Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 1, 1977-1978

Accueil
English
Introduction
Histoire
Index annuel
Auteur et Sujet
Crédits
Contact

Femme couchée de Henry Moore

par Alan G. Wilkinson


English Article

Pages  1  |  2  |  3  |  4  |  5   

En écrivant à M. Norman Fowler (1) le 31 octobre 1956 « Les membres de mon conseil d'administration se sont réunis les 17 et 18 octobre et ont approuvé l'achat de la Femme couchée au prix de £ 2 000 », (2) Alan Jarvis, troisième directeur de la Galerie nationale du Canada, venait d'acheter l'une des premières sculptures importantes de Henry Moore. Ses prédécesseurs avaient manifesté peu d'intérêt pour la sculpture; aussi, quand Jarvis fut nommé directeur, en 1955, il existait une lacune évidente dans la collection et ce, dans un domaine qui lui tenait particulièrement à coeur: la sculpture européenne de Rodin à nos jours. Avec l'acquisition d'un premier bronze remarquable de l'Âge d'airain de Rodin, du calcaire Figure assise de Lipchitz, du bronze Rock Drill d'Epstein, du bronze Portrait de Brodzky de Gaudier-Brzeska, du marbre Cypriana d'Arp et de la Femme couchée de 1930 de Moore, Jarvis parvint à constituer une collection modeste, mais néanmoins importante, d'oeuvres de quelques-uns des plus grands sculpteurs des XIXe et XXe siècles.

A l'instar des statues le Jour et la Nuit de Michel-Ange, la Femme couchée d'Ottawa (fig. 1-4), exécutée en 1930, et la Figure couchée de Leeds (fig. 5), qui date de l'année précédente, s'apparentent si étroitement entre elles par le style et la période qu'il est impossible de faire la genèse de l'une sans maintes références à l'autre. On peut affirmer, avec quelques arguments à l'appui, que ces deux sculptures sur pierre occupent dans l'oeuvre de Moore la place des Demoiselles d'Avignon de 1907 dans celle de Picasso. Le brusque changement de style révélé par ces oeuvres, qui ont marqué un nouveau départ chez les deux artistes, est dû en grande partie à l'influence de l'art primitif: Les Demoiselles d'Avignon s'inspirent des masques de pierre de la péninsule ibérique et des masques nègres de la Côte-d'Ivoire et du Congo français, tandis que les sculptures de Moore évoquent le Chacmool toltèque-maya de Chichén ltzá (fig. 6). Cette sculpture de pierre représentant le dieu mexicain de la pluie a été, comme Moore lui-même l'affirmait récemment, « sans doute la sculpture qui a le plus influencé mes premières oeuvres ». (3)

Moore a développé ce goût pour l'art africain et précolombien après avoir parcouru en 1920 ou 1921, alors qu' il était encore étudiant à la Leeds School of Art, le livre de Roger Fry intitulé Vision and Design (1920). « Après avoir lu Roger Fry, j'ai tout compris. » (4) Non seulement certains passages des chapitres consacrés à la sculpture nègre et à l'art américain ancien préparèrent-ils le jeune étudiant du Yorkshire aux richesses qu'il allait trouver dans les collections du British Museum, mais ils influencèrent également sa propre démarche d'artiste dans les années 1920: taille directe, affirmation du matériau, tridimensionalité véritable.

Fry faisait l'éloge des sculpteurs africains pour leur « totale liberté plastique; c'est-à-dire que ces artistes africains conçoivent réellement la forme en trois dimensions », (5) et pour « un goût exquis dans la taille du matériau ». (6) Il trouvait dans leurs formes une « vitalité déconcertante, l'illusion qu' elles ne sont pas les simples échos de personnages réels, mais qu' elles possèdent une vie intérieure qui leur est propre ». (7) L'influence de ces passages du livre de Fry dans les écrits de Moore sur l'essence de la sculpture est illustrée par la citation suivante, extraite d'un article qu'il publia dans Unit One en 1934:

Pour ma part, je crois qu'une oeuvre doit posséder une vitalité qui lui est propre. Je ne parle pas d'une représentation de la vitalité, du mouvement, de l'action, telle que les figures qui gambadent, dansent, etc., mais bien d'une oeuvre qui recèle une énergie refoulée, une vie propre et intense, indépendamment de l'objet qu'elle peut représenter. (8)
Dans son chapitre sur « L'art américain ancien », Fry mentionne 
« la magnifique collection d'objets d'art anciens du Mexique conservée au British Museum » et fait l'observation suivante:
Plus récemment encore, nous en sommes venus à reconnaître la beauté de la sculpture aztèque et maya, et certains de nos artistes contemporains y ont même cherché leur inspiration. Naturellement, c'est là une des conséquences générales de l'éveil du sens de l'esthétique qui a suivi la révolte contre la tyrannie de la tradition gréco-romaine. (9)
Dans les années 1920, Moore s'identifia d'emblée à ce mouvement de révolte. Comme E.H. Gombrich le soulignait dans un essai Norm and Form, « en art, la plupart des mouvements érigent de nouveaux tabous, de nouveaux principes négatifs, par exemple, chez les peintres impressionnistes, le fait de bannir tous les "éléments anecdotiques" ». (10) Aux yeux de Moore, comme à ceux de Gauguin avant lui qui soutenait que « la grande erreur a été le fait des Grecs, aussi admirable fût-elle », (11) la tradition gréco-romaine représente ce « principe négatif ». Nous avons déjà souligné que certains des « leitmotive positifs » (12) de l'art de Moore lui ont été inspirés par la lecture du livre de Fry, Vision and Design.

A partir de septembre 1921, les visites hebdomadaires de Moore au British Museum, au cours de son premier trimestre au Royal College of Art, le mirent en contact avec toute la richesse des collections. Ces dernières, en offrant d'autres perspectives que celle de l'idéal grec, permettaient au sculpteur moderne de voir l'art sous un jour nouveau, et non plus à travers ce que Moore appelait « les besicles grecques ». (13)

Dans son étude détaillée de 1'histoire de la sculpture, Moore allait suivre le conseil qu'il donnait lui-même dans son Carnet no 6 de 1926: « Ne jamais perdre de vue la tradition universelle, la perspective générale de la sculpture. » (14) En 1930, dans un article intitulé « On the Nature of Sculpture », il énumère les périodes et les courants de « la tradition universelle » qu'il a étudiés et assimilés au début de sa carrière. Ses carnets des années 1920, qui contiennent des dessins d'oeuvres de toutes les périodes mentionnés ci-dessous à l'exception des sculptures babylonienne, romane et byzantine, témoignent de façon concrète des divers styles qu'il a étudiés et pour lesquels il a manifesté un intérêt particulier.

Page Suivante | l'art de la sculpture

1
  |  2  |  3  |  4  |  5

Haut de la page


Accueil | English | Introduction | Histoire
Index annuel
| Auteur et Sujet | Crédits | Contact

Cette collection numérisée a été produite aux termes d'un contrat pour le compte du programme des Collections numérisées du Canada, Industrie Canada.

"Programme des Collections numérisées, droit d'auteur © Musée des beaux-arts du Canada 2001"