NOTES POUR UN DISCOURS DU
PREMIER MINISTRE JEAN CHRÉTIEN
devant le Chicago Council on Foreign Relations
Le 13 février 2003
Chicago (Illinois)
Je suis très heureux d’être parmi vous ce soir. J’aimerais réfléchir
avec vous sur des défis communs et sur les façons de promouvoir, à une
époque dangereuse, les valeurs que chérissent nos sociétés et qu’admirent
tant d’autres dans le monde.
En particulier, j’aimerais vous parler de trois thèmes qui sous-tendent la
relation canado-américaine : notre force chez nous; notre force
en partenariat et notre force sur la scène internationale.
Car, à mon sens, la sécurité à long terme de nos démocraties dépend de
notre succès sur chacun de ces fronts.
Notre force chez nous
J’aimerais tout d’abord vous dire quelques mots au sujet de l’économie
canadienne. Pourquoi? Simplement parce qu’il importe pour votre économie que
notre performance économique soit bonne. Nous consommons 25 % de vos
exportations.
J’ai le plaisir de vous dire que notre économie tourne à plein régime en
ce moment. Nous sommes forts chez nous. Et une situation financière solide est
un gage de succès pour l’avenir.
Le Canada a évité la récession en 2001. Nous avons enregistré la plus
forte croissance du G-7 – 3,4 % – en 2002. Selon les prévisions du FMI
et de l’OCDE, la croissance de notre PIB sera de nouveau la meilleure du G-7
en 2003.
Notre économie a créé près de 560 000 emplois en 2002, soit le
nombre le plus élevé jamais créé en une année au Canada. Dans un pays dix
fois plus petit que le vôtre, c’est tout un exploit. L’inflation est
modérée et stable depuis 10 ans. Les taux d’intérêt sont plus faibles qu’il
ne l’ont été en 40 ans. Nous avons entrepris de réduire plus fortement les
impôts que jamais auparavant dans notre histoire. De plus, le taux d’imposition
des sociétés et l’impôt sur les gains en capital au Canada sont maintenant
inférieurs aux taux américains.
Le Canada a aussi connu un redressement financier spectaculaire : nos
cinq derniers budgets ont été excédentaires. Nous prévoyons un autre surplus
cette année et les années suivantes. Le Canada est le seul pays du G-7 qui
soit dans cette position. Depuis 1997, nous avons remboursé plus de 10 %
de la dette contractée sur les marchés. Et nous continuerons d’effectuer des
remboursements sur notre dette à chaque année.
Le ratio de la dette au PIB est tombé de 71 % à 49 % au cours de
cette période; et il continue de baisser. En 2004, l’OCDE s’attend à ce
que le ratio de notre dette au PIB soit moins élevé que celui des États-Unis.
Les facteurs qui font du Canada un endroit où il est intéressant d’investir
ne sont pas tous financiers et économiques : nos investissements sociaux
entrent aussi en ligne de compte. Notre régime public de soins de santé
allège grandement les coûts des entreprises. Contrairement à celui de tous
les autres pays, notre régime public de pensions est maintenant pleinement
capitalisé et sain du point de vue actuariel pour les 40 prochaines années au
moins.
Nous sommes très forts chez nous, et cette force contribue à la force de l’Amérique
chez elle.
Notre force en partenariat
Mon deuxième thème est celui de notre « force en partenariat »
– autant notre partenariat pour la sécurité que notre partenariat
commercial.
Notre relation avec les États-Unis est bien sûr au centre de notre
politique étrangère. On ne trouve pas deux autres pays aussi liés que nous le
sommes. Notre sécurité et notre prospérité se renforcent mutuellement.
Nous avons combattu côte à côte pendant les trois grandes guerres du
dernier siècle. Nous avons mis sur pied ensemble des institutions de sécurité
comme l’OTAN et le NORAD qui nous ont permis de résister ensemble à la
menace soviétique tout au long de la guerre froide.
Depuis le 11 septembre, notre collaboration a été très étroite. Devant de
nouvelles menaces, nous mettons au point de nouveaux outils pour assurer notre
sécurité conjointe.
