Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 23, 1974

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Le Souper d'Emmaüs dans la sculpture du Québec

par John R. Porter et Léopold Désy


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À la lumière de ces extraits, il nous semble plus logique d'attribuer le relief du Souper d'Emmaüs à l'un des Berlinguet. Selon nous, Louis Laurent Flavien en serait l'auteur, car les deux interprétations du même thème, sculptées quelques années plus tard par Louis-Thomas, font preuve d'une maîtrise beaucoup plus grande aux plans de la composition et de la technique.

La première représentation du Souper d'Emmaüs exécutée par Louis-Thomas Berlinguet (fig. 3) se trouve sur la porte du tabernacle de la sacristie de l'église Saint-Pascal (Saint-Pascal, comté de Kamouraska). Il sculpta cette oeuvre vers 1857. (16) Suivant les mêmes dispositions générales que les reliefs de Sainte-Anne-de-Beaupré et de Saint-Rémi, elle en est une sorte de synthèse. Comparativement à ce dernier, la perspective de la table est rétablie; la nappe tombe de façon normale; toutes les pattes de la table et celles du banc du Christ réapparaissent en même temps que ses pieds et qu'une partie de sa tunique. Le carrelage recouvre à nouveau le sol et les attitudes des disciples sont rendues avec plus de soigné et avec plus de détails. Malgré ce retour au modèle premier de Sainte-Anne-de-Beaupré, Louis-Thomas Berlinguet tire parti de certaines innovations introduites par le sculpteur de l'église Saint-Rémi. La disposition de la vaisselle et de la nourriture est identique, mais les divers éléments y sont sculptés avec davantage de précision. Le lustre, les rideaux et les fenêtres sont également représentés. Les rideaux sont toutefois surmontés d'un bandeau, l'ensemble formant désormais une cantonnière; quant aux fenêtres, elles acquièrent moulures et carreaux, tandis qu'une armoire pannelée à corniche apparaît derrière le Christ.

Dans l'ensemble, la composition de Saint-Pascal s'avère très consistante. Par surcroît, elle est plus aérée et plus dynamique que celle de Saint-Rémi. Cette fois, on a l'impression d'être devant un véritable intérieur où se sont attablés trois personnages, certes un peu lourds et joufflus, mais en même temps très concrets.

La seconde version du Souper d'Emmaüs de Louis-Thomas Berlinguet (fig. 4) est quasi identique à la première (si l'on excepte le traitement de la nappe au premier plan). Il s'agit de la porte du maître-autel de l'ancienne église Saint-Antoine de la Baie-du-Febvre, exécuté vers 1859 et aujourd'hui conservé au Musée de l'Homme, à Ottawa. (17) Grâce à une meilleure application de la dorure, les contrastes du relief sont mieux accusés et les personnages, ainsi que les objets, se détachent plus nettement. La touche du sculpteur confère également plus d'expression aux trois personnages, notamment au Christ.

Aux variations des Berlinguet exécutées à partir du relief de Thomas Baillairgé vient s'ajouter une interprétation (fig. 5) du sculpteur Jean-Baptiste Côté (Québec, 1832- Québec, 1907) à la fin du XIXe siècle. On ignore la provenance de cette oeuvre en bois polychrome qui fait maintenant partie de la collection de Monsieur Paul Gouin de Montréal. (18) On peut toutefois présumer qu'elle ornait originellement un tombeau d'autel, tout comme les reliefs en stuc polychrome si populaires à l'époque. En effet, la sculpture de Côté se présente à mi-chemin entre le haut-relief et la ronde-bosse, une seule face dc l'oeuvre demeurant inachevée.

