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Bacchus et Ariadne, par Antoine-Jean Gros
par Thomas W. Gaehtgens
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Sur ce point, Gros n'a pas suivi David. Son tableau met au centre de l'action des personnages peints d'après des modèles; l'expression
d'Ariane est sentimentale et rappelle les oeuvres de Vien au début
de l'époque classique tandis que la tête de Bacchus est imitée
de l'Antiquité. Du reste, le fossé entre les deux générations
apparaît clairement si l'on compare Ariane à la femme qui
pleure dans
L'Amour fuyant l'esclavage de Vien (fig. 7) exposé
au Salon de 1789. (20) Dans le tableau de Gros, Ariane n'est pas pathétique
et baroque mais sentimentale, tandis que la description de son corps
est érotique, ce qui crée un contraste singulier.
Le tableau de Gros semble friser le maniérisme. Quand les disciples de David peignent
des thèmes érotiques, ils n'obéissent, en apparence, qu'aux règles décelées par David dans la sculpture
antique, la haute Renaissance et Poussin. En vérité, ils
trouvent qu'en dépassant le rendu naturel des figures pour des formes
sensuelles et élégantes, ils réussissent à
en mieux capter le contenu psychologique. Mais, dans cette phase maniériste
du classicisme français, il reste à savoir si les tableaux
des maniéristes italiens et ceux de l'École de Fontainebleau
ont réussi à jouer un grand rôle.
Après 1800, les
sujets érotiques inspirés de la mythologie sont de plus en
plus populaires.
Iris et Morphée et Aurore et Céphale (Leningrad, Musée de
l'Ermitage) de Pierre Guérin (1774-1833) furent également peints pour le prince Youssoupoff et sont
des exemples caractéristiques de ce genre. (21) Sous la Restauration,
on constate une diminution des commandes de tableaux d 'histoire officielle
et une augmentation des sujets érotiques inspirés de la mythologie.
Au Salon de 1822, outre les tableaux de Gros et d'autres encore, on trouve
Céphale enlevé par l'Aurore
(fig. 8) de Pierre Claude
François Delorme (22) et
Apollon et Cyparisse (fig. 9) de Claude-Marie Dubufe. (23) Dans celui de Dubufe, le port de tête d'Apollon et son
profil inspiré de l'Antiquité présentent une certaine
ressemblance avec le Bacchus de Gros. Cependant, chez Dubufe et Delorme,
élève de Girodet, les personnages au type élancé,
peints sobrement et avec finesse, l'utilisation d'effets de lumière
et d'ombre et le violent contraste des couleurs donnent à la scène
quelque chose d'irréel, tandis que chez Gros la peinture des corps
évoquant trop des études d'académie est décidément
bien peu immatérielle.
Le tableau, qui par son sujet et sa composition semble le plus comparable, est encore une
oeuvre de son
maître Jacques Louis David. Ce peintre avait reçu lui aussi
une commande du comte de Schoenborn et l'on pourrait, en effet, se demander
si les deux toiles de Gros et de David ne furent conçues pour être
des pendants. (24) David choisit un sujet inspiré librement des
Aventures
de Télémaque par Fénélon. Déjà
en 1818, donc avant le tableau de Gros, il acheva son
Télémaque
et Eucharis (fig. 10), composition également en demi-figures.
En 1822, il en fit lui aussi une réplique qui jadis était
dans la collection de M. Alfred Didot. (25)
Il est évident que Gros s'inspira du tableau de son maître. L'arrangement des deux figures
est très semblable bien que chez David l'amant se tourne vers le
spectateur. Mais mis à part les rapports étroits, l'on ne
doit pas négliger la différence d'expression des deux tableaux.
Ce qui apparaît naturel, bien que conçu d'après
un idéal de mouvements harmonieux, fut transformé par Gros dans un sentimentalisme
étranger à David. Du reste, les critiques du Salon de 1822 avaient
été pressionnés défavorablement.
Dans son compte rendu détaillé paru dans le Moniteur, E. J. Delécluze avait surtout déploré le déclin du tableau
d'histoire au profit du genre mythologique:
Vous vous plaignez que le genre de 1'histoire brille d'un faible
éclat cette année. Je vous accorde ce point: mais m'assurez-vous qu'aux expositions précédentes,
et lorsque des ouvrages d'un style élevé commandaient à
juste titre votre attention, vous n'alliez pas de préférence l'accorder à des petits
tableaux galants où l'on prend à tâche de nous prouver que les faiblesses
du coeur sont des actes d'héroïsme, où l'on peint les héros
en négligé; où le fini des meubles le dispute à celui des personnages,
et autres puérilités de cette espèce? On ne fait bien que le genre, à Delorme,
présent, dites-vous. Eh! à qui la faute? Pensez-vous qu'un artiste qui, définitivement ne vit pas
de l'air du temps, épuisera sa bourse et passera deux années à vous faire un grand tableau
d'histoire que vous ne regarderez peut-être pas, tandis qu'il en peut faire dix (de
genre) qu'à coup sûr, vous lui payerez au-delà de la
valeur? (26)
Delécluze fait ici allusion aux conditions dans lesquelles les artistes, devaient
vivre sous la Restauration et qui favorisaient: le developpement de la.peinture de
genre. Les nouveaux intérêts des clients et du public ont, à son
avis, « puissamment contribué depuis dix ans à affaiblir
l'école, ce qui me paraît une vérité
incontestable. » (27) Il constate un déclin de la peinture qui est
devenu visible après le départ de David pour l'exil: « Nous
sommes sur la pente: les principes de l'École régénérée
s'oublient tous les jours davantage. Le genre envahit tout, c'est
là qu'on trouve aujourd'hui tous les efforts d'imagination et de
talent concentrés, c'est enfin le côté brillant de notre École
en 1822...(28) »
Sans doute, il reconnaît qu'il y a aussi, au Salon de 1822,
des tableaux de
genre réussis, parmi lesquels il donne une place particulière aux tableaux de Gros, meme s'il
déplore dans
son analyse approfondie le manque d'un concept unitaire et d'un atelier capable de
créer un style. Delécluze ajoute: « Ce qui me paraît évident,
d'après l'examen que je viens de faire de
plusieurs ouvrages exposés au Salon, c'est qu'il n'y a pas d'école principale
à laquelle on se rattache en France...(29) », bien entendu qu'il pense au temps
où David dominait la scène.
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