Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 2, 1978-1979

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Bacchus et Ariadne, par Antoine-Jean Gros

par Thomas W. Gaehtgens

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Ces deux figures, de grandeur naturelle, peintes jusqu'aux genoux dans un fond de paysage dont la mer borne l'horizon, sont éclatantes de couleur et de vérité. Cette allégorie déjà un peu ancienne, et souvent employée comme pour offrir aux artistes l'occasion d'opposer deux natures de formes et de tons divers, est rajeunie ici par M. Gros, à force de perfection dans l'exécution matérielle. Il semble que débarrassé du soin de l'invention, tout le génie du peintre se soit reployé sur le faire. Le charme et la naïveté des détails sont au-dessus de tout éloge, particulièrement dans le torse de la femme. Un bras qu'elle abandonne déjà au dieu qui la console est un chef-d'oeuvre d'imitation pittoresque: c'est la nature même, et la plus belle, la plus voluptueuse nature. L'expression ne manque point au masque d'Ariane. Un sourire et des larmes se confondent sur ses traits. Toute la femme est judicieusement accusée par ce maintien. Le geste dont elle montre Thésée fugitif n'est pas même exempt de malice; car la main étendue replie le pouce, le médius et l'annulaire pour ne porter vers l'ingrat que l'index et le petit doigt, M. Gros s'est bien gardé, à la manière des peintres de genre, de soigner les accessoires et les raisins dont Bacchus se couronne; il a pensé que c'était une grossière idée que de placer dans le vin les consolations de la victime. En homme d'esprit et en peintre d'histoire, c'est le consolateur qu'il a fait beau. (35)
À ces jugements positifs s'oppose du reste la dure critique de ceux qui avaient considéré les tableaux napoléoniens antérieurs de Gros comme un recommencement. Bacchus et Ariane est un tableau qui fait regretter la peinture de l'histoire napoléonienne, inspirée de Rubens. Des artistes comme Géricault et Delacroix avaient admiré Gros parce que, dans son oeuvre, il avait su communiquer son enthousiasme de peintre directement engagé. Selon eux, Bacchus et Ariane n'était rien d'autres qu'une étude d'académie et Gros retombait dans une doctrine que l'on croyait déjà dépassée. Delacroix ne pouvait pas admettre cela; ce changement était pour lui un compromis auquel Gros consentait malgré ses convictions artistiques, d'où le jugement qu'il porta en 1848 dans son article célèbre de la Revue des Deux-Mondes: « Bacchus et Ariane s'éloignait encore plus des anciens ouvrages du grand peintre et on y remarquait plus d'afféterie que de délicatesse. » (36) Delacroix a compris, avec beaucoup de discernement, que le conflit entre le romantisme et le classicisme était la grande tragédie de Gros. Malgré bien des critiques, les contemporains ont admis la valeur de ce tableau, qui se trouve à la Galerie nationale du Canada, et ont rendu justice à sa volonté de rester fidèle à la doctrine de David. Mais la fois de Gros en David, qui se maintient aussi dans ses oeuvres ultérieures, l'a sans doute conduit à évoluer dans un sens de plus en plus contraire à sa propre nature. Il est bien naturel qu'il soit devenu de plus en plus sensible à la critique et qu'il ait finalement cru que le suicide était l'unique solution.

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