Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 23, 1974

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Le Souper d'Emmaüs dans la sculpture du Québec

par John R. Porter et Léopold Désy


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L'espace au-dessus des personnages du Souper d'Emmaüs de Sainte-Anne-de-Beaupré est parsemé de nuages d'où trois angelots considèrent la scène avec intérêt. À l'opposé, le sol est suggéré par un quadrillage évoquant un dallage de carreaux aux motifs fleuris.

Le cartouche où apparaît le Souper d'Emmaüs semble rivé au tombeau de l'autel par deux clous dont on aperçoit les têtes près des extrémités du relief. Sous celui-ci, entre les feuillages, se profile un serpent qui ouvre la gueule pour croquer une pomme. Des variantes de ce motif évoquant l'épisode de la tentation dans la Genèse se retrouvent sur deux autres autels du Québec. À l'église Saint-Joachim (Saint-Joachim, comté de Charlevoix), le serpent à la pomme apparaît sous un relief représentant les saintes femmes au tombeau, oeuvre entreprise en 1816 par Thomas Baillairgé et son père François (Québec, 1759- Québec, 1830). (8) On le retrouve également sur le tombeau du maîtreautel de l'église Sainte-Geneviève (Sainte-Geneviève, Pierrefonds, île de Montréal) qu'Ambroise Fournier, un sculpteur de Vaudreuil, exécute vers 1847-1848 en s'inspirant probablement des plans de Thomas Baillairgé. (9) Cette fois, la scène représentée est la mise au tombeau.

Dans ses Notices biographiques et généalogiques, George Frédérick Baillairgé (Québec, 1824-1909) écrivait en 1891 le passage suivant à propos de l'oeuvre de son ancêtre Thomas:

Comme statuaire, il n'y a guère eu de ciseau supérieur au
sien sur ce continent.

Les deux statues de St. Ambroise et de St. Augustin, dans la chapelle Ste. Anne de la Basilique de Québec, et son Souper d'Emmaüs dont le bas-relief orne peut-être encore l'un des autels de St. Anne de la Pocatière, lui ont mérité la visite et les félicitations de Lord Dalhousie, un connaisseur dans 1'art, qui fut gouverneur du Canada, au 19 juin 1820 au 7 septembre 1828.
(10)

L'auteur, semble-t-il, aurait commis une erreur dans la localisation du relief de son ancêtre. Deux lettres qu'il adresse en 1892 à monseigneur Charles-Édouard Poiré (Saint-Joseph de Lévis, 1810 - Sainte-Anne à La Pocatière, 1896), supérieur du collège et curé de l'église Sainte-Anne à La Pocatière (comté de Kamouraska), nous indiquent en effet que les recherches entreprises pour retracer le relief dans cette paroisse étaient restées vaines. (11) Malgré la méprise du biographe, la note relative aux félicitations de George Ramsay, comte de Dalhousie (1770-1838), nous apprend que le Souper d'Emmaüs de Baillairgé à Sainte-Anne-de-Beaupré était perçu comme une oeuvre prestigieuse par les contemporains du sculpteur. Dans ces conditions, rien d'étonnant à ce que le bas-relief de Baillairgé ait influencé certains sculpteurs du XIXe siècle et plus particulièrement les Berlinguet.

A l'église Saint-Rémi (Saint-Rémi, comté de Napierville), il y avait naguère une représentation du Souper d'Emmaüs (fig. 2) sur la porte du tabernacle de la sacristie. Cette porte aurait été remplacée par une autre il y a plus de vingt ans (12) et nous avons tenté en vain de la retrouver. Il en reste heureusement une photographie, prise en 1937, qui est conservée à l'Inventaire des oeuvres d'art du Québec. (13)

L'oeuvre ayant été recouverte de plusieurs couches de peinture et de dorure, plusieurs détails de la sculpture dans son état originel nous échappent. Cependant, il est facile d'y déceler dans l'ensemble l'influence du relief de Thomas Baillairgé. Bien que simplifiées et rendues avec moins d'habileté, la position réciproque des trois personnages ainsi que leurs attitudes sont les mêmes que dans le, Souper d'Emmaüs de Sainte-Anne-de-Beaupré. Le Christ toutefois a une expression plus mélancolique et sa tête est entourée d'un nimbe circulaire composé de rayons. Par ailleurs, le sculpteur a curieusement traduit la perspective de la table. Disposant d'assez peu d'espace pour représenter la vaisselle et la nourriture, il a radicalement relevé le plan légèrement oblique du dessus de la table de sorte que celui-ci est vu presque à la verticale. Le résultat fait songer à certaines expériences que feront plus tard les cubistes dans leur désir de traduire l'intégrité des objets. Quoi qu'il en soit, la disposition de la vaisselle n'est plus tout à fait la même qu'à Sainte-Anne-de-Beaupré, et ceci malgré les efforts évidents du sculpteur. Faute de place, le Christ n'a plus de verre. La carafe perd de son importance, tandis que le plat principal et la salière gagnent en volume. Introduisant d'autres variations, le sculpteur de l'église Saint-Rémi pose deux couteaux de biais sur le bord de la table, remplace les trois poissons par une cuisse de poulet et met de la nourriture dans les assiettes des trois personnages. Enfin, le devant de la table est maladroitement simplifié. La longue nappe qui tombe ne laisse voir que les extrémités des deux pattes du devant de la table de même que les pieds informes du Christ.

Par delà les changements introduits avec plus ou moins de succès par son sculpteur, le Souper d'Emmaüs de l'église Saint-Rémi dénote une grande originalité par le cadre intérieur où il se déroule. En effet, même si l'artiste a curieusement omis le carrelage au niveau du sol, il n'a pas hésité à remplacer les anges et les nuages de Thomas Baillairgé par un décor bien terrestre. Ainsi, le pourtour de la partie supérieure du relief est parcouru par de grands rideaux pincés aux angles et au milieu. A ce dernier endroit, ils sont séparés par un lustre qui pend au-dessus de la tête du Christ. À l'arrière-plan, deux panneaux rectangulaires sont enfoncés dans le mur, vis-à-vis des disciples: il s'agit vraisemblablement de fenêtres. La structure de cette composition très équilibrée rappelle par sa lampe et ses deux fenêtres une gravure sur bois coloriée conservée au Musée Alsacien de Strasbourg. (14)

Gérard Morisset attribuait le relief de l'église Saint-Rémi à Louis Narbonne (Saint-Rémi, 1833- Montréal, 1869) et situait son exécution vers 1840. Dans le deuxième livre de comptes de cette paroisse, il n'est pourtant question de Louis Narbonne, en 1840-1841, qu'à propos de lustres. D'autre part, ce sont les architectes et entrepreneurs Louis-Thomas Berlinguet (Saint-Laurent [Montréal], 1789- Québec, 1863) et Louis Laurent Flavien Berlinguet qui réalisent, de 1845 à 1854, l'ensemble des ouvrages sculptés de cette église. En ce qui concerne la sacristie, deux mentions des livres de comptes de la fabrique nous semblent devoir être retenues:

1853 Pour les ouvrages de la sacristie à Ms Berlinguet 100.0.0.

...

1854 Pour M. Berlinguet, pour tabernacle et sacristie 100.0.0.
(15)

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