Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 2, 1978-1979

Accueil
English
Introduction
Histoire
Index annuel
Auteur et Sujet
Crédits
Contact


Cliquez figure 1 ici pour une image agrandie







Cliquez figure 3 ici pour une image agrandie






Cliquez figure 4 ici pour une image agrandie






Cliquez figure 5 ici pour une image agrandie






Cliquez figure 6 ici pour une image agrandie

Bacchus et Ariadne, par Antoine-Jean Gros

par Thomas W. Gaehtgens

Pages  1  |  2  |  3  |  4  |  5  |  6

Ce tableau, qui représente les personnages à peu près grandeur nature, est peint en couleurs claires et brillantes. Seule la couleur chair d'Ariane a paru trop forcée aux contemporains. Son corps est modelé avec beaucoup de soin. Une vive lumière l'inonde tandis que son visage et son épaule restent dans l'ombre du voile qui tamise les rayons du soleil. La représentation des chairs rend vraisemblable la sensualité avec laquelle son amant se tourne vers elle. Bacchus semble débordant de force mais la finesse de ses doigts contraste un peu avec la vigueur de son bras. Le dieu du vin est revêtu d'une cape rouge qui s'accorde bien avec le blanc du voile et le jaune clair du vêtement d'Ariane. Ces couleurs claires entourent les personnages qui se penchent l'un vers l'autre. La disposition des points personnages, la description de leurs mouvements et l'arrangement des couleurs contribuent à mettre en relief le sujet du tableau. Les attributs qui distinguent les figures, nommément le vaisseau dans le lointain, le thyrse, la panthère et la couronne étoilée sont en marge du tableau (les étoiles sont répétées sur le cadre). La sensualité dans la représentation des corps est ici un élément important et il semble que Gros ait voulu lui donner une double signification: d'une part, elle explique les tendres sentiments que Bacchus éprouve à l'égard d'Ariane et, symbol elle introduit un sujet érotique destiné à plaire aux spectateurs qu'Ariane cherche à charmer par son regard.

En analysant de façon détaillée Bacchus et Ariane, on découvre sa structure subtile et compliquée. Rares sont les contemporains de Gros qui comprirent et apprécièrent son effort pour saisir ce 
« moment fécond » de la scène d'amour mythologique. Si l'on examine la tradition relative au sujet, on se rend compte que l'artiste a su ajouter une dimension psychologique que les tableaux des siècles antérieurs ne possèdent pas.

Nous ne savons pas si c'est le comte Schoenborn qui avait lui-même fixé le sujet ou, ce qui est plus probable, avait seulement commandé à Gros un tableau d'histoire sur un thème mythologique. Quoi qu'il en soit, Gros disposait, pour la conception de son tableau, d'une longue tradition iconographique. L'histoire de Bacchus et d'Ariane est l'une des scènes d'amour peintes fréquemment depuis la Renaissance et l'on peut distinguer plusieurs types de représentations. (7) Gros n'a pas choisi la première rencontre de Bacchus et d'Ariane telle que peinte par Ariadne's Titien pour les « camerini d'alabastro » du duc Alphonse 1er de Ferrare. (8) Dans ce tableau, Bacchus saute de son char pour saluer Ariane. (9) Non plus Gros a-t-il imité la représentation très répandue à l'époque baroque, selon laquelle Vénus conduit Ariane pleurant à Bacchus, une scène que Guido Reni (1575-1642) a décrite en deux tableaux. (10)

Au contraire, il a choisi la scène d'amour, le genre le plus thyrsus, répandu en France. Charles Joseph Natoire avait déjà peint les deux amoureux pour un salon du château de Marly (fig. 2). (11) Cette toile, exposée au Salon de 1743, ne montre que Bacchus et Ariane, assis paisiblement l'un à côté de l'autre. Les deux sont grandeur naturelle et Ariane passe son bras gauche autour des épaules de Bacchus. Là aussi, ils se tournent l'un vers l'autre. Comme chez Gros, Ariane tient une couronne à la main.

