Message du Premier ministre Jean Chrétien à l'intention de l'Organisation mondiale du commerce à l'occasion du cinquantenaire de l'organisation
Le 19 mai 1998
Ottawa (Ontario)
La fin de semaine dernière, lorsque nous, les dirigeants de huit grands pays industrialisés et le président de la Commission européenne, nous sommes réunis pour échanger des opinions sur diverses questions d'intérêt mondial, nous avons spécialement noté le 50e anniversaire, célébré cette semaine, de la fondation du système commercial mondial.
Déplorant que mon emploi du temps ne me permette pas d'inclure dans mon voyage en Europe un arrêt à Genève, je me joins à vous en esprit pour célébrer cet anniversaire capital. Il est important, j'en suis convaincu, que les dirigeants du monde s'intéressent aux travaux du système commercial international, particulièrement en cet anniversaire marquant, et appuient l'orientation de l'Organisation mondiale du commerce [OMC] et la définition de son programme.
Et je tiens à adresser mes compliments et mes félicitations au directeur général, M. Renato Ruggiero, pour le leadership et le dévouement dont il a fait preuve, au profit de tous, à la barre de l'OMC.
En réfléchissant à la signification de cet anniversaire, j'ai souvenir de la vision que nos prédécesseurs ont exprimée dans la Charte des Nations unies, pour épargner aux générations subséquentes le fléau de la guerre, pour réaffirmer leur foi dans les droits fondamentaux de la personne, pour instaurer la justice et le respect des obligations issues du droit international, et pour promouvoir le progrès social et l'amélioration des niveaux de vie.
En fondant les institutions de Bretton Woods, les dirigeants passés nous ont donné des mécanismes internationaux pour favoriser l'avancement social et économique de tous les peuples.
Il me paraît donc particulièrement approprié que le système commercial ait des assises au Palais des Nations, édifice voué à l'édification de la paix, du respect des droits humains, de la prospérité économique et du développement des relations entre les nations. Le renforcement de ces idéaux demeure le défi qui est lancé aux dirigeants d'aujourd'hui.
La réunion de cette semaine a un double but :
reconnaître à quel point le système commercial fondé sur des règles a contribué au fil des ans à l'amélioration du niveau de vie de nos citoyens et citoyennes;
exprimer notre engagement en faveur du renforcement de l'OMC, pivot de ce système.
Nous Canadiens, retirons des avantages substantiels du commerce international.
Le Canada a été un des premiers signataires du GATT [Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce] en 1947 et de l'accord sur l'OMC en 1994. Il est partie à l'accord de libre-échange le plus vaste qui ait jamais été négocié, avec les États-Unis et le Mexique. Il a conclu ces dernières années des accords de libre-échange avec Israël et le Chili. Les résultats de ces efforts sont impressionnants : nos exportations et nos importations sont maintenant près de 80 fois plus élevées qu'en 1950.
Aujourd'hui,
un emploi sur trois au Canada est relié au commerce;
40 p. 100 de notre PIB [produit intérieur brut] est attribuable aux exportations;
nos exportations de marchandises et de services atteignent chaque année de nouveaux records.
Au temps où le GATT a été négocié, à peine 7 p. 100 de l'activité économique mondiale reposait sur le commerce. De nos jours, les échanges commerciaux représentent plus de 22 p. 100 d'une économie mondiale beaucoup plus considérable et, pour les pays comme le Canada, une proportion plus forte encore.
Cette augmentation du simple au triple du rôle des échanges nous apprend deux choses : d'abord, que les pays sont de plus en plus interdépendants dans leurs relations économiques; ensuite, que nos travaux dans ce domaine ne sont pas terminés. Il reste des possibilités de croissance.
Cette interdépendance des nations améliore nos perspectives de développement durable. Elle signifie également que nous avons une responsabilité collective envers le système commercial, dont nous sommes tous propriétaires. C'est ce que sont venus nous rappeler brutalement depuis un an les événements économiques survenus en Asie. Certes, leurs effets vont peser le plus lourdement sur nos partenaires asiatiques, mais tous nous en sommes touchés.
C'est pourquoi, à Birmingham, nous avons engagé tous les pays du monde à maintenir l'ouverture de leurs marchés. Il faudra pour cela un ferme engagement en faveur du système commercial multilatéral.
Bien entendu, l'OMC n'est pas restée inactive. Depuis que nos ministres du Commerce ont signé son accord constitutif en 1994, l'OMC a obtenu d'impressionnants résultats additionnels, libéralisant le commerce des produits informatiques, des services de télécommunications et des services financiers. Et nous aurons encore besoin, dans le monde de demain, d'un leadership comme celui auquel nous devons ces acquis. Je tiens à vous assurer que le Canada entend jouer le rôle qui lui revient.
