois (habituellement jusqu'à un an) peut apporter une amélioration absolue de 6,8 % (ÉT 1,6 %) dans le taux de survie à 10 ans chez les patientes présentant un envahissement ganglionnaire. Les principaux gains sont à prévoir durant les cinq premières années de suivi. Chez les femmes préménopausées de moins de 50 ans, le taux brut de mortalité a diminué, passant de 37 % à 31 %11.

Même si elles présentent des facteurs de risque différents, les patientes bénéficient uniformément d'une réduction proportionnelle du risque. Il reste que le risque absolu et le gain absolu augmentent en fonction de l'ampleur de l'envahissement ganglionnaire, car plus l'atteinte est importante plus les patientes à risque sont nombreuses et plus le pourcentage de celles qui pourraient, par conséquent, bénéficier d'un traitement systémique est élevé.

Il ressort des sous-analyses de la chimiothérapie que la polychimiothérapie prolongée, associant habituellement cyclophosphamide, méthotrexate et 5-fluoro-uracile (5-FU) (CMF) est plus efficace qu'une chimiothérapie préopératoire ou périopératoire de courte durée. Les données recueillies dans le cadre de la méta-analyse n'ont pas permis de déterminer s'il vaut mieux mettre en route la chimiothérapie avant ou après la chirurgie.

La polychimiothérapie prolongée est en général plus efficace que l'administration sur une longue période d'un seul agent thérapeutique. Il est rassurant de voir que la polychimiothérapie pendant 12 à 24 mois n'était pas plus bénéfique que les protocoles de plus courte durée, tels que l'association CMF pendant 6 mois ou l'association doxorubicine (Adriamycin) et cyclophosphamide (AC) pendant 3 mois.

Outre le fait que la chimiothérapie influe sur la survie, des preuves de niveau III apportées par une étude rétrospective de cas montrent que cette modalité thérapeutique peut également réduire considérablement le taux de récidive locale chez les patientes qui ont subi une chirurgie mammaire conservatrice suivie d'une radiothérapie18.

  • Les schémas thérapeutiques acceptables font appel à la cyclophosphamide, au méthotrexate et au 5-fluoro-uracile (CMF) ou à l'association doxorubicine (Adriamycin) et cyclophosphamide (AC). L'association cyclophosphamide, épirubicine et 5-fluoro-uracile (CEF) peut améliorer davantage la survie sans récidive que le traitement de type CMF. Le choix de la thérapie dépendra aussi de la préférence personnelle, de la qualité de vie et du coût.

La plupart des patientes dans cette méta-analyse ont été traitées par CMF11. Diverses variantes du protocole CMF ont été décrites, dont les schémas comportant l'administration de cyclophosphamide par voie orale et intraveineuse. De façon générale, la plupart des protocoles duraient 12 mois, car ces études comptaient parmi les premières de ce type et avaient été réalisées avant 1985. Des études de l'association CMF combinée à d'autres médicaments, dont la doxorubicine, ne montrent pas de façon systématique qu'un tel traitement puisse apporter un avantage supplémentaire.

Dans l'étude B-11 du National Surgical Adjuvant Breast and Bowel Project (NSABP), on a comparé l'association melphalan (moutarde à la phénylalanine) et 5-FU (PF) à l'association melphalan, doxorubicine et 5-FU (PAF) chez les patientes de moins de 50 ans et chez celles de 50 à 59 ans atteintes de tumeurs à récepteurs de progestérone négatifs (RP-). Dans le groupe traité par PAF, on observait un gain important après six ans sur le plan de la survie sans récidive et de la survie globale19. Une étude française a comparé les patientes traitées par CMF et celles recevant une association cyclophosphamide, Adriamycin, 5-FU et vincristine (CAFV). Après une période moyenne de suivi de 15 ans, l'analyse d'un sous-ensemble a permis de constater, chez les patientes préménopausées présentant un envahissement ganglionnaire et traitées par CAFV, une amélioration de la survie globale (73 %) par rapport au groupe traité par CMF (58 %, p = 0,0025) et une amélioration de la survie sans récidive (73 % chez les patientes du groupe CAFV contre 58 % dans le groupe CMF, p = 0,002)20.

L'Institut national du cancer du Canada a comparé récemment les associations CEF (cyclophosphamide, épirubicine et 5-FU et CMF) par voie orale; des données encourageantes ont été obtenues en faveur du traitement par CEF, lequel est associé à une amélioration de la survie sans récidive. Bien qu'il s'agisse de preuves de niveau I, ces données demeurent assez préliminaires et ne rendent compte que d'une seule étude21. Il est possible que des analyses en cours mais non encore publiées révèlent aussi une amélioration de la survie globale.

En revanche, l'étude B-12 du NSABP comparant l'association melphalan, 5-FU et tamoxifène (PFT) avec le PAF plus tamoxifène (PAFT) chez les patientes de plus de 50 ans atteintes de tumeurs à récepteurs de progestérone positifs (RP+) n'a mis en évidence aucune différence dans les résultats (preuves de niveau II)19. Une étude effectuée à Milan où l'on a comparé l'administration de 12 cycles de CMF avec un traitement comportant huit cycles de CMF suivis de quatre cycles de doxorubicine n'a pas non plus réussi à faire ressortir des différences (preuves de niveau II)22.

L'étude B-15 du NSABP a comparé l'efficacité de trois protocoles chez des patientes de moins de 50 ans et de 50 à 59 ans atteintes de tumeurs RP-, soit : a) 4 cycles d'AC administrés toutes les trois semaines pendant deux à trois mois; b) 6 cycles de CMF et c) 4 cycles d'AC suivis, après une période de repos de 6 mois, de 6 cycles de CMF17. Aucune différence dans les résultats n'était observable après trois ans, preuve que l'administration d'AC pendant deux à trois mois équivaut à six mois de CMF par voie orale (preuves de niveau I).

  • La chimiothérapie systémique adjuvante devrait être mise en route le plus tôt possible après la cicatrisation de l'incision chirurgicale.

Bien qu'aucune étude n'ait évalué l'effet d'un retard dans l'administration d'une association chimiothérapique, la pratique actuelle repose sur le principe qu'un long délai ne serait pas dans l'intérêt de la patiente (preuves de niveau IV). La plupart des études cliniques ont fait ressortir l'importance d'amorcer le traitement dans les 12 semaines qui suivent l'intervention chirurgicale. En pratique, la plupart des patientes entreprennent le traitement de quatre à six semaines après leur opération. Pour les patientes qui sont candidates à la radiothérapie, l'ordre idéal dans lequel devraient être administrées la chimiothérapie et la radiothérapie n'a par été clairement établi. Dans la plupart des centres, la chimiothérapie est offerte en premier. Certains centres administrent les deux traitements concurremment, mais les risques d'effets toxiques pourraient être accrus, en particulier dans le cas des protocoles prévoyant l'administration d'anthracyclines (preuves de niveau III). Cette question est explorée dans le guide no 6.

  • La durée recommandée du traitement au CMF ou au CEF est d'au moins six cycles (six mois). Si l'on utilise l'association AC, le schéma recommandé est d'au moins quatre cycles (deux à trois mois).

Les protocoles prévoyant l'administration de CMF pendant 6 mois sont aussi efficaces que les schémas plus longs de 12 à 24 mois (preuves de niveau I). L'étude B-15 du NSABP a montré que quatre cycles d'AC à raison d'un cycle toutes les trois semaines équivaut à six cycles de CMF par voie orale au rythme d'un cycle toutes les quatre semaines (preuves de niveau I)17.