Le tableau de Louis Jean François Lagrenée, dit l'Aîné (fig. 3), qui a été exposé au Salon de 1769 et qui est aujourd'hui au Musée national de Stockholm, appartient à la même tradition mais la forme y est déjà plus concentrée. (12) Lagrenée renonce en grande partie aux accessoires à l'aide desquels Natoire avait composé un paysage arcadien. À l'époque qui a précédé David, Joseph Marie Vien (1716-1809), un contemporain de Lagrenée, a lui aussi contribué à répandre les nouvelles formes classiques.

Il est cependant significatif que Diderot n'ait pas porté un jugement particulièrement positif sur les tableaux de Lagrenée au Salon de 1769. Le reproche qu'il fait en général est « qu'il n 'y a ni vie ni expression ». Au sujet de Bacchus et Ariane il dit peu mais ce qu'il dit est pertinent:

Mais regardez donc ce bras gauche d'Ariane, il est d'un roide insupportable. Elle a le visage noir et sans passages. Le Bacchus vise au saint Jean. Et cet Amour, que fait-il là? On dirait que l'artiste, n'ayant pas su mettre l'Amour en eux, l'a mis a cote d'eux...(13)
Cette dernière et très exacte remarque annonce de nouvelles manières de représenter le sujet. Par rapport à ses précurseurs du XVIIIe s., Gros a fait progresser la représentation de ce thème. En utilisant des demi-figures grandeur naturelle, il donne à la scène d'amour un caractère monumental et la rapproche du spectateur. Il renonce à décrire la scène d'amour dans un cadre arcadien pour illustrer, en faisant appel à la psychologie, le changement d'amants d'Ariane.

Malheureusement, il ne reste pas d'études qui auraient pu nous renseigner sur la composition du tableau. Deux dessins, qui se trouvent à la Galerie nationale du Canada, nous montrent l'oeuvre déjà sous sa forme définitive. Une des études est un dessin à la plume et à l'encre (fig. 4) où l'artiste indique les couleurs prévues 14, tandis que l'autre est un dessin à la pierre noire signé et daté: Gros. Brux. 1821 (fig. 5). Ces indications permettent de conclure qu'il exécuta ce dessin lors de sa visite à Bruxelles en 1821 pour expliquer à son maître la composition de son tableau. Il laissa ce dessin à David, puisque plus tard on le retrouve dans la collection de J. Lo David, son petit-fils. (15)

Le catalogue de vente de la succession de Gros mentionne deux autres études concernant Bacchus et Ariane, l'une « au fusain et au crayon blanc sur une toile imprimée », (16) fut acquise pour 32,50 francs par J o Bo Delestre, tandis que l'autre « au crayon noir » (17) fut acheté pour 29 francs par Mo Delaverne. Ces deux dessins auraient peut-être pu montrer les différentes étapes de la conception du tableau.

En ce qui concerne ce tableau, Gros doit surtout son inspiration à la formation reçue de David dont l'influence sur lui devient de plus en plus forte au cours des dernières années de sa vie. Déjà en 1809, David avait peint Sapho et Phaon (fig. 6) pour le prince Youssoupoff, scène d'amour mythologique suivant le style Empire; il devait continuer à développer ce thème avec Psyché et l'Amour (1817; Cleveland) et Mars désarmé par Vénus et les Grâces (1824: Bruxelles, Musée Royal des Beaux-Arts) qui est postérieur au tableau de Gros. (18) Dans ces tableaux, David laissait de côté l'histoire héroïque et représentait les mythologies dans un cadre contemporain en se servant de reconstitutions archéologiques aussi précises que possible, comme il avait déjà essayé de le faire en 1788 avec Pâris et Hélène (Louvre). « David s'efforce de donner un visage quotidien aux héros de la mythologie », comme le dit Antoine Schnapper. (19)

Page Suivante | sur ce point, Gros n'a pas suivi David

1
  |  2  |  3  |  4  |  5  |  6

Haut de la page


Accueil | English | Introduction | Histoire
Index annuel
| Auteur et Sujet | Crédits | Contact

Cette collection numérisée a été produite aux termes d'un contrat pour le compte du programme des Collections numérisées du Canada, Industrie Canada.

"Programme des Collections numérisées, droit d'auteur © Musée des beaux-arts du Canada 2001"