Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 6, 1982-1983

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Quatre émaux peints du XVIe siècle

par Philippe Verdier


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Au musée du Louvre, une crucifixion de Jean II, en émaux colorés, est poinçonnée au revers, signée d'initiales à l'avers et datée de 1542 (12) (fig. 5). La main droite bénissante du Christ et la couronne d'épines lumineuse rappellent la crucifixion de l'Ermitage. Mais on retrouve l'anatomie héroïque du Corpus d'Ottawa et, dans une version plus paysanne et dans sa posture traditionnelle, Marie-Madeleine, dont les seins pointent sous l'étoffe. La composition est encombrée, à la manière des allégories médiévales, par des banderoles où sont inscrits des versets des psaumes et d'Isaïe annonçant et préfigurant la crucifixion. L'écusson adossé contre la croix est écartelé du lion griffon, qui timbre l'écu au même endroit que sur l'émail de Leningrad et désigne un membre de la famille d'Épinay. Marie-Madeleine étreignant le pied de la croix réapparaît sur la crucifixion en grisaille, anonyme, de la Walters Art Gallery, à Baltimore (13) (fig. 6). Son Corpus est proche de celui d'Ottawa. Les rais de lumière autour de la tête du Christ alternent avec des fleurons qui ont leur origine dans l'enluminure de la fin du Moyen Âge. Les jambes de la Vierge et de saint Jean sont encore très courtes, comme sur la crucifixion de l'Ermitage. La Vierge semble clouée sur place; saint Jean est comme suspendu dans une étrange course chorégraphique. Le dessin est cerné et dur comme sur les émaux de Jean II, mais les formes s'estompent, sans toutefois se diluer dans le sfumato.

Une crucifixion signée I. P. et poinçonnée au revers passa, en 1885, de la collection Watelin, au château de Goluchow. (14) Un baiser de paix, émaillé d'une crucifixion et poinçonné, appartenait en 1908 à un certain Pollak, d'après une note de J. J. Marquet de Vasselot, dans ses papiers laissés au Louvre. (15) Le Corpus amaigri de l'émail de l'Ermitage, la Vierge croisant ses doigts crispés et le saint Jean bondissant de la crucifixion de Baltimore (16) sont intégrés sur l'un des dix médaillons ovales en grisaille, retraçant la Passion, sur le pied d'un ostensoir (ou d'un calice?) dont la partie supérieure manque au Victoria and Albert Museum (C. 2427-1910) (17) (fig. 7). Les draperies en entonnoirs et en tourbillons de ce médaillon de la crucifixion sont semblables à celles de la crucifixion de Baltimore.

Le saint Jean échevelé et la sainte femme à la tête voilée de la crucifixion d'Ottawa se réincarnent dans le Nicodème et la Vierge d'une mise au tombeau vendue à l'hôtel Drouot, à Paris, le 19 mars 1946, et acquis plus tard par Madame Gabrielle Kopelman, de New York (fig. 8). Elle est émaillée en grisaille sur une plaque rectangulaire échancrée qui s'emboîte dans le médaillon Le Christ enfant parmi les docteurs, au Victoria and Albert Museum (790-1877). (18) L'assemblage reproduit exactement l'emboîtement des mêmes sujets dans un encadrement fait de onze scènes de la vie du Christ autour d'une grande plaque représentant l'Ascension, au musée de l'Ermitage. (19) Tous les émaux colorés de cette pièce composite sont timbrés au revers du poinçon de Jean II Pénicaud.

Comme l'a signalé Jennifer Godsell dans sa thèse de doctorat sur Maître KIP et les émailleurs en grisaille à Limoge, (20) thèse soutenue en 1981 à l'Université de Cambridge, en Angleterre, la crucifixion de la Galerie nationale est à rattacher à un groupe d'émaux du Louvre, reconnus par J. J. Marquet de Vasselot comme appartenant à l'école de Jean II Pénicaud: la Vierge à l'Enfant, la Famille de sainte Anne (fig. 9), Sainte Catherine et Saint Jérôme. (21) Dans la Famille de sainte Anne, la figure à gauche est à rapprocher de la sainte femme, à gauche de la Vierge, dans la crucifixion d'Ottawa. La figure de droite (fig. 10) a la même coiffure et laisse tomber sa main de la même manière, avec le poignet replié, que la Marie-Madeleine de cette crucifixion. (22) Les émaux du Louvre et la crucifixion d'Ottawa baignent dans les mêmes brumes du sfumato et partagent les mêmes traits physionomiques et anatomiques, analysés par Jennifer Godsell comme étant les coins des bouches tombant et formant un V, nez petits et pointus, aux narines retroussées, yeux bridés, poignets anormalement minces.

Derrière le rattachement de la crucifixion d'Ottawa à l'école de Jean II Pénicaud, faut-il reconnaître la personnalité de Jean III? On a attribué à cet énigmatique émailleur un assez grand nombre de grisailles, exécutées la plupart avec une curieuse technique de touches blanches comme gouachées, pareilles à des flocons d'écume. Dans le dynastie des Pénicaud, il doit être ce « Pénicaud esmalheur » cité dans des documents de 1573 et de 1576 aux archives de Limoges, et mentionné en 1571 et en 1578 dans la suite des consuls de Limoges. S'il est le fils de Jean II, combien de temps est-il resté dans l'atelier paternel avant de devenir un maître indépendant? Sa première manière, avant l'impressionnisme de la touche, a-t-elle été le clair-obscur? Je lui ai attribué deux émaux au musée de Saint-Louis (Missouri) incontestablement dans la même technique de grisaille que la crucifixion de la Galerie nationale. L'un représente Alexandre le Grand faisant déposer dans un sarcophage l'Iliade d'Homère (fig. 11), d'après la fresque en grisaille de Giovanni Francesco Penni à la Stanza della Segnatura du Vatican (gravée par Marc-Antoine); la seconde, un sujet interprété comme Alexandre devant les prêtres d'Ammon (fig. 12). (23) Si on les compare avec la crucifixion d'Ottawa, ce sont les mêmes effets de pénombre scandée par des lances, l'étincellement de lueurs, les mêmes draperies mouillées sur des corps spongieux. Sur le couvercle et sur le fond d'une tazza émaillée en grisaille (fig. 13a), attribuée à Pierre ou Jean III Pénicaud à la Walters Art Gallery, (24) sont juxtaposées la manière sfumato et la manière gouachée, et l'on retrouve le cheval hennissant de l'émail d'Ottawa, le casque à la romaine et l'armure plaquée (fig. 13b) sur le thorax comme sur le centurion de la crucifixion. L'attribution de la crucifixion de la Galerie nationale à Jean III n'est qu'une hypothèse plausible. Peut-être qu'un jour un document, ou une comparaison avec une oeuvre signée, permettra d'établir l'identité de son auteur.

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