Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 6, 1982-1983

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Quatre émaux peints du XVIe siècle

par Philippe Verdier


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La collection des arts décoratifs de la Renaissance, appartenant à la Galerie nationale, s'est enrichie par l'acquisition de quatre émaux peints: un plat vénitien et trois oeuvres limousines, soit une crucifixion et une paire de chandeliers. Ils donnent une excellente idée de l' évolution des émaux peints du XVIe siècle et de la diversité des objets en cuivre auxquels l'émail peint était appliqué pour les décorer.

Plat vénitien, vers 15001 (fig. 1)

Le médaillon central est peint d'une colombe en blanc crémeux sur fond d'émail bleu et vert, semé à l'or d'étoiles, d'une guirlande et de deux frises de palmettes. Autour du médaillon, dix-huit godrons forment une spirale. Ils sont peints en blanc et décorés de palmettes dorées. Le bord du plat est orné d'un double guillochis et d'une combinaison de rosaces à quatre branches ainsi que de calices floraux. Le revers est émaillé de bleu saphir, semé d'étoiles. Le triple dard enflammé qui sort du bec de la colombe, symbole de l'Esprit-Saint, suggère que le plat a fait partie d'une vaisselle liturgique. En effet, les émaux vénitiens décorent non seulement des plats d'apparat pour la table et le dressoir, mais des reliquaires, des chandeliers et des lampes pour le service des autels. (2)

Les godrons de l'émaillerie vénitienne imitent un élément de la structure des tazze et coppe costolate des verres de Murano, qui s'inspirèrent de la verrerie à nervures du Proche-Orient et des lointains modèles de celle-ci, l'orfèvrerie sassanide. (3) On les retrouve sur les plats vénitiens du Wadsworth Atheneum et de la galerie d'art Martin D'arcy de l'Université Loyola à Chicago. (4) Quand aux motifs dorés sur émail blanc, vert ou bleu, ils dérivent des fonds des émaux translucides vénitiens qui, appliqués à l'orfèvrerie, furent à la mode durant la deuxième moitié du XVe siècle, (5) dans la région alpestre située au nord de Venise.

Crucifixion, Limoges, milieu du XVIe siècle. (6)
Jean III Pénicaud? (fig. 2)


Cette plaque émaillée en grisaille a été vraisemblablement exécutée dans l'atelier de Jean II Pénicaud, dont on possède des oeuvres signées de 1531-1532 à 1549, et peut-être par son fils, mentionné comme Pénicaud émailleur dans les documents et baptisé Jean III par les historiens de l'émail au XIXe siècle. (7) Vers la fin de la quatrième décennie du XVIe siècle, la grisaille commence à concurrencer les émaux colorés à Limoges. (8) Le fait est concomitant d'un certain goût, général alors en Europe, qui s'est manifesté en particulier dans le costume et la sobriété chromatique de la mode, comme en Espagne. La grisaille souligne l'importance prépondérante prise par l'imitation de modèles gravés par les émailleurs et l'influence des procédés techniques de la gravure. Au premier rang vient la pratique des « enlevages », ou dégagements, à la pointe ou au petit bois, du fond noir préalablement durci au four et sur lequel l'émailleur triture en couches plus ou moins opaques, ou transparentes, le modelé en émail blanc. C'est par la gravure que les émailleurs limousins se sont initiés au maniérisme florentin qui venait d'être importé à la cour de France, à Fontainebleau, par Rosso et Le Primatice. Léonard Limosin, qui s'exerça à la grisaille, avait été présenté à Fontainebleau par Jean de Langeac, évêque de Limoges de 1532 à 1541. (9) L'invasion maniériste avait été préparée et fut renforcée, à Limoges, par la diffusion des gravures de Marc-Antoine et des artistes qui continuèrent l'école de Raphaël.

Le sfumato, manié avec dextérité par l'auteur de la plaque de la crucifixion, est en accord avec le tragique de la nuit qui tomba sur le Golgotha après que le centurion eut percé d'un coup de lance le flanc du Christ qui venait d'expirer. Des lueurs s'accrochent aux fers de lance, aux bannières, à une hallebarde, à une tête casquée, à un masque de vieillard, à l'arrière-plan et aux têtes de chevaux hennissant de part et d'autre des jambes du crucifié. Le visage du Christ, à la musculature presque michelangelesque, a repris une expression sereine. L'index et le majeur font encore avec le pouce le geste de bénir. Des paumes clouées, le sang ruisselle sur les avant-bras. Les veines du bois de la croix, sous ses pieds, se confondent vaguement avec des filets de sang. Marie-Madeleine, coiffée de ses tresses lourdes et plates, est hébétée de douleur au pied de la croix; elle ne saisit pas cette dernière comme dans l'iconographie de la crucifixion à partir du XVe siècle, et comme dans les crucifixions émaillées à Limoges (fig. 3). La Vierge, représentée très jeune et sans voile (ses seins pointent sous la draperie mouillée de sa robe), est tombée sur le sol; les saintes femmes et saint Jean l'assistent. De l'autre côté, une jeune femme montre le Christ du doigt à un homme à la silhouette pontormesque, dont le visage est à demi caché et que son turban désigne comme un Juif. y aurait-il ici un rappel et une interprétation fort originale de l' « altercation », traditionnelle dans l'art médiéval, de l'Église et de la Synagogue au pied de la croix? À droite, un cavalier coiffé d'un bonnet phrygien s'enfuit de la scène sur son cheval qui se cabre, et il se retourne vers le Christ. Le bon larron a la tête affaissée du côté du Christ; le mauvais larron fait un geste de révolte qui peut s'interpréter comme le refus du Père de descendre délivrer son Fils.

L'émail attribué ici à l'atelier de Jean II Pénicaud ou à son école, ou à Jean III Pénicaud, n'est pas signé, ni ne porte au revers, poinçonnée dans le cuivre, la marque de Jean II et des oeuvres exécutées sous sa direction. (10) Jean II Pénicaud fut un grand dessinateur, comme on le constate dans la crucifixion en grisaille, signée de ses initiales, au musée de l'Ermitage à Leningrad (11) (fig. 4). La croix y est mince et la traverse arquée, comme pour traduire la strophe du Pange Lingua, hymne chantée à la messe des présanctifiés le Vendredi saint: « Fléchis tes branches, grand arbre, détends tes fibres rigides, et attendris la dureté que tu tiens de la nature ». Seule la main du Christ, du côté de la Vierge, bénit. De la poitrine du Christ, un jet de sang jaillit vers la Vierge. La couronne d'épines est entourée d'un nimbe éblouissant de lumière. Les jambes très courtes de la Vierge et de saint Jean comptent parmi les maniérismes les plus notables de l'oeuvre.

Page Suivantemusée de Louvre

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