Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 2, 1978-1979

Accueil
English
Introduction
Histoire
Index annuel
Auteur et Sujet
Crédits
Contact


Cliquez figure 7 ici pour une image agrandie







Cliquez figure 8 ici pour une image agrandie







Cliquez figure 9 ici pour une image agrandie

Bacchus et Ariadne, par Antoine-Jean Gros

par Thomas W. Gaehtgens

Pages  1  |  2  |  3  |  4  |  5  |  6

Sur ce point, Gros n'a pas suivi David. Son tableau met au centre de l'action des personnages peints d'après des modèles; l'expression d'Ariane est sentimentale et rappelle les oeuvres de Vien au début de l'époque classique tandis que la tête de Bacchus est imitée de l'Antiquité. Du reste, le fossé entre les deux générations apparaît clairement si l'on compare Ariane à la femme qui pleure dans L'Amour fuyant l'esclavage de Vien (fig. 7) exposé au Salon de 1789. (20) Dans le tableau de Gros, Ariane n'est pas pathétique et baroque mais sentimentale, tandis que la description de son corps est érotique, ce qui crée un contraste singulier.

Le tableau de Gros semble friser le maniérisme. Quand les disciples de David peignent des thèmes érotiques, ils n'obéissent, en apparence, qu'aux règles décelées par David dans la sculpture antique, la haute Renaissance et Poussin. En vérité, ils trouvent qu'en dépassant le rendu naturel des figures pour des formes sensuelles et élégantes, ils réussissent à en mieux capter le contenu psychologique. Mais, dans cette phase maniériste du classicisme français, il reste à savoir si les tableaux des maniéristes italiens et ceux de l'École de Fontainebleau ont réussi à jouer un grand rôle.

Après 1800, les sujets érotiques inspirés de la mythologie sont de plus en plus populaires. Iris et Morphée et Aurore et Céphale (Leningrad, Musée de l'Ermitage) de Pierre Guérin (1774-1833) furent également peints pour le prince Youssoupoff et sont des exemples caractéristiques de ce genre. (21) Sous la Restauration, on constate une diminution des commandes de tableaux d 'histoire officielle et une augmentation des sujets érotiques inspirés de la mythologie. Au Salon de 1822, outre les tableaux de Gros et d'autres encore, on trouve Céphale enlevé par l'Aurore (fig. 8) de Pierre Claude François Delorme (22) et Apollon et Cyparisse (fig. 9) de Claude-Marie Dubufe. (23) Dans celui de Dubufe, le port de tête d'Apollon et son profil inspiré de l'Antiquité présentent une certaine ressemblance avec le Bacchus de Gros. Cependant, chez Dubufe et Delorme, élève de Girodet, les personnages au type élancé, peints sobrement et avec finesse, l'utilisation d'effets de lumière et d'ombre et le violent contraste des couleurs donnent à la scène quelque chose d'irréel, tandis que chez Gros la peinture des corps évoquant trop des études d'académie est décidément bien peu immatérielle.

Le tableau, qui par son sujet et sa composition semble le plus comparable, est encore une oeuvre de son maître Jacques Louis David. Ce peintre avait reçu lui aussi une commande du comte de Schoenborn et l'on pourrait, en effet, se demander si les deux toiles de Gros et de David ne furent conçues pour être des pendants. (24) David choisit un sujet inspiré librement des Aventures de Télémaque par Fénélon. Déjà en 1818, donc avant le tableau de Gros, il acheva son Télémaque et Eucharis (fig. 10), composition également en demi-figures. En 1822, il en fit lui aussi une réplique qui jadis était dans la collection de M. Alfred Didot. (25)

Il est évident que Gros s'inspira du tableau de son maître. L'arrangement des deux figures est très semblable bien que chez David l'amant se tourne vers le spectateur. Mais mis à part les rapports étroits, l'on ne doit pas négliger la différence d'expression des deux tableaux. Ce qui apparaît naturel, bien que conçu d'après un idéal de mouvements harmonieux, fut transformé par Gros dans un sentimentalisme étranger à David. Du reste, les critiques du Salon de 1822 avaient été pressionnés défavorablement.

Dans son compte rendu détaillé paru dans le Moniteur, E. J. Delécluze avait surtout déploré le déclin du tableau d'histoire au profit du genre mythologique:

Vous vous plaignez que le genre de 1'histoire brille d'un faible éclat cette année. Je vous accorde ce point: mais m'assurez-vous qu'aux expositions précédentes, et lorsque des ouvrages d'un style élevé commandaient à juste titre votre attention, vous n'alliez pas de préférence l'accorder à des petits tableaux galants où l'on prend à tâche de nous prouver que les faiblesses du coeur sont des actes d'héroïsme, où l'on peint les héros en négligé; où le fini des meubles le dispute à celui des personnages, et autres puérilités de cette espèce? On ne fait bien que le genre, à Delorme, présent, dites-vous. Eh! à qui la faute? Pensez-vous qu'un artiste qui, définitivement ne vit pas de l'air du temps, épuisera sa bourse et passera deux années à vous faire un grand tableau d'histoire que vous ne regarderez peut-être pas, tandis qu'il en peut faire dix (de genre) qu'à coup sûr, vous lui payerez au-delà de la valeur? (26)
Delécluze fait ici allusion aux conditions dans lesquelles les artistes, devaient vivre sous la Restauration et qui favorisaient: le developpement de la.peinture de genre. Les nouveaux intérêts des clients et du public ont, à son avis, « puissamment contribué depuis dix ans à affaiblir l'école, ce qui me paraît une vérité 
incontestable. » (27) Il constate un déclin de la peinture qui est devenu visible après le départ de David pour l'exil: « Nous sommes sur la pente: les principes de l'École régénérée s'oublient tous les jours davantage. Le genre envahit tout, c'est là qu'on trouve aujourd'hui tous les efforts d'imagination et de talent concentrés, c'est enfin le côté brillant de notre École en 1822...(28) » 

Sans doute, il reconnaît qu'il y a aussi, au Salon de 1822, des tableaux de genre réussis, parmi lesquels il donne une place particulière aux tableaux de Gros, meme s'il déplore dans son analyse approfondie le manque d'un concept unitaire et d'un atelier capable de créer un style. Delécluze ajoute: « Ce qui me paraît évident, d'après l'examen que je viens de faire de plusieurs ouvrages exposés au Salon, c'est qu'il n'y a pas d'école principale à laquelle on se rattache en France...(29) », bien entendu qu'il pense au temps où David dominait la scène.

Page Suivante | un jugement détaillé et très précis
 
1  |  2  |  3  |  4  |  5  |  6

Haut de la page


Accueil | English | Introduction | Histoire
Index annuel
| Auteur et Sujet | Crédits | Contact

Cette collection numérisée a été produite aux termes d'un contrat pour le compte du programme des Collections numérisées du Canada, Industrie Canada.

"Programme des Collections numérisées, droit d'auteur © Musée des beaux-arts du Canada 2001"