Transcription révisée d’un
discours du
Premier ministre Jean Chrétien à l’occasion du
dîner de la Confédération de 2001
Le 24 septembre 2001
Toronto (Ontario)
Tous essaient de trouver les mots qui
puissent exprimer notre indignation et notre tristesse à la suite des
événements du 11 septembre 2001. Des milliers et des milliers d’Américains,
de Canadiens et de citoyens de nombreux pays ont perdu la vie. Et je sais que
bon nombre des personnes ici présentes vivent le deuil de parents ou d’amis
et collègues de longue date. Beaucoup d’entre vous sont toujours très
inquiets au sujet de collègues et d’amis qui travaillent encore à New York.
Je vous remercie tous autant que vous êtes d’être venus ce soir.
En des moments comme ceux-ci, ce que
nous ressentons, nos prières et les gestes que nous accomplissons sont tout ce
qui compte. En des moments comme ceux-ci, nous ne pouvons nous raccrocher qu’à
notre présence réciproque, à notre humanité et à notre bonté communes. C’est
avec la plus grande fierté que j’ai vu les Canadiens se mobiliser au cours
des deux dernières semaines, car cette situation d’urgence a fait ressortir
les plus belles qualités de notre peuple. Cent mille Canadiens se sont
rassemblés sur la colline du Parlement à Ottawa pour la Journée nationale de
deuil. Je suis très fier du fait que cette cérémonie ait eu lieu au grand
jour. Nous avons décidé de ne pas nous cacher, de ne pas avoir peur de nous
montrer en public. Et 100 000 Canada ont assisté à cette grande
cérémonie. Comme vous le savez, il y a eu des réunions de prière et des
vigiles partout au pays. Trente-sept mille Canadiens ont donné du sang.
Ce qui est merveilleux aussi, c’est
que des citoyens ont ouvert leur coeur et leur foyer à des voyageurs qui se
sont retrouvés sans gîte. C’était très émouvant à voir. J’étais aux
États-Unis aujourd’hui, et je lisais certaines des lettres qui ont été
envoyées à de très nombreux journaux américains par des personnes qui ont
atterri au Canada. Elles étaient 43 000 et elles ont été accueillies
dans des endroits comme Gander. Avec une population de 10 000 habitants,
cette ville a hébergé 12 000 voyageurs. Une lettre en particulier était
très impressionnante car il s’agissait de quelqu’un qui voulait dire merci
et la dame a répondu que ce n’était pas nécessaire, que nous avions fait ce
qu’il fallait et que dans des circonstances semblables ils en feraient autant.
La réponse américaine était celle-ci : « J’espère que c’est
vrai. »
C’est ainsi que les Canadiens ont
réagi pour adresser un message très clair à nos amis américains. Je l’ai
dit et je le répète, je leur ai souhaité du courage. Vous n’êtes pas
seuls; nous sommes avec vous. Le monde entier est avec vous. Et ce matin le
Président Bush m’a de nouveau demandé de remercier les Canadiens. En son
nom, je tiens donc à remercier toutes les personnes ici présentes qui ont
participé à cet élan de sympathie et de soutien.
Les Canadiens comprennent cependant que
la sympathie et le soutien à l’égard des victimes doivent s’accompagner d’une
action internationale ferme et juste. La cible de l’attaque n’était pas
seulement les États-Unis. Les tueurs inhumains ont porté un coup aux valeurs
et aux convictions des sociétés libres et civilisées de la terre entière. Le
monde a subi une attaque. Le monde doit riposter.
Mais, je dois vous dire que ce sera une
longue lutte. Une lutte contre des criminels qui acceptent et même souhaitent
de trouver la mort en commettant leur crime et d'utiliser d'innocents civils
comme boucliers et comme instruments. Il n'y aura pas de réponse facile. Il
faudra absolument faire preuve de patience et de sagesse.
Nous devons agir en fonction des
résultats à long terme et non pas en fonction d'une satisfaction immédiate.
Nos actions seront commandées par la détermination et non par la peur. Nous
modifierons les lois qui doivent être modifiées; nous allons accroître les
mesures de sécurité pour protéger les Canadiens et nous allons demeurer
vigilants.
Aujourd’hui, j’ai eu un très bon
entretien avec le Président Bush à la Maison-Blanche. Je lui ai offert l’appui
entier du Canada en prévision de la période difficile à venir. Les
États-Unis et le Canada vont unir leurs efforts pour combattre la menace du
terrorisme, et pour protéger la sécurité de nos citoyens. Nous avons parlé
de la nécessité d’agir en fonction des résultats à long terme et non pas
en fonction d'une satisfaction immédiate.
Nous avons parlé aussi de la
nécessité de veiller au bon fonctionnement de nos économies. Nous avons
convenu en particulier que les marchandises devraient pouvoir traverser
normalement notre frontière dès que possible, parce que c’est très, très
important. Vingt-cinq pour cent de leurs exportations sont destinées au Canada,
et 87 p. 100 de nos exportations vont aux États-Unis. La libre
circulation des biens doit donc être rétablie sans tarder, et nous avons
convenu d’y veiller.