Dans une étude préliminaire, la Dana-Farber Cancer Clinic a comparé deux protocoles thérapeutiques : 5 cycles d'AC (15 semaines) et 10 cycles d'AC (30 semaines), administrés à des patientes atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire. Aucune différence n'était perceptible après neuf ans23. Dans l'étude de Milan, on n'observait pas non plus de différence dans les résultats selon que l'on avait administré le CMF pendant 6 cycles ou 12 cycles24. Le Eastern Cooperative Oncology Group a comparé un traitement de 4 mois au CMFPT (CMF plus prednisone et tamoxifène) à un traitement de 12 mois avec les mêmes agents chez les patientes ménopausées et n'a détecté aucune différence. Cependant, cela tient peut-être au fait que l'association CMF n'offre guère d'avantages chez les femmes ménopausées qui reçoivent également un traitement adjuvant au tamoxifène. Le Ontario Clinical Oncology Group a comparé pour sa part un traitement de 12 semaines associant CMF, vincristine et prednisone (CMFVP) plus doxorubicine et tamoxifène avec un traitement de 36 semaines au CMFVP chez des patientes présentant un envahissement ganglionnaire; il a fait état d'un gain dans le cas du traitement de plus longue durée tant sur le plan de la survie sans récidive que sur le plan de la survie globale25. Même s'il s'agit de preuves de niveau I, la durée de la chimiothérapie de même que les schémas utilisés différaient, d'où la difficulté de déterminer le facteur qui a influé sur l'issue du traitement.

  • Le schéma recommandé dans le cas du traitement au CMF est l'administration de cyclophosphamide par voie orale pendant 14 jours associé au méthotrexate et au 5-fluoro-uracile par voie intraveineuse le premier et le huitième jour. Le traitement est répété tous les 28 jours pour un total de six cycles.

Il n'existe aucune étude randomisée comparant l'administration de cyclophosphamide par voie intraveineuse ou par voie orale en traitement adjuvant. Une étude européenne (EORTC) qui a comparé ces deux protocoles utilisés pour traiter des patientes atteintes d'un cancer métastatique a montré que le taux de réponse et la durée de la réponse étaient meilleurs et que la durée de survie était plus longue chez les patientes ayant reçu le traitement au CMF par voie orale plutôt que par voie intraveineuse (preuves de niveau II)26. Il faut toutefois signaler que la dose administrée oralement était plus forte.

  • Il faut discuter ouvertement avec la patiente de tous les effets toxiques possibles du traitement.

La qualité de vie de la patiente et sa satisfaction à l'égard du traitement ont une influence déterminante sur le choix du protocole. Les patientes traitées par chimiothérapie, quel que soit le protocole, éprouveront fréquemment une certaine fatigue. Les patientes peuvent préférer le traitement bref comportant l'administration d'AC pendant trois mois plutôt que le traitement de six mois au CMF, afin que leurs activités professionnelles et leur vie de famille normales soient moins perturbées, et que la durée des effets secondaires soit réduite.

Le traitement au CMF entraîne souvent des nausées et des vomissements d'intensité légère à modérée27. Ces symptômes sont habituellement temporaires et peuvent être bien maîtrisés par les médicaments. Le traitement au CMF par voie orale est administré pendant 84 jours sur une période de six mois, de sorte que les nausées peuvent durer plus longtemps. L'administration de quatre cycles d'AC par voie intraveineuse (un toutes les trois semaines) peut entraîner des nausées et des vomissements plus prononcés mais de plus courte durée.

Les associations AC et CEF s'accompagnent d'une alopécie complète mais temporaire; le traitement de type CMF par voie orale entraîne quant à lui une chute partielle des cheveux chez 70 % des patientes et une alopécie prononcée chez 40 % d'entre elles. Les deux protocoles peuvent être à l'origine d'une irritation légère et transitoire des muqueuses de la bouche, de la gorge et des yeux et, dans de rares cas, peuvent causer une cystite chimique28.

Tous les protocoles s'accompagnent d'une myélosuppression temporaire de même que d'un risque accru d'infection, chez une proportion heureusement peu élevée de patientes27. Dans les rapports du Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group, une toxicité mortelle a été observée dans 0,1 % à 1,0 % des cas11. L'importante cardiotoxicité liée à la dose administrée limite l'usage des anthracyclines. Dans le cas de la doxorubicine, il est rare que les effets toxiques se présentent sous forme d'insuffisance cardiaque (± 1 %) lorsque la dose totale cumulative est maintenue en deçà de 300 mg/mètre carré29,30. La fréquence des effets toxiques augmente avec la dose et avec l'âge de la patiente. L'épirubicine cause également une insuffisance cardiaque à fortes doses, mais rarement lorsque les doses cumulatives sont inférieures à 1000 mg/mètre carré231. Les atteintes cardiaques, lorsqu'elles se produisent, mettent du temps à guérir32. Il arrive par ailleurs souvent qu'une insuffisance ovarienne entraîne une ménopause précoce, en particulier chez les patientes préménopausées plus âgées. Un gain de poids durant le traitement peut également être observé chez 14 % des femmes traitées par CMF28. Le suivi des patientes traitées selon les protocoles CMF standard n'a pas révélé d'augmentation significative du nombre de tumeurs chimio-induites33,34. Un nombre inquiétant de leucémies aiguës non lymphoblastiques a cependant été signalé après l'administration d'anthracyclines associées à des agents alkylants21,35.

  • Dans la mesure du possible, les patientes devraient recevoir les doses standard complètes. On ne peut pour l'instant recommander une chimiothérapie à forte dose.

On ne dispose des résultats d'aucune étude randomisée sur la chimiothérapie à forte dose supportée par greffe de moelle osseuse autologue, de cellules souches périphériques ou de facteurs de croissance. Bien que certaines études de phase 1 semblent indiquer qu'une chimiothérapie à très forte dose supportée par une greffe de cellules souches puisse être bénéfique, il convient de noter que les traitements ont été administrés à certaines patientes choisies et que le nombre de cas est restreint19,36-39. Les données attestant de l'effet bénéfique des protocoles à forte dose ne sont pas encore assez probantes pour qu'on puisse recommander cette approche comme traitement standard. Les données fournies par des études de phase 2 chez des patientes atteintes de formes métastatiques n'ont pas encore mis en évidence de meilleurs résultats par rapport à la chimiothérapie classique40.

Le Cancer and Leukemia Group B (CALGB) a étudié l'intensité des doses dans une étude réalisée auprès de 1572 patientes dont la moitié étaient au stade de la préménopause41. Il a comparé dans cette étude trois posologies différentes de CAF administrées pendant quatre à six cycles. Il ressort que les schémas à dose modérée et à forte dose étaient plus efficaces que le schéma à faible dose, mais qu'aucune différence n'était perceptible entre les deux posologies plus fortes (preuves de niveau I). Toutefois, dans cette étude, même le traitement le plus massif est analogue au protocole CAF classique et ne représente pas en fait un véritable traitement «à forte dose». Cette étude semble donc indiquer qu'il existe un effet lié à une dose seuil, en deçà de laquelle la chimiothérapie est moins efficace et au delà de laquelle on n'obtient aucun bienfait supplémentaire. La conclusion à tirer de ces résultats est que, dans la mesure du possible, les patientes devraient recevoir les doses complètes prévues dans leur protocole standard, vu que l'effet bénéfique peut s'atténuer si l'on réduit les doses. Il ne faudrait pas déduire de cette étude que si l'on augmente l'intensité de la dose, on obtiendra nécessairement un bienfait additionnel.