Nous avons adopté des lois antiterroristes sévères. Nous avons financé le
renforcement des mesures de sécurité. Nous avons augmenté le nombre d’agents
de police, d’immigration et de douanes aux postes-frontières. Les outils
technologiques les plus perfectionnés ont été mis en place.
Nous créons une frontière « intelligente », fermée aux
terroristes et aux criminels de toutes sortes, mais ouverte au commerce
légitime et au tourisme, qui permet d’assurer le passage efficace des biens,
des services et des talents à la frontière canado-américaine. Il est en effet
essentiel de préserver la santé de la plus importante relation commerciale au
monde. Nos économies et nos modes de vie en dépendent.
Notre prospérité est tributaire des échanges bilatéraux d’une valeur de
plus de deux milliards de dollars canadiens qui traversent notre frontière tous
les jours. Chacun de nos pays est le plus important marché de l’autre.
En l’an 2000, le Canada a acheté plus de produits américains que l’ensemble
des 15 pays de l’Union européenne et trois fois plus que le Japon. Le Canada
est le plus grand marché d’exportation de 38 États américains, dont l’État
de l’Illinois. À l’inverse, le Canada exporte davantage vers l’Illinois
que vers l’Union européenne tout entière.
La sécurité énergétique est essentielle à la prospérité américaine.
Or, nous vous fournissons 94 % de vos importations de gaz naturel, presque
100 % de vos importations d’électricité et 35 % de l’uranium
pour la production électrique nucléaire.
En 2002, le Canada a fourni aux États-Unis 17 % de ses produits
pétroliers bruts et raffinés importés, soit plus que tout autre fournisseur
étranger, y compris l’Arabie saoudite. Nos sables bitumineux renferment
2,5 billions de barils de pétrole, dont 315 milliards sont
récupérables au moyen des techniques actuelles. C’est plus que les réserves
pétrolières de l’Arabie saoudite.
En plus des sables bitumineux, nous possédons un immense potentiel
inexploité en hydroélectricité et en gaz naturel dans l’Arctique.
Le point sur lequel je veux insister c’est que nous représentons une
source d’approvisionnement énergétique sûre.
Nous savons tous que la croissance économique doit être à la fois forte et
durable. Le Canada et les États-Unis collaborent dans les dossiers
environnementaux, que ce soit dans le cadre des importants travaux de la
Commission mixte internationale pour les Grands Lacs ou d’un nouvel accord
important sur la qualité de l’air. Nous devrons intensifier nos efforts dans
le domaine de la protection de l’environnement.
Les chiffres ne permettent pas de rendre justice à la force des liens entre
nous. Elle réside aussi dans les relations entre nos deux gouvernements
nationaux, entre nos États et nos provinces, entre nos villes, entre nos
établissements d’enseignement, entre nos entreprises, entre nos hôpitaux. Et
avant tout dans nos citoyens qui travaillent ensemble, se marient, fréquentent
nos écoles et nos universités respectives, jouent dans les mêmes ligues
sportives et parfois même habitent dans un pays et travaillent dans l’autre.
Au fond, mon message est le suivant : le partenariat unique entre nous
fonctionne très bien. Mais cette relation est trop importante pour qu’on la
prenne à la légère. Nous devons sans cesse travailler à l’améliorer. À
accroître la sécurité et la prospérité chez nous et chez vous.
Notre force sur la scène internationale
Cela m’amène à mon troisième thème : notre force sur la scène
internationale.
Les Canadiens, comme les Américains, se préoccupent de notre rôle dans le
monde. Comme vous, nous avons affronté de graves dangers au cours du dernier
siècle en accédant à la maturité et en développant notre propre perspective
et une personnalité internationale distincte.
Cette perspective a été façonnée par notre histoire. L’histoire d’un
pays du G-8 qui n’a jamais été une puissance coloniale ni une grande
puissance. Un pays qui a joué le rôle d’intermédiaire efficace dans le
monde. Un pays dont la perspective unique nous permet de jouer un rôle
complémentaire au vôtre dans l’exercice de vos énormes responsabilités sur
la scène mondiale.
