Accueil
English
Introduction
Histoire
Index annuel
Auteur et Sujet
Crédits
Contact |
Harold Town et l'art du collage:
À propos de Musique a l'arrière, 1958-1959
par Denise Leclerc
Pages 1
| 2 | 3 |
4 | 5
Il existe une perspective « mécanique » dans Musique à l'arrière qui a été
bien camouflée sous l'amoncellement des pailles et des dégoulinades,
obturant ainsi l'identification des caractéristiques du panneau
accolé. La présence réelle des machines ou de ses
composantes est relativement récente en art et est réservée
dans la plupart des cas au XXe siècle. (27) La machine ou ses parties
figureront bien souvent comme l'objet trouvé tout désigné
ou le
« readymade » parfait. La complexité ou même
parfois la miniaturisation des mécanismes de machines ont exercé
une fascination sur l'artiste. Ceux-ci s'apparentent peut-être aux
réelles « difficultés et complexités de l'art », (28) selon l'expression de Town. Plusieurs
oeuvres, en peinture notamment,
explorent les complexités de la miniature (à l'aide de signes
calligraphiques soignés, par exemple): l'artiste est passé
maître dans l'art des changements brusques d'échelle de sorte
que l'oeil doit s'ajuster tout comme l'objectif d'une caméra (par
exemple Parc no 1, 1970, Banque d'oeuvres d'art du Conseil
des Arts du Canada). Une visite à ses ateliers (29) nous a fait voir
diverses machines éparpillées ou encore des composantes de
circuits intégrés attendant le jour de leur élection comme matériau. En outre, notre fragment d'appareil de télévision
initial pourrait être considéré, selon certains, comme
la machine à collages par excellence! (30)
Le collage peut être envisagé
en certaines circonstances comme une version moderne de la nature morte.
Suivant la hiérarchie traditionnelle des genres en peinture, la
description des objets est élaborée plus spécialement
dans une catégorie devenue graduellement ce que nous appelons la
nature morte. Au XVIIe siècle par exemple, la représentation
d'instruments de musique connotait un message moral faisant allusion « aux plaisirs
fugitifs » (31) de la vie. Vers la fin du XIXe siècle aux États-Unis,
une école de peinture, regroupant quelques artistes autour de William
Harnett, a transformé la nature morte en trompe-l'oeil saisissant,
au bénéfice d'un plaisir visuel évident. Musique,
1890 (fig. 10), de Julian Seavey (Musée des beaux-arts du Canada),
représente un excellent modèle canadien dans le genre.
Parmi d'autres essais canadiens remarquables d'illustration de la musique, qui, doit-on le rappeler, est
ontologiquement insaisissable, fugace et invisible, Le rassemblement des
sons,
1928 (Winnipeg Art Gallery), de Bertram Brooker effectue peut-être
une métaphore entre le son et l'infiniment petit, qui sont invisibles
à l'oeil nu. Ce dernier est cependant rendu visible grâce
à la technologie microscopique; on a l'impression, chez Brooker,
que ses visions procèdent des découvertes de structures révélées
par cet instrument d'optique. Certains collègues de Harold Town
faisant partie du même Groupe des Onze se sont également intéressés
à la musique à l'époque où Musique à
l'arrière a été réalisé: Hortense
Gordon dans Composition musicale, v. 1958, Alexandra Luke dans Symphonie, 1957 (tous deux à The Robert McLaughlin Gallery,
Oshawa) ou encore Jock Macdonald dans Trompettiste déchaîné,
1957 (collection particulière, Whitby [Ontario]).
L'utilisation explicite de la page musicale
(voir l'emploi d'un fragment de feuille de musique par Picasso, fig. 11)
dérivant vers la droite dans Musique à l'arrière
fait directement référence à ce modèle
que la musique est devenue au cours du siècle pour la peinture,
à la recherche de son autonomie et de sa spécificité.
La présence de la musique est suggérée à l'arrière
d'une manière ambiguë. S'agit-il de l'arrière du tableau
ou de l'arrière du téléviseur? Quelle que soit sa
position, devant ou derrière l'oeuvre (cette dernière considération
est purement spéculative), le spectateur ne peut voir qu'un endos,
soit du téléviseur, soit du tableau. Il est également
confronté à une lecture de lettres retournées comme
si, soudainement, l'intérêt glissait au niveau de l'invisible
ou de l'illisible.
