Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 8, 1984-1985

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Harold Town et l'art du collage:
À propos de Musique a l'arrière, 1958-1959

par Denise Leclerc

English Summary

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Le phénomène de la destinée du collage au cours du XXe siècle est assez singulier. Dérivée d'une pratique d'origine populaire, la technique du collage a réussi l'exploit de dépassement d'un statut d'art mineur en une des expressions artistiques prédominantes de cette même période. Par la nature de sa réalisation, le collage impose l'attention sur le processus des déchirures, discontinuités et ruptures; (1) ces exigences structurelles peuvent être analysées au plan sociologique comme une métaphore du cheminement de la société industrielle moderne en état de mutation perpétuelle. Pour l'artiste moderniste cependant, le collage représente plus spécifiquement une stratégie de choix « dans la remise en cause de toutes les illusions de la représentation ». (2)

Le premier usage pertinent du collage dans l'histoire de l'art moderne date de la période cubiste de Braque et de Picasso, alors préoccupés par la question de la création d'effets tridimensionnels par des moyens non sculpturaux. (3) Le fragment trompe-l'oeil collé de l'oeuvre cubiste trompera et détrompera à la fois, en révélant, par son intégration à la composition, sa nature illusoire. La provenance de ce même morceau emprunté au circuit des produits manufacturés dénotera une appropriation d'une technique d'art populaire et cherchera à ébranler les assises hiérarchiques du système des beaux-arts.

Aussi le collage renferme-t-il en ses opérations un aspect de 
« bricolage » au sens d'une activité ludique pure dans le rassemblement et le montage de fragments hétéroclites. L'artiste moderne sophistiqué retire évidemment un plaisir flagrant (4) à frôler de près une pratique d'art populaire et contribue par là à lui accorder ses lettres de noblesse.

Les dadaïstes et les surréalistes ont par la suite renchéri sur l'usage du collage car il permettait aux uns de s'aguerrir dans une esthétique de la provocation, aux autres de découvrir des associations psychiques incongrues. Les futurs expressionnistes abstraits américains y auraient été initiés par l'entremise de Peggy Guggenheim, qui aurait demandé à ses amis peintres Motherwell, Baziotes et Pollock de participer à la première exposition américaine de collages à la galerie Art of This Century, en compagnie des Picasso, Ernst, Miro, Braque et Arp, en 1943. (5)

Harold Town fut un artiste accompli du collage dès la seconde partie des années cinquante et figure parmi les premiers Canadiens à en avoir effectué l'exercice savant; il cherche toujours d'ailleurs à y découvrir de nouvelles avenues. Il faut mentionner qu'en plus de contribuer à l'histoire de la révélation des codes illusionnistes de la représentation, le collage offrait une matrice inouïe dotée de possibilités combinatoires infinies. Harold Town ambitionnait, au début des années cinquante, de poursuivre le développement logique du cubisme et plus particulièrement du traitement de la surface bidimensionnelle. (6) L'oeuvre Trois musiciens, 1949-1950 (fig. 1) par exemple, dont la manière peut être qualifiée de cubisme expressionniste, démontre, par la densité et la multiplicité de ses facettes, une assimilation créative du cubisme. La filière cubiste constituera donc le filon prometteur par lequel l'artiste élaborera ses recherches (voir fig. 2).

L'artiste s'illustre vers le milieu des années cinquante par ses estampes (7) - des monotypes autographes (voir fig. 3). Cette série d'estampes, les « single autographic prints » - qu'une ingénieuse traduction française a désigné par le vocable de 
« litho-montages » (8) - présage l'abondante production de collages qui s'ensuivit. (9) Ces estampes sont composées à partir d'un montage d'éléments d'origines diverses dont le rôle est de créer différents effets de textures, de coloris et parfois de faibles niveaux de profondeur. (10) La procédure de montage s'avère le moteur essentiel de la composition.

On sait que cette opération de montage s'est imposée dans la peinture cubiste au moment où des papiers collés sont apparus dans les oeuvres. Harold Town découvrit au milieu des années cinquante les possibilités immenses de ce couple opératoire collage / montage; le collage consiste essentiellement à déplacer et à coller des matériaux, relevés d'un contexte à un autre, alors que le montage se distingue par une étape intermédiaire de distribution de ces emprunts en un nouvel arrangement avant leur adhésion définitive.

Harold Town utilise bientôt ses estampes non retenues comme matériau de collages (voir fig. 4) où il leur insuffle une vie nouvelle. L'artiste interprète en partie le procédé d'une manière analogiquement formaliste, de l'art pour l'art si l'on prend l'expression au pied de la lettre, l'art se nourrissant littéralement de lui-même; cependant, des considérations écologiques n'y sont ironiquement point absentes. (11) Herta Wescher, responsable d'une étude approfondie sur l'histoire internationale du collage, a observé qu'à la suite de Arp, de nombreux artistes se sont servis de leurs propres oeuvres déchiquetées dans leurs collages et ce, souvent dans l'ignorance les uns des autres. (12) Il s'agit de morceaux souvent écartés pour des raisons techniques qui, en leur qualité de rebuts, acquièrent le statut nécessaire comme matériau de collage.

Harold Town aurait réalisé ses premiers collages en 1954. (13) Vers 1957, les collections archéologiques du Musée royal de l'Ontario lui inspirent une série de collages qui trouveront leur place dans la communauté muséale puisque la plupart des grands musées canadiens en acquerront un exemple (voir fig. 5). Selon l'expression de l'artiste, ce musée de Toronto représentait lui-même un immense collage. (14) Musique à l'arrière, 1958-1959 (fig. 6), suit chronologiquement cette série qui se voulait un hommage vibrant au responsable de l'enrichissement de ces collections, le premier conservateur du musée torontois d'archéologie, C. T. Currelly (voir fig. 4). Avant que l'oeuvre ait pu s'imposer dans sa totalité, son achèvement a demandé plusieurs mois de travail. Harold Town compare le montage et la construction d'un collage à l'édification d'une cathédrale, pierre par pierre, processus répartis sur une longue période afin que les matériaux choisis, investis d'une présence hallucinatoire (au sens surréaliste), puissent trouver leur place d'appoint. (15) Le 
« savoir-choisir » (16) devient ainsi l'acte créateur fondamental.

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