Nous avons acquis la ferme conviction de l’intérêt d’une approche
multilatérale à l’égard des problèmes mondiaux. Or, cette approche nous
paraît plus nécessaire que jamais face à la menace internationale du
terrorisme, du crime et de la corruption, face aux dégâts causés à l’environnement
mondial et à d’autres défis qu’aucune nation, aussi puissante soit-elle,
ne peut affronter seule avec succès.
Les institutions multilatérales jouent un rôle indispensable dans notre
monde de plus en plus intégré – que ce soient les Nations Unies, l’Organisation
mondiale du commerce, l’OÉA ou l’OTAN, pour ne nommer que celles-là. Les
opinions du Canada et des États-Unis dans ces forums convergent généralement,
parce que nous partageons les mêmes valeurs.
C’est particulièrement vrai à l’heure où nous sommes confrontés à un
danger commun, le danger que représente Saddam Hussein. Nous le considérons
comme une menace à la paix dans sa région. Nous avons participé à la guerre
du Golfe. Nous avons fermement appuyé les sanctions de l’ONU. Nous
reconnaissons et respectons le leadership que démontrent les États-Unis en
contraignant Saddam Hussein à se conformer aux résolutions des Nations Unies.
Demain, M. Blix annoncera au monde entier si l’Iraq se conforme à la
Résolution 1441. Le monde entier espère que Saddam Hussein agira, même à
cette heure tardive, de manière à épargner à son peuple des souffrances
inouïes. Qu’il agira enfin d’une manière qui démontre le respect
intégral de la Résolution 1441 des Nations Unies.
Si Saddam Hussein refuse de se conformer à la volonté de la communauté
mondiale, alors le monde lui répondra.
La guerre doit toujours être le dernier recours, pas seulement à cause des
souffrances humaines qu’elle provoque, mais aussi à cause des conséquences
imprévues qu’elle entraîne inévitablement. Cependant, s’il doit y avoir
une guerre, je soutiens que le monde devrait agir sous les auspices des Nations
Unies. C’est la meilleure façon de conférer de la légitimité à l’emploi
de la force dans ces circonstances.
Nous devons tous nous préoccuper de la prolifération des armes de
destruction massive. Et nous comprenons tous parfaitement pourquoi il faut agir
avant qu’il soit trop tard. Je maintiens toutefois que les intérêts à long
terme des États-Unis seront mieux servis s’ils font appel aux Nations Unies
au lieu d’agir seuls. En fait, les États-Unis ont été les premiers
responsables de la création des Nations Unies. Et c’est leur propre
sécurité qui les a motivés.
Le prix que doit payer la seule superpuissance au monde, c’est que ses
motifs sont parfois jugés suspects par d’autres. Une telle puissance n’est
pas toujours perçue comme inoffensive. Tous ne sont pas disposés à croire les
États-Unis sur parole.
Le Canada appuie fermement les objectifs des États-Unis. Nous sommes des
amis et des alliés depuis très, très longtemps. Il est essentiel que les
États-Unis puissent compter sur des appuis dans le monde entier. Il faut
absolument éviter la perception d’un « choc des civilisations ».
Recourir aux Nations Unies au maximum réduira ce risque au minimum.
Par conséquent, la façon dont les États-Unis se comporteront au cours des
prochains jours aura de profondes conséquences pour l’avenir. Je suis
convaincu que le fait de passer par les Nations Unies, dans la mesure du
possible, aussi difficile et frustrant que ce soit parfois, renforcera
infiniment la position non seulement des États-Unis mais aussi de tous ceux
dans le monde qui souhaitent les appuyer.
Le Canada a salué le leadership du Président Bush quand il s’est adressé
à l’Assemblée générale de l’ONU. Nous avons salué la détermination
dont les États-Unis ont fait preuve en pressant le Conseil de sécurité d’adopter
la Résolution 1441. Nous avons fermement appuyé une mesure qui imposait des
obligations à l’Iraq et prévoyait des conséquences sérieuses s’il ne s’y
conformait pas.