Il a été brièvement
mentionné ci-haut qu'Harold Town avait produit un groupe de collages
qui s'inspiraient des collections orientales du Musée royal de
l'Ontario vers 1957-1958. Certains de ces collages comme Place à
Ninive, 1958 (fig. 5), arborent quelques lignes fines qui créent
des liens entre les plans de couleur et les unissent par une sorte de couture.
D'autres portent la marque d'un réseau complexe de traits, par exemple
les Folies sur glace, 1959-1960 (Art Gallery of Hamilton). Ces lignes
constituent en quelque sorte une écriture abstraite et rappellent
les signes calligraphiques des peintures de l'artiste. Les collages des
années cinquante contiennent ces multiples signes dessinés
par-dessus les pièces collées qui se trouvent, en fait, à
signer d'une griffe personnalisée d'anonymes éléments
collés. Cette compulsion au dessin dans le collage est une
caractéristique de cette période et semble s'atténuer dans
les collages récents en couleurs un peu plus saturées, alors
que Town poursuit une intense production dessinée indépendante.
Musique à l'arrière n'est probablement pas l'exemple
le plus pertinent pour illustrer ce commentaire sur l'influence des calligraphies
orientales. La présence d'un éventail représente cependant
une allusion plus directe à la provenance de ces influences que l'artiste
considère comme fondamentales (par exemple, dans l'hommage rendu
à Sotatsu dans Jardin pour Sotatsu, 1957, collection de l'artiste).
Un rapport historique existe entre le
collage et la calligraphie; des calligraphes japonais transcrivaient
au XIIe siècle des poèmes sur des morceaux de papier irréguliers
et les montaient en collages. (32) La combinaison du dessin calligraphié
et du collage s'est donc modernisée chez Town dans le renouvellement
de cette alliance. Les calligraphies japonaise et chinoise ont vivement
intéressé les artistes de cette génération
(par exemple Franz Kline aux États-Unis ou Guido Molinari au Canada)
qui étaient fascinés par leurs valeurs esthétiques.
Le Museum of Modern Art de New York a présenté en 1954
une exposition de calligraphes japonais modernes et abstraits, qui a créé
certains remous dans ces milieux passionnés par ce traitement de
l'écriture comme l'un des beaux-arts. En fait, la calligraphie
est un art du dessin qui s'identifie complètement à l'art
de la couleur. La calligraphie abstraite offrait une solution temporaire
à ce conflit séculaire en art occidental entre l'importance
relative du dessin et de la couleur et attirait ces artistes qui, comme
Jackson Pollock, tentaient d'en réduire la tension.
Peu d'artistes canadiens avaient à
leur actif à la fin des années cinquante un corpus de travaux
en collage aussi vaste que Harold Town. (33) Tom Hodgson, par exemple, un
collègue du Groupe des Onze, avait pratiqué le collage d'une
manière plus intégrée aux compositions à l'huile
et à l'aquarelle. Michael Snow et Joyce Wieland avaient réalisé
des collages au milieu des années cinquante, mais leur expression
à travers cette technique ne prendra son envol véritable,
tout comme pour Charles Gagnon, que vers 1960. Jean Dubuffet pensait que
le terme collage devait être réservé aux oeuvres réalisées
par Braque, Picasso et les dadaïstes entre 1910 et 1920 et que le
mot assemblage convenait mieux en d'autres circonstances. (34) On estime
désormais que le terme collage s'applique toujours très bien
à tout type de papiers collés avec quelques éléments
en relief mais que l'expression assemblage devient plus appropriée
lorsque des composantes à trois dimensions prédominent.
Page Suivante | la composition de Musique
à l'arrière
1
| 2 | 3 |
4 | 5
Haut de la page
Accueil
| English | Introduction
| Histoire
Index annuel |
Auteur
et Sujet | Crédits |
Contact
Cette
collection numérisée a été produite aux termes d'un contrat
pour le compte du programme des Collections numérisées du
Canada, Industrie Canada.
"Programme
des Collections numérisées, droit d'auteur © Musée
des beaux-arts du Canada 2001"
|