Cette conclusion est corroborée par les observations de Bonadonna et Valagussa publiées en 198142. Dans cette étude faisant autorité, 386 femmes (dont la moitié étaient préménopausées) qui avaient reçu un traitement de type CMF par voie orale ont été suivies pendant 20 ans et seulement celles qui avaient reçu au moins 85 % de la dose prévue ont retiré des bienfaits de la chimiothérapie adjuvante (preuves de niveau I). Ces données confirment l'utilité d'administrer autant que possible les doses complètes.

Traitement endocrinien adjuvant pour les patientes préménopausées

  • L'ablation des ovaires est efficace chez les femmes préménopausées atteintes de tumeurs à récepteurs d'estrogènes positifs (RE+). La chimiothérapie a toutefois été mieux étudiée et est considérée généralement comme l'intervention de choix. L'ablation des ovaires devrait être recommandée aux femmes qui refusent la chimiothérapie.

L'examen des résultats des études cliniques démontre l'efficacité de l'ablation des ovaires pour prévenir les récidives et les décès prématurés chez les patientes préménopausées atteintes d'un cancer primaire du sein avec envahissement ganglionnaire (preuves de niveau I). L'ablation des ovaires, soit par chirurgie ou radiothérapie, des patientes préménopausées avec envahissement ganglionnaire est utilisée comme traitement adjuvant depuis plus de 30 ans. Les avantages de cette intervention ont été démontrés dans la méta-analyse du Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group11. La méta-analyse la plus récente incluait une étude adéquatement randomisée comparant 696 patientes atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire ne recevant pas de chimiothérapie et subissant ou non l'ablation des ovaires. Dans cette étude, on constatait après 15 ans, chez les patientes ayant subi l'ablation des ovaires, une diminution du taux absolu de récidive de 13,4 % (ÉT 3,8 %) et une réduction du taux de mortalité de 12,5 % (ÉT 3,9 %) (preuves de niveau I)43.

Quatre études n'ont pas été incluses dans cette méta-analyse44-47. Dans les études de Christie et de Malmo, des patientes ont été choisies au hasard selon leur date de naissance. L'étude Christie portait sur 403 patientes présentant un envahissement ganglionnaire. Bien que l'essaimage à distance ait été grandement réduit après 15 ans dans le groupe ayant subi une ablation des ovaires (p < 0,05), la durée de survie n'était pas significativement plus longue (preuves de niveau I, échantillonnage quasi-randomisé)44. L'étude plus modeste de Malmo n'a mis en évidence aucune différence dans le taux de récidive ou la survie entre les deux groupes, même dans le sous-groupe de patientes préménopausées présentant une atteinte ganglionnaire (preuves de niveau II)45. Les deux autres études ont été exclues parce qu'il était impossible d'obtenir des données de suivi plus récentes46,47.

L'effet bénéfique de la chimiothérapie associant plusieurs agents cytotoxiques a été évalué chez un plus grand nombre de patientes et a été plus largement démontré que les bienfaits associés à l'ablation des ovaires48. La chimiothérapie demeure à l'heure actuelle le traitement standard dans le cas des patientes préménopausées présentant un envahissement ganglionnaire.

Outre la castration permanente par chirurgie ou par irradiation, il est possible de supprimer temporairement l'action des ovaires au moyen d'agonistes de l'hormone de libération de la lutéinostimuline (LH-RH). Sur le plan théorique, ces composés présentent un intérêt certain vu que la manipulation hormonale ainsi réalisée est limitée et réversible et qu'elle permet d'éviter un dysfonctionnement ovarien permanent. Le taux de réponse à la goséréline est similaire à celui obtenu pour l'ovariectomie chez les femmes préménopausées atteintes d'un cancer du sein métastatique49. Aucun étude randomisée comparant la castration médicale et la chimiothérapie chez les femmes atteintes d'un cancer du sein primaire n'a toutefois encore été publiée.

Ainsi, si l'efficacité de l'ablation des ovaires a été établie dans le cas des patientes préménopausées atteintes d'un cancer du sein primaire avec envahissement ganglionnaire, il reste qu'on ne dispose d'aucune donnée définitive démontrant sa supériorité par rapport à la chimiothérapie par CMF. Une manipulation hormonale, soit l'ablation des ovaires ou un traitement au tamoxifène, devrait être offerte aux patientes atteintes de tumeurs RE+ qui refusent la chimiothérapie. Une étude randomisée n'a démontré aucune différence significative entre les résultats de ces interventions. Cependant, cette étude n'était pas de taille assez importante pour établir de façon définitive leur équivalence (preuves de niveau II)50. Pour le moment, la castration médicale par administration d'agonistes de la LH-RH ne devrait pas être recommandée hors du cadre d'études cliniques.

  • Il est possible que des études futures démontrent que l'association ablation des ovaires et chimiothérapie chez les femmes atteintes de cancers avec envahissement ganglionnaire et tumeurs RE+ apporte un léger avantage. On ne dispose pas pour l'instant de données suffisantes pour recommander cette option.

Les données semblent indiquer que l'association ablation des ovaires et chimiothérapie peut apporter un gain supplémentaire. Dans la méta-analyse effectuée récemment après un suivi de 15 ans, on a observé chez 550 femmes âgées de moins de 50 ans au moment de leur recrutement et atteintes de tumeurs RE+ (envahissement ganglionnaire variable), que l'association ablation des ovaires et chimiothérapie semblait être plus efficace qu'une chimiothérapie seule, sur les plans tant de la survie sans récidive que de la survie globale. Le gain apporté n'était pas toutefois significatif sur le plan statistique43.

L'étude du International Breast Cancer Study Group (Ludwig II) était incluse dans la méta-analyse de 199210 et a depuis été publiée11. Cette étude faisait un suivi après 15 ans auprès de 327 patientes préménopausées présentant 4 ganglions envahis ou plus. Dans l'ensemble, il n'existait aucune différence dans l'issue du traitement entre celles qui avaient subi une ovariectomie avant un traitement chimiothérapique par CMF et prednisone (CMFP) et celles traitées uniquement par CMFP. Néanmoins, dans le sous-groupe de 107 patientes atteintes de tumeurs RE+, celles qui avaient subi une ovariectomie avaient en général un meilleur taux de survie sans récidive (23 % [ÉT 5 %]) que celles traitées par CMFP uniquement (15 % [ÉT 5 %], p = 0,13) et une meilleure survie globale (41 % [ÉT 7 %] contre 30 % [ÉT 7 %], respectivement, p = 0,12). Cette amélioration est survenue en dépit du fait que le traitement exclusif au CMFP a provoqué une aménorrhée permanente chez 70 % des patientes (preuves de niveau II). Le Southwest Oncology Group a publié récemment les résultats d'une étude comparant le traitement par CMF, vincristine et prednisone (CMFVP) avec l'ovariectomie suivie d'un traitement au CMFVP chez 314 patientes préménopausées avec envahissement ganglionnaire. Les taux de survie à sept ans s'établissaient à 71 % chez les patientes traitées par ovariectomie et CMFVP et à 73 % chez les patientes traitées par CMFVP uniquement (preuves de niveau I)51.

Ces données permettent de penser que des études de plus grande envergure pourraient mettre en évidence une légère amélioration de la survie sans récidive lorsqu'on associe l'ovariectomie à la chimiothérapie. Des études de confirmation sur la castration médicale temporaire sont en cours, mais aucune conclusion ne peut être avancée pour le moment.

  • L'administration de tamoxifène ne devrait pas être recommandée comme traitement unique des femmes préménopausées atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire.

