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Bacchus et Ariadne, par Antoine-Jean Gros
par Thomas W. Gaehtgens
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Ce tableau, qui représente les personnages à peu près
grandeur nature, est peint en couleurs claires et brillantes. Seule la couleur
chair d'Ariane a paru trop forcée aux contemporains.
Son corps est modelé avec beaucoup de soin. Une vive lumière l'inonde
tandis que son visage et son épaule restent dans l'ombre du voile qui tamise les rayons
du soleil. La représentation des chairs rend vraisemblable la sensualité
avec laquelle son amant se tourne vers elle. Bacchus semble débordant de force mais la finesse de ses
doigts contraste un peu avec la vigueur de son bras. Le dieu du vin est revêtu d'une cape
rouge qui s'accorde bien avec le blanc du voile et le jaune clair du vêtement d'Ariane.
Ces couleurs claires
entourent les personnages qui se penchent l'un vers l'autre. La disposition des points
personnages, la description de leurs mouvements et l'arrangement des couleurs contribuent à mettre en relief le sujet
du tableau. Les attributs qui distinguent les figures, nommément le vaisseau dans le
lointain, le thyrse,
la panthère et la couronne étoilée sont en marge du tableau (les étoiles
sont répétées sur le cadre). La sensualité dans la représentation
des corps est ici un élément important et il semble que Gros ait voulu lui
donner une double signification: d'une part, elle explique les tendres sentiments que Bacchus éprouve
à l'égard d'Ariane et, symbol elle introduit un sujet érotique destiné
à plaire aux spectateurs qu'Ariane cherche à charmer par son
regard.
En analysant de façon
détaillée Bacchus et Ariane, on découvre sa structure subtile
et compliquée. Rares sont les contemporains de Gros qui comprirent et apprécièrent
son effort pour saisir ce
« moment fécond » de la scène d'amour
mythologique.
Si l'on examine la tradition relative au sujet, on se rend compte que l'artiste a su ajouter
une dimension psychologique que les tableaux des siècles antérieurs ne
possèdent pas.
Nous ne savons pas si c'est le comte Schoenborn qui avait lui-même fixé le sujet
ou, ce
qui est plus probable, avait seulement commandé à Gros un tableau d'histoire
sur un thème mythologique. Quoi qu'il en soit, Gros disposait, pour la conception de son tableau, d'une
longue tradition iconographique. L'histoire de Bacchus et d'Ariane est l'une des scènes
d'amour peintes fréquemment depuis la Renaissance et l'on peut distinguer
plusieurs types de représentations. (7) Gros n'a pas choisi la première rencontre
de Bacchus et d'Ariane telle que peinte par Ariadne's Titien pour les
« camerini d'alabastro » du duc
Alphonse 1er de Ferrare. (8) Dans ce tableau, Bacchus saute de son char pour saluer
Ariane. (9) Non plus Gros a-t-il imité
la représentation très répandue à l'époque baroque, selon
laquelle Vénus conduit Ariane pleurant à Bacchus, une scène que Guido Reni
(1575-1642) a décrite en deux tableaux. (10)
Au contraire, il a choisi la scène d'amour, le genre le plus thyrsus, répandu en France. Charles Joseph Natoire avait déjà peint les
deux amoureux pour un salon du château de Marly (fig. 2). (11) Cette toile,
exposée au Salon de 1743, ne montre que Bacchus et Ariane, assis
paisiblement l'un à côté de l'autre. Les deux sont
grandeur naturelle et Ariane passe son bras gauche autour des épaules
de Bacchus. Là aussi, ils se tournent l'un vers l'autre. Comme chez Gros, Ariane tient une couronne à la main.
Le tableau de Louis Jean François Lagrenée,
dit l'Aîné (fig. 3),
qui a été exposé au Salon de 1769 et qui est aujourd'hui au Musée national de Stockholm, appartient à la même
tradition mais la forme y est déjà plus concentrée. (12) Lagrenée renonce en grande partie aux accessoires à l'aide
desquels Natoire avait composé un paysage arcadien. À l'époque
qui a précédé David, Joseph Marie Vien (1716-1809),
un contemporain de Lagrenée, a lui aussi contribué à
répandre les nouvelles formes classiques.
Il est cependant significatif que Diderot n'ait pas porté un jugement particulièrement
positif sur les tableaux de Lagrenée au Salon de 1769. Le reproche
qu'il fait en général est « qu'il n 'y a ni vie ni expression
». Au sujet de
Bacchus et Ariane il dit peu mais ce qu'il
dit est pertinent:
Mais regardez donc ce bras gauche d'Ariane, il est d'un roide insupportable. Elle a le visage
noir et sans passages. Le Bacchus vise au saint Jean. Et cet Amour, que fait-il là? On dirait que l'artiste, n'ayant pas su mettre l'Amour en
eux, l'a mis a cote d'eux...(13)
Cette dernière et très exacte remarque annonce de nouvelles manières de
représenter le sujet. Par rapport à ses précurseurs
du XVIIIe s., Gros a fait progresser la représentation de ce thème.
En utilisant des demi-figures grandeur naturelle, il donne à la
scène d'amour un caractère monumental et la rapproche du
spectateur. Il renonce à décrire la scène d'amour
dans un cadre arcadien pour illustrer, en faisant appel à la psychologie,
le changement d'amants d'Ariane.
Malheureusement, il ne reste pas d'études qui auraient pu nous renseigner sur la composition
du tableau. Deux dessins, qui se trouvent à la Galerie nationale
du Canada, nous montrent l'oeuvre déjà sous sa forme définitive.
Une des études est un dessin à la plume et à l'encre
(fig. 4) où l'artiste indique les couleurs prévues 14, tandis que
l'autre est un dessin à la pierre noire signé et daté: Gros. Brux.
1821 (fig. 5). Ces indications permettent de conclure qu'il exécuta ce dessin lors
de sa visite à Bruxelles en 1821 pour expliquer à son maître
la composition de son tableau. Il laissa ce dessin à David, puisque
plus tard on le retrouve dans la collection de J. Lo David, son
petit-fils. (15)
Le catalogue de vente de la succession de Gros mentionne deux autres études concernant
Bacchus et Ariane, l'une « au fusain et au crayon blanc sur une
toile imprimée », (16) fut acquise pour 32,50 francs par J o Bo Delestre,
tandis que l'autre « au crayon noir » (17) fut acheté pour 29 francs
par Mo Delaverne. Ces deux dessins auraient peut-être pu montrer
les différentes étapes de la conception du tableau.
En ce qui concerne ce tableau, Gros doit surtout son inspiration à la formation reçue
de David dont l'influence sur lui devient de plus en plus forte au cours
des dernières années de sa vie. Déjà en 1809,
David avait peint
Sapho et Phaon (fig. 6) pour le prince Youssoupoff,
scène d'amour mythologique suivant le style Empire; il devait continuer
à développer ce thème avec
Psyché et l'Amour (1817; Cleveland) et
Mars désarmé par Vénus
et les Grâces (1824: Bruxelles, Musée Royal des Beaux-Arts)
qui est postérieur au tableau de Gros. (18) Dans ces tableaux, David laissait de côté
l'histoire héroïque et représentait
les mythologies dans un cadre contemporain en se servant de reconstitutions
archéologiques aussi précises que possible, comme il avait
déjà essayé de le faire en 1788 avec
Pâris
et Hélène (Louvre). « David s'efforce de donner un visage
quotidien aux héros de la mythologie », comme le dit Antoine Schnapper.
(19)
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