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TERREUR À LA MISSION – Page 2

Terreur au Lac La Biche, 17 avril au 22 mai 1885 (suite)

Ne se doutant pas que l'attaque arriverait bientôt, les prêtres et frères ont passé leurs journées et soirées à cacher et à enterrer leurs nourriture et possessions dans le sable du bord du lac, sous le fumier de grange et sous le plancher de la résidence pour que les pilleurs ne puissent rien prendre.

Après neuf jours d'attente, le 26 avril à 6 heures, Mme Cardinal, mère de Julian Cardinal et servante dévouée de la mission, est finalement arrivée après avoir traversé la brousse et vu des mousquets. Elle nous a prévenu de l'approche des Indiens Crees de Big Bear. Ils avaient passé la nuit sur le bord du lac Beaver. Même s'ils n'étaient que dix, ils ont prétendu être nombreux pour intimider les Indiens qui s'étaient réveillés en sursaut. Ainsi, les Indiens ont perdu à cause de la peur. Personne n'a refusé les ordres donnés. Ils se sont tous dirigés vers le magasin de la compagnie de la Baie d'Hudson, avec les métis de Big Bay rejoignant leurs rangs. Ces nouveaux venus étaient heureux de faire partie du groupe qui pillait.

Pat Pruden, responsable du poste, ne pouvait résister sans aide militaire donc il leur a donné les clés. Puis chaque homme, femme et enfant se précipitait et pillait le magasin. En moins de quinze minutes ils avaient vidé le magasin de ses provisions de nourriture, des denrées non périssables, de tabac, de munition, de fourrures et d'ameublements. Puis, rageusement, ils ont cassé les fenêtres, les portes et les meubles, déchiré les livres de comptabilité, tailladé les tapis, coupé en lambeaux les robes de soie de Mme Young.

Treize mille dollars de fourrure ont été soit volés ou détruits. Heureusement, aucun feu n'a été allumé alors que cet ordre avait été donné par le chef. Lorsqu'il n'y a plus rien eu à casser ou prendre, ce groupe de vandales est parti paisiblement pour jouir des biens si facilement volés. Il n'y a pas eu d'effusion de sang.

Pat Pruden, qui s'était échappé, est arrivé à la mission à 15 heures. Il a parlé de la destruction du fort par les Indiens. Maintenant, la mission de Notre-Dames des Victoires pouvait s'attendre à ce que ce même groupe de pilleurs arrive dans quelques heures. Heureusement, Julian Cardinal avait pu recruter au moins quinze métis qui étaient déterminés à défendre la mission. D'autres les ont rejoint ainsi que les frères qui étaient armés afin de pouvoir se défendre en cas de besoin.

Après une nuit angoissante, un coup de feu a été entendu tôt le matin et à la lisière de la forêt on pouvait voir un indien avec sa peinture de guerre. Il s'avançait vers la mission après avoir déposé son fusil par terre (un geste de paix). En un instant tous les hommes de la mission se sont rassemblés autour des évêques et des prêtres.

Le messager a dit : « je viens au nom de mes chefs qui veulent connaître vos convictions politiques. Êtes-vous pour Riel ou le gouvernement? Êtes-vous prêts à nous donner hommes et munitions ou pas? »

Le métis répondit : « Nous sommes apolitiques; nous n'appartenons à aucun parti politique. Nous voulons vivre en paix. Les quelques armes que nous avons servent à notre propre survie. Nous ne voulons faire partie de la garde d'honneur de Big Bear ».

L'indien, visiblement ennuyé, est parti sans un mot mais un peu plus loin il s'est arrêté et vomit de rage. Il leur a dit que Big Bear viendrait en personne, accompagné par deux cent guerriers pour venger les Indiens par rapport à cette insulte. Les hommes armés (les défenseurs de la mission), étonnés de leur propre audace et effrayés par ces menaces, allèrent dans les bois. Leur exemple était contagieux et en peu de temps les familles cherchaient refuge soit dans la forêt, soit sur les îles. Les sœurs aussi voulaient partir la nuit pour se réfugier. Monseigneur Faraud éprouvait des difficultés à les persuader de rester jusqu'au lendemain.

Très tôt le matin, la caravane des sœurs serpentait doucement sur le lac gelé. Cela consistait en quatorze traîneaux portant les malades, des vêtements et de la nourriture. Six sœurs, deux sœurs auxiliaires et sept filles les suivaient à pied. Le vent froid du nord nous glaçait les os. La glace qui n'était déjà pas dans les meilleures des conditions se casserait sous le poids des chevaux et du bétail. Enfin, vers 6 h 30, après avoir voyagé sur une distance de trois milles, les réfugiés sont arrivés sur cette petite île recouverte d'arbres. Il y avait une petite cabine de pêcheurs. Dès que les biens ont été déchargés, les tentes ont été plantées et les conducteurs des traîneaux sont retournés à la mission laissant le jeune père LeTreste en charge des besoins spirituels des réfugiés. Frère Jean-Marie avait comme tâche de pêcher. Selon le père LeTreste, tout le monde est mort de peur au moins cent fois en attendant du secours.

Le 3 mai, l'une des soeurs écrivait : « cette terrible peur nous a poussé sur cette île, l'île à la Pêche. Nous mourons de peur, nous sommes ici avec trois familles de métis qui ne sont pas très dignes de confiance ».

