Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 23, 1974

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Le Souper d'Emmaüs dans la sculpture du Québec

par John R. Porter et Léopold Désy


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Le relief (fig. 7) occupant le centre du tombeau du maître-autel de la cathédrale de Chicoutimi (comté de Chicoutimi) a été exécuté vers 1922; (21) il est presque identique au précédent. Toutefois, on a donné plus d'importance au décor; son architecture diffère sensiblement de celle du relief de l'église Saint-Sauveur. Grâce aux jeux de la polychromie, deux fenêtres s'ouvrent de part et d'autre de la niche centrale et un paysage y apparaît. Les couleurs vives confèrent également plus de contrastes, plus de relief et plus d'expression à l'ensemble de la scène.

À la lumière des reliefs de Saint-Sauveur et de Chicoutimi, il semble logique d'attribuer également à l'atelier T. Carli celui qui occupe le tympan du portail central de la cathédrale de Saint-Hyacinthe exécuté vers 1907 (22) (fig. 8). La composition et les personnages sont les mêmes, avec, pour seules différences, le déplacement de la carafe et la disparition du linge au premier plan, l'omission du décor de l'arrière-plan et l'addition de rayons complémentaires au nimbe du Christ.


Analyse

Le repas eucharistique d'Emmaüs, au cours duquel le Christ ressuscité se révèle par la fraction du pain, est en quelque sorte une répétition réduite de la Cène. (23) En ce sens, les différentes versions du Souper d'Emmaüs au Québec sont rattachées de diverses façons au repas eucharistique. Placé sur la porte du tabernacle, le Souper d'Emmaüs est un rappel direct du contenu de l'armoire où sont conservées les Saintes Espèces. Sur le tombeau, le repas eucharistique apparaît comme l'un des fondements essentiels de la vie chrétienne. On peut interpréter sa présence au portail comme une invitation au sacrifice du pain et du vin. Quoi qu'il en soit, les différents sculpteurs n'ont pas conféré la même intensité au caractère eucharistique de cette scène. Chez Baillairgé, cet aspect nous semble très accentué par la noblesse des personnages et par la présence des anges dans le ciel. Il en est de même chez les Carli, pour leur part, n'ont retenu sur la table que le pain et le vin. On constate une absence quasi totale de mystère chez les Berlinguet, leurs oeuvres s'apparentant davantage à une scène de genre. Quant à côté, c'est essentiellement par la figure mystique du Christ qu'il dépasse le caractère de repas paysan qui se dégage à première vue de son oeuvre.

Ces variations peuvent s'expliquer par l'importance apologétique que l'Église confère au Souper d'Emmaüs. (24) En effet, à travers ce repas, on a longtemps cherché à prouver que le Christ attablé avec deux disciples n'était pas un pur esprit, mais plutôt le Ressuscité, en chair et en os. Dès lors, certains artistes ont accordé plus ou moins d'importance au caractère terrestre et concret du repas à Emmaüs. Par delà la préoccupation apologétique, Thomas Baillairgé a conféré une signification additionnelle à son relief. La présence du serpent de la tentation sous celui-ci lui permet de souligner le triomphe du bien sur le mal à travers le sacrifice eucharistique. Son oeuvre acquiert par le fait même une valeur didactique.

La composition des variantes québécoises du Souper d'Emmaüs contribue en elle-même à leur densité religieuse. Dans chacune d'elles, il y a une recherche de perspective d'où découle une structure axée. Celle-ci permet de souligner une différence de rôle entre le Christ et les disciples. Quant aux accessoires, ils se réduisent presque à l'essentiel et sont subordonnés à la structure du groupe ternaire. La scène se jouant sur deux plans (celui du Christ et celui des disciples) avec un axe fortement marqué, on aboutit à un idéal classique. Par surcroît, les figures latérales, assisses aux deux bouts de la table, se présentent de profil et il en résulte un jeu de courbes plus riche; ce jeu assure un contraste graphique entre la figure axiale du Christ et les figures latérales des disciples.

Un principe d'intimité mystique détermine dès lors la vraie ambiance du Souper d'Emmaüs, tout véritable élément de diversion étant éliminé. C'est ainsi qu'un espace restreint suffit pour fixer l'instant idéal de la transfiguration, c'est-à-dire le moment où les disciples s'aperçoivent en présence de qui ils sont. Dans le relief de l'église Saint-Rémi et dans ceux des Carli, le nimbe rayonnant autour de la tête du Christ vise à accentuer le moment de la transfiguration. Même s'il ne fait pas usage de cette radiance, Baillairgé arrive à un effet analogue en faisant apparaître des anges dans le haut de son relief, tandis que Côté y parvient par le regard céleste du Christ. Cette impression est moins nette dans les oeuvres de Louis-Thomas Berlinguet bien qu'elle soit quand même assurée par la réaction des disciples. En effet, comme dans toutes les versions étudiées, un certain fluide énergétique se dégage du personnage du Christ et délenche chez ses compagnons de vives réactions. On peut dès lors parler de pôle actif et de pôles réactifs, la réaction suivante une ligne soit ascendante (sursaut ou redressement), soit descendante (fléchissement ou mouvement d'agenouillement). Suivant la même veine, on pourrait interpréter ces mouvements comme centripète (on se porte vers le Christ) ou comme centrifuge (on se rejette en arrière). (25)

 
Conclusion

Bien qu'elles ne soient guère diversifiées, les versions du Souper d'Emmaüs que nous avons étudiées sont révélatrices de préoccupations structurales, plastqiues et religieuses. Dans le cas présent, il nous est pas possible de distinguer la part du client de celle du sculpteur dans ces préoccupations. Toutefois, il ne fait aucun doute que si certains sculpteurs ont fait preuve de mimétisme dans leurs oeuvres. ils ont quand même démontré leur originalité par des variations, notamment au niveau de la nature morte. De plus, alors que les uns vont insister sur le caractère religieux du Souper d'Emmaüs, d'autres préféreront laisser place à une scène quasi paysanne se déroulant dans un intérieur québécois. Malgré nos recherches, de nouvelles facettes de ce thème restent sans doute à découvrir, comme en fait foi la curieuse interprétation (fig. 9) apparaissant sur un plan d'autel attribué à David Ouellet (Québec, 1844- Québec, 1915) et probablement dessiné à la fin du XIXe siècle. (26) 

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