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À propos de Parachutes végétaux
de Paul-Émile Borduas. Essai de définition
du « surréalisme » pictural de Borduas
par François-Marc Gagnon
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Toutefois, comme l'huile sèche lentement et ne jouit pas d'une grande
viscosité (tout le monde connaît le sens de l'expression
« faire tache d'huile »), il est impossible d'arriver à
ce résultat avec la même rapidité que la gouache. Il
faut attendre qu'une surface colorée ait séché avant
de lui en juxtaposer une autre, si on veut éviter que les couleurs
s'entrepénètrent et se brouillent le long de la ligne de
contact. Le seul tableau à l'huile peint par Borduas en 1942 est
intitulé Le bateau fantasque (fig. 4; parfois Le bateau
ivre) et ressemble beaucoup aux gouaches par son style. Il a été
peint en respectant les temps de séchage pour chaque surface colorée
contiguë. Borduas ne poursuivra pas dans cette direction, parce
que ce procédé ne lui permettait pas de sauver l'unité
de temps de composition et la rapidité d'exécution qu'il
avait expérimentées dans ses gouaches. Mais comment maintenir
ces qualités tout en recourant à l'huile?
Le problème que Borduas
se posait alors était un problème classique pour la peinture
surréaliste. On se l'était posé avant lui, surtout
dans le camp des peintres surréalistes que William S. Rubin a qualifié
d'« abstraits » pour les opposer aux Dali, Magritte, Delvaux,
etc., que nous associons peut-être trop exclusivement à ce
mouvement. André Masson et Joan Miró en particulier avaient été
confrontés dès le milieu des années 1920 à
la même question: comment transposer à l'huile la spontanéité
du dessin automatique?
C'est durant l'hiver 1926-1927
qu'André Masson élabora une réponse originale à
cette question, comme l'expliqua William S. Rubin: « Au cours de
l'hiver 1926-1927 Masson s'efforça de trouver un moyen d'enrichir
ses toiles des découvertes du dessin automatique...Mais la peinture
résistait de façon obstinée à la rapidité
et au développement des lignes automatistes que recherchait Masson.
La nécessité d'une constante recharge du pinceau brisait
la continuité de la ligne aussi bien que l'unité de l'impulsion,
tandis que le coup de pinceau empêchait une exécution aussi
rapide qu'à la plume et au crayon. » (1)
Masson devait sortir de l'impasse
dans l'étonnante série de peintures sur sable qui l'occupèrent
en 1927 (voir fig. 5). Il répandit d'abord de la colle sur la toile
en des zones délimitées avec le doigt. Il saupoudrait alors
de sable l'ensemble de la surface, mais en secouant ensuite la toile au-dessus
du vide, il s'arrangeait pour que seuls les endroits collants soient recouverts de sable. Quand ce «
fond » avait séché,
Masson y « dessinait », à l'aide d'une seringue de pâtissier
remplie de peinture à l'huile, des lignes continues semblables à
celles qu'il aurait pu dessiner au crayon ou à la plume. Cette façon
de procéder avait un grand avantage plastique. Même si techniquement les traitements du fond et des formes étaient
dissociés
en deux étapes, le résultat des deux opérations était
unifié. À cause de ses irrégularités, le
fond appelait les rehauts des lignes dessinées qui venaient en préciser
les figures latentes. Par ailleurs, les lignes imbibées dans le
sable tendaient à se fondre dans le fond. Masson aboutissait donc
à une proposition relativement respectueuse de la bidimensionalité
de la surface picturale.
Confronté au même problème à peu près
dans le même temps, Miró arrivait à une solution analogue.
Dans La naissance du monde (fig. 6) de 1925, il avait d'abord versé
du bleu très dilué sur une toile légèrement
préparée et, à l'aide de torchons et d'une éponge,
avait étendu rapidement sa couleur au hasard sur la surface, laissant
apparentes les coulisses qui s'étaient formées, très
certainement parce que sa toile était installée verticalement
sur un chevalet. Sur ce « fond », qui pouvait évoquer
quelque océan primitif, Miró avait ensuite peint au pinceau fin
des lignes ou des surfaces évoquant quelques organismes unicellulaires.
La ligne de Miró était si grêle, les surfaces colorées
si unies et si plates qu'elles n'introduisaient ni creux ni bosses dans
la surface du fond.
Autrement dit, Masson, comme Miró, avait solutionné le problème de la «
peinture » automatiste sans mettre en péril la bidimensionalité
du support, au moment même où leurs techniques, qui dissociaient
pourtant entre la préparation du fond et l'exécution des
formes sur le fond, auraient pu la leur faire perdre. Le secret de leur
succès fut de réserver leurs plus grandes inventions techniques
au fond, plutôt qu'aux formes. Masson versant son sable où Miró maniant ses éponges et ses torchons assuraient assez de richesse
visuelle au fond pour qu'il ne risque pas de fuir en arrière-plan
dans un mouvement de récession infinie, comme il avait trop tendance
à le faire chez leurs collègues surréalistes illusionnistes.
On comprend bien pourquoi il en fut ainsi. Miró et Masson avaient derrière
eux une solide expérience du cubisme analytique, expérience
qui manquait aux disciples de l'illusionnisme renaissant à la Giorgio
De Chirico, qu'étaient les Dali, Tanguy, Magritte et Delvaux. C'est
cette expérience cubiste qui constitua une espèce de garde-fou
dans l'aventure surréaliste de Miró et de Masson. Sans elle, on
pouvait bien risquer d'aboutir à Meissonier comme la peinture de
Dali le prouverait assez, à elle seule.
Comment se compare la solution
de Borduas par rapport à celle de Miró et de Masson? En 1943, dans
Viol aux confins de la matière (fig. 7; aussi titré
Nébuleuses dans les notes de l'artiste), Borduas décidait
de procéder en deux étapes. Le fond avait d'abord été
peint en noir, puis, une fois séché, de lignes blanches,
vertes et grises. Bientôt, Borduas dissociait encore davantage ces
deux étapes, comme on peut le voir dans Parachutes végétaux,
en peignant le fond de larges coups de pinceau appliqués horizontalement
et les objets, devant ce fond, à coups de spatule chargée
de couleurs, avec pour résultat que non seulement le fond et les
formes étaient distincts techniquement mais visuellement. Non seulement
la bidimensionalité n'était pas sauvée, elle était
volontairement sacrifiée. Dans les tableaux automatistes de Borduas,
les objets paraissent suspendus dans le vide, flottant devant un fond
reculant à l'infini. Il va sans dire que les formes chez Borduas
ne venaient pas préciser figurativement les motifs encore flous
du fond. Elles lui étaient superposées sans plus, jouissant
d'une existence propre sans rapport avec lui. Alors que Masson et Miró cherchaient à réconcilier visuellement le fond et les formes
après les avoir dissociés techniquement, Borduas recherchait
l'effet exactement inverse. L'espace pictural de Masson, comme celui de Miró, tendait vers la
bidimensionalité ou, plutôt, n'y avait
jamais renoncé. L'un et l'autre tenaient cette conception de l'espace
du cubisme analytique qu'ils avaient pratiqué avant de passer au
surréalisme.
Borduas n'avait pas suivi le
même cheminement. Il connaissait le cubisme analytique par des
reproductions et l'interprétait comme une expérience d' « art abstrait
» intégral dans le prolongement de Cézanne.
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