« Ah, cher père Lestanc, je vous implore d'essayer de nous ôter de cette horrible situation. Nous périssons ici. En apprenant que M. Young envoyait sa famille à Edmonton via Tawatinaw, j'ai perdu tout courage. La police ne vient-elle pas secourir les personnes du Lac La Biche? Mes chères et bien-aimées soeurs, que va t-il nous arriver, aux enfants et à moi-même ? »

« Monseigneur Faraud, père Collignon et cinq frères sont dans la mission. Monseigneur Faraud est très encourageant, il a confiance en la divine providence. Père Collignon est épuisé et inquiet. »

Alors que la date fixée par Big Bear approchait, l'angoisse se propageait chez toutes les personnes concernées. Tout le monde était conscient qu'une douzaine d'hommes ne pouvait les protéger, même s'ils faisaient semblant. La nuit du 2 mai, un incident a causé beaucoup de perturbations. Un orphelin qui aidait le frère Milcens, à six milles d'ici, est arrivé à la mission aussi pale qu'un fantôme.

Il a dit qu'en rassemblant le bétail et les chevaux près du lac Montagnais, un indien non armé est sorti du buisson et lui a demandé :
« es-tu seul ici? »
« Oui » a répondu le garçon.
« Est ce que les Indiens ont déjà atteint la mission? »
« Je ne sais pas »
« Alors tu as intérêt à courir de suite sinon je vais te tuer ».
Le garçon n'a pas attendu une seconde menace – il est parti rapidement.

L'espion qui rôdait autour de la mission, le soir où les guerriers de Big Bear étaient supposés arrivés, était de mauvais augure. Mais rien n'est arrivé pendant les deux jours suivants. Il semble le plus probable que Big Bear planifiait une attaque surprise. « Si le gouvernement n'envoie pas des soldats prochainement pour nous protéger, » a dit Monseigneur Faraud, « notre agonie pourrait durer longtemps ».

En fait, personne n'était rassuré. Nous sentons cette anxiété dans la lettre du père Collignon adressée au bon père P. Lestanc le 4 mai : « je n'aurais jamais pensé que Dieu le père voulait nous transformer en martyrs. Il a demandé cela de nous. Que son nom soit béni! Domine non sum dignus, c'est ce que vous avez écrit dans votre dernière lettre. Jusqu'à maintenant, je dis la même chose; cependant, alors que je t'écris ces lignes, notre position ici est fort incertaine. Vous pouvez dire que nous sommes entre la vie et la mort. Je pense que c'est un miracle que la mission n'ait pas encore été attaquée. Tous les membres de la tribu de Big Bear ont leurs yeux rivés sur la mission, les autres auraient été très contents de partager le gâteau, autrement dit, toutes nos possessions. Hier, c'était la date fixée par la tribu de Big Bear pour reprendre les Indiens du lac Beaver qui ne sont pas encore arrivés au lac Frog. Nous sommes sûrs d'être attaqués aujourd'hui ou demain ».

Les jours se sont écoulés – ainsi que les semaines – mais l'ennemi ne s'est pas montré. L'aide n'est pas venue. Il n'y avait pas de lettres d'autres régions. L'agonie s'est prolongée de manière cruelle, alors que les rumeurs sinistres persistaient. Le 19 mai, père Collignon écrit :

« On nous dit que Big Bear veut venir au Lac La Biche. On nous dit qu'il veut piller la mission, comme il a fait au fort. On nous dit qu'il va prendre tous les hommes de son camp pour des renforcements. L'anxiété, la peur et la terreur sont à leur paroxysme. Entre vingt et trente hommes surveillent nuit et jour la mission. Tous les autres ont fui en laissant tout derrière eux. Toutes les personnes du lac Beaver ont campé près de la mission et sont littéralement affamés. Ils ont quitté le lac afin d'échapper aux avances de Big Bear. Il avait dit aux Indiens du lac Beaver qu'il les prendrait de force et qu'il les amènerait au lac Frog. Maintenant ils étaient désolés d'avoir pillé le fort. Ils avaient ramené beaucoup de fourrures et des denrées non périssables. Ma situation ici est triste, car tout le monde dépend de moi. Alexander Hamelin m'aide beaucoup de diverses manières. Si je ne l'avais pas, je ne sais ce que je ferais. C'est impossible pour les péniches de partir ».

Les réfugiés de l'île à la Pêche sont revenus à leurs résidences le 13 mai. Même si les rumeurs étaient encore terrifiantes, les soeurs se sentaient plus sûres à la mission que sur une île inhabitée où, maintenant sans défense, toute flottille de canoës peut amerrir à souhait.

Nous étions tous inquiets par rapport à ces trois tristes semaines de silence. Julien Cardinal a décidé de clarifier le mystère. Il a quitté la mission vendredi 22 mai avec son beau-frère. Il avait décidé de ne pas revenir jusqu'à ce qu'il ait découvert la vérité sur toute cette situation dans les prairies. Le mardi suivant, il est revenu sur son cheval galopant, agitant une grande enveloppe sur laquelle des lettres majuscules étaient écrites formant un mot que tous attendaient depuis si longtemps : « VICTOIRE ».


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