Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 4, 1980-1981

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À propos de Parachutes végétaux 
de Paul-Émile Borduas. Essai de définition 
du « surréalisme » pictural de Borduas

par François-Marc Gagnon

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CUBISME. N. m. Période récente de l'histoire de l'art. 1911. Les premiers tableaux de cette école seraient attribuables à Georges Braque: des petits paysages aux éléments naturels traités en des formes géométriques, d'où le nom de cubisme. De cette tentative hasardeuse, mais limitée, aidée de la fameuse ligne spatiale de Cézanne, l'on détruisit jusqu'à la vraisemblance des sujets d'emprunt, sans cependant abandonner l'idée.

Picasso dans la phase aiguë alla jusqu'à l'emploi exclusif d'éléments géométriques sans autres similitudes.

La qualité émotive du tableau, contrairement à la crainte provoquée par une telle amputation, devient plus troublante. Ces expériences irrationnelles détruisirent les valeurs sentimentales passées, jugées jusque-là à tout jamais indispensables.

L'école devient vite rationaliste. Les répétitions incessantes de ses nombreux « visionnaires » se montrent encore capables de satisfaire leur peu de curiosité. (2)
Quel qu'ait été l'intérêt sporadique de Borduas pour le cubisme, ce texte indique assez qu'il représentait, pour lui, une voie fermée. Aussi, n'en trouve-t-on la trace que dans bien peu de ses oeuvres. Sauf quelques gouaches de 1942, d'ailleurs plus marquées par le cubisme synthétique d'Alfred Pellan que par le cubisme analytique de « la phase aiguë », cette influence est nulle. Là-dessus, la différence entre Masson et Miró d'une part et Borduas d'autre part est cruciale.

Mais alors Borduas, avec ses fonds atmosphériques et ses objets dérivant dans l'espace, se retrouvait-il dans le camp des surréalistes illusionnistes à la Tanguy ou à la Dali? Non plus. Deux différences sautent aux yeux quand on rapproche un tableau automatiste de Borduas comme Parachutes végétaux de n'importe quel Dali (voir fig. 8) ou Tanguy (voir fig. 9). Même reculant à l'infini, les fonds de Borduas, comme ceux de certains tableaux de Matta (voir fig. 10), ne comportent pas de ligne d'horizon. Borduas connaissait peut-être les reproductions des toiles de Tanguy et de Matta qui illustraient l'article d'André Breton « Des tendances les plus récentes de la peinture surréaliste » publié dans la revue Minotaure (XII-XIII; 1939) découverte par l'artiste en 1941. Les préférences de Borduas l'auraient plutôt porté vers la composition de Matta dont la formule paraît bien différente de celle de Tanguy. Chez Borduas, les objets sont situés dans un segment cosmologique (qu'il s'agisse de l'atmosphère, de l'océan ou de la plaine primitive), mais pour ainsi dire jamais sur la scène théâtrale où l'on distingue le ciel de la terre ou de la mer, comme dans le cas des apparitions daliniennes et autres. Par ailleurs, les formes de Borduas n'ont pas le caractère biomorphique si accusé qu'on leur voit chez les surréalistes illusionnistes. Pourquoi ces différences? Une fois de plus, il faut revenir à la technique automatiste de Borduas. Les fonds, avons-nous dit, sont peints à la brosse par grands coups horizontaux. Cette manière de procéder est excellente pour suggérer une récession en profondeur sans recourir à l'expédient de la ligne d'horizon ni aux lois de la perspective classique. Dali et Tanguy sont beaucoup moins libérés de la perspective que Borduas. Ce n'est pas assez dire. Ils sont volontairement revenus à la perspective classique, voulant recréer la scène théâtrale onirique qui, malgré son caractère fantastique, reste fidèle aux données de la perception classique.

Les fonds de Borduas demandent à la matière picturale elle-même de suggérer des illuminations atmosphériques et par ce biais sont des indicateurs chronologiques. Tel tableau évoquera la lumière du matin, tel autre, les lueurs du crépuscule. Lampadaires du matin (1948), ou Figure au crépuscule (1944) annoncent les titres.

Par ailleurs, les formes en suspension dans ces espaces infinis sont peintes à la spatule. On ne saurait trop insister sur les conséquences de ce choix. Les surréalistes ont peint leurs formes de deux manières, selon le camp où ils se situaient. Les surréalistes « abstraits » (Masson, Miró, et autres) délimitent leur forme d'une ligne-cerne. C'est dire qu'ils maintenaient la notion de contour, conservant au dessin son rôle traditionnel. Quand Jackson Pollock libérera la ligne de ce rôle tout en maintenant à la surface picturale son caractère bidimensionnel, il entraînera la peinture sur un terrain nouveau que Masson et Miró n'auront fait qu'entrevoir sans s'y engager. Les formes de Borduas ne sont pas délimitées par des lignes.

Sont-elles dès lors peintes de manière traditionnelle, à la Meissonier, c'est-à-dire modelées du sombre au clair comme chez les surréalistes illusionnistes? Non plus. Les formes de Borduas se définissent comme un agencement des plans colorés. Certes ces plans ont des limites qu'on pourrait assimiler à une ligne de contour, mais précisément la ligne n'est pas dessinée comme un cerne. Elle est simplement le bord de la tache peinte. On peut même faire la preuve que Borduas en est arrivé consciemment à cette conception de la forme comme tache dès 1943.

Au moment où il peignit ses gouaches en 1942, la ligne de contour avait encore une place dans ses oeuvres. La première étape de l'élaboration des gouaches consistait en un dessin au fusain délimitant des contours. Les étendues délimitées par ces contours étaient ensuite remplies par la couleur, même si rarement la gouache terminée laissait apercevoir les traits de fusain sous-jacents (voir fig. Il). En 1943, Borduas peignit quelques toiles à l'huile où, sur le fond noir (ou foncé), se détachaient des lignes comme, par exemple, dans Viol aux confins de la matière (fig. 7). On connaît même un dessin de 1943 (voir fig. 12) où, sur le fond frotté avec le plat du fusain, des tracés linéaires parfois rehaussés à l'encre de Chine ou à la mine de plomb, ont été superposés. Ces lignes spiralées coulent mal. Elles sont hachées et présentent partout des solutions de continuité. Manifestement, le peintre ne trouvait pas dans ces jeux linéaires la spontanéité du geste d'un Miró ou d'un Masson. Aussi Borduas ne poussa pas plus loin dans cette direction.

Borduas crut pouvoir renoncer à la ligne en faveur de la tache. En même temps, la spatule, mauvais instrument pour peindre des lignes, se révélait extrêmement souple et rapide pour appliquer des taches. Il suffisait de contrôler la quantité de matière picturale préparée à l'avance sur la palette et conséquemment contrôler la dimension même de la palette. Des photographies du peintre dans son atelier parisien montre que Borduas, à la fin de sa vie, s'était débarrassé complètement de la palette et utilisait un dessus de table pour étaler sa matière picturale. À l'époque de Parachutes végétaux, il n'en était pas encore là cependant. Les surfaces peintes à la spatule étaient toujours de dimensions et d'épaisseurs relativement petites et ne nécessitaient pas des masses de matière aussi importantes que dans ses tableaux parisiens.

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