Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 4, 1980-1981

Accueil
English
Introduction
Histoire
Index annuel
Auteur et Sujet
Crédits
Contact

À propos de Parachutes végétaux 
de Paul-Émile Borduas. Essai de définition 
du « surréalisme » pictural de Borduas

par François-Marc Gagnon

Pages  1  |  2  |  3  |  4  |  5  |  6

L'utilisation de la spatule dans la peinture des objets entraînait une autre conséquence. À moins de recourir à de très petites touches, la spatule ne permet pas de rendre les passages continus du sombre au clair. Les formes peintes avec cet instrument prennent facilement un caractère facetté rappelant le cristal, le diamant, le minéral...Pour cette raison, les formes de Borduas n'ont pour ainsi dire jamais le caractère biomorphique qu'on leur voit chez les surréalistes « illusionnistes ». Au moment où Borduas paraît rejoindre Tanguy par son goût pour les grands espaces désertiques ou pour les fonds marins, il s'en sépare en y faisant dériver ses objets anguleux, emplumés ou cristallins au lieu d'y faire rouler des galets arrondis ou d'y faire flotter des amibes, des ectoplasmes, ou d'y pendre des « formes molles » à la Dali.

Inassimilable complètement ni au surréalisme « abstrait » ni au surréalisme « illusionniste » dans sa forme, la peinture automatiste de Borduas ne l'est pas plus dans son iconographie. À suivre la suggestion des titres des tableaux, l'imagination est invitée à errer dans un univers bien particulier. Parachutes végétaux évoque la chute lente des « fruits aigrettés » de certaines plantes de la famille des composées, que les vents peuvent porter sur des « centaines de milles » (3) d'où, pour le dire en passant, leur très vaste distribution. Qui ne connaît, par exemple, le fruit sec (dit achaine par les botanistes) surmonté de soies du pissenlit (Taraxacum officinale, Weber) emporté par le vent parfois en si grande quantité qu'il en évoque la neige? Qui ne l'a pas « semé à tout vent » comme nous y invitait la couverture du Petit Larousse?

Borduas poursuit cette rêverie botanique dans deux autres tableaux de 1947. Nous avons déjà fait état du premier: 8.47 ou Carquois fleuris (fig. 2), tableau que Borduas associait lui-même spontanément à Parachutes végétaux puisqu'il les avait envoyés ensemble au Salon du printemps. Outre leur parenté de style et de forme, ces deux tableaux ont en commun d'évoquer le monde végétal. On pourrait comparer à un « carquois » le calice formé par les sépales de la fleur et réserver le qualificatif de « fleuri » à la corolle avec ses pétales colorés. Il s'agirait par contre de fleurs assez étranges puisqu'elles seraient sans tiges et comme les 
« parachutes végétaux » dériveraient dans l'espace.

Le troisième tableau de 1947, qui appartient à la même aire associative, s'intitule 16.47 ou Fruits mécaniques (fig. 13). Il a été peint peu de temps avant Parachutes végétaux, comme son numéro d'ordre nous l'indique. Le bas de la composition est occupé par une sorte de rampe de lancement d'où s'élancent dans le fond rouge brique de l'arrière-plan des objets jaunes, noirs, et blancs ressemblant à de petits avions. Le titre littéraire donné par Borduas à ce tableau joue cependant sur un autre genre d'associations. Le « fruit mécanique » par excellence des endroits humides et ombragés de la campagne est le fruit de l'impatiente, dont on connaît deux espèces au Québec, l'impatiente pâle (Impatiens pallida, Nutt) et l'impatiente du Cap (Impatiens capensis, Meerb), cette dernière étant désignée comme le chou sauvage dans les nomenclatures populaires. La fleur de la première est jaune pâle (d'où son nom), peu ou point tachetée; celle de la seconde est orangée et fortement tachetée. La tige de l'impatiente pâle est translucide et vert pâle, celle de l'autre espèce est teintée de rouge. Cette gamme de couleurs est précisément celle de notre tableau.

Comme on le sait, l'impatiente doit son nom à la déhiscence élastique de sa capsule. Le fruit sec de cette plante, renfermant les graines, est très sensible au toucher, d'où le nom anglais de la plante: Touch - me - not. Sa moindre manipulation entraîne l'ouverture de la capsule et la dissémination des graines qui bondissent en tout sens comme actionnées par un ressort. Il n'y a donc pas d'impropriété à les désigner comme des « fruits mécaniques ».

Parachutes végétaux, Carquois fleuris et Fruits mécaniques, trois titres construits de la même façon: un substantif et une épithète renvoient essentiellement au même phénomène, réel ou imaginaire - sur un segment de leur cycle vital, des plantes échappent à la gravitation et envahissent l'atmosphère avant de retomber au sol où elles germeront. De ce point de vue, les plantes en question ressemblent à des danseurs quittant le sol pour envahir l'espace avant de retomber. Aussi bien, au moins deux tableaux de 1947 font allusion au thème de la danse dans leurs titres. Le premier est connu: il s'agit de 2.47 ou Le danseur. On l'aperçoit à gauche de Sous le vent de l'ile dans la photographie montrant Borduas assis sous son tableau lors de l'exposition de la rue Sherbrooke (voir fig. 14). Borduas avait pensé un temps intituler son tableau 2.47 ou Réunion matinale. Effectivement, le fond du tableau peut évoquer la lumiere du matin et le tableau fait pivoter sur un même axe deux formes, comme l'élément central de Parachutes végétaux. Mais Borduas ne s'en est pas tenu à ce beau titre. Il a préféré Le danseur, parce que le phénomêne de la lutte contre la gravitation l'intéressait probablement plus que l'évocation d'une atmosphère particulière.

Le second tableau de 1947 à mentionner la danse n'a pas été retrouvé. On connait au moins son titre: 12.47 ou Poisson et la danseuse sur du rouge. Comme tel, ce titre semble une reprise d'un titre de 1943: La danseuse jaune et la bête mais, dans ce tableau plus ancien, les protagonistes étaient posés au sol et ne participaient pas au thème général de l'envashissement de l'espace qui semble marquer la thématique de 1947.

Sous ce rapport, même les objets en suspension de 1.47 ou Sous le vent de l'île (fig. 3), le premier tableau de la série, pourraient être percus comme une troupe de danseurs emplumes. Le titre suggère même qu'ils sont portés par le vent.

Page Suivante | le facteur aile de la falaise

1  |  2  |  3  |  4  |  5  |  6

Haut de la page


Accueil | English | Introduction | Histoire
Index annuel
| Auteur et Sujet | Crédits | Contact

Cette collection numérisée a été produite aux termes d'un contrat pour le compte du programme des Collections numérisées du Canada, Industrie Canada.

"Programme des Collections numérisées, droit d'auteur © Musée des beaux-arts du Canada 2001"