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L'iconographie musicale et les dessins
de la Galerie nationale:
Musiciens des rues de Lillian Freiman
et L'orchestre de Pegi Nicol
par Francine Sarrasin
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Reste à savoir si ce
dessin donne à entendre une oeuvre musicale précise, si la mélodie
accompagnée tient du lied ou du folklore ou du jazz. Dans quelle réalité
culturelle, les éléments picturaux nous induisent-ils?
Tout porte à croire que les musiciens sont de vrais violonistes. Le
sérieux de leur attitude est fort prononcé et ils semblent
principalement attentifs à leur propre musique. Les violoneux
maintiendraient leur instrument plus bas sur la poitrine. Par
ailleurs, le pizzicato, s'il est employé dans la musique
folklorique, sert davantage l'éclat des fins de phrases. Ici, il
est plutôt inséré à la mélodie. L'archet du violoniste du haut
est, en effet, loin de sa fin de parcours: techniquement, il est
dans le premier tiers près du talon.
Pour sa part, la posture de la chanteuse nous amène directement au
récital. La gorge déployée, la cage thoracique apparemment bien
ouverte et l'angle de la tête proposent une note de registre moyen.
(6) Un son plus aigu aurait peut-être contracté certains
muscles faciaux et incliné légèrement la tête vers l'avant. Les
mains répètent les « tics » habituels des chanteurs en concert.
Le costume de ce personnage, s'il est visible, ne laisse percer
aucune information d'ordre sociologique. Le bleu de sa robe,
cependant, a l'intensité des pastels impressionnistes et la
coquetterie du cordonnet noué à son cou fait penser aux danseuses
de Degas. Or, en France comme ici, la clientèle des studios de
ballet est assez peu liée à l'art populaire.
L'argument du rectangle, qui a toute apparence d'un lutrin, milite
en faveur d'une musique dite « savante ». Il n'est pas exagéré de
voir dans un lutrin, un attribut de la musique apprise, déchiffrée,
lue. Ici, il faut compter sur sa seule présence car la réalité du
lutrin est difficilement autre que picturale. Son angle
d'inclinaison l'oriente, en effet, vers le spectateur plutôt que
vers les musiciens et il ne révèle aucune partition. Ce phénomène
porte en soi une contradiction. Quand tout l'échafaudage de la
musique savante est monté et bien en place, ce lutrin vide oppose
sa dénégation. Si la présence du musicien noir fait penser à
la musique de jazz, le lutrin devient alors parfaitement inutile: le
jazz étant, par nature, improvisé et donc sans lecture. Le lutrin
ne peut annoncer davantage la spontanéité du folklore. Il veut
plutôt, croyons-nous, orienter la lecture du dessin vers la généralité
de la musique.
Un dernier regard porté sur le graphisme des instruments donne des
violons apparemment parfaitement dessinés, exacts. Mais, outre
l'absence déjà signalée des volutes et chevilliers, l'ouïe et le
C se confondent dans l'instrument du bas et le chevalet ne soutient
pas réellement les cordes. Ces imprécisions confirment que c'est
la « musique » (ni savante, ni populaire) qui est réel sujet du
dessin. Même la valeur informative du titre devient à son tour, très
relative. Lillian Freiman n'investit pas d'énergie véritable à
nommer ses reuvres; elle laisse entre autres se faufiller certaines
confusions d'archives qui désignent la même oeuvre tantôt Trois
musiciens, tantôt Musiciens des rues. Se côtoient dans
sa production des titres comme: Violoniste et harpiste,
Répétition,
Violoniste à la fenêtre, Chanson de rue...Toutes ces oeuvres
sont composées sans décor ni arrière-scène, avec des
personnages musiciens en satellite d'une seule réalité intérieure
globale: la musique. On peut croire que l'artiste se plie, en
souriant, à toute suggestion de titre un tant soit peu valable.
Tout comme le musicien pratique, fait et refait techniquement les
passages à jouer, seul à seul avec son instrument, loin du monde,
ainsi Lillian Freiman a-t-elle choisi de travailler à l'écart des
courants, paisiblement dans son univers qu'elle fouille et transmet
dans ses tableaux. Quand on considère l'ensemble de son oeuvre et
l'importance qu'y prend la musique, on est en droit de se demander
pourquoi elle n'est pas devenue elle-même musicienne plutôt que
peintre. L'étude iconographique des Musiciens des rues révèle
finalement une réalité de la musique qui est d'ordre fondamental:
une réalité plus éthérée que l'instrument et la voix, plus
intellectuelle que la qualité sonore et le registre et les
intonations, une réalité en quelque sorte imperméable aux
tensions sociales, une réalité en soi. Vu sous cet angle, la
musique est donc fort bien servie par la peinture de Lillian
Freiman.
Du reste, si l'événement musical prend, pour elle, une tournure
picturale aussi décisive, c'est qu'il y a un lien entre le contenu représenté et le processus de la représentation. Lillian
Freiman voit la musique probablement autant qu'elle voit le bleu
intense de certaines de ses surfaces et les droites fines de ses
archets. Par ses dessins, la musique arrive à la limite du
tangible: c'est elle qui arrondit les courbes, rectifie les angles
et permet, pendant un moment, de voir à la fois plus vaste et plus
riche.
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