Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 5, 1981-1982

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L'iconographie musicale et les dessins 
de la Galerie nationale: 
Musiciens des rues de Lillian Freiman 
et L'orchestre de Pegi Nicol

par Francine Sarrasin


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L'orchestre

de Pegi Nicol


Originaire de l'Ontario, Margaret Kathleen Nichol (Pegi Nicol) est née le 17 janvier 1904. Elle a étudié avec Frank Brownell à Ottawa puis a l'École de beaux-arts de Montréal. Un tableau titre Bois flottant lui a valu, en 1931, un premier prix de peinture. À partir de 1937, elle habite New York où son mari, Norman MacLeod, travaille comme ingénieur. Mais elle revient enseigner chaque été a l'Université du Nouveau-Brunswick ou elle fonde d'ailleurs un centre d'art. Elle fait en outre partie de plusieurs associations d'art. Elle meurt prematurement en février 1949, à l'âge de quarante-cinq ans.

Dans l'oeuvre de Pegi Nicol, l'inspiration musicale n'a pas, a proprement parler, la resonance du leitmotiv. Le thème de la musique s'inscrit plutôt dans la grande série des sujets profondement vivants qui lui sont propres: l'investissement pictural de l'artiste s'exprimant aussi bien par les jeux d'enfants, par des scènes de rues ou par des musiciens jouant. Car c'est la vie qu'elle cherche à fixer sur papier. La musique sert donc d'heureux prétexte à une interprétation de vie, choisie et decidée par l'artiste. Nous prenons pour appui l'observation des sujets traites dans l'ensemble de ses oeuvres et certains commentaires d'intervenants specialisés. (7) La présence active de Pegi Nicol et son travail constant au sein de mouvements artistiques contemporains (8) nous situent sa démarche en toute cohérence avec l'époque. Cette conscience au monde de l'art peut justifier, quant à nous, à etablir les liens d'influence et à verifier certains rapprochements. Sans nous attarder outre mesure au fait historique, il est difficile d'ignorer les impacts de l'interdisciplinarité qui ont eu cours, dans les années vingt et qui ont joue de leur importance.

L'oeuvre qui nous intéresse n'est ni titrée, ni datée. Elle fait partie d'une série de quatre dessins appelée L'orchestre (fig. 4) de Pegi Nicol, esquissant la même portion d'un orchestre. S'agit-il de celui du Carnegie Hall, celui-la meme qui a tant inspiré sa compatriote et collegue de profession, Lillian Freiman? L'installation à New York des deux artistes canadiennes coincide chronologiquement et il n'est pas interdit de penser qu'elles soient, a l'époque, fréquentées, d'autant qu'elles se connaissaient déjà depuis Montreal. Il est tout a fait possible ques les entrées aux répétitions d'orchestre, permises à une peintre, l'aient été aussi pour l'autre. Car il semble bien que le point de vue établi par Pegi Nicol, dans son dessin, soit sinon équivalent à l'emplacement d'un autre musicien, du moins favorise par une rare proximité. (9) Ce qui nous amene a considérer l'oeuvre en soi, a découvrir les combinsaisons graphico-musicales, s'il en est, à fouiller de plus près l'imaginaire ainsi proposé.

Avant d'en détailler la composition, il peut être intéressant d'arrêter, de retenir quelques instants notre impression première, globale. Cette appréhension spontanée semble, en effet, jouer un certain rôle dans le cheminement vers l'oeuvre. Il y a quelque chose, comme une allusion qui, dans ce dessin, effleure l'expressionnisme. Le geste de Nicol n'arrache-t-il pas des contrastes aussi violents que ceux des gravures allemandes, ne dechire-t-il pas des obliques tendues, à peine ondulees? Bien sur, il ne temoigne pas du sentiment survolte qui est celui des tenants expressionnistes: le flutiste de notre dessin montre peut-être une jeune droite en saillie excessive, mais il est encore loin du Cri de Munch.

L'expressionnisme de Pegi Nicol est immédiat et semble sans arrière-pensée. L'exactitude des traits et postures des musiciens peut faire défaut, l'organisation spatiale peut fausser la logique de l'orchestre, c'est l'expression qui est valorisée et ce, même au détriment de toute ressemblance. Nous sommes devant une étude de mimiques qui n'a rien d'exacerbé. L'option des instruments à vent comme prétexte premier du tableau situe initialement l'intérêt autour de la bouche. Mais le bas d'un visage peut-il aspirer à rendre l'intensité de la profondeur d'un regard, aussi clairement et aussi vivement? L'instrument pourra-t-il, à sa manière, compenser ce manque à exprimer? En fait, il faut voir que la bouche, ici, n'est qu'un moyen par lequel l'attention du spectateur est canalisée et resserrée autour du moment de souffler. En soi, le souffle s'anime d'une dynamique fondamentale parce qu'il est directement associé à la vie. De son côté, l'instrument à vent prolonge la voix humaine et aussi la personne vivante: thorax, gorge, bouche...

L'objet de notre étude se présente comme un portrait. L'organisation physique en propose une lecture verticalisée et le support, confirmant la tradition historique du portrait, accuse un format rectangulaire debout. Or paradoxalement dans ce portrait, ni la personne ni l'instrument ne semblent réellement importants: point de regard, point d'yeux et une tête, imposante et centrale, de dos! Il y a, de toute évidence, dénégation du strict portrait et on peut présumer qu'ici c'est l'action de souffler qui est privilégiée. C'est le moment du son qui tourbillonne, sous nos yeux, entre les personnages de ce dessin.

En étudiant les divers motifs inscrits par l'artiste, nous voulons cerner cette primauté accordée à l'instant du souffle et par là, concevoir l'ampleur et l'importance données à la musique.

L'accès à l'oeuvre est visuellement facilité par l'attitude du musicien à la flûte. La position de son épaule dégage, en effet, suffisamment l'aire centrale, au bas du dessin, pour qu'on puisse suivre la partition avec lui. Le spectateur se sent derechef sollicité par l'image, impliqué presque malgré lui. N'y est-il pas déjà subrepticement entré, encouragé par le solide graphisme contournant le flûtiste? Ce monsieur est décidément bien campé qui prend assise à même le bord de la feuille où il pousse le coude. Comme le son de la flûte qui se distingue tout à fait du fond sonore plus lourd et plus sobre, notre flûtiste se détache de son environnement plastique par un dessin marqué, fortement appuyé de noir. Même la couleur, quoique très discrète, lui semble réservée. La teinte beige-marron, lisible dans sa chevelure, a tendance à se diluer sur tous les autres motifs.

De tous les instruments de l'orchestre, nous savons que la flûte est, avec le piccolo, le plus aigu. Une sorte de chiasme oppose la réalité organologique de la flûte et sa représentation par Pegi Nicol, qui l'oriente plutôt vers le bas. De la même manière, si cet instrument déplie toujours sa ligne mélodique dans l'échelle supérieure du registre sonore, comment expliquer que le dessin en appesantisse autant l'instrumentiste? Celui-ci occupe, en effet, les trois quarts inférieurs de l'image. C'est la musique qui voudra corriger ce paradoxe. Le premier plan de la flûte rapproche visuellement son intervention et privilégie musicalement son rôle de soliste. À leur manière respective, l'image et le son se détachent alors du reste.

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