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Quatre
émaux peints du XVIe siècle
par Philippe Verdier
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La collection des arts décoratifs de la Renaissance, appartenant à la Galerie
nationale, s'est enrichie par l'acquisition de quatre émaux peints:
un plat vénitien et trois oeuvres limousines, soit une crucifixion
et une paire de chandeliers. Ils donnent une excellente idée de
l' évolution des émaux peints du XVIe siècle et de
la diversité des objets en cuivre auxquels l'émail peint
était appliqué pour les décorer.
Plat vénitien, vers 15001 (fig. 1)
Le médaillon central est peint d'une colombe en blanc crémeux sur fond d'émail
bleu et vert, semé à l'or d'étoiles, d'une guirlande
et de deux frises de palmettes. Autour du médaillon, dix-huit godrons
forment une spirale. Ils sont peints en blanc et décorés
de palmettes dorées. Le bord du plat est orné d'un double guillochis
et d'une combinaison de rosaces à quatre branches ainsi que de calices
floraux. Le revers est émaillé de bleu saphir, semé
d'étoiles. Le triple dard enflammé qui sort du bec de la
colombe, symbole de l'Esprit-Saint, suggère que le plat a fait partie
d'une vaisselle liturgique. En effet, les émaux vénitiens
décorent non seulement des plats d'apparat pour la table et le dressoir,
mais des reliquaires, des chandeliers et des lampes pour le service des autels.
(2)
Les godrons de l'émaillerie vénitienne imitent
un élément de la structure des tazze et coppe costolate
des verres de Murano, qui s'inspirèrent de la verrerie à
nervures du Proche-Orient et des lointains modèles de celle-ci,
l'orfèvrerie sassanide. (3) On les retrouve sur les plats vénitiens
du Wadsworth Atheneum et de la galerie d'art Martin D'arcy de l'Université
Loyola à Chicago. (4) Quand aux motifs dorés sur émail
blanc, vert ou bleu, ils dérivent des fonds des émaux translucides
vénitiens qui, appliqués à l'orfèvrerie, furent
à la mode durant la deuxième moitié du XVe siècle,
(5)
dans la région alpestre située au nord de Venise.
Crucifixion, Limoges, milieu du XVIe siècle. (6)
Jean III Pénicaud? (fig. 2)
Cette plaque émaillée en grisaille a été vraisemblablement
exécutée dans l'atelier de Jean II Pénicaud, dont
on possède des oeuvres signées de 1531-1532 à 1549,
et peut-être par son fils, mentionné comme Pénicaud
émailleur dans les documents et baptisé Jean III par les
historiens de l'émail au XIXe siècle. (7) Vers la fin de la
quatrième décennie du XVIe siècle, la grisaille commence
à concurrencer les émaux colorés à Limoges. (8)
Le fait est concomitant d'un certain goût, général
alors en Europe, qui s'est manifesté en particulier dans le costume
et la sobriété chromatique de la mode, comme en Espagne.
La grisaille souligne l'importance prépondérante prise par
l'imitation de modèles gravés par les émailleurs et
l'influence des procédés techniques de la gravure. Au premier
rang vient la pratique des « enlevages », ou dégagements,
à la pointe ou au petit bois, du fond noir préalablement
durci au four et sur lequel l'émailleur triture en couches plus
ou moins opaques, ou transparentes, le modelé en émail blanc.
C'est par la gravure que les émailleurs limousins se sont initiés
au maniérisme florentin qui venait d'être importé
à la cour de France, à Fontainebleau, par Rosso et Le Primatice.
Léonard Limosin, qui s'exerça à la grisaille, avait
été présenté à Fontainebleau par Jean
de Langeac, évêque de Limoges de 1532 à 1541. (9) L'invasion
maniériste avait été préparée et fut
renforcée, à Limoges, par la diffusion des gravures de Marc-Antoine
et des artistes qui continuèrent l'école de Raphaël.
Le sfumato, manié avec dextérité
par l'auteur de la plaque de la crucifixion, est en accord avec le tragique
de la nuit qui tomba sur le Golgotha après que le centurion eut
percé d'un coup de lance le flanc du Christ qui venait d'expirer.
Des lueurs s'accrochent aux fers de lance, aux bannières, à
une hallebarde, à une tête casquée, à un masque
de vieillard, à l'arrière-plan et aux têtes de chevaux
hennissant de part et d'autre des jambes du crucifié. Le visage
du Christ, à la musculature presque michelangelesque, a repris une
expression sereine. L'index et le majeur font encore avec le pouce le geste
de bénir. Des paumes clouées, le sang ruisselle sur les avant-bras.
Les veines du bois de la croix, sous ses pieds, se confondent vaguement
avec des filets de sang. Marie-Madeleine, coiffée de ses tresses
lourdes et plates, est hébétée de douleur au pied
de la croix; elle ne saisit
pas cette dernière comme dans l'iconographie de la crucifixion à
partir du XVe siècle, et comme dans les crucifixions émaillées
à Limoges (fig. 3). La Vierge, représentée très
jeune et sans voile (ses seins pointent sous la draperie mouillée
de sa robe), est tombée sur le sol; les saintes femmes et saint
Jean l'assistent. De l'autre côté, une jeune femme montre
le Christ du doigt à un homme à la silhouette pontormesque, dont le visage est à demi caché et que son turban désigne
comme un Juif. y aurait-il ici un rappel et une interprétation fort
originale de l' « altercation », traditionnelle dans l'art
médiéval, de l'Église et de la Synagogue au pied de
la croix? À droite, un cavalier coiffé d'un bonnet phrygien
s'enfuit de la scène sur son cheval qui se cabre, et il se retourne
vers le Christ. Le bon larron a la tête affaissée du côté
du Christ; le mauvais larron fait un geste de révolte qui peut s'interpréter
comme le refus du Père de descendre délivrer son Fils.
L'émail attribué ici à l'atelier de Jean II Pénicaud ou à son école, ou à Jean
III Pénicaud, n'est pas signé, ni ne porte au revers,
poinçonnée dans le cuivre, la marque de Jean II et des oeuvres exécutées sous sa
direction. (10) Jean II Pénicaud fut un grand dessinateur, comme on le constate dans la crucifixion en grisaille,
signée de ses initiales, au musée de l'Ermitage à Leningrad
(11) (fig. 4). La croix y est mince et la traverse arquée, comme pour
traduire la strophe du Pange Lingua, hymne chantée à
la messe des présanctifiés le Vendredi saint: « Fléchis
tes branches, grand arbre, détends tes fibres rigides, et attendris la dureté que tu tiens de la nature
». Seule la main
du Christ, du côté de la Vierge, bénit. De la poitrine
du Christ, un jet de sang jaillit vers la Vierge. La couronne d'épines
est entourée d'un nimbe éblouissant de lumière. Les
jambes très courtes de la Vierge et de saint Jean comptent parmi
les maniérismes les plus notables de l'oeuvre.
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