Nous avons parlé d’autres dossiers
aussi, car, comme le Président l’a mentionné, la vie doit continuer. Nous
avons parlé de l’industrie du bois d’oeuvre, par exemple. Madame la
Présidente, le Président Bush est bien conscient que la chaîne Home Depot
appuie l’industrie canadienne. Il a lui-même mentionné Home Depot, sans
savoir que vous alliez assurer la présidence ce soir. Mais quand je suis allé
à Atlanta, votre homologue aux États-Unis m’a fait savoir très clairement
que les États-Unis ont besoin du bois canadien et qu’il est meilleur pour
certaines parties de la charpente – selon le président de Home Depot.
Mesdames et Messieurs et chers amis, je
veux aborder avec vous un autre point très important. Le Canada est un pays d’immigrants.
Des gens de toutes origines, de toutes couleurs et de toutes religions – notre
pays est ainsi fait. Soyons donc clairs : nous ne laisserons pas les
terroristes nous pousser à sacrifier nos valeurs ou nos traditions.
Nous continuerons à accueillir des
gens de partout dans le monde. Nous continuerons à offrir un havre à ceux qui
sont persécutés. Vendredi dernier, j’ai visité une mosquée, et j’ai
senti la tristesse des musulmans de voir que l’islam a été sali par ce
massacre. Je tourne le dos à ceux qui, à la suite des attentats, ont commis
des actes haineux contre des Canadiens musulmans ou des membres d’autres
groupes minoritaires au Canada. C’est parfaitement inacceptable, et c’est
une victoire pour les terroristes quand ils exportent leur haine. Ils ne
représentent pas une communauté ni une religion; ils représentent le mal pur
et simple. C’est contre le terrorisme que nous luttons, et non contre une
communauté ou une religion. Parce que, Mesdames et Messieurs, nous sommes tous
des Canadiens.
Il est clair que nous vivons des temps
difficiles. Mais les démocraties ont toujours fait preuve de détermination et
de fermeté quand leurs valeurs démocratiques ont été menacées. Comme elles
le sont maintenant. Il ne fait aucun doute que nous devrons consacrer de l’énergie
– beaucoup d’énergie – à la lutte contre le terrorisme. Et nous le
ferons. Mais il ne fait aucun doute non plus que la seule victoire recherchée
par les terroristes est de nous empêcher de poursuivre en même temps nos
activités et nos affaires quotidiennes.
Le niveau de vie élevé que nous
connaissons au Canada et aux États-Unis n’est pas le fruit du hasard. Au
contraire, il est le résultat de la force, de la confiance et de la ténacité
de nos citoyens et de nos gens d’affaires. Il résulte de leur confiance dans
un meilleur avenir. Et de leur détermination de bâtir cet avenir.
Les gens d’affaires sont nombreux
parmi vous ce soir. Or, les paroles et les actions des milieux d’affaires
canadiens et américains au cours des prochains jours et des prochaines semaines
détermineront le rendement de nos économies. Nous avons tous l’obligation de
démontrer notre détermination et notre confiance dans l’avenir. De regarder
au-delà de ces événements tragiques. La confiance des entreprises engendre la
confiance des consommateurs. Et la confiance des consommateurs engendre la
confiance des entreprises. L’une et l’autre sont essentielles à la
croissance économique.
Avant le 11 septembre, l’économie
mondiale ralentissait plus vite que ne l’avaient prévu les spécialistes. Les
événements du 11 septembre vont l’affaiblir davantage. Il faut se rendre à
l’évidence. Les deux derniers trimestres de cette année, et le début de la
nouvelle année seront plus difficiles. Cependant, il faut aussi être
réalistes et confiants quant à nos perspectives à moyen terme.
Les assises de notre économie sont
plus solides, beaucoup plus solides, qu’elles ne l’ont été depuis plus de
30 ans. L’inflation est faible. Nous avons eu quatre budgets excédentaires et
celui de cette année le sera probablement encore. L’excédent de la balance
des paiements est énorme à l’heure actuelle. Les impôts des particuliers et
des entreprises ont été réduits. Et nous avons remboursé plus de
37 milliards de dollars sur la dette nationale depuis quatre ans. Tous ces
facteurs ont permis à la Banque du Canada de réduire considérablement les
taux d’intérêt. De réduire le coût des affaires. Et de stimuler la
consommation.
Nous devons tous surmonter les
difficultés immédiates. Mais nous devons aussi regarder plus loin dans l’avenir.
Les assises économiques solides que nous avons passé des années à consolider
n’ont pas changé au cours des deux dernières semaines. Ce serait une erreur
pour une entreprise ou pour le gouvernement que de fonder ses décisions
seulement sur les prévisions pour les deux prochains trimestres. Il faut
regarder plus loin que l’horizon à court terme.