La méta-analyse a montré que, comparativement à l'absence de traitement adjuvant, la seule administration de tamoxifène chez les patientes de moins de 50 ans dans toutes les catégories d'envahissement ganglionnaire et sous-groupes de RE réduisait significativement, soit de 12 % [ÉT 4 %], la probabilité annuelle de récidive, mais n'exerçait aucun effet significatif sur la mortalité (6 % [ÉT 5 %])11. Une analyse plus poussée au niveau des sous-groupes a fait ressortir les résultats suivants : chez toutes les femmes de moins de 50 ans avec envahissement ganglionnaire, le tamoxifène entraînait une réduction de 11 % [ÉT 4 %] de la probabilité annuelle de récidive et une réduction non significative de la probabilité annuelle de mortalité (5 % [ÉT 5 %]). Dans le sous-groupe de patientes de moins de 50 ans atteintes de tumeurs RE+, l'ef-fet protecteur du tamoxifène était plus marqué, étant associé à une réduction de 19 % (ÉT 6 %) de la probabilité annuelle de récidive et à une réduction de 13 % (ÉT 8 %) de la mortalité. Chez les patientes de moins de 50 ans atteintes de tumeurs RE-, l'administration de tamoxifène entraînait une augmentation statistiquement non significative de la probabilité annuelle de mortalité (5 % [ÉT 9 %]). Toutefois, comme le gain net apporté par la polychimiothérapie seule est supérieur, cette dernière est considérée comme le traitement standard pour les patientes préménopausées présentant un envahissement ganglionnaire.

Il importe de vérifier s'il a déjà été démontré que l'administration exclusive de tamoxifène a une efficacité supérieure ou équivalente à celle de la chimiothérapie chez ces patientes préménopausées atteintes d'un cancer avec envahissement ganglionnaire et si l'association tamoxifène-chimiothérapie apporte un avantage supplémentaire. Il existe seulement deux études prospectives où l'on a comparé la chimiothérapie seule avec le tamoxifène seul chez les patientes préménopausées, et les résultats obtenus sont contradictoires. Dans l'étude du Italian Cooperative Group for Chemohormonal Therapy of Early Breast Cancer (GROCTA), 504 patientes atteintes de cancer du sein avec envahissement ganglionnaire et tumeurs RE+ ont été réparties au hasard en trois groupes pour recevoir soit du tamoxifène pendant 5 ans, soit 6 cycles de CMF par voie intraveineuse suivis de 4 cycles d'épirubicine, soit l'association de ces deux protocoles52. Le sous-groupe de femmes préménopausées comptait 237 patientes. Dans ce sous-groupe, aucune différence significative n'a été observée entre les patientes recevant uniquement du tamoxifène et les patientes recevant uniquement la chimiothérapie pour ce qui est de la survie sans récidive ou de la survie globale, ce qui laisse entendre que le tamoxifène est aussi efficace que la chimiothérapie dans ce sous-groupe (preuves de niveau II). Les patientes traitées exclusivement au tamoxifène présentaient cependant un nombre excédentaire de récidives loco-régionales la première et la troisième années après le traitement, ce qui pourrait être attribuable, selon les auteurs, à l'effet possible du tamoxifène, qui augmenterait le taux d'estrogènes chez les patientes préménopausées.

Les résultats de l'étude du Gynecological Adjuvant Breast Group (GABG) en Allemagne53 viennent contredire ceux de l'étude du GROCTA. Dans cette vaste étude comparative randomisée, un sous-groupe de 331 patientes de moins de 50 ans considérées à «faible risque» (1 à 3 ganglions envahis et présence de récepteurs de stéroïdes positifs) a été réparti au hasard en deux groupes, l'un recevant un traitement au CMF par voie intraveineuse et l'autre du tamoxifène pendant deux ans. La survie sans récidive et la survie globale étaient significativement plus longues dans le groupe traité par CMF (taux global de récidive de 51,1 % dans le groupe traité au tamoxifène contre 15,7 % dans le groupe traité au CMF, et taux global de mortalité de 20,4 % contre 4,3 %, respectivement). Les intervalles de confiance n'étaient pas indiqués (preuves de niveau I).

  • On ne peut pour l'instant recommander l'administration systématique de tamoxifène après la chimiothérapie aux femmes préménopausées.

Il est fort peu probable que l'administration de tamoxifène pendant deux ans ou moins apporte un bénéfice additionnel important par rapport à la simple chimiothérapie dans le cas des femmes préménopausées. Des données récentes montrent qu'un traitement plus long au tamoxifène contribue à améliorer la survie sans récidive mais non la survie globale54.

La question n'est pas de savoir si le tamoxifène peut remplacer la chimiothérapie, mais plutôt si le tamoxifène ajoute quelque chose à la chimiothérapie chez les femmes préménopausées. Dans la méta-analyse, on estimait indirectement l'effet additif du tamoxifène et de la chimiothérapie standard11. Les données obtenues concernaient 6362 femmes de moins de 50 ans. On notait une réduction faible mais statistiquement significative de la probabilité annuelle de récidive (7 % [ÉT 4 %]) mais non de décès (3 % [ÉT 5 %]). Ces données sont considérées comme des preuves de niveau I. Il convient cependant de mentionner que la durée moyenne de traitement au tamoxifène dans ces études était de 1,6 an, ce qui est inférieur à la durée optimale selon les normes actuelles. Qui plus est, lorsque les données sur un sous-groupe de patientes atteintes de tumeurs RE+ étaient analysées séparément, l'administration de tamoxifène après la chimiothérapie n'offrait aucun avantage par rapport à la chimiothérapie exclusive11. Ces estimations visaient des patientes dans les deux catégories d'envahissement ganglionnaire. Il y a lieu de signaler cependant que plusieurs des études incluses dans la méta-analyse n'ont pas examiné séparément le sous-groupe des femmes de moins de 50 ans dont les ganglions étaient atteints. Nous résumons brièvement ces résultats ci-dessous.

Dans l'étude 5177 du Eastern Cooperative Oncology Group, 553 patientes préménopausées présentant une atteinte ganglionnaire axillaire ont été réparties au hasard en trois groupes de traitement pour recevoir soit du CMF, soit du CMF avec prednisone (CMFP), soit du CMFP plus tamoxifène (CMFPT) pendant un an55. Les patientes dans tous les sous-groupes de récepteurs stéroïdiens ont été incluses. On n'observait aucune différence significative dans la durée de survie sans récidive non plus que dans la survie globale entre les groupes de traitement pour le sous-groupe RE+ (preuves de niveau II).

Dans une autre étude du même type, Ingle et ses collaborateurs du North Central Clinical Trials Group n'ont constaté aucune différence dans la survie sans récidive ni dans la survie globale une fois que des corrections étaient apportées pour tenir compte des écarts dans les facteurs pronostiques56. De même, aucune différence n'a été relevée dans le sous-groupe RE+ (preuves de niveau II).

L'étude du GROCTA, que nous avons décrite ci-dessus, a fait ressortir une tendance propre au sous-groupe de femmes préménopausées, à savoir un taux supérieur de survie sans récidive et de survie globale dans le groupe soumis à une chimio-hormonothérapie par rapport au groupe uniquement traité par chimiothérapie (mortalité de 22 % contre 33 %, respectivement, p = 0,13) (preuves de niveau II)52,57.

