Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 2, 1978-1979

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Bacchus et Ariadne, par Antoine-Jean Gros

par Thomas W. Gaehtgens

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Il est encore difficile aujourd'hui de porter un jugement équilibré sur l'oeuvre de Antoine-Jean Gros (1771-1835), du fait que des sommets de génie artistique, d'une part, et une routine sans éclat, de l'autre, sont des traits caractéristiques de cette oeuvre. Même ses contemporains n'ont pu ignorer cette contradiction de sa production artistique. Les amateurs les plus passionnés de ses esquisses, de ses tableaux d'histoire et de ses portraits de l'ère napoléonienne ne prisèrent pas ses oeuvres mythologiques ultérieures, qu'ils considéraient comme une trahison de son talent. Dans l'oeuvre de Gros, le classicisme et le romantisme, dont la signification est devenue si vague aujourd'hui, se heurtent.

L'évolution artistique de Gros ne saurait s'expliquer sans une référence constante à son maître Jacques Louis David (1748-1825) ni sans une dépendance toujours croissante à son égard. Lorsque David, en 1816, fut obligé de s'exiler à Bruxelles, il lui confia la direction de son grand atelier, imposant à ce peintre sensible une responsabilité qui l'accabla. De plus, ce vénéré maître ne cessa d'exercer de loin son influence, lui donnant des conseils et modelant, à sa manière, la production artistique de son élève. C'est ainsi que, par exemple, il écrit à Gros le 27 décembre 1819 ces mots qui le rejoignent à Paris: « Vous voilà l'égal en dignité de vos rivaux...Surpassez-les en talent, vous le pouvez; faites un tableau d'histoire...Vous faites le nu à merveille; un beau pinceau, une belle couleur, que vous faut-il de plus? (1) " L'opinion voulant que Gros soit tombé sous une dépendance artistique étouffant la spontanéité de son talent n'est pas dénuée de fondements.

Maintes et maintes fois, et avec insistance, David invite Gros à se tourner vers la peinture d 'histoire. C'est pourquoi six mois plus tard, le 22 juin 1820, il lui demande:

Etes-vous toujours dans l'intention de faire un grand tableau d'histoire? Je pense que oui. Vous aimez trop votre art pour vous en tenir à des sujets futiles, à des tableaux de circonstances: la postérité, mon ami, est plus sévère; elle exigera de Gros de beaux tableaux d 'histoire...préparez-vous à chausser le cothurne par le tableau que vous devez faire pour le comte de Schoenborn...Le Salon public ne devant s'ouvrir qu'au mois d'avril 1822, vous avez le temps à répondre à l'attente générale. Le temps s'avance et nous vieillissons, et vous n'avez pas encore fait ce qu' on appelle un vrai tableau d'histoire. (2)

Par "tableau d'histoire", David n'a pu faire allusion qu'à une scène mythologique ou à une scène de l'histoire ancienne . Il est possible que Bacchus et Ariane, de la Galerie nationale du Canada (fig. 1), ait correspondu à l'attente de David. Cependant, l'époque n'étant guère favorable aux tableaux d'histoire, l'oeuvre n'a pas rapporté à Gros que des louanges et des approbations.

Nous connaissons deux versions de ce tableau qui ne présentent guère de différences dans l'exécution. La première, signée et datée de 1821, fut peinte pour le comte Erwin von Schoenborn qui destinait le tableau à sa collection de Mayence. Il s'agit du tableau dont parle David dans la lettre citée plus haut; cette oeuvre fait partie depuis quelques années de la Phoenix Art Museum Collection. (3) Gros a exécuté lui-même une réplique de ce tableau que David, alors à Bruxelles, désirait voir, comme ille dit dans une lettre du 1er avril 1821:

Parlons de vous, mon bon ami, vous venez donc de terminer votre tableau de Bacchus et Ariane. Vous ne doutez pas du plaisir que j'aurais de le voir, mais je suis habitué depuis longtemps aux privations. Celle-ci n'est pas la moindre. Patience, il faut souffrir pour une si belle cause. (4)
C'est au Salon de 1822 que Gros exposa, sous le no 616, cette réplique. (5)

Bacchus et Ariane,
composition de demi-figures, montre une Ariane pleurant dans l'île de Naxos après avoir été abandonnée par Thésée, fùs d'Egée, dont elle était amoureuse et qui avait été jeté avec ses compagnons dans le Labyrinthe de Cnossos. Ayant tué le Minotaure, il parvint à trouver la sortie grâce à la pelote de fil qu'Ariane lui avait donnée. Après avoir enlevée Ariane, il l'abandonna dans l'île. Les yeux pleins de larmes, la déesse nue montre le voilier à l'arrière-plan qui emporte le fùs du roi vers de nouveaux exploits héroïques. Ariane a été délaissée mais elle a vite trouvé un nouvel amant qui l'a déjà prise dans ses bras et tente de la consoler. Bacchus, fils de Jupiter et de Sémélé, de retour après avoir conquis l'Inde, passe par Naxos. Il apprend le malheur d'Ariane, lui déclare bientôt son amour et l'épouse. (6)

Un chagrin d'amour vite oublié et une nouvelle liaison qui s'annonce, voilà le thème principal du tableau. Ariane, dont le vêtement ne couvre que le bas du corps, se présente de face et montre de sa main droite la cause de son malheur. Dans sa main gauche, elle tient déjà la couronne d'étoiles qu'elle recevra d'Héphaïstos lors de son mariage. Elle semble s'être enveloppée d'un voile que le vent a soulevé et que retiennent sa tête et le thyrse que, derrière elle, Bacchus tient de la droite, tandis que sa main gauche touche tendrement le bras gauche d'Ariane. Une couronne de pampre dans ses cheveux et une panthère à droite indiquent qu'il est le dieu du vin revenant de l'Inde. Avec tendresse, il tourne vers Ariane son visage que l'on voit de profil.

Ici, Gros a tenté de fixer le moment où Ariane passe d'une liaison à une autre; son visage exprime autant la douleur de la séparation et la déception de voir son amant s'enfuir que l'espoir d'être aimée et la joie d'avoir trouvé un consolateur. La composition du tableau, où les deux personnages montrent par leurs gestes qu'ils s'appartiennent déjà l'un à l'autre, correspond au récit. L'attitude d'Ariane, un peu affaissée, révèle autant la douleur que le don qu'elle fait d'elle-même à son nouvel amant. En montrant le voilier dans le lointain, elle n'exprime ni la colère ni la réprobation et si elle se retournait, le voile lui cacherait la vue du fugitif. Mais elle ne se retourne pas et répond à l'étreinte de Bacchus. Déjà sa main gauche a saisi la couronne d'étoiles qui symbolise son union avec Bacchus. L'expression de son visage, sur lequel un sourire et des larmes se confondent, correspond bien aux motifs qui inspirent ses gestes.

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