Mon gouvernement non plus n'a pas été inactif. Au Canada, nous continuons à exploiter les possibilités qui existent de libéraliser le commerce et l'investissement.
A l'échelle régionale, nous sommes partenaires de 33 autres pays pour le lancement des négociations visant à créer une Zone de libre-échange des Amériques; nous participons aux efforts que fournissent volontairement les 17 autres membres de l'APEC [Coopération économique Asie-Pacifique] pour libéraliser le commerce; la semaine dernière à Londres, nous avons convenu avec nos amis de l'Union européenne de préparer des options et des recommandations pour l'élargissement des liens transatlantiques; la semaine prochaine, nous rencontrerons les pays de l'AELE [Association européenne de libre-échange] afin de déterminer les paramètres d'un accord de libre-échange. Nous négocions aussi des accords de coopération économique avec des pays d'Afrique.
Et surtout, nous coopérons à Genève avec d'autres partenaires commerciaux, grands et petits, à faire en sorte que les accords passés soient pleinement appliqués et que les arrangements régionaux contribuent à renforcer l'OMC. Le Canada estime que les initiatives commerciales régionales et les travaux de l'OMC sont compatibles et complémentaires. Comme nous l'avons vu, ils se renforcent et se définissent réciproquement.
Il me paraît que pour l'avenir, notre tâche consiste à canaliser ces efforts de manière à produire un ensemble unifié de règles d'une portée mondiale grâce auxquelles les accords sur l'OMC auront une application plus universelle. Ce ne sera pas facile, mais le jeu en vaut la chandelle.
En cherchant à renforcer l'OMC et en comptant sur le commerce international pour stimuler la croissance mondiale, il faudra veiller à répondre aux attentes et aux préoccupations de nos citoyens.
Les Canadiens, comme d'autres, reconnaissent que le système commercial international est un des piliers du développement, de la coopération, de la paix et de la sécurité dans le monde, c'est-à-dire des valeurs que nous avons héritées du Palais des Nations.
Mais les Canadiens, comme les citoyens d'autres pays, ont aussi des craintes légitimes à propos des effets que risquent d'avoir sur leur vie la mondialisation rapide de l'économie et l'expansion fulgurante du changement technologique. Les préoccupations concernant la souveraineté, l'intégrité des politiques sociales, la protection de l'environnement, la préservation de l'identité nationale et un meilleur partage des retombées du commerce trouvent autant de résonance au Canada qu'ailleurs.
A mon avis, il faut répondre à ces préoccupations. Un des grands défis que devra relever le système commercial mondial sera de faire participer plus largement le public à un processus consultatif, afin que nos travaux soient plus compréhensibles et plus digestibles. L'OMC a un rôle important à jouer pour susciter, à mesure que nous avancerons dans la réalisation de notre programme, une confiance et un soutien accrus chez nos commettants respectifs dans le monde.
Malgré ces craintes à l'égard des effets de la mondialisation, je suis convaincu qu'un monde plus intégré et plus engagé est bien meilleur que le monde des années 1940, qui a mené à la Charte de l'ONU et aux institutions de Bretton Woods. Bien meilleur que le vieux monde de la guerre froide, caractérisé par l'isolement et la belligérance, où nous braquions des missiles les uns sur les autres. Aujourd'hui, nous braquons des missions commerciales et nous cueillons les fruits de la coopération économique.
Mon gouvernement est déterminé à consulter les Canadiens afin de définir nos priorités nationales pour le système commercial. Nous avons également l'intention de faire partager nos perspectives aux autres membres de l'OMC pour relever les défis commerciaux du prochain siècle.
La libéralisation du commerce et de l'investissement est de plus en plus une nécessité plutôt qu'une option dans notre monde interdépendant. Mais elle ne peut s'accomplir sans le soutien de nos populations et sans des politiques économiques, sociales et culturelles capables de rallier ce soutien.
Le but du Canada - et de beaucoup d'entre vous qui assistez à cette célébration aujourd'hui - sera de continuer à exploiter l'énergie de la libéralisation et de l'intégration économique mondiale pour notre bien à tous.
Il faut pour cela souscrire au changement et à l'ouverture, tout en préservant ce qui nous rend distincts. Il faut adopter de bonnes politiques gouvernementales et exercer notre souveraineté de manière à défendre l'ouverture des marchés. Et il faut veiller à ce que les retombées du commerce soient distribuées plus également, entre les nations et entre nos citoyens, comme l'avaient envisagé nos prédécesseurs.
Nous avons fait beaucoup de chemin en 50 ans, mais il en reste encore à parcourir.
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