Dans l'étude du GABG, des patientes à haut risque (quatre ganglions envahis ou plus ou récepteurs stéroïdiens négatifs) ont été choisies au hasard pour recevoir huit cycles d'AC, avec ou sans tamoxifène, pendant deux ans53. Ce sous-groupe comprenait 212 femmes de moins de 50 ans. Aucune différence dans la survie sans récidive ni dans la survie globale n'a été enregistrée dans le sous-groupe de patientes atteintes de tumeurs RE+ (preuves de niveau II).

Mauriac et ses collègues58 ont étudié les effets de l'ajout de tamoxifène pendant deux ans à un traitement au CMF chez les patientes atteintes de tumeurs RE+ avec envahissement ganglionnaire. Dans le sous-groupe de 126 patientes préménopausées, aucune différence dans la survie sans récidive ni dans la survie globale n'était encore une fois visible (preuves de niveau II).

Dans l'étude B-09 du NSABP, 1891 patientes présentant un envahissement ganglionnaire ont été choisies au hasard pour recevoir pendant deux ans de la moutarde à la l-phénylalanine (l-PAM) et du 5-FU, avec ou sans tamoxifène. Aucun gain significatif n'a été observé au chapitre de la survie sans récidive ou de la survie globale dans le cas des femmes de moins de 50 ans. En fait, la survie globale était légèrement réduite dans le sous-groupe RE- (p = 0,007) (preuves de niveau I).

Dans une étude italienne (GUN 2), on a également examiné l'effet de l'adjonction de tamoxifène au CMF chez 125 femmes préménopausées dont les ganglions étaient envahis59. Même si la survie sans récidive semblait meilleure, aucune amélioration significative de la survie globale n'a pu être établie. La présence ou non de RE n'a pas été prise en compte dans les analyses (preuves de niveau II).

Le groupe Case-Western a examiné pour sa part l'effet de l'adjonction de tamoxifène au CMF, avec ou sans immunothérapie par le BCG (bacille Calmette-Guérin), chez 311 patientes atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire60. Seulement 94 d'entre elles étaient préménopausées. Le tamoxifène n'apportait aucun avantage supplémentaire par rapport à la chimiothérapie seule dans le cas des patientes préménopausées atteintes de tumeurs RE+ (preuves de niveau II).

Il convient de noter que dans ces études, le tamoxifène a été administré pendant une période relativement courte (un à deux ans) comparativement à la pratique habituelle aujourd'hui (environ cinq ans).

Depuis cette méta-analyse, une seule autre étude tentant de vérifier l'hypothèse selon laquelle le tamoxifène exercerait un effet bénéfique additionnel important a été publiée39. Dans cette étude, 533 femmes préménopausées présentant un envahissement ganglionnaire ont été choisies au hasard pour recevoir pendant 12 mois une chimiothérapie d'induction-hormonothérapie soit par CMFPT ou un autre protocole contenant également de la doxorubicine et de la fluoxymestérone (Halotestin). Lors d'une randomisation subséquente, on a comparé les patientes qui ont reçu pendant quatre ans un traitement d'entretien au tamoxifène avec un groupe témoin. Les patientes ont été réparties selon le nombre de ganglions envahis et l'état RE. La période médiane de suivi a été de 4,6 ans pour le traitement d'entretien au tamoxifène. Les résultats montrent un allongement statistiquement significatif du délai avant l'apparition d'une récidive dans le cas du groupe recevant le traitement d'entretien au tamoxifène (72 % sans récidive) par rapport au groupe non traité (63 % sans récidive, p = 0,05). Cet effet a été observé dans les deux sous-groupes de RE (preuves de niveau I). Toutefois, au moment de la publication des données, aucune amélioration de la survie globale n'était visible (preuves de niveau II). L'Institut national du cancer du Canada effectue actuellement une étude de confirmation pour déterminer si l'administration de tamoxifène pendant cinq ans apporte un avantage additionnel par rapport à la chimiothérapie standard chez les femmes dont les ganglions sont atteints et chez les femmes à haut risque sans envahissement ganglionnaire48.

Comme nous l'avons mentionné ci-dessus, la méta-analyse a montré que l'ovariectomie donne des résultats presque équivalents à la chimiothérapie pour ce qui est de la réduction de la probabilité proportionnelle de mortalité chez les femmes préménopausées. Des comparaisons ont cependant révélé que les protocoles contenant du tamoxifène ne réduisaient pas de façon significative la mortalité dans ce sous-groupe (preuves de niveau III)11. Une seule étude a comparé directement les traitements adjuvants par tamoxifène et par ovariectomie50. Aucune différence significative dans la survie globale à 10 ans n'a été relevée parmi les 373 patientes préménopausées recrutées (63 % chez les patientes traitées au tamoxifène contre 56 % chez celles traitées par ovariectomie induite par irradiation). Les auteurs concluent que le tamoxifène peut être considéré comme une solution de rechange viable à la ménopause induite par irradiation.

  • Avant de recommander l'hormonothérapie chez les femmes préménopausées, il faut tenir compte des effets à long terme de ce traitement et de son incidence sur la récidive du cancer.

Effets indésirables 

Au nombre des conséquences indésirables à long terme de la ménopause figurent l'ostéoporose et l'augmentation du nombre de décès par maladie cardiovasculaire61. La méta-analyse n'a cependant pas mis en évidence de surmortalité non attribuable au cancer du sein dans le sous-groupe traité par ovariectomie11. Parmi les effets secondaires délétères du tamoxifène, citons une augmentation de l'incidence de la thromboembolie (1,3 % contre 0,1 % dans le groupe témoin, p < 0,001)62 et du cancer de l'endomètre61,63-65. Quant au risque absolu, les taux de cancer de l'endomètre dans l'étude B-14 du NSABP s'établissaient à 0,16 % par année pour les patientes traitées au tamoxifène et à 0,02 % par année dans le groupe témoin (preuves de niveau III)63. Dans l'étude B-14, on a rapporté une augmentation du risque de cataracte (opacités sous-capsulaires postérieures) avec l'usage du tamoxifène, et dans l'étude du Breast Cancer Prevention Trial, un plus grand risque de subir une chirurgie pour cataracte66.

Effets bénéfiques 

Outre le fait qu'il améliore la survie sans récidive chez les patientes atteintes d'un cancer primaire du sein, le tamoxifène comporte également d'autres avantages. Plus précisément, la méta-analyse a fait ressortir une réduction statistiquement significative de la fréquence absolue du cancer du sein controlatéral (qui est passée de 2 % chez les témoins à 1,3 % chez les patientes traitées au tamoxifène), et de la fréquence de la mortalité par maladie vasculaire (preuves de niveau I)11. Enfin, dans une étude comparative randomisée récente, l'usage du tamoxifène a contribué à prévenir la déminéralisation des os de la colonne vertébrale et était associé à une réduction significative des indices de perte osseuse chez les patientes ménopausées atteintes d'un cancer du sein (preuves de niveau I)67.

L'impact relatif sur la survie de chacun de ces effets secondaires indésirables ou bénéfiques a été étudié récemment68. Les auteurs ont observé un gain sur le plan de la survie associé au traitement adjuvant par tamoxifène, en plus de son effet sur la récidive du cancer du sein primaire (preuves de niveau III). Bien que le tamoxifène présente des avantages des plus intéressants, on ne dispose pas encore de suffisamment de données pour recommander son emploi de préférence à l'ablation des ovaires.

Hormonothérapie adjuvante pour les femmes ménopausées

  • Un traitement adjuvant au tamoxifène devrait être offert aux femmes ménopausées atteintes d'un cancer de stade II à tumeurs RE+.