Le Souper d'Emmaüs de Jean-Baptiste Côté ne s'apparente à l'oeuvre de Thomas Baillairgé que par sa disposition générale et par les gestes de ses personnages. Tout le reste a été réinterprété ou modifié suivant l'originalité de l'artiste. Le Christ et les deux disciples sont assis à une table reposant sur deux tréteaux et recouverte d'une nappe à frange. Devant chacun des protagonistes se trouve une simple assiette ronde au rebord fortement prononcé. C'est dans une assiette de même type, quoique plus petite, que repose une coupe de forme curieuse à la portée du Christ. Dans la main gauche, celui-ci tient un gros pain ovoïdal qu'il bénit de l'autre main. Il est revêtu d'une longue tunique qui, sous la table, tombe sur ses pieds nus. À sa droite, un disciple barbu traduit son émotion dans un geste dynamique accentué par le tracé de ses vêtements et l'expression de son visage. Le disciple qui lui fait pendant est également assis sur un tabouret de forme primitive et il a les pieds nus. Barbu, les cheveux longs avec le haut de la tête dégarnie, il joint les mains dans un geste de prière et d'humilité tout en dirigeant un regard pathetique vers le Christ. Les vêtements des deux disciples différent totalement de ceux que nous avions retrouvés dans les versions antérieures.

En regard du Souper d'Emmaüs, des différences encore plus marquées apparaîtront dans des hauts-reliefs en stuc fabriqués en séric au cours du XXe siccle. Vers 1867, Thomas Carli (Coreglia Antelminelli, province de Lucca, Italic, 1838- Montréal, 1906) fonda à Montréal un atelier se consacrant essentiellement à l'exécution de moulages de statues et de scènes religieuses. L'atelier de T. Carli connut bientôt une grande prospérité; il devait être pris en charge en 1906 par les fils de son fondateur. Dès lors, trois sculpteurs collaborerent aux créations chez T. Carli: son fils Alexandre (Montréal, 1861- Montréal, 1937) ainsi que ses neveux Apollo (Coreglia Antelminelli, 1881- Montréal 1968), à partir de 1915, et Carlo (Coreglia Antelminelli, 1894), à partir de 1920. Vers 1923, les intérêts de l'atelier T. Carli furent rachetés par Petrucci & Frères pour former l'atelier T. Carli-Petrucci Ltée qui demeura en activité jusqu'en 1965. (19) Nous avons pu retracer quelques reliefs du Souper d'Emmaüs sortis des moules de l'atelier T. Carli. Deux d'entre eux prennent place au centre de tombeaux d'autels entre des représentations du Sacrifice d'Isaac et de la Bénédiction du pain et du vin par Melchisédech, roi et prêtre de Jérusalem. On conserve dans le Fonds Joseph Villeneuve (Archives de l'université Laval) un grand nombre de plans d'autels dont plus de vingt-cinq nous présentent les trois scènes dont nous parlions à l'instant. Comme ces plans, pour la plupart, ne nous indiquent pas l'endroit où ils devaient être appliqués, nous devons nous contenter ici des deux qu'il nous a été possible de repérer.

Le relief central (fig. 6) du maître-autel de l'église Saint-Sauveur (Québec) est un moulage polychrome signé, installé en 1920. (20) Le Souper d'Emmaüs se situe dans un cadre classique suggéré par une sorte de grande niche à pilastres et à conque apparaissant à l'arrière-plan. Le Christ s'inscrit au milieu de ce décor. Barbu, les cheveux longs, la tête entourée d'un nimbe dont les rayons évoquent la forme de pétales, il lève les yeux au ciel en bénissant le pain. La table est entièrement recouverte d'une grande nappe qui tombe jusqu'au sol. On n'y voit qu'un calice et un morceau de pain (en exceptant celui que le Christ tient dans la main gauche). Les disciples sont assis sur des tabourets de part et d'autre du Christ. Comme le Sauveur, ils sont vêtus de longues tuniques. Tous deux ont les pieds nus et avancent un genou devant la table. Celui de gauche est imberbe et joint les mains; l'autre, barbu, a la main droite sur la table et l'autre au-dessus de la jambe gauche. Les deux disciples ont le regard rivé sur le Christ. Le sol est carrelé et devant la table se trouvent une grosse carafe et un linge déposés sur un plateau.

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