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L'iconographie musicale et les dessins
de la Galerie nationale:
Musiciens des rues de Lillian Freiman
et L'orchestre de Pegi Nicol
par Francine Sarrasin
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La représentation d'un
instrument de musique dans un tableau est régie par un principe
semblable à celui d' « un tableau dans un tableau ». La
configuration musicale doit être prise alors dans un sens très
large de façon à permettre un rapport à l'art, non plus formel,
mais causal. Car l'instrument de musique n'adopte pas toujours, dans
sa structure physique, les caractères décoratifs et les éléments
sculptés qui en feraient un objet d'art, mais il établit toutefois
un lien fondamental avec un autre mode artistique: celui des sons.
Du reste, si le motif iconographique général d'instrument peut
s'étaler sur plusieurs familles ou catégories, il n'en demeure pas
moins qu'il se reserre toujours sur la même source, sur le même
principe sonore. De quelque façon qu'il soit traité, le thème
musical ne peut ainsi jamais faire abstraction du phénomène
temporel, de l'instant nécessaire.
L'analyse des deux dessins de la Galerie nationale du Canada
permettra de réfléchir sur ce moment du son, amplifié
visuellement du moment choisi par le dessin lui-même.
Musiciens des rues de Lillian Freiman
Lillian Freiman est née le 21 juin 1908 à Guelph (Ontario). Elle a fréquenté l'École des
beaux-arts de Montréal
et en 1925 elle quittait le Canada pour la France. Revenue
peu avant la Seconde Guerre mondiale en 1938 elle s'est par
la suite fixée à New York où elle habite encore.
C'est à partir d'un long séjour à Paris, de 1925 à 1938, que la
musique est apparue de façon systématique dans l'art de Lillian
Freiman. En examinant l'ensemble de sa production, force est de
constater que la proportion des oeuvres représentant des
musiciens est largement supérieure aux marchés d'oiseaux, de
poissons, aux différentes scènes de rues ou de cirque qui
constituent la somme de son oeuvre. (1) Or les musiciens dessinés
par l'artiste jouent très souvent du violon. L'importance de la
représentation de cet instrument peut fort bien être liée aux
origines russes de Lillian Freiman. La réputation de l'école de
violon en Russie n'est plus à faire et c'est au tournant du siècle
que ce vaste mouvement a pris forme. (2) Est-ce donc pure coïncidence
si Lillian Freiman exprime, à sa manière, les relans de l'âme
russe et si les nombreux instrumentistes de ses tableaux racontent
la musique en privilège?
Autour des années quarante, l'artiste s'installe à New York, tout
à côté du Carnegie Hall; elle peut ainsi suivre de près les répétitions
d'orchestre. Étrangement, sa façon de peindre s'apparente assez
à la démarche de l'interprète musical. Elle exécute sur le vif
de rapides croquis, capte pour elle-même de petits moments qui
sont, en quelque sorte, les gammes avant la symphonie. Lillian
Freiman n'improvise jamais à même le matériau. Elle crée en
second lieu, en réflexion, à partir des éléments picturaux
cueillis et les musiciens qu'elle met en scène ne sont ni
compositeurs, ni improvisateurs mais presque toujours interprètes
ou concertistes.
Un parallèle constant se vérifie entre l'art de peindre et la
musique de Lillian Freiman.
Comme pour beaucoup de ses Oeuvres, le dessin des Musiciens des
rues (fig. 1) s'étale sur une base de papier légèrement teinté.
Physiquement, le papier offre une résistance moindre à l'usure, à
l'air et au temps; il propose une réalité un tant soit peu
fragile, vulnérable. Au même titre peut-être le son est-il éphémère,
instable, mobile. Par ailleurs, l'emploi combiné, la juxtaposition
pour une même oeuvre de crayon de couleur, de graphite et de pastel
sont à ce point fréquents qu'il devient possible de parler de
choix, d'option picturale voire de moyen d'expression. Lillian
Freiman joue des effets multiples comme s'il s'agissait de timbres
à orchestrer.
L'objet de notre étude met en première opposition, la couleur et
le graphisme. Il est remarquable que la seule masse entièrement
colorée soit, en bleu très dense, le personnage féminin qui
chante dans la moitié droite du dessin. Les violonistes, davantage
dessinés que peints, ont bien envie d'accompagner la voix plutôt
que de s'imposer visuellement et auditivement. L'aspect accessoire
de cet accompagnement est marqué entre autres par l'absence, peu
justifiée picturalement, des volutes et chevilliers en bout de
manches des violons. D'autre part, le violoniste du premier plan
joue des pizzicati (3) infiniment moins sonores que les notes liées
par l'archet du second violoniste au loin. On pourrait croire
qu'il y a ici dénégation de la musique instrumentale d'où
accompagnement et en tout cas chiasme (4) ou dualité entre image et
son. Le croisement se produit par l'utilisation des procédés
visuels et par le type de musique actualisé par la représentation.
Ainsi, si le violoniste du bas est plus près du nous, si la couleur
ou les rehauts de blanc comblent partiellement les espaces du
graphisme, si, finalement, il lui est concédé quelque chose de la
masse colorée (qui est ici le fait de la chanteuse), il n'en
demeure pas moins que son instrument fait de tout petits sons, en
pointillé. La masse visuelle contrecarre la sonorité présumée.
Pendant ce temps-là, le violoniste esquissé au second plan, derrière,
malgré l'absence de volume peint (si ce n'est pour une seule de ses
mains), nous laisse entendre un son continu, ample, un son plein. Si
sa musique est, comme pour le chant, de nature essentiellement mélodique,
le contraste se justifie par le traitement pictural qui oppose le
trait à la couleur. De plus, ce musicien est visuellement lié au
chant parce qu'il pénètre une ombre centrale bleue apparentée
au personnage chantant. On perçoit aussi la formation, entre lui et
la chanteuse, d'ellipses similaires multiples: le bras de l'archet,
sa tête de violoniste, l'ombre, la figure de la chanteuse (fig. 2).
Ces contours elliptiques sont reliés entre eux par une même ligne
courbe et font penser au graphisme d'un diagramme mélodique.
Remarquons enfin que le violoniste au coup d'archet et la chanteuse
sont tous deux placés en position de force, faisant pratiquement
face au spectateur.
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violoniste du bas et la chanteuse
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