Utilisé comme traitement systémique adjuvant chez les femmes ménopausées atteintes d'un cancer du sein de stade II, le tamoxifène réduit le risque de récidive et la mortalité (preuves de niveau I). Cet effet bénéfique est le plus marqué en présence de tumeurs RE+11.

Le traitement au tamoxifène est la seule forme de thérapie systémique adjuvante à avoir été bien évaluée chez les femmes de 70 ans et plus et à être recommandée pour le moment pour ce groupe d'âge en dehors des études cliniques.

De nombreuses études cliniques comparatives randomisées ont tenté d'évaluer le rôle de la thérapie systémique adjuvante par tamoxifène dans le traitement du cancer du sein. Nous résumons dans les paragraphes qui suivent les études de plus grande envergure en indiquant les résultats du traitement chez les patientes ménopausées présentant un envahissement ganglionnaire.

Dans l'étude de la NATO (Novaldex Adjuvant Trial Organization), 1285 patientes de 75 ans ou moins atteintes d'un cancer du sein de stade I, II ou III ont été choisies au hasard pour recevoir soit du tamoxifène (10 mg deux fois par jour par voie orale pendant 2 ans) soit aucun autre traitement après avoir subi une mastectomie et un prélèvement ganglionnaire axillaire entre 1977 et 198169. Les patientes dont les ganglions étaient envahis ont été soumises à une irradiation régionale; 89 % des patientes étaient ménopausées et 47 % ne présentaient aucun envahissement ganglionnaire axillaire; la tumeur était RE+ chez 324 patientes alors que, dans le cas de 606 patientes, on ignorait le dosage RE de la tumeur. On a retiré de l'analyse 151 patientes qui ne satisfaisaient pas aux critères de sélection. L'analyse a donc porté sur 564 patientes traitées au tamoxifène et 567 témoins. Après une période médiane de suivi de 66 mois, on observait une réduction significative du risque de récidive chez les patientes traitées au tamoxifène (risque relatif [RR] = 0,64, intervalle de confiance [IC] à 95 % = 0,53 à 0,77) (preuves de niveau I). Le statut ménopausique et le dosage RE n'exerçaient aucune influence sur l'issue du traitement70.

Dans l'étude écossaise, on a évalué, entre 1978 et 1984, 1312 patientes de moins de 80 ans atteintes d'un cancer du sein qui ont été choisies au hasard après une mastectomie pour recevoir du tamoxifène (20 mg par jour par voie orale pendant 5 ans) ou du tamoxifène à la suite d'une récidive; 242 patientes étaient préménopausées et 1070 étaient ménopausées. Les ganglions lymphatiques axillaires n'étaient pas atteints dans 751 cas. Les tumeurs de 524 patientes étaient RE+, alors qu'on ignorait le dosage RE chez 570 patientes. On a observé une amélioration tant sur le plan de la survie sans récidive (p = 0,0001) que de la survie globale (p = 0,002) dans le groupe ayant reçu un traitement adjuvant au tamoxifène71.

Dans l'étude sur le traitement adjuvant au tamoxifène entreprise au Christie Hospital, 588 patientes ménopausées ont été choisies au hasard pour recevoir du tamoxifène par voie orale (20 mg par jour pendant un an) ou aucun autre traitement (73 % des patientes ménopausées du groupe témoin ont reçu du tamoxifène après une récidive)50. Seulement 26 % des patientes ont subi un évidement axillaire. Après un suivi de sept ans, on notait une différence statistiquement significative dans le taux de survie sans récidive en faveur des patientes traitées au tamoxifène. L'analyse effectuée après dix ans n'a pas fait ressortir cependant d'amélioration statistiquement significative de la survie sans récidive ni de la survie globale (preuves de niveau II).

Dans le Cancer Research Campaign Adjuvant Breast Trial, des patientes de moins de 75 ans atteintes d'un cancer du sein de stade I ou II ont été réparties au hasard en quatre groupes de traitement : groupe témoin, tamoxifène par voie orale (20 mg par jour pendant 2 ans), cyclophosphamide en péri-opératoire, ou association tamoxifène et cyclophosphamide. Entre 1980 et 1985, 1912 patientes ont été recrutées soit dans le groupe traité au tamoxifène ou dans le groupe témoin. Après une période médiane de suivi de 7,8 ans, on a observé une amélioration statistiquement significative de la survie sans récidive chez les patientes ménopausées qui avaient reçu du tamoxifène par rapport aux témoins (RR = 0,72, IC = 0,57 à 0,87, p < 0,001) (preuves de niveau I). Dans le cas des patientes de plus de 50 ans, le RR était de 0,68 (IC = 0,58 à 0,81, p < 0,001). L'amélioration de la survie sans récidive était visible en présence comme en absence d'envahissement ganglionnaire. On notait une tendance en faveur d'une réduction de l'incidence du cancer du sein controlatéral chez les patientes ménopausées traitées au tamoxifène, mais elle n'était pas assez forte pour être statistiquement significative (p = 0,08)72.

L'étude danoise (DBCG77C) a porté sur des patientes ménopausées présentant des facteurs de haut risque, notamment une tumeur de plus de 5 cm, un envahissement ganglionnaire axillaire, ou une extension à la peau ou à l'aponévrose. Après une mastectomie radicale, 1716 patientes ont été choisies au hasard pour subir une radiothérapie ou recevoir un traitement associant radiothérapie et tamoxifène (30 mg par jour pendant un an). Après une période médiane de suivi de 7 ans, le taux de survie sans récidive chez les patientes de moins de 70 ans traitées par radiothérapie était de 33 % et chez les patientes traitées par radiothérapie et tamoxifène, de 38 % (p = 0,007) (preuves de niveau I). Dans le même groupe d'âge, la survie globale était de 42 % dans le groupe irradié contre 50 % dans le groupe traité par radiothérapie et tamoxifène (p = 0,03) (preuves de niveau I). Aucune amélioration statistiquement significative de la survie sans récidive ni de la survie globale n'était observable chez les patientes de plus de 70 ans (preuves de niveau II); les caractéristiques de ces dernières n'étaient malheureusement pas décrites. Les résultats des dosages des RE n'étaient disponibles que pour 20 % des patientes73.

La méta-analyse effectuée par le Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group portait sur 40 études randomisées de traitement au tamoxifène chez 29 892 patientes (Tableau 2)11. Les comparaisons indirectes des études chez des groupes de patientes de 50 à 59 ans (avec ou sans envahissement ganglionnaire) traitées au tamoxifène et non traitées au tamoxifène ont abouti aux conclusions suivantes : le traitement a réussi à faire baisser le taux brut de récidive (41 % dans le groupe témoin contre 33 % dans le groupe traité au tamoxifène) et le taux de mortalité (29 % dans le groupe témoin contre 25 % dans le groupe traité au tamoxifène) (preuves de niveau III).

  • La durée recommandée du traitement au tamoxifène est de cinq ans.

Des preuves de niveau I montrent que le tamoxifène administré pendant moins de deux ans est moins efficace qu'administré pendant cinq ans74. Des preuves de niveau I montrent aussi que l'usage de tamoxifène pendant dix ans n'est pas plus efficace que son usage pendant cinq ans75,76. Comme le degré de toxicité du tamoxifène est relativement faible, la plupart des centres administrent ce médicament pendant cinq ans (preuves niveau IV) (voir aussi le guide no 7).

  • Aucune autre manipulation hormonale hormis l'administration de tamoxifène ne peut être recommandée dans le cas des patientes ménopausées.

Bien que l'administration de tamoxifène constitue l'hormonothérapie de choix chez les femmes ménopausées atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire11, il existe des raisons théoriques qui militent en faveur du recours à un traitement endocrinien séquentiel ou alterné77. Une étude en cours en Scandinavie compare l'utilisation chez les femmes ménopausées du tamoxifène en alternance avec l'acétate de médroxyprogestérone et du tamoxifène seul. Deux études (décrites ci-dessous) se sont penchées sur l'utilisation de l'acétate de médroxyprogestérone à forte dose (MPA-FD) concurremment à la chimiothérapie comme traitement adjuvant du cancer du sein78,79.

Dans une étude française, des patientes présentant un envahissement ganglionnaire ont reçu l'association CMF avec ou sans MPA-FD pendant cinq mois. Les patientes auxquelles on avait administré de la MPA-FD étaient en mesure de recevoir de plus fortes doses de chimiothérapie que les témoins. Toutefois, si les patientes ménopausées recevant de la MPA-FD ont affiché une meilleure survie sans récidive, les patientes préménopausées recevant l'association CMF et MPA-FD ont pour leur part présenté des taux de survie sans récidive et de survie globale beaucoup moins élevés (preuves de niveau II)78. Dans l'étude réalisée aux Pays-Bas, l'ajout de MPA-FD pendant six mois à une chimiothérapie associant cyclophosphamide et CAF chez des patientes présentant un envahissement ganglionnaire n'a apporté aucun avantage sur le plan de la survie sans récidive ou de la survie globale. Dans le sous-groupe des femmes de plus de 55 ans, on a cependant noté un gain important dans la survie sans récidive (p = 0,002) et une tendance en faveur d'une meilleure survie globale (preuves de niveau II)79. Dans les deux études, la MPA-FD a atténué les nausées et les vomissements, mais était associée à un important gain pondéral.

Une étude récente a examiné l'utilisation d'un traitement adjuvant par aminoglutéthimide chez les patientes ménopausées80 : 354 femmes présentant un envahissement ganglionnaire ont été choisies au hasard pour recevoir 250 mg d'aminoglutéthimide par voie orale quatre fois par jour pendant deux ans ou des placebos. Aucune amélioration n'a été relevée au chapitre de la survie (preuves de niveau I).

Chimiothérapie et association chimiothérapie-tamoxifène pour les femmes ménopausées

  • Une chimiothérapie (soit l'association CMF ou AC) devrait être offerte aux femmes atteintes d'une tumeur RE- qui sont assez fortes pour subir un tel traitement (en général les femmes âgées de moins de 70 ans). Aucune donnée ne démontre de façon probante que le tamoxifène ajoute quelque avantage à la chimiothérapie. Le tamoxifène administré seul est peut être bénéfique.

  • Les femmes atteintes d'une tumeur RE+ peuvent obtenir un léger avantage additionnel si la chimiothérapie est ajoutée au tamoxifène. C'est une option à présenter à une patiente motivée bien informée.

De nombreuses études cliniques ont évalué le rôle de la chimiothérapie ou de l'hormono-chimiothérapie comme traitement systémique adjuvant chez les femmes atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire (preuves de niveau I). On trouvera dans les paragraphes qui suivent un résumé des résultats de ces études en ce qui concerne les femmes ménopausées.

Chimiothérapie par rapport à l'absence de traitement adjuvant chez les femmes ménopausées 

Dans l'étude de la thérapie au CMF effectuée par Bonadonna et ses collègues de 1973 à 1975, 386 femmes âgées de 26 à 75 ans (dont 201 patientes ménopausées) ont été choisies au hasard après une mastectomie pour recevoir 12 cycles de CMF ou aucun autre traitement additionnel. Dans le cas des patientes ménopausées, on n'a observé après 20 ans de suivi aucune différence significative dans la survie sans récidive ou la survie globale entre les groupes ayant reçu un traitement adjuvant au CMF et les groupes qui n'ont reçu aucun traitement (preuves de niveau II). Selon Bonadonna et Valagussa42, la différence dans les résultats chez les femmes préménopausées par rapport aux femmes ménopausées est attribuable à la faible dose de chimiothérapie reçue par de nombreuses patientes ménopausées.

Plus d'une vingtaine d'études ont évalué l'efficacité de la chimiothérapie par rapport à l'absence de traitement additionnel chez les femmes atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire. Aucune étude randomisée portant sur cette question n'a à ce jour mis en évidence une amélioration statistiquement significative de la survie globale après une chimiothérapie adjuvante chez les patientes ménopausées présentant un envahissement ganglionnaire. Toutefois, la majorité de ces études ont porté sur des nombres relativement réduits de femmes ménopausées et peuvent donc ne pas avoir été en mesure de détecter un gain modeste mais significatif.

Dans la méta-analyse, les taux généraux estimatifs de récidive et de mortalité après 10 ans étaient inférieurs de 8,7 % et de 6,8 % respectivement, chez les patientes ayant reçu une chimiothérapie adjuvante par rapport à celles qui n'en avaient pas reçu11. La chimiothérapie était associée chez les patientes ménopausées à une réduction absolue de 5 % (ÉT 2 %) de la mortalité à dix ans. Seules quelques rares patientes dans ces études cliniques avaient plus de 70 ans.

La méta-analyse a donc démontré l'existence d'un gain modeste associé à la chimiothérapie chez les femmes ménopausées. Cependant, comme cet avantage est faible, il faut vérifier s'il l'emporte sur les effets secondaires et les risques et en discuter avec la patiente. Sauf dans le cadre d'études cliniques, il est plus rare qu'on administre une chimiothérapie adjuvante aux femmes de plus de 70 ans.

Chimiothérapie par rapport à l'association tamoxifène-chimiothérapie chez les femmes ménopausées 

Le Eastern Cooperative Oncology Group a effectué une étude randomisée dans le cadre de laquelle 265 patientes ménopausées atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire ont été réparties en trois groupes pour recevoir soit du CMFP pendant 12 cycles, soit du CMFP pendant 12 cycles plus du tamoxifène pendant un an, soit aucun traitement adjuvant81. On n'a relevé aucune différence statistiquement significative entre les trois groupes sur le plan de la survie sans récidive ou de la survie globale (preuves de niveau II). Une analyse a toutefois fait ressortir une amélioration dans la survie sans récidive dans le groupe traité au CMFP plus tamoxifène (45 % [IC, 29 % à 68 %]) par rapport au groupe traité au CMFP seul (34 % [IC 20 % à 57 %]) (preuves de niveau I, sous-groupe, données probantes).

Dans l'étude clinique B-09 du NSABP, 1891 femmes atteintes d'un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire, dont 58 % étaient âgées de 50 ans ou plus, ont été choisies au hasard après une mastectomie pour recevoir de la l-PAM plus du 5-FU (l-PAM-5-FU) ou le même mélange additionné de tamoxifène (l-PAM-5-FU-TAM)13. Le protocole triple allongeait de façon statistiquement significative la durée de survie sans récidive, mais n'influait pas sur la survie globale. Après analyse de sous-groupes, aucun gain n'a été constaté chez les patientes qui «ne répondaient pas au tamoxifène», c'est-à-dire celles de moins de 50 ans dont le taux de récepteurs d'estrogènes ou de progestérone n'atteignait pas 10 fmol, ou celles de 50 à 59 ans dont le taux de récepteurs de progestérone (RP) n'atteignait pas 10 fmol.

Dans la méta-analyse, des comparaisons indirectes ont été effectuées entre les études portant sur les effets de l'administration de tamoxifène associé à une chimiothérapie et celles portant sur la même chimiothérapie administrée seule11. Chez 8135 femmes de 50 ans et plus réparties aléatoirement dans ces études, la probabilité annuelle de récidive ou de décès précoce était réduite de 28 % (ÉT 3 %) pour les patientes traitées par chimiothérapie et tamoxifène. La réduction de la probabilité annuelle de décès, toutes causes confondues, était de 20 % (ÉT 4 %) (preuves de niveau III).

Association chimiothérapie-tamoxifène ou traitement au tamoxifène seul chez les femmes ménopausées 

Dans l'étude B-16 du NSAPB, des femmes de plus de 50 ans présentant un envahissement ganglionnaire ont été réparties au hasard pour recevoir du tamoxifène (389 patientes) ou l'association AC-tamoxifène (385 patientes) pendant 5 ans82. Après une période de suivi de 7 ans, on observait une amélioration statistiquement significative en faveur de la thérapie combinée : la survie sans récidive atteignait 62 % chez les patientes ayant reçu la thérapie combinée, et 49 % chez celles traitées au tamoxifène seul, tandis que la survie globale atteignait 74 % dans le groupe de thérapie combinée contre 65 % dans le groupe traité au tamoxifène seul. Dans cette étude, deux décès dans le groupe ayant reçu la thérapie combinée (AC plus tamoxifène) étaient peut-être attribuables au traitement (preuves de niveau I).

L'étude réalisée par le groupe de Ludwig (Ludwig III) a évalué 463 patientes ménopausées de 65 ans et moins présentant un envahissement ganglionnaire, après mastectomie et évidement axillaire (33 % étaient atteintes de tumeurs RE+, 18 % de tumeurs RE-, et le dosage RE était inconnu chez 49 % des patientes)83. Les patientes ont été réparties au hasard en trois groupes pour recevoir soit 12 cycles de CMF plus prednisone et tamoxifène (CMFpT) pendant un an, soit du prednisone et du tamoxifène (pT), soit aucun traitement adjuvant. Après un recul médian de 9 ans, la survie sans récidive s'établissait à 41 % dans le groupe traité par CMFpT, à 31 % dans le groupe traité par pT et à 19 % dans le groupe témoin (p < 0,0001)84. Les valeurs pour la survie globale étaient de 53 % pour le groupe CMFpT, de 41 % pour le troupe pT et de 38 % pour le groupe témoin (p = 0,08) (preuves de niveau I).

Le groupe d'études cliniques de l'Institut national du cancer du Canada a mené une étude dans le cadre de laquelle 706 patientes ménopausées atteintes de tumeurs RE+ ou RP+ avec envahissement ganglionnaire ont reçu soit du tamoxifène pendant 2 ans ou du tamoxifène pendant 2 ans plus du CMF pendant 8 cycles, concurremment48. On n'a relevé aucune différence entre les deux groupes dans la survie sans récidive ou dans la survie globale (preuves de niveau II). La fréquence des effets toxiques, notamment infections, nausées et vomissements, inflammation des muqueuses, diarrhée, leucopénie, thrombocytopénie et thromboembolie, était toujours significativement plus élevée dans le groupe traité par CMF plus tamoxifène (preuves de niveau I).

La méta-analyse compare les études de la chimiothérapie prolongée associée au tamoxifène et le traitement exclusif au tamoxifène chez 3932 femmes réparties aléatoirement dans ces études. On note une réduction absolue de 12 % (ÉT 2 %) de la mortalité à 10 ans chez les femmes de 50 ans et plus présentant un envahissement ganglionnaire qui ont été traitées par polychimiothérapie et tamoxifène comparativement à celles qui ont reçu simplement du tamoxifène.

Dans une méta-analyse subséquente portant sur les mêmes données, le résultat des traitements a été examiné du point de vue de la qualité de vie (durée de la période sans symptôme ni effet toxique). On a constaté qu'au cours des sept années de suivie, le gain modeste obtenu au chapitre de la survie sans récidive et de la survie globale chez les patientes ayant subi une chimiothérapie associée au tamoxifène compensait tout juste les «coûts» que représentaient les effets secondaires aigus du traitement85.

Deux récentes études ont comparé le tamoxifène avec le tamoxifène plus chimiothérapie. Dans l'étude Intergroup, des femmes ménopausées avec envahissement ganglionnaire et tumeurs RE+ ont été réparties au hasard pour recevoir du tamoxifène seul, du CMF suivi de tamoxifène, ou du CAF plus tamoxifène. Il y a eu une amélioration statistiquement significative dans la survie sans récidive à quatre ans en faveur du CAF associé au tamoxifène (79 %) par rapport au tamoxifène seul (72 %). Il n'y a pas eu de différence dans la survie globale86.

Dans l'étude du International Breast Cancer Study Group, des femmes ménopausées avec envahissement ganglionnaire et tumeurs RE+ ont été réparties au hasard selon un modèle factoriel pour recevoir du tamoxifène seul, du tamoxifène plus CMF précoce, du tamoxifène plus CMF tardif ou du tamoxifène plus CMF précoce et tardif87. L'addition de la chimiothérapie au tamoxifène était associée à une réduction significative (24 %) des récidives par rapport aux groupes recevant le tamoxifène seul. Il n'y a pas eu de différence dans la survie globale (preuves de niveau I).

Études cliniques

  • Il importe d'offrir aux patients l'occasion de participer à des études cliniques, lorsque c'est possible.

Comme nous l'avons fréquemment mentionné, le corpus de connaissances justifiant bon nombre des interventions thérapeutiques auxquelles on a recours actuellement dans le traitement du cancer du sein est extrêmement mince, voire même souvent inexistant. Ce n'est qu'en effectuant des études comparatives randomisées bien conçues qu'on pourra éliminer ces zones grises où les recommandations doivent pour l'instant s'appuyer sur des preuves de niveaux III, IV ou V. L'amélioration des soins dispensés aux futures patientes atteintes d'un cancer du sein passe donc par la participation d'un nombre suffisant d'entre elles à ces études. Les médecins qui traitent ces femmes devraient par conséquent se tenir au courant des études en cours et inviter leurs patientes à y participer.


Collaborateurs

Auteurs de la version initiale : Susan E. O'Reilly, MB BCh, The British Columbia Cancer Agency -- Vancouver Cancer Centre, Vancouver; Sharon J. Allan, MD, The British Columbia Cancer Agency -- Vancouver Island Cancer Centre, Victoria (C.-B.); Tamara N. Shenkier, MD, The British Columbia Cancer Agency -- Vancouver Cancer Centre, Vancouver; Karen A. Gelmon, MD, The British Columbia Cancer Agency -- Vancouver Cancer Centre, Vancouver

Comité de rédaction : Mark N. Levine, MD, Hamilton Regional Cancer Centre, Hamilton (Ont.); Ivo A. Olivotto, MD, British Columbia Cancer Agency -- Vancouver Cancer Centre, Vancouver; Anthony L.A. Fields, MD, Cross Cancer Institute, Edmonton; David M. Bowman, MD, Manitoba Cancer Treatment and Research Foundation, Winnipeg; Françoise Bouchard, MD, Santé Canada, Ottawa; Maurice McGregor, MD (président), Hôpital Royal Victoria, Montréal

Lecteurs principaux : Drs J. Jolivet, K.I. Pritchard et S. Verma

Lecteurs secondaires : Drs G.A. Arjane, J. Ayoub, P.E. Champion, M.L. Davis et S. Hicks, Mme J. Hiller, et Drs J. Hiscock, S.K. Liem, M.F. Mohamed, E.M. Tomiak et E. Warner

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