Le monde a appris une terrible leçon quand la Ligue des Nations a omis d’agir
contre l’agression dans les années 1930. N’oublions pas cependant que l’absence
des États-Unis parmi ses membres constituait une blessure mortelle pour la
Ligue des Nations.
L’Organisation des Nations Unies traverse une épreuve difficile. Les
États-Unis en constituent un acteur clé. Les États-Unis peuvent y être très
convaincants.
Je suis persuadé que si on lui en donne la chance, l’ONU remplira ses
obligations envers la communauté mondiale. Qu’elle agira fermement suivant
ses principes. Mais il faut lui donner cette chance raisonnable. Les Nations
Unies d’aujourd’hui ont besoin de l’engagement des États-Unis. Et je
soutiens fermement que le monde a besoin d’une Organisation des Nations Unies
efficace.
L’OTAN représente aussi un acteur essentiel dans le contexte actuel. Les
États membres démocratiques de l’OTAN servent une cause commune en tant qu’amis
et alliés depuis plus de 50 ans. Nous devons continuer d’unir nos efforts en
temps de tension et de crise. Le contexte est difficile pour tous les pays. J’appelle
nos alliés ce soir à ne pas permettre que des désaccords sur les moyens nous
divisent. Tous les membres de l’OTAN doivent réaffirmer leurs engagements
fondamentaux envers les institutions multilatérales qui ont si bien servi le
monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le Canada préconise une planification prudente en vue de toute éventualité,
et convient de la nécessité pour la Turquie de faire certains préparatifs au
cas où il y aurait une guerre. C’est une demande raisonnable de la part d’un
confrère de l’OTAN, et nous encourageons les autres membres à s’unir
derrière la Turquie.
Avant de conclure, j’aimerais souligner qu’alors que notre attention à
tous se tourne vers la situation actuelle en Iraq, nous ne pouvons pas négliger
d’autres questions urgentes – comme la menace posée par la Corée du Nord
et l’instabilité qui règne toujours au Moyen-Orient. Comme la nécessité de
trouver une solution au conflit entre Israël et les Palestiniens. Là encore,
le Canada privilégie une approche multilatérale où la communauté mondiale,
par la voie acceptée, mandatée et établie des Nations Unies, peut faire
valoir sa volonté collective dans l’intérêt de la paix et de la sécurité
internationales.
Voilà certains des enjeux dont le Président Bush et moi allons discuter
lors de sa visite d’État au Canada au mois de mai. Car ils nécessitent du
leadership, et il n’existe aucun leader plus fort au monde aujourd’hui que
les États-Unis. Et il n’existe aucun partenariat plus solide aujourd’hui
que celui entre le Canada et les États-Unis. Nous devons également
reconnaître que la paix et la sécurité à long terme n’exigent pas
seulement de meilleurs services de renseignement ou ripostes armées. Une action
coordonnée sur le plan du développement humain s’impose aussi.
Pour des centaines de millions de personnes, les principales menaces à leur
bien-être sont la famine, la maladie, la précarité économique, le manque d’instruction,
des institutions corrompues ou ineptes et les conflits régionaux.
À Monterrey, il y a près d’un an, le Président Bush, dans son discours
sur l’état de l’Union, a fait preuve d’un leadership véritable. Par son
engagement de hausser l’aide internationale en général et en particulier de
combattre le fléau du sida en Afrique. Je tiens à profiter de cette occasion
pour le féliciter au nom de tous les Canadiens.
Notre conscience nous dicte bien sûr de promouvoir le développement humain
dans les pays pauvres. Mais aider ces populations à se sortir de la pauvreté
favorise aussi notre sécurité, notre prospérité et notre mieux-être à tous.
À long terme, il est aussi important pour la sécurité et la stabilité
dans le monde de s’occuper de ces questions – de la pauvreté, du commerce
et du développement – que des menaces immédiates que pose le terrorisme.
Pour réussir, il nous faudra autant de détermination. Le même engagement
envers nos valeurs. Les mêmes efforts concertés, partenariats solides et
institutions fortes.
Je suis convaincu que nous saurons triompher des défis en perspective en
étant forts chez nous et en partenariat et en tant que partenaires d’un
système international plus fort.
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