Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 5, 1981-1982

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L'iconographie musicale et les dessins 
de la Galerie nationale: 
Musiciens des rues de Lillian Freiman 
et L'orchestre de Pegi Nicol

par Francine Sarrasin


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La représentation d'un instrument de musique dans un tableau est régie par un principe semblable à celui d' « un tableau dans un tableau ». La configuration musicale doit être prise alors dans un sens très large de façon à permettre un rapport à l'art, non plus formel, mais causal. Car l'instrument de musique n'adopte pas toujours, dans sa structure physique, les caractères décoratifs et les éléments sculptés qui en feraient un objet d'art, mais il établit toutefois un lien fondamental avec un autre mode artistique: celui des sons. Du reste, si le motif iconographique général d'instrument peut s'étaler sur plusieurs familles ou catégories, il n'en demeure pas moins qu'il se reserre toujours sur la même source, sur le même principe sonore. De quelque façon qu'il soit traité, le thème musical ne peut ainsi jamais faire abstraction du phénomène temporel, de l'instant nécessaire.

L'analyse des deux dessins de la Galerie nationale du Canada permettra de réfléchir sur ce moment du son, amplifié visuellement du moment choisi par le dessin lui-même.

Musiciens des rues de Lillian Freiman

Lillian Freiman est née le 21 juin 1908 à Guelph (Ontario). Elle a fréquenté l'École des beaux-arts de Montréal et en 1925 elle quittait le Canada pour la France. Revenue peu avant la Seconde Guerre mondiale en 1938 elle s'est par la suite fixée à New York où elle habite encore.

C'est à partir d'un long séjour à Paris, de 1925 à 1938, que la musique est apparue de façon systématique dans l'art de Lillian Freiman. En examinant l'ensemble de sa production, force est de constater que la proportion des oeuvres représentant des musiciens est largement supérieure aux marchés d'oiseaux, de poissons, aux différentes scènes de rues ou de cirque qui constituent la somme de son oeuvre. (1) Or les musiciens dessinés par l'artiste jouent très souvent du violon. L'importance de la représentation de cet instrument peut fort bien être liée aux origines russes de Lillian Freiman. La réputation de l'école de violon en Russie n'est plus à faire et c'est au tournant du siècle que ce vaste mouvement a pris forme. (2) Est-ce donc pure coïncidence si Lillian Freiman exprime, à sa manière, les relans de l'âme russe et si les nombreux instrumentistes de ses tableaux racontent la musique en privilège?

Autour des années quarante, l'artiste s'installe à New York, tout à côté du Carnegie Hall; elle peut ainsi suivre de près les répétitions d'orchestre. Étrangement, sa façon de peindre s'apparente assez à la démarche de l'interprète musical. Elle exécute sur le vif de rapides croquis, capte pour elle-même de petits moments qui sont, en quelque sorte, les gammes avant la symphonie. Lillian Freiman n'improvise jamais à même le matériau. Elle crée en second lieu, en réflexion, à partir des éléments picturaux cueillis et les musiciens qu'elle met en scène ne sont ni compositeurs, ni improvisateurs mais presque toujours interprètes ou concertistes.

Un parallèle constant se vérifie entre l'art de peindre et la musique de Lillian Freiman.

Comme pour beaucoup de ses Oeuvres, le dessin des Musiciens des rues (fig. 1) s'étale sur une base de papier légèrement teinté. Physiquement, le papier offre une résistance moindre à l'usure, à l'air et au temps; il propose une réalité un tant soit peu fragile, vulnérable. Au même titre peut-être le son est-il éphémère, instable, mobile. Par ailleurs, l'emploi combiné, la juxtaposition pour une même oeuvre de crayon de couleur, de graphite et de pastel sont à ce point fréquents qu'il devient possible de parler de choix, d'option picturale voire de moyen d'expression. Lillian Freiman joue des effets multiples comme s'il s'agissait de timbres à orchestrer.

L'objet de notre étude met en première opposition, la couleur et le graphisme. Il est remarquable que la seule masse entièrement colorée soit, en bleu très dense, le personnage féminin qui chante dans la moitié droite du dessin. Les violonistes, davantage dessinés que peints, ont bien envie d'accompagner la voix plutôt que de s'imposer visuellement et auditivement. L'aspect accessoire de cet accompagnement est marqué entre autres par l'absence, peu justifiée picturalement, des volutes et chevilliers en bout de manches des violons. D'autre part, le violoniste du premier plan joue des pizzicati (3) infiniment moins sonores que les notes liées par l'archet du second violoniste au loin. On pourrait croire qu'il y a ici dénégation de la musique instrumentale d'où accompagnement et en tout cas chiasme (4) ou dualité entre image et son. Le croisement se produit par l'utilisation des procédés visuels et par le type de musique actualisé par la représentation. Ainsi, si le violoniste du bas est plus près du nous, si la couleur ou les rehauts de blanc comblent partiellement les espaces du graphisme, si, finalement, il lui est concédé quelque chose de la masse colorée (qui est ici le fait de la chanteuse), il n'en demeure pas moins que son instrument fait de tout petits sons, en pointillé. La masse visuelle contrecarre la sonorité présumée. Pendant ce temps-là, le violoniste esquissé au second plan, derrière, malgré l'absence de volume peint (si ce n'est pour une seule de ses mains), nous laisse entendre un son continu, ample, un son plein. Si sa musique est, comme pour le chant, de nature essentiellement mélodique, le contraste se justifie par le traitement pictural qui oppose le trait à la couleur. De plus, ce musicien est visuellement lié au chant parce qu'il pénètre une ombre centrale bleue apparentée au personnage chantant. On perçoit aussi la formation, entre lui et la chanteuse, d'ellipses similaires multiples: le bras de l'archet, sa tête de violoniste, l'ombre, la figure de la chanteuse (fig. 2). Ces contours elliptiques sont reliés entre eux par une même ligne courbe et font penser au graphisme d'un diagramme mélodique. Remarquons enfin que le violoniste au coup d'archet et la chanteuse sont tous deux placés en position de force, faisant pratiquement face au spectateur.

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