De même que j’encourage le monde des
affaires à penser et à agir en fonction du plus long terme. De même, je vous
assure que le gouvernement du Canada ne se laissera pas détourner de son plan d’action
global. J’en ai discuté avec le Président Bush aujourd’hui, de l’importance
de la confiance des entreprises au Canada et aux États-Unis et du rôle
essentiel que les deux gouvernements peuvent jouer à cet égard. Je peux vous
assurer que pour y parvenir, le Canada ne se laissera pas détourner de son plan
d’action global.
Bien sûr, nous nous adapterons à l’évolution
des circonstances. Bien sûr, nous ferons le nécessaire pour assurer la
sécurité dans l’immédiat. Mais tout comme la sécurité à long terme des
entreprises dépend de leurs investissements dans l’avenir, la sécurité à
long terme d’un pays comme le Canada dépend de ses investissements dans l’avenir.
Notre gouvernement poursuivra son
action à long terme pour renforcer l’économie et la société canadiennes.
Nous canaliserons nos investissements vers des secteurs prioritaires bien
ciblés. Nous allons continuer à investir dans les compétences et l’apprentissage.
Dans la recherche et l’enseignement postsecondaire. Dans la promotion de l’excellence.
Dans des programmes destinés à assurer un bon départ aux enfants.
Nous allons continuer à investir dans
les soins de santé. Nous allons mieux cibler les dépenses que nous consacrons
à améliorer le sort des Autochtones du Canada.
La qualité de l’air et de l’eau ne
sont pas moins prioritaires qu’avant les attentats terroristes à New York et
Washington. La lutte contre le changement climatique demeure un défi
planétaire qu’il faudra relever.
Toutes ces priorités appellent des
efforts responsables sur le plan financier. Nous avons démontré la fermeté de
notre engagement envers la santé des finances nationales. Nous ne
compromettrons pas l’intégrité financière du Canada. Je suis très fier des
réalisations de notre gouvernement au cours des huit dernières années. Elles
ont contribué à bâtir une économie et une société plus solides. À
réaliser un bon équilibre entre les investissements dans les priorités
sociales et dans les priorités économiques. C’est cet équilibre que nous
allons continuer de viser au cours des années à venir.
Cependant, Mesdames et Messieurs, une
chose est certaine : nous ne nous laisserons pas vaincre par le terrorisme.
Nous n’irons pas nous cacher. Nous allons nous battre. Nous avons des valeurs
au Canada qui sont notre plus grande fierté. Je pense à ce que nous avons vu
dans les jours qui ont suivi le 11 septembre, quand à Halifax, à Gander, à
St. John’s, à Moncton, les gens ont accueilli les visiteurs qui ne pouvaient
se rendre à leur destination. Certains de mes députés ont passé deux jours
avec eux dans les écoles ou dans les aéroports et leur ont offert soutien et
réconfort.
Vous savez, c’est la manière
canadienne. C’est de cette façon que nous avons bâti un pays. Nous savons qu’il
est possible pour des personnes de religion, de couleur et de langue
différentes de vivre ensemble. C’est ce dont le monde a besoin, cette
capacité que nous avons démontrée au Canada d’être différents et égaux
en même temps.
Ces valeurs que nous défendons sont
les valeurs dont le monde entier a besoin. Quand les gens comprendront que
quelle que soit la religion, la couleur de la peau, ou la langue parlée, nous
sommes tous des êtres humains. Il faut s’entraider. Il faut faire de la place
pour tout le monde dans la société. Il faut faire en sorte que les plus
faibles d’entre nous, comme c’est le cas au Canada, soient la préoccupation
non seulement du gouvernement mais de tous les citoyens.
Quand je vois les dizaines de milliers
de bénévoles qui travaillent au Canada dans tous les villages, dans toutes les
villes et dans les métropoles du pays. Des milliers d’entre eux consacrent de
longues heures à apporter du réconfort aux plus démunis. C’est la manière
canadienne. C’est la manière que j’aime tant. C’est aussi la raison pour
laquelle je suis si fier que vous m’ayez donné la chance depuis 38 ans et
demi de m’employer à rendre ce pays encore meilleur.
Parce que je sais une chose. Quand je
vais à l’étranger et que les gens se rendent compte que je suis le Premier
ministre du Canada, ils me regardent avec envie. Ils savent que le Canada est un
modèle pour le monde.
Des millions de gens dans le monde
entier donneraient leur dernière chemise pour venir y vivre et pour posséder
le passeport canadien. Pour avoir le privilège de se dire Canadiens. Il suffit
d’assister à une cérémonie de remise de certificats de citoyenneté dans n’importe
quelle ville du Canada. Ils sont des centaines de toutes les couleurs, de toutes
les religions et de toutes les langues, et à l’instant où ils deviennent
citoyens canadiens, ils rayonnent de bonheur.
Et c’est ainsi que le Canada va
demeurer – un pays ouvert qui accueille des gens de tous les pays du monde,
parce que nous avons compris que c’est la générosité, la confiance et l’ouverture
d’esprit qui rendent une société florissante comme la société canadienne l’est
devenue et le restera dans les années à venir.
Vive le Canada! Merci beaucoup.
- 30 -
|