Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 8, 1984-1985

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Harold Town et l'art du collage:
À propos de Musique a l'arrière, 1958-1959

par Denise Leclerc

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Finalement, Musique à l'arrière est riche de plusieurs considérations en ce qui concerne la composition. Nous avons mentionné plus haut que le matériau de l'appareil de télévision réitère la nature du support et que les coulées contrôlées rappellent par leurs couleurs primaires la grille de Mondrian. Les étiquettes se lisent difficilement puisqu'elles sont retournées (ce qui donne au lettrage une apparence vaguement constructiviste). Les papiers de soie révèlent par leur transparence différentes textures réelles, alors que paradoxalement, l'étiquette de porto Kopke représente une illusion de texture. Les pailles qui bouchent les trous d'aération du téléviseur répètent les perforations du bas; de petits cercles colorés reprennent cette forme mênie. La ligne oblique presque unique du collage, déterminée par une paille (redoublée par la position de la partition), (35) fait songer au rôle joué par le couteau dans la nature morte traditionnelle; alors que l'obliquité du couteau sert habituellement à marquer l'espace en profondeur, dans ce cas précis, la paille oblique sert plutôt à souligner l'intérêt de la bidimensionnalité du plan pictural malgré les effets de relief et de transparence. La légèreté de certains matériaux (éventail, papiers de soie, pailles) vient contrebalancer la lourdeur de l'endos du téléviseur. Enfin, les coins supérieurs ont été laissés presque vides, tout comme dans L'effondrement d'une présence, 1957 (The Robert McLaughlin Gallery, Oshawa), amorçant la problématique de la série sur la tyrannie des coins, qui porte sur leur importance fondamentale dans l'articulation d'une composition.

Musique à l'arrière se rapproche davantage en esprit de ce qui était considéré à l'époque comme un courant néo-dadaïste que de l'expressionnisme abstrait américain gestuel qui touchera davantage d'autres membres du Groupe des Onze. Le vocable néo-dadaïste désignait toutes sortes d'activités qui servaient à transgresser les limites des genres en arts visuels, en musique et en théâtre. Rauschenberg et John Cage aux États-Unis, de même qu'Yves Klein en France en seront les protagonistes les plus marquants. Des activités analogues se développeront à Toronto au début des années soixante, avec par exemple les peintres-musiciens du groupe Artists' Jazz Band. Nous retrouvons dans Musique à l'arrière cette même propension au débordement des genres. Dans ce collage / construction / peinture au bas-relief accentué en certains endroits, la présence de la musique est fortement suggérée; on s'attend à ce qu'elle s'y ajoute.

Enfin, Musique à l'arrière dénote par sa sensibilité une tension entre deux pôles d'attraction artistique, l'Europe et New York. Malgré la fascination exercée par New York sur cette génération d'artistes canadiens, les écoles européennes réussissaient toujours à polariser ces mêmes artistes, du moins par l'entremise des revues d'art. Harold Town possède une grande facilité dans le dessin; la virtuosité lui vient naturellement; il se passionne pour la complexité formelle. Ces atouts - jugés par trop européens pour une école américaine en rébellion prônant les critères de difficulté dans l'exercice du dessin, du refus de l'équilibre formel et de la recherche d'une apparence primitive - se retournent contre lui si l'on adopte une perspective rigoureusement américaine. La situation canadienne, où la persistance du modèle européen exerçait toujours à l'époque une force véritable au niveau des valeurs fondamentales, nous oblige à relativiser cet éclairage américanisant. Une perspective particulière canadienne devient nécessaire pour bien illustrer la complexité de la situation. Mieux que quiconque, Harold Town exprimait vers 1956 ses propres déchirements quant au contexte artistique prévalant, et il peut ainsi se faire facilement le porte-parole de cette génération: « Je suis fasciné par le rejet de l'école de New York...toutefois j'admire la richesse et le goût européens. J'espère unifier dans mon oeuvre les tensions et innovations véritables de l'école new-yorkaise avec la grande tradition européenne ». (36)

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