Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 5, 1981-1982

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L'iconographie musicale et les dessins 
de la Galerie nationale: 
Musiciens des rues de Lillian Freiman 
et L'orchestre de Pegi Nicol

par Francine Sarrasin

 

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Reste à savoir si ce dessin donne à entendre une oeuvre musicale précise, si la mélodie accompagnée tient du lied ou du folklore ou du jazz. Dans quelle réalité culturelle, les éléments picturaux nous induisent-ils?

Tout porte à croire que les musiciens sont de vrais violonistes. Le sérieux de leur attitude est fort prononcé et ils semblent principalement attentifs à leur propre musique. Les violoneux maintiendraient leur instrument plus bas sur la poitrine. Par ailleurs, le pizzicato, s'il est employé dans la musique folklorique, sert davantage l'éclat des fins de phrases. Ici, il est plutôt inséré à la mélodie. L'archet du violoniste du haut est, en effet, loin de sa fin de parcours: techniquement, il est dans le premier tiers près du talon.

Pour sa part, la posture de la chanteuse nous amène directement au récital. La gorge déployée, la cage thoracique apparemment bien ouverte et l'angle de la tête proposent une note de registre moyen. (6) Un son plus aigu aurait peut-être contracté certains muscles faciaux et incliné légèrement la tête vers l'avant. Les mains répètent les « tics » habituels des chanteurs en concert. Le costume de ce personnage, s'il est visible, ne laisse percer aucune information d'ordre sociologique. Le bleu de sa robe, cependant, a l'intensité des pastels impressionnistes et la coquetterie du cordonnet noué à son cou fait penser aux danseuses de Degas. Or, en France comme ici, la clientèle des studios de ballet est assez peu liée à l'art populaire.

L'argument du rectangle, qui a toute apparence d'un lutrin, milite en faveur d'une musique dite « savante ». Il n'est pas exagéré de voir dans un lutrin, un attribut de la musique apprise, déchiffrée, lue. Ici, il faut compter sur sa seule présence car la réalité du lutrin est difficilement autre que picturale. Son angle d'inclinaison l'oriente, en effet, vers le spectateur plutôt que vers les musiciens et il ne révèle aucune partition. Ce phénomène porte en soi une contradiction. Quand tout l'échafaudage de la musique savante est monté et bien en place, ce lutrin vide oppose sa dénégation. Si la présence du musicien noir fait penser à la musique de jazz, le lutrin devient alors parfaitement inutile: le jazz étant, par nature, improvisé et donc sans lecture. Le lutrin ne peut annoncer davantage la spontanéité du folklore. Il veut plutôt, croyons-nous, orienter la lecture du dessin vers la généralité de la musique.

Un dernier regard porté sur le graphisme des instruments donne des violons apparemment parfaitement dessinés, exacts. Mais, outre l'absence déjà signalée des volutes et chevilliers, l'ouïe et le C se confondent dans l'instrument du bas et le chevalet ne soutient pas réellement les cordes. Ces imprécisions confirment que c'est la « musique » (ni savante, ni populaire) qui est réel sujet du dessin. Même la valeur informative du titre devient à son tour, très relative. Lillian Freiman n'investit pas d'énergie véritable à nommer ses reuvres; elle laisse entre autres se faufiller certaines confusions d'archives qui désignent la même oeuvre tantôt Trois musiciens, tantôt Musiciens des rues. Se côtoient dans sa production des titres comme: Violoniste et harpiste, Répétition, Violoniste à la fenêtre, Chanson de rue...Toutes ces oeuvres sont composées sans décor ni arrière-scène, avec des personnages musiciens en satellite d'une seule réalité intérieure globale: la musique. On peut croire que l'artiste se plie, en souriant, à toute suggestion de titre un tant soit peu valable.

Tout comme le musicien pratique, fait et refait techniquement les passages à jouer, seul à seul avec son instrument, loin du monde, ainsi Lillian Freiman a-t-elle choisi de travailler à l'écart des courants, paisiblement dans son univers qu'elle fouille et transmet dans ses tableaux. Quand on considère l'ensemble de son oeuvre et l'importance qu'y prend la musique, on est en droit de se demander pourquoi elle n'est pas devenue elle-même musicienne plutôt que peintre. L'étude iconographique des Musiciens des rues révèle finalement une réalité de la musique qui est d'ordre fondamental: une réalité plus éthérée que l'instrument et la voix, plus intellectuelle que la qualité sonore et le registre et les intonations, une réalité en quelque sorte imperméable aux tensions sociales, une réalité en soi. Vu sous cet angle, la musique est donc fort bien servie par la peinture de Lillian Freiman.

Du reste, si l'événement musical prend, pour elle, une tournure picturale aussi décisive, c'est qu'il y a un lien entre le contenu représenté et le processus de la représentation. Lillian Freiman voit la musique probablement autant qu'elle voit le bleu intense de certaines de ses surfaces et les droites fines de ses archets. Par ses dessins, la musique arrive à la limite du tangible: c'est elle qui arrondit les courbes, rectifie les angles et permet, pendant un moment, de voir à la fois plus vaste et plus riche.

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