À propos du bijuridisme

« On peut aborder le bijuridisme de plusieurs manières : simple coexistence de fait de deux traditions juridiques, interaction entre deux traditions, intégration formelle de deux traditions dans un cadre donné [...] ou, encore, sur un plan plus général, reconnaissance et respect de cultures et d’identités appartenant à deux traditions juridiques. »

France Allard, « La Cour suprême du Canada et son impact sur l’articulation du bijuridisme », 2001, p. 1.

Héritage de la colonisation de l’Amérique du Nord par la France et la Grande-Bretagne, le bijuridisme canadien est une expression de la coexistence des traditions de droit civil et de common law au Canada. C’est dans l'Acte de Québec de 1774 que cette coexistence se manifeste formellement pour la première fois. Le partage des compétences législatives prévu par la Loi constitutionnelle de 1867 vient la confirmer de nouveau. Par ce partage, certaines matières de droit privé sont réservées au Parlement en vertu de l’article 91 alors que plusieurs autres sont attribuées aux provinces dont le pouvoir de légiférer en matière de « propriété et de droits civils dans la province » en vertu du paragraphe 92(13), pouvoir résiduaire important qui s’exerce au Québec dans un environnement de droit civil, alors qu’ailleurs au Canada, il est ancré dans la tradition de common law.

Sans être partie au partage des compétences prévu par la Loi constitutionnelle de 1867, les territoires canadiens ont la compétence législative sur toute matière comprise dans le domaine de la propriété et des droits civils. Ce pouvoir résulte d’une dévolution par le Parlement du Canada de certaines de ses compétences constitutionnelles vers les administrations territoriales par voie législative. Bien que le fondement du rapport entre le droit des territoires et le droit fédéral soit différent de celui qui existe avec les provinces, il s’articule en fonction des mêmes règles d’interprétation législative adoptées par le Parlement.

Si les matières qui relèvent du pouvoir du Parlement lui sont exclusives, il reste que le droit fédéral, pris dans son ensemble, n’est pas un système juridique autonome. Il se nourrit, pour son application dans une province ou un territoire, des règles qui relèvent du droit provincial ou territorial en matière notamment de propriété et de droits civils. Dans cette perspective, le droit civil et la common law coexistent comme sources du droit fédéral canadien, sauf règle de droit s’y opposant ou à moins que le contexte n’exclut le recours aux droits privés provinciaux ou territoriaux.

Combiné aux impératifs du bilinguisme, l’influence du bijuridisme sur la rédaction des textes législatifs fédéraux est sans équivoque. Ce faisant, les textes législatifs doivent s’adresser aux citoyens canadiens dans un langage respectueux des traditions de droit civil et de common law, et ce, dans les deux langues officielles, l’anglais et le français. 

Le respect et la prise en compte du droit civil et de la common law constituent, de par leur nature, un défi que le législateur fédéral s’engage à relever. La législation fédérale doit être accessible, intelligible et applicable partout au Canada. La Politique sur le bijuridisme législatif du ministère de la Justice et la Directive du cabinet sur l’activité législative reflètent cet engagement.

Ceci dit, si le bijuridisme vise d’abord le respect et la prise en compte du droit civil et de la common law dans le contexte fédéral, notamment en matière de rédaction et d’interprétation des textes législatifs fédéraux, il n’exclut aucunement le respect et l’intégration d’autres règles propres au droit fédéral, la prise en compte d’autres sources, notamment en matière de droit international, ni le respect d’autres cultures juridiques, plus particulièrement